Antisémitisme et antisionisme
Fondapol | 23 juillet 2014
Antisémitisme et antisionisme
Dans sa dernière livraison parue en mai 2014, la revue Les Etudes, éditée par le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) se propose d’éclairer le sens des mots « antisémitisme » et « antisionisme », dans un article de Jacques Tarnéro intitulé : « antisémitisme/ antisionisme : mots, masques, sens, stratégie, acteurs, histoire »[1].
Antisémitisme et antisionisme peuvent-ils être qualifiés de synonyme ? Ces deux termes se confondent-ils ? S’emploient-ils pour dénoncer un même objet d’hostilité ?
Si l’antisémitisme semble avoir été condamné depuis la Seconde Guerre Mondiale, à l’exception de quelques nostalgiques du nazisme, le discours antisioniste est à l’inverse en pleine expansion. Sans comprendre le sens de ces deux termes, ceux qui les utilisent le font à tort et à travers. L’appellation « antisioniste » serait aujourd’hui devenue un mot passe-partout générateur de confusions et d’amalgames. Jacques Tarnéro tente d’en délimiter le contour et d’éclairer le lecteur sur les enjeux et, à terme, les conséquences, d’un glissement sémantique.
« Antisionisme » : un terme au cœur de nombreuses controverses
Depuis les années 1970, le terme « antisionisme » est sujet à de vifs débats. Il est considéré comme une forme d’antisémitisme voilée par les uns, ce à quoi d’autres rétorquent que l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme revient à empêcher toute critique d’Israël. Le terme « antisionisme » est à l’origine de controverses incessantes, et son usage donne lieu à nombre d’absurdités et de confusions.
Dans un tel contexte, une analyse sémantique des termes « antisémitisme » et « antisionisme » est apparue nécessaire :
1) L’antisémitisme renvoie à la discrimination, à l’hostilité, au rejet manifesté exclusivement à l’encontre des Juifs en tant qu’individus ou en tant que groupe. Il s’agit d’une forme spécifique de racisme. L’antisémitisme se distingue de l’antijudaïsme, ce dernier attaquant la religion juive en tant que telle.
2) L’antisionisme met quant à lui en cause la légitimité de l’Etat d’Israël, de son droit à exister en tant qu’Etat du et pour le peuple juif. L’utilisation toujours plus fréquente du terme antisionisme trouve son explication dans une définition en réalité plus complexe qu’il n’y parait. Selon Jacques Tarnéro, sa définition varie en fonction des éléments structurels qui l’habitent : historiques, philosophiques, religieux, politiques ou polémiques. Ainsi, le terme antisionisme peut aussi bien qualifier une hostilité envers la politique menée par le gouvernement israélien, qu’envers l’Etat d’Israël lui-même et sa légitimité, le droit d’Israël, l’idée d’un Etat juif ou encore le droit des Juifs à avoir un Etat. Critiquer la politique menée par le gouvernement israélien est une chose, contester le droit d’Israël à exister en est une autre.
3) Le sionisme enfin, renvoie à un mouvement politique d’émancipation nationale du peuple juif né en Europe au XIXe siècle, imaginé par Théodor Hertzl. Ce dernier, face à l’échec constaté de l’assimilation des Juifs au sein de la République française notamment, estimait que seule une solution nationale pouvait résoudre la question juive en Europe et assurer la sécurité des Juifs confrontés à un antisémitisme en pleine expansion, depuis les pogroms en Russie et en Europe de l’Est, jusqu’à l’Affaire Dreyfus en France.
4) Enfin, la notion de peuple elle-même peut-être définie comme un ensemble d’être humains habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions. Dans le cas du peuple Juif, le dénominateur commun le plus fort serait l’hébreu, langue renouvelé par Eliezer Ben Yehuda, dans le but d’en faire le ciment identitaire de la renaissance de la nation juive.
Si ces différents termes trouvent plus ou moins facilement leur signification, la réponse à la question « qu’est ce qu’être juif ?» n’appelle pas de réponse aussi spontanée. Jacques Tarnéro souligne le fait qu’en réalité, il ne saurait y avoir de définition univoque de l’identité. Autrement dit, il y a autant de définitions de l’identité juive qu’il y a de vécus juifs.
L’opposition radicale à l’Etat d’Israël est souvent le masque d’un nouvel antisémitisme
Historiquement, l’antisionisme avait pour sens unique de s’opposer au projet sioniste de renaissance nationale, à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine et à la création d’un Etat juif.
Or aujourd’hui, l’antisionisme désigne de plus en plus une opposition radicale à l’Etat d’Israël dans son ensemble, sans distinguer la politique de son gouvernement ou la légitimité même de cet Etat. En effet, nombreux sont les israéliens opposés à la politique de leur gouvernement. Ces derniers ne sauraient pourtant être qualifiés d’antisionistes.
Selon Jacques Tarnéro, l’analyse qui en découle est celle d’un transfert sur Israël du dispositif antijuif. En apparence donc, l’antisionisme aurait plus à voir avec l’antiracisme, l’anti-colonialisme et l’anti-impérialisme à l’égard du peuple palestinien, plutôt qu’avec l’antisémitisme. En réalité toutefois, l’antisionisme serait aujourd’hui le masque de l’antisémitisme, conséquence ultime de la confusion des deux termes dénoncée par l’auteur.
Ces conceptions déformées aboutissent le plus souvent aux plus absurdes accusations, comme à qualifier l’Etat d’Israël de réincarnation du nazisme. Récemment, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas hésité à affirmer « qu’Israël surpassait Hitler en barbarie »[2]. Conséquence de cet amalgame délirant, l’efficacité éducative des commémorations s’érode. La seconde intifada a pu être interprétée comme la répétition par les Israéliens, contre les Palestiniens, des mêmes crimes commis durant la Seconde Guerre Mondiale à l’égard des Juifs. Un effet d’annulation des deux crimes animerait alors les esprits, couplé d’un sentiment de déculpabilisation. Jacques Tarnéro interprète ce phénomène comme le processus consistant à attribuer à sa victime sa propre ignominie afin d’effacer le crime initialement perpétré.
Topographie des courants et des confluences de l’antisionisme et de l’antisémitisme
Si l’extrême droite n’a jamais caché son antisémitisme, celui-ci s’accompagne presque toujours d’une profonde hostilité au sionisme et à Israël. A cette mouvance s’ajoutent également les courants plus récents et toujours plus radicaux (Dieudoné, Soral, Gabe, Hallier), qualifiés de « mouvement rouge-brun-vert », pour souligner le lien entre courants politiques venus d’extrême gauche, d’extrême droite et de l’écologie, agrégés autour d’un antisémitisme commun. A droite, la politique arabe de la France menée par Jacques Chirac contrastera avec les relations établies par le Général De Gaulle jusqu’en 1967. Le discours communiste n’aura quant à lui pas résisté à la Guerre Froide et reprendra à son compte le rejet du sionisme, assimilé au colonialisme et accusé d’être l’allié de l’impérialisme américain et de la finance mondiale. Enfin, les « gauchistes » – tels que qualifiés par l’auteur – ont rapidement développé une aversion pour Israël.
Une haine antijuive ouvertement revendiquée
De plus en plus cependant, l’alibi de l’antisionisme ne sert plus. Les haines antijuives s’expriment d’elles-mêmes, laissant de côté la protection que pouvait constituer le terme d’antisionisme. Les paroles antijuive et antisioniste sont de nos jours portées par une ultra droite naissante, multipliant des actes antijuifs surmédiatisés. De la même manière, les mouvements d’extrême gauche se radicalisent en ce sens. Ainsi, le NPA a pu manifester, malgré l’interdiction du rassemblement[3].
Enfin, Jacques Tarnéro n’hésite pas à dénoncer la responsabilité des médias dans l’amplification de certains faits – dernièrement l’affaire Dieudonné – alimentant les écrits haineux et racistes et légitimant quelque peu cette forme d’humour. Et l’auteur de conclure par ces mots : « La télécratie a-t-elle remplacé la démocratie ? S’affranchir des tabous, dont le signe juif serait le symbole abouti, semble être désormais l’un des ferments de la création humoristique. C’est sur cet affaissement que prospère l’antisémitisme actuel ».
Sarah Nerozzi-Banfi
Crédit photo : Garuna bor-bor
[1] Les Etudes du CRIF, numéro 30 Juin 2014, ANTISEMITISME/ANTISIONISME, Mots, masques, sens, stratégie, acteurs, histoire, par Jacques Tarnéro
[2] Pour le premier ministre de Turquie, Israël « surpasse Hitler en barbarie », Le Monde, 19.07.2014
[3] « Manif pro-palestinienne interdite à Paris : le NPA maintient son appel », Le Point, 19.07.2014
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