Comment un inconnu du Tea Party a fait tomber la star du parti républicain et fait trembler la politique américaine

Fondapol | 19 juin 2014

19.06.20144Comment un inconnu du Tea Party a fait tomber la star du parti républicain et fait trembler la politique américaine

Le républicain Eric Cantor, numéro deux de la Chambre des représentants des Etats-Unis, a perdu de façon totalement inattendue la primaire de Virgine en vue des élections de mi-mandat. Cette défaite face à un activiste inconnu du Tea Party a provoqué un séisme au sein du Parti Républicain (Grand Old Party [1]).

Une défaite historique pour les Républicains

Considéré depuis 2001 comme une étoile montante du GOP, Eric Cantor est aujourd’hui l’un des républicains les plus influents de la Chambre des représentants. Elu de Virginie et président de la majorité, sa notoriété le désignait successeur du Speaker[2] John Boehner lors des prochaines élections du Congrès. Faisant figure de favori lors des primaires républicaines du 10 juin dernier, le match semblait presque joué d’avance… Suite à une campagne spectaculaire de publicité d’un million de dollars, les sondages lui promettaient un avantage de 34 points sur son concurrent !

Contre toute attente, un écart de 7000 voix a été enregistré en la défaveur d’Eric Cantor. A 55% contre 45%[3], le candidat David Brat soutenu par le Tea Party a créé la surprise. Aucun expert politique n’avait prévu ce revirement : le leader républicain s’est fait battre par un professeur d’économie locale inconnu du grand public. Seul Robert Costa, journaliste au Washington Post[4], avait alerté l’opinion sur la popularité surprenante de l’outsider. Bien qu’Eric Cantor soit l’un des collecteurs de fonds les plus importants, son budget largement supérieur à celui de David Brat (5,4 millions contre 207 000 dollars) ne lui a pas assuré la victoire. Il est le premier dirigeant de la majorité à perdre une primaire en 115 ans.

Un retournement de situation inopiné

L’échec d’Eric Cantor a défrayé la chronique américaine. C’est notamment son assimilation à une « créature de Washington » guidée par l’opportunisme politique qui lui a été reproché par David Brat, mais aussi par son propre camp. Avide de pouvoir, Eric Cantor se revendiquait tour à tour de l’establishment ou des « young guns »[5], ce qui a conduit ses pairs à le comparer à un personnage de « House of Cards »[6] dont la loyauté sert uniquement l’ambition et l’avancement. Cette inconstance a dégradé son image auprès de l’électorat républicain.

David Brat a profité de ce discrédit relatif pour détourner les faiblesses de son concurrent à son avantage. Il a notamment reproché à Eric Cantor d’être trop modéré sur les questions fiscales et de santé (Obamacare). A la Chambre, Eric Cantor s’est en effet distingué par sa capacité à faire des compromis, notamment sur le vote du budget 2014. Il a ainsi contribué à mettre fin au « shutdown »[7] avec les autres dirigeants du GOP[8]. Cette prise de position qui se voulait constructive pour le pays, et avait été saluée comme telle, lui a valu les critiques des plus radicaux des républicains.

L’immigration cristallise le débat

« A vote for Eric Cantor is a vote for open borders »[9] a été l’argument de choc de David Brat tout au long de la campagne, qui a reproché à son adversaire ses positions modérées sur le sujet de l’immigration. Eric Cantor avait promis d’accorder la citoyenneté américaine aux enfants entrés illégalement sur le territoire[10], ce qui lui a valu d’être caricaturé comme promoteur d’une amnistie généralisée. David Brat a d’ailleurs envoyé des milliers de mails en accusant son rival de vouloir donner « illegal aliens amnesty » [11]. Au sein de son groupe parlementaire, Eric Cantor est pourtant l’un des plus rigides en matière de politique migratoire[12].

C’est probablement son double discours qui a pénalisé le candidat républicain. Il a en effet voulu répondre à la fois au besoin de main d’œuvre des entrepreneurs et au manque de sécurité des Américains… mais il n’y est visiblement pas parvenu ! Ce résultat électoral montre qu’il sera désormais très compliqué pour le Congrès de légiférer sur l’immigration, qui est pourtant au cœur d’un grand projet de réforme actuellement : par peur d’un vote sanction, les élus risquent de ne plus se prononcer sur la question[13]. Erik Herzik de l’Université du Nevada affirme à ce sujet : « immigration reform is dead »[14].

La stratégie de David Brat semble donc avoir payé. En se focalisant sur ce débat controversé, il a réussi à décrédibiliser et à déconnecter Eric Cantor du terrain. Le représentant sortant n’a pas réussi à reconquérir ses électeurs face à la virulence de son adversaire.

Le come-back du Tea Party

Dans un contexte peu porteur pour le Tea Party – celui-ci ayant enchaîné les défaites – la victoire de David Brat marque la résurgence de la mouvance ultra-conservatrice sur la scène républicaine. Un sursaut inattendu alors que le mouvement était en retrait depuis le « government shutdown » de l’automne 2013[15]. Sous la pression du Tea Party, le Congrès Américain n’avait pas réussi à trouver d’accord sur le budget 2014, entraînant un blocage institutionnel historique : 800 000  fonctionnaires s’étaient retrouvés au chômage technique[16].

Le comité American Bridge, affilié aux démocrates, commente les résultats : « pour ceux qui étaient tombés dans le piège de croire que le parti républicain avait réussi à tuer le Tea Party, cette soirée devrait permettre de remiser cette théorie »[17]. La mouvance gagne en effet en influence auprès des Républicains, entraînant probablement une radicalisation du parti à l’avenir. Zachary Werell, directeur de campagne de David Brat, évoque un tournant politique. Selon lui, l’argent et le pouvoir ne sont plus désormais les seuls leviers pour gagner une élection : « people vote and money doesn’t win »[18].

La césure entre peuple militant et establishment

Selon le journaliste David Wasserman, Eric Cantor a perdu son électorat de base[19]. Cette défaite cuisante révèle que les militants se sont révoltés contre l’establishment. En préférant un candidat plus proche d’eux, les électeurs ont remis en cause la direction élitiste du parti. Ce choix aura des conséquences directes sur le fonctionnement interne du GOP. La désynchronisation entre le Tea Party et les Républicains risque de nuire à l’unité du parti d’opposition au moment où celui-ci a besoin d’être fort pour agir face à Barack Obama[20].

Les quatre prochains mois devraient donc être dominés par des manœuvres politiciennes. Si Kevin McCarthy[21] est soutenu par Eric Cantor pour prendre sa succession fin juillet[22], d’autres candidats républicains sont aussi dans la course[23]. Le Tea Party est également susceptible de revendiquer l’un des trois hauts postes de la Chambre[24]. La démission d’Eric Cantor de sa fonction de chef de la majorité risque donc encore d’accroitre les tensions parmi les Républicains.

Les nouveaux défis pour 2016

Le président Obama n’ayant plus le droit de briguer un troisième mandat, les Républicains espéraient avoir une carte à jouer pour reconquérir la Maison Blanche. La disqualification d’Eric Cantor et la résurgence du Tea Party ont cependant provoqué un tremblement de terre politique qui affecte la présidentielle de 2016, surtout face à une Hillary Clinton déjà activement partie en campagne dans le camp adverse. Jeb Bush, potentiel candidat, est considéré comme le « grand perdant » de la défaite d’Eric Cantor[25]. Républicain modéré, il s’était clairement positionné en faveur de l’amnistie pour les immigrants illégaux – présentant leur démarche comme un « act of love » envers les Etats-Unis[26].

Les Républicains font donc aujourd’hui face un dilemme : poursuivre une ligne modérée ou conservatrice sur les questions migratoires. Le risque majeur est de perdre l’électorat hispanique, traditionnellement conservateur mais issu de l’immigration et déterminant par la présidentielle à venir[27]. Le retour du Tea Party menace donc de provoquer de violentes dissensions au sein du GOP…

Marine Caron – Violaine Théry

Crédit photo : www.baylor.edu

Retrouvez la note de la Fondation pour l’innovation politique « Comprendre le Tea Party »

Note Tea Party

[1] Le Parti Républicain est également surnommé Grand Old Party (GOP).

[2] Le Speaker est le terme pour désigner le président de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Il s’agit actuellement de John Boehner, représentant républicain du 8ème district de l’Ohio.

[3] AFP, Etats-Unis : un républicain de premier plan  battu par un candidat du Tea Party, Le Monde, 11.06.14

[4] Jonathan Cohn, The GOP just got a wake-up call, New Republic, 10.06.14

[5] « Young gun » = jeune star incarnant la nouvelle vague et le renouveau du parti.

[6] House of Cards est une série télévisée américaine. Diffusée pour la première fois en 2013, elle raconte la vie d’un homme politique prêt à tout pour obtenir le poste « suprême ».

[7] Le “shutdown” est la crise de l’automne 2013 qui a paralysé les activités gouvernementales fédérales des Etats-Unis.

[8]Be brave, Republicans, The Economist, 24 juin 2014

[9] John Cassidy, Cantor loses, and Whasington goes ape, The New Yorker, 11.06.14

[10]Be brave, Republicans, The Economist, 24 juin 2014

[11] Tim Murphy, Eric Cantor loses GOP primary. Wait, What ?!, Mother Jones, 10.06.14

[12] Ramesh Ponnuru, What does Cantor’s defeat mean ? Nobody knows, Bloomberg View, 10.06.14

[13] Dan Nowicki et Erin Kelly, Immigration reform died with Cantor’s defeat, analysts say, Azcentral.com, 12 juin 2014

John J. « Jack » Pitney, Jr., politologue au Collège Claremont McKenna College de California a dit : « Republicans will be very skittish to take on immigration reform. Their attitude will be: Why risk it? » (Les Républicains seront frileux à l’idée d’adopter une réforme sur l’immigration. Leur attitude serait : Pourquoi prendre ce risqué ?).

[14] Ibid. Eric Herzik est president du département de sciences politiques de l’Université de Reno au Nevada.

[15] Hélène Sallon, « Shutdown » : les Etats-Unis pris au piège du Tea Party, Le Monde, 09.10.13

[16] Marie Le Douaran, Shutdown aux Etats-Unis : « Les élections de mi-mandat de 2014 en ligne de mire », L’Express, 01.10.13

[17] Lucie Robequain, Le buzz aux Etats-Unis : défaite cuisante pour l’un des grands leaders républicains, Les Echos, 11.06.14

[18] Lisa Mascaro, Michael A. Memoli et Mark Z. Barabak, Eric Cantor defeat by tea party shakes Republican politics to its core, Latimes, 10 juin 2014

[19]John Cassidy, Cantor loses, and Whasington goes ape, The New Yorker, 11.06.14

[20] Jonathan Cohn, The GOP just got a wake-up call, New Republic, 10.06.14

[21] Kevin MacCarthy est « House Whip » (n°3 de la Chambre des représentants) : député chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti. Il est chargé de la « discipline » du groupe. En France, son équivalent est le coordinateur de groupe.

[22] Luke Russert and Frank Thorp V, Cantor annouces resignation as majority leader, NBC news, 11.06.14

[23] Chez les Républicains, l’élu du Texas Jeb Hensarling ainsi que Paul Ryan, vice-président lors de la campagne électorale de 2012, sont intéressés par le poste. Parmi les élus du Tea Party, Tom Price de Georgie et Steve Scalise de Lousiane sont également préssentis.

Albert R. Hunt, Cantor’s gone, let the Republican infighting begin, Bloomberg View, 10.06.14

Derek Wallbank, House majority leader Cantor loses to Tea Party opponent, Bloomberg, 11.06.14

[24] Ibid.

[25] Tony Lee, National journal analyst : Jeb Bush “big loser” in Cantor defeat, Breitbart, 11 juin 2014

[26] Ibid.

[27] Lisa Mascaro, Michael A. Memoli et Mark Z. Barabak, Eric Cantor defeat by tea party shakes Republican politics to its core, Latimes, 10 juin 2014

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.