Bloc contre bloc : dynamique et impasse du macronisme ?

Vincent Feré | 22 décembre 2019

Notes

1.

Jérôme Sainte-Marie, Bloc contre bloc. La dynamique du macronisme, Cerf, 2019.

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2.

Jérôme Sainte-Marie, Le nouvel ordre démocratique, éditions du Moment, 2015

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 Hasard des circonstances et du calendrier, la démission contrainte de Jean-Paul Delevoye, révélatrice de la confusion, ancienne sans doute mais généralisée Macron régnant, entre intérêts privés et domaine public, semble faite pour illustrer le propos de Jérôme Sainte-Marie dans son dernier essai, Bloc contre bloc. La dynamique du macronisme1. Si en effet le politologue il y a quatre ans2 pointait l’émergence d’un nouveau clivage idéologique opposant au pôle identitaire un pôle libéral, aujourd’hui, puisant son inspiration dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, il analyse la présidence Macron à mi-mandat comme polarisant la société en deux blocs, un « bloc élitaire » s’identifiant toujours davantage au macronisme et un « bloc populaire » se reconnaissant de plus en plus exclusivement dans le Rassemblement national. Mieux, d’après lui, l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron aurait été voulue par la « bourgeoisie managériale », soucieuse d’éliminer les entraves à la « maximisation des possibles » mais elle aurait signifié la relégation de la « France périphérique » (C.Guilluy), celle des ronds-points et des gilets jaunes, provoquant la « montée aux extrêmes ».

Le prélude à un scénario de 2022 identique à celui de 2017 avec un résultat inverse ?

Les limites de l’analyse sociocritique du macronisme

L’analyse de Jérôme Sainte-Marie rend certes compte de la dynamique sociale et politique à l’œuvre depuis 2017. Celle-ci n’est pas nouvelle mais la présidence Macron en a indéniablement été un puissant adjuvant. Cependant, cette double polarisation témoigne de l’impuissance du nouveau pouvoir à transformer le pays plutôt que de sa réussite. Autrement dit si, de fait, Macron a été porté au pouvoir par le « bloc élitaire », son projet visait à remettre la France « en marche » et à permettre à chacun d’être l’acteur de son propre destin. Et s’il a pour l’instant échoué, la responsabilité n’en revient pas d’abord à l’égoïsme de la bourgeoisie.

Car il y a un paradoxe du macronisme sur lequel les beaux esprits dissertent rarement : l’ultra-libéralisme supposé de la politique présidentielle s’accompagne d’un niveau record des dépenses publiques et de l’endettement. Si les mots ont un sens, un pays qui redistribue 56% de la richesse produite n’entre pas dans la catégorie des victimes d’une politique ultra-libérale ! On peut d’ailleurs noter au passage que la crise des gilets jaunes a été étouffée sous 17 milliards de dépenses supplémentaires tandis qu’en réponse au malaise enseignant, le ministre de l’Education nationale vient d’annoncer un plan de 10 milliards d’euros sur plusieurs années !

Tout se passe donc comme si le « bloc élitaire » était prêt à payer pour acheter une paix sociale de plus en plus improbable – à payer ou à hypothéquer l’avenir : on connaît la phrase de Madame de Pompadour, vingt-cinq ans avant la Révolution française : « tout cela durera bien autant que nous », version distinguée du « après nous le déluge » ! -.

Et en même temps – si l’on ose dire -, le pouvoir qui subventionne pour retenir le « bloc populaire » de renverser le régime semble tout faire pour favoriser la « montée aux extrêmes » analysée par Jérôme Sainte-Marie.

De ce point du vue, l’affaire Delevoye et la réforme des retraites sont un cas d’école.

 

La réforme des retraites et son commissaire : un cas d’école 

Le cas Delevoye illustre d’abord, après d’autres, les failles de l’exemplarité promise par le preux candidat Macron, assisté de son fidèle Bayrou – aujourd’hui mis en examen ! – en contrepoint des turpitudes du malhonnête Fillon. Surtout, il alimente le soupçon de l’opinion d’une collusion entre le monde des affaires et le monde politique, caractéristique de l’orléanisme. Jérôme Sainte-Marie glisse dans son essai un commentaire du Karl Marx des Luttes de classes en France à propos de l’accession au trône de Louis-Philippe en 1830 : « après la révolution de juillet, lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d’Orléans à l’Hôtel de Ville, il laissa échapper ces mots : « Maintenant le règne des banquiers va commencer ». Laffitte venait de trahir le secret de la Révolution ».

Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon réconciliés peuvent donc crier au complot du grand capital contre les honnêtes travailleurs d’autant que cette même bourgeoisie qui confond les intérêts privés et les intérêts publics explique aux Français qu’il n’y aura bientôt plus d’argent dans les caisses de retraite – et c’est vrai ! – et qu’il va donc falloir travailler plus longtemps – après avoir oublié de le dire en 2017 pour se démarquer de l’antisocial Fillon qui préconisait de reculer l’âge légal de départ à 65 ans -.

Le gouvernement s’y prendrait-il autrement s’il voulait accélérer la polarisation sociale et politique ?

L’incontestable « dynamique du macronisme » en ce sens le conduit toutefois peut-être dans une impasse.

 

 Le macronisme dans l’impasse ?

Emmanuel Macron est persuadé que cette « montée aux extrêmes » est la clé de sa réélection en 2022. De fait, il ne reste apparemment plus que deux forces partisanes susceptibles de l’emporter dans un scrutin national, le résultat des européennes l’a bien montré et Macron fait le pari que le « bloc élitaire » ne lui fera pas défaut tandis que le « bloc populaire », une fois encore, hésitera à franchir le Rubicon.

De fait, pour l’instant, ce « bloc élitaire » reste soudé derrière le président de la République et son gouvernement, la réforme des retraites provoquant même une consolidation de son socle comme l’attestent les derniers sondages de popularité. Et demain ? Jérôme Sainte-Marie se garde bien de répondre même s’il ne partage sans doute pas l’optimisme du président de la République…

Cela dit, les taux élevés d’abstention dans les différents scrutins, le pourcentage élevé de Français qui ne veulent pas pour 2022 du scénario de 2017 montrent qu’il existe à côté des deux blocs du politologue un électorat de « non alignés » qui pourrait se retrouver dans « la naissance d’une formulation généraliste apte à regrouper des catégories diversifiées autour d’un projet commun ».

Pour réussir celui-ci suppose un fédérateur – Louis-Napoléon Bonaparte l’a fait en son temps – et il doit attirer une partie du « bloc élitaire » qui pourrait avoir intérêt à abandonner l’oligarchie au pouvoir surtout si Macron devait renoncer aux réformes – on comprend pourquoi le président de la République n’a nullement l’intention de « lâcher » sur les retraites – mais aussi si sa stratégie venait à confirmer les propos pessimistes de l’historien Patrick Boucheron : « désigner son adversaire revient à choisir son successeur ».

Reste à savoir qui de « l’élite réelle » – la classe dirigeante, de « l’élite aspirationnelle » – les cadres et ceux qui ont confiance en l’avenir – ou de « l’élite par procuration » – les retraités – est la plus susceptible de se laisser tenter. Les paris sont ouverts.

 

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