Xavier Driencourt: «La France doit dénoncer unilatéralement le traité franco-algérien de 1968»
Eugénie Bastié, Xavier Driencourt | 25 mai 2023
ENTRETIEN - L’ancien diplomate publie une note exclusive pour La Fondation pour l’innovation politique intitulée: «Politique migratoire: que faire de l’accord franco-algérien de 1968?» Il appelle à remettre à plat cet accord définissant les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France qui grève considérablement nos marges de manœuvre en matière de politique migratoire.
LE FIGARO. – Le 27 décembre 1968, la France et l’Algérie ont signé un accord définissant les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France. Pourquoi ce traité? Quel était son objectif?
Xavier DRIENCOURT. –Ce traité bilatéral franco-algérien remonte à 1968, c’est-à-dire plusieurs années après la fin de la guerre d’Algérie et la signature des accords d’Evian. Il y avait probablement deux raisons à la négociation de ce texte. D’une part, les accords d’Évian laissaient une sorte de vide juridique sur la question de la circulation des personnes entre la France et l’Algérie. Les accords d’Évian prévoyaient, au profit notamment des Français – dont, en mars 1962, au moment des négociations des Rousses, on pensait qu’ils resteraient en Algérie – la possibilité de circuler librement pour venir en France, comme ils le faisaient lorsque l’Algérie n’était que trois départements français. D’autre part, 1968, c’était l’époque des Trente Glorieuses et la France cherchait de la main-d’œuvre pour ses usines, notamment l’industrie automobile et plus généralement voulait faire venir en France des travailleurs algériens, francophones. Il convenait évidemment de permettre à cette main-d’œuvre, désormais étrangère, de circuler librement entre les deux pays, de s’installer temporairement en France, de retourner au «pays» pour prendre sa retraite, de faire des allers-retours en France à tout moment…
Quel est le contenu de cet accord? Quels sont les droits qu’il ouvre aux ressortissants algériens en France?
Compte tenu de ce qu’était le contexte précédemment décrit, cet accord prévoit un régime d’exception au profit des Algériens. La disposition principale porte sur l’attribution d’un titre de séjour propre aux Algériens, le certificat de résidence administratif, ou CRA, valable dix ans. De nombreuses dispositions favorisent les Algériens par rapport aux autres nationalités.
– Un visa de long séjour n’est pas nécessaire pour le conjoint ; le visa touristique, de court séjour, suffit, contrairement à ce qui est imposé à d’autres nationalités.
– Le conjoint algérien peut obtenir un «certificat de résidence algérien» (CRA) de dix ans valant titre de séjour après un an de mariage seulement (contre trois ans de vie commune pour les autres nationalités) et ceci sans que les conditions d’intégration soient préalablement vérifiées. Le certificat de résidence algérien est accordé «de plein droit».
– En cas de regroupement familial, l’exigence «d’une intégration et insertion dans la société française» n’est pas soumise à vérification ; le regroupement familial est quasi de plein droit et ne peut être refusé que pour des motifs limitativement énumérés.
– Les accords ne prévoient aucune possibilité de «retrait» du titre de séjour, sauf par le juge et en cas de fraude.
– Un Algérien sans papiers doit simplement pouvoir justifier d’une résidence en France depuis dix ans ; de même, le conjoint algérien sans papiers d’un ressortissant français n’a pas besoin d’un visa de long séjour pour obtenir sa régularisation.
– D’autres dérogations portent sur la liberté d’installation pour les artisans et commerçants ; en effet, l’accord de 1968 établit la liberté d’établissement au profit des Algériens qui veulent exercer une activité professionnelle en France. Contrairement aux autres nationalités, ils n’ont pas à démontrer que leur activité est économiquement viable. La seule inscription au registre du commerce suffit pour obtenir le statut de «commerçant». Ce procédé, bien connu des étudiants algériens, est un moyen somme toute assez simple, surtout depuis que l’auto-entrepreneuriat existe, pour rester en France et bénéficier d’un titre de séjour.
Pourquoi selon vous cet accord est-il devenu obsolète?
Le contexte politique, économique et social de 2023 a changé par rapport à ce qu’il était en 1968. Politique, parce que la question de l’immigration est aujourd’hui au cœur des débats du pays, on le voit régulièrement. Économique, en raison des conditions générales qui ne sont plus celles de 1968, et social parce que le regard des Français sur l’immigration a évidemment évolué. Ajoutez la jurisprudence des juges judiciaires et administratifs qui a renforcé ce dispositif, le regroupement familial et la liberté de circulation dans l’espace Schengen, et l’on comprend qu’un texte qui date de 1968 est aujourd’hui inadapté alors même qu’il y a eu une vingtaine de lois sur l’immigration.
Enfin, si l’on considère que dans l’ordre juridique interne français, les traités internationaux régulièrement ratifiés priment sur les lois, le vote d’une loi sur l’immigration ne s’applique pas aux Algériens ainsi que le rappelle la jurisprudence des tribunaux. Il y a donc un «angle mort» dans notre dispositif législatif.
La France doit-elle opter pour la dénonciation unilatérale de cet accord? Le dénoncer permettrait-il de mettre la pression sur le régime concernant le retour des OQTF?
Les deux pays ont tenté de renégocier cet accord, mais sans en remettre en cause sa particularité, l’essence de ce qui fait l’exception algérienne. Donc, soit nous remettons à plat l’ensemble du dispositif bilatéral, soit nous serons conduits à dénoncer ce traité. Nous pourrions par exemple dire au gouvernement algérien – qui est conscient de ce particularisme -: donnons-nous six mois pour remettre à plat l’ensemble du régime de circulation entre les deux pays, car vous voyez bien que la question migratoire domine la vie politique française et que celle des visas (comme de la mémoire) empoisonne notre relation bilatérale, et si vous refusez, dans six mois, nous devrons mettre fin au régime de 1968.
Remettre à plat tout le dossier, dénoncer ou à tout le moins menacer de dénoncer l’accord de 1968 serait effectivement un moyen de pression pour amener les 20 consulats algériens à être plus dynamiques et coopératifs dans la question des laissez-passer consulaires (LPC).
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Xavier Driencourt, Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968 ?, Fondation pour l’innovation politique, mai 2023
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