Classes moyennes : portraits croisés

09 décembre 2011

09.12.2011Une définition problématique

La définition des classes moyennes est un sujet difficile,  prenant par moment l’aspect d’une dispute théologique entre chapelles sur le sexe des anges. Toutefois, il semble possible d’en donner une définition a minima. Dans La lutte des classes moyennes, Laurent Wauquiez les définit par trois critères :

–  En termes de revenus, elles sont comprises dans la fourchette allant de 1500 à 6000 euros nets par foyer

–  Elles partagent une valeur commune : le travail

–  Elles regroupent 70% de la population

Ces trois critères ne sont pas à mettre sur le même plan. Le troisième est une simple constatation alors que les deux premiers se veulent davantage compréhensifs et analytiques.

La série de notes publiées par la Fondation pour l’innovation politiques [1] permet de nuancer les propos du ministre et d’infléchir certaines de ses assertions. En effet, si, comme le disait Valéry Giscard d’Estaing, «  deux Français sur trois » sont rangés dans la catégorie des classes moyennes, on remarque un grand absent dans la définition de Laurent Wauquiez, le jugement que cette catégorie sociale porte sur elle-même. Dans l’étude de Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, « le critère de l’autopositionnement est privilégié. Cela répond, d’une part, à des exigences pratiques liées au recueil de l’information, mais surtout à l’ambition poursuivie. Elle consiste à renouer avec une vision plus sociétale, moins strictement économico-descriptive ». Sans discréditer cette dernière approche il s’agit de porter une attention accrue à ce qui fait l’unité des classes moyennes : une autoévaluation partagée.

Se loger, nouveau parcours du combattant

La tendance à la dégradation des conditions matérielles d’existence des classes moyennes mise en évidence par Laurent Wauquiez rejoint le constat établi par Julien Damon dans la note Les classes moyennes et le logement. Le sociologue et le ministre partagent également la même analyse sur l’augmentation de la part du budget des ménages consacrée au logement (en dix ans elle a été multipliée par deux). Laurent Wauquiez aurait cependant pu ajouter à sa réflexion la donnée de l’ « étalement » puisque « géographiquement, les classes moyennes alimentent, même si elles ne sont pas les seules en l’affaire, la dynamique française de périurbanisation », que les travaux de Christophe Guilluy ont mis en évidence.

Il existe également une convergence de vues entre les deux ouvrages sur l’oubli dont sont frappées les classes moyennes. Julien Damon propose d’y remédier en instaurant « un service spécialisé de type task force consacré aux classes moyennes [2]». Le ministre a, quant à lui, une politique plus ambitieuse qui passe par la construction rapide de nouvelles habitations ainsi que par une révision des politiques d’aide au logement. Négligeant le phénomène de périurbanité, ses propositions omettent néanmoins de prendre en compte le problème des distances entre lieu de travail et domicile, si ce n’est par la proposition d’un permis de conduire subventionné. Le problème est cependant plus vaste : il s’agit de renouveler l’ensemble de la politique de transports.

Par ailleurs, la volonté affichée dans La lutte des classes moyennes de relancer les grands chantiers d’État, le projet de lutte contre les prix excessifs du logement sont de nature keynésienne. Cette filiation, si elle est revendiquée par le ministre, contredit la logique libérale de libre jeu du marché des logements. Plutôt que de refuser l’ « éparpillement » des classes moyennes ne vaudrait-il pas mieux « accompagner » les changements des morphologies urbaines ?

De même, si Laurent Wauquiez a raison de pointer que les systèmes de redistribution doivent être repensés pour ne pas être payés sur les dos des classes moyennes, il ne faut pas oublier que le recours au crédit est un élément constitutif des classes moyennes, ce que montre parfaitement la note de Nicolas Pécourt.

Laurent Wauquiez et ses classes moyennes

En définitive, la comparaison entre les travaux de la Fondapol et l’ouvrage du ministre font apparaître à la fois une convergence d’analyse quant aux inquiétudes des classes moyennes et plusieurs différences dans les réponses à y apporter. Les classes moyennes sont ainsi enclines, comme le montre la note d’Elisabeth Dupoirier, à rejeter la mondialisation et ses effets présumés pernicieux. La politiste distingue ainsi les deux formes de libéralisme, l’un sociétal (ou culturel), l’autre économique. Si le premier est bien accepté, ce n’est pas le cas du deuxième. Les classes moyennes semblent prises dans une logique de défiance et de crainte à l’égard de la situation économique actuelle, que le sociologue Eric Maurin appelle la « peur du déclassement ».

En revanche, la réponse à y apporter n’est pas la même. Dans la continuité de ses déclarations sur le Revenu de Solidarité Active ou, plus récemment encore, sur le délai de carence lors d’un arrêt maladie, Laurent Wauquiez s’adresse aux classes moyennes, en utilisant une ligne d’argumentation éprouvée présentant l’ensemble des classes moyennes comme des victimes.

Son livre présente une vision sélective des classes moyennes, dont les préoccupations rejoindraient les idées de la majorité. Or, la note d’Elisabeth Dupoirier montre qu’en général, le vote des classes moyennes se porte majoritairement à gauche. Nicolas Sarkozy avait pourtant réussi en 2007 à réaliser un bon score auprès de celles-ci. C’est sous ce patronage que Laurent Wauquiez se place. En dénonçant le traitement réservé aux classes moyennes, considérées comme des « cochons payeurs », il prend la figure de défenseur des ces nouveaux opprimés. Posture qu’il occupe avec un certain panache mais qui n’épuise pas la diversité des classes moyennes. Il est vrai que c’est toujours au prix d’une simplification qu’une réalité sociologique devient un enjeu politique.

Pertinax


[1] Laure Bonneval, Jérôme Fourquet et Fabienne Gomant, Portrait des classes moyennes, Paris, Fondapol, octobre 2011. ;  Nicolas Pécourt, Les Classes moyennes et le crédit, Paris, Fondapol, octobre 2011. ; Elisabeth Dupoirier, Le vote des classes moyennes, Paris, Fondapol, novembre 2011. ; Julien Damon, Les classes moyennes et le logement, Paris, Fondapol ; décembre 2011.

[2] Julien Damon, Les classes moyennes et le logement, Paris, Fondapol, décembre 2011, p. 35.

 

Crédit photo, Flickr: Biscarotte

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