Le retour de l’Europe ? Coup d’oeil sur l’oeuvre de Romain Rolland, un européen engagé

Benjamin Boscher | 30 mai 2017

 romain_rolland_au_balcon_meurisse_1914Depuis l’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée, l’heure semble à la relance du couple franco-allemand. Cette dynamique pressante et ambitieuse est positive pour l’Europe, alors que la conjoncture internationale semble laisser à la France une place historique dans le jeu diplomatique et politique. Saisissons ce moment pour redécouvrir l’engagement d’un auteur, Romain Rolland, ancienne figure morale de notre continent.

Né dans la Nièvre, en janvier 1866, Romain Rolland est l’un des intellectuels les plus importants de la première moitié du XXème siècle. Son ami Stefan Zweig en parlait comme «le plus grand événement moral de notre époque» A vingt ans, Rolland intègre l’Ecole normale supérieure où il côtoie Paul Claudel, Charles Péguy, André Suarès, qui alimentent sa passion pour l’art et la littérature. Il développe une admiration pour Spinoza, Tolstoï ou Shakespeare. En 1904, il commence la publication de son oeuvre la plus marquante, Jean-Christophe, qu’il dédie aux « âmes libres – de toutes les nations – qui souffrent, qui luttent et qui vaincront ».Récompensé du Prix Nobel en 1916, Romain Rolland continuera d’écrire tout au long de sa vie. Il est possible de citer Colas Breugnon, Clerambault, Pierre et Luce, ou ses écrits sur la vie de Vivekananda.

L’engagement de Rolland éclot à la veille du premier conflit mondial, où la possibilité d’une guerre est dans l’esprit de beaucoup. Un clivage existe alors – et que l’on a parfois retrouvé au cours de cette dernière campagne présidentielle : les nationalistes s’opposent aux universalistes. Certains intellectuels défendent la nécessité d’un effort de guerre, à commencer par Bergson, Barrès (meneur de la droite nationaliste que Rolland décrira comme le « rossignol du carnage») ainsi que de nombreuses organisations de gauche (la SFIO et la ligue des Droits de l’Homme notamment). D’autres s’y opposent, à l’instar de Romain Rolland. Ce dernier s’engage de manière retentissante en publiant une tribune qui fera date, intitulée « Au-dessus de la mêlée ». Dans cette tribune il appelle à la paix, à la désescalade, à la fin pure et simple des affrontements entre les nations européennes qui condamnent les jeunes générations. Il dénonce les formes de chauvinisme batailleur. Rolland écrit : « Osons dire la vérité aux aînés de ces jeunes gens, à leurs guides moraux (…). Quoi! vous aviez, dans les mains, de telles richesses vivantes, ces trésors d’héroïsme! A quoi les dépensez vous ? Cette jeunesse avide de se sacrifier, quel but avez-vous offert à son dévouement magnanime ? L’égorgement mutuel de ces jeunes héros ! ». Cette prise de position lui vaudra des contestations fortes à l’image de celle de Barrès qui lui répond en 1914 dans L’Echo de Paris : « il n’est plus permis qu’il y ait des pacifistes » et critique son action en ce temps d’Union sacrée.

Peu à peu, Rolland s’impose comme une icône de paix et structure un pacifisme de combat. Dans les années vingt, le pacifisme semble enraciné de manière intergénérationnelle et transcende même les cultures politiques. Ainsi, la droite se reconvertit au pacifisme pour éviter une alliance de revers avec l’URSS et c’est à cette époque qu’apparaît le Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (après les évènements du 6 février 1934). Bien que précaire, la paix doit perdurer au-dessus de tout. Avec l’arrivée d’Adolph Hitler au pouvoir, la donne change. Hier observateur « au-dessus de la mêlée », cette fois Rolland s’engage dans la bataille et devient président d’honneur du Comité international antifasciste.

Tout au long de ces périodes de guerre, Romain Rolland organise ses réseaux, rencontre les intellectuels militant à ses côtés, et correspond à distance avec de nombreux auteurs européens – au premier rang desquels figure Stefan Zweig. Les échanges épistolaires de Rolland ont été considérables : outre Zweig, Rolland échange avec le pacifiste américain John Haynes Holme et René Schickele. De même il a rencontré Nehru en 1927, Gandhi en 1931 – au sujet duquel il déclare «l’âme de son mouvement est la résistance active par l’énergie enflammée de l’amour, de la foi et du sacrifice.» Parallèlement, Rolland continue à être le point de mire des attaques des nationalistes français comme l’illustrent les publications des Cahiers de l’anti-France, l’Idole ou l’Européen Romain Rolland.

Pour autant, le cheminement de l’engagement intellectuel de Romain Rolland n’est pas linéaire. Au fil des années de crise, Rolland colore ses engagements pacifistes d’une nuance communiste, et se positionne dans un contexte international propice au clivage tout en s’imposant comme une figure européenne majeure. Rolland puise une source d’espoir dans la révolution russe de 1917, qui se rapproche de son idéal trans-frontiériste qu’il développe peu à peu. Il développe une admiration certaine pour le modèle communiste, ce qui vaudra à la cohérence de son engagement d’être remise en cause par certains de ses contemporains. Il forme par ailleurs l’espoir de voir une position politique et pacifiste être incarnée à l’Ouest comme le montre la lettre qu’il adresse au Président Wilson le 9 novembre 1918 : «D’un bout à l’autre de l’Europe, se lève, parmi les peuples, la volonté de ressaisir le contrôle de leurs destinées et de s’unir pour former une Europe régénérée.»

Impuissant face à la reprise des conflits, le pacifisme rollandien s’affirme avant tout comme un idéal européen. Dans la période précédant la première guerre mondiale, Romain Rolland s’associe à René Schickele et ils apparaissent comme des pionniers de l’idée européenne. Ainsi que le note Vincent-Böhmer « dès les années 1900, leurs écrits témoignent de leur volonté de dépasser leur milieu, leurs origines, de s’élever en embrassant la culture du pays voisin1. » Dans l’après-guerre, Rolland milite pour une ‘Europe de l’Esprit’, en fondant la revue Europe, vivier d’idées pacifistes.

Mû par un idéal complexe et parfois contradictoire, l’engagement rollandien demeure sans nul doute imparfait, n’ayant pu empêcher l’escalade des conflits les plus terribles. Quoi qu’il en soit, Romain Rolland laisse l’image d’un fervent engagement intellectuel pacifiste et définitivement européen. A l’heure où l’Europe pourrait revenir en force, dans un contexte de tensions nombreuses, la figure de Rolland reste inspirante. D’ailleurs, au regard de ses engagements passés, il déclara : « Ce n’est pas par sentimentalisme que j’ai été en 1914 – que je suis en 1933 – un champion de la paix et de la coopération entre les nations, – et tout particulièrement entre la France et l’Allemagne. C’était et c’est une loi de raison, – une vérité vitale

 

Bernard Duchatelet, Romain Rolland, tel qu’en lui-même, 2002, Edition Albin Michel

Maurice Rieuneau, Guerre et révolution dans le roman français de 1919 à 1939, 1974, Editions Slatkine

Romain Rolland, Jean-Christophe, Paris, Albin Michel, 1931

Gwenaële Vincent-Böhmer, Romain Rolland et René Schickele : deux écrivains engagés pour l’Europe (1900-1933)

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