De l’histoire du monde à une histoire mondiale
Fondapol | 11 octobre 2014
De l’histoire du monde à une histoire mondiale (partie 1)
Par @JeanSénié
Les éditions Armand Colin ont eu la judicieuse idée de publier un Manuel d’histoire globale écrit par Chloé Maurel[1]. Le livre vient répondre à une double demande. D’une part, celle d’un public toujours plus demandeur – mondialisation oblige – de saisir les effets transnationaux des circulations des hommes, des biens, des idées ainsi que leurs très nombreuses réappropriations. D’autre part, les multiplications des travaux issus de ce champ de recherche justifient de revenir dessus afin de rendre plus aisée la compréhension et d’illustrer les perspectives rendues possibles.
Une histoire de l’histoire globale
La première partie est consacrée à la genèse de l’histoire globale et aux différentes formes qu’elle a pu revêtir dans le temps. Le premier chapitre, « L’histoire comparée et l’histoire universelle », revient sur des formes lointaines d’histoire globale. Il débute avec l’usage de la comparaison dans l’Antiquité, pour ne citer qu’un exemple Plutarque et ses Vies parallèles, puis à la Renaissance pour aborder ensuite les développements nouveaux que connait cette histoire au XXe siècle[2].
Le deuxième chapitre traite de l’histoire mondiale ou world history. La world history propose de décentrer le regard europeocentré ou occidentalocentré, non pour le remplacer par un autre récit national, même si cela a pu parfois être le cas, mais pour proposer un récit de phénomènes mondiaux ainsi que transnationaux. Le cadre national apparaît, en effet, réducteur pour saisir tout un ensemble de phénomènes (épidémies, migrations, échanges culturels, etc.). Il ne s’agit pas pour les promoteurs de cette histoire de remplacer les études nationales mais de proposer une autre échelle d’analyses. Plusieurs vagues de chercheurs ont porté la world history tout au long du vingtième siècle.
Le troisième chapitre traite quant à lui de la global history, terme qui vient à concurrencer celui de world history[3]. Cette conception de l’histoire met davantage l’accent sur les processus participant de la mondialisation, prise au sens le plus large, d’interactions croissantes entre les individus à l’échelle du global. L’histoire environnementale se prête particulièrement à ce type d’analyse[4]. A côté de la global history se développe l’« histoire connectée », traitée dans le quatrième chapitre. Elle se « fonde sur la volonté de « reconnecter » des histoires qui ont été séparées en particulier à la suite du cloisonnement produit par l’essor des historiographies nationales »[5].
Une montée en puissance de l’histoire globale
A l’exception du tableau généalogique très complet qui ne prend pas uniquement en compte les historiens mais aussi les spécialistes d’autres sciences sociales, l’auteur insiste sur l’institutionnalisation progressive de l’histoire globale. On peut à cet égard mentionner la nomination de l’historien Sanjay Subrahmanyam au collège de France en 2013, à la chaire d’ « histoire globale de la première modernité »[6]. Ce processus est toutefois particulièrement visible dans le monde anglo-saxon. L’auteur met à cet égard en garde contre la tentation d’écrire une histoire téléologique de la mondialisation qui en ferait un processus providentiel allant vers une prospérité accrue pour tous[7]. C’est aussi, en creux, une invitation à se ressaisir de l’enjeu que représente l’histoire globale et à ne pas laisser sa production en déshérence.
Par ailleurs, l’étude de chemins qu’emprunte la diffusion de l’histoire globale montre l’apport très important qu’internet a pu y jouer. On se rend compte que les recherches dans ce domaine bénéficient très largement du nouveau medium[8].
On pourra toutefois déplorer cette attention accordée aux procédés d’officialisation de l’histoire globale et l’intérêt tout relatif concédé aux questions de définition. Ainsi, à défaut d’un lexique qui aurait été bienvenu, on aurait aimé que l’auteur prenne le temps, dans son bilan, de reprendre tous les termes mentionnés auparavant pour en proposer une définition ou tout du moins pour montrer les divergences interprétatives dont ils font l’objet. Si l’angle d’analyse se justifie – une présentation généalogique de producteurs de l’histoire globale – il aurait peut-être pu intégrer un rappel plus important de l’histoire des mots eux-mêmes. Surtout lorsque l’on sait, comme le rappelle l’auteur, que cette façon de faire l’histoire revêt une portée idéologique.
L’histoire globale en projet
La deuxième partie du livre établit quant à elle la liste des « tendances actuelles de la recherche »[9], en essayant de présenter les différentes branches de cette façon d’envisager l’histoire. L’énumération embrasse une grande partie de domaines cognitifs : les institutions internationales, les fondations philanthropiques, le livre et l’édition, les techniques, les contacts entre aires de civilisations, l’écologie, le Tiers-Monde, les guerres et les violences, l’esclavage, etc…
Une dernier chapitre, « décentrer le regard : les recherches en histoire mondiale/globale menées en Chine », vient de manière rafraichissante montrer que l’histoire globale se pratique mondialement. Ce qui dans une mise en abîme vient prendre l’objet de ce manuel comme objet de l’histoire mondiale elle-même.
C’est donc un livre qui constitue un manuel utile pour tout le public français désireux de se familiariser avec une des tendances les plus actives et les plus dynamiques de la recherche en histoire. C’est aussi pour le citoyen curieux une manière de voir que la mondialisation fait l’objet de très nombreux travaux scientifiques et de se sensibiliser avec un évènement qui imprègne toutes les réalités de notre quotidien.
Crédit photo : Stephen Ritchie
[1] Chloé Maurel, Manuel d’histoire globale, Paris, Armand Colin, 2014.
[2] Ibid., p. 16-18.
[3] Ibid., p. 49-50.
[4] Jean-Baptiste Fressoz, F. Graber, F. Locher et G. Quenet, Introduction à l’histoire environnementale, Paris, La Découverte, 2014.
[5] Chloé Maurel, Manuel d’histoire globale, Paris, Armand Colin, 2014, p. 86.
[6] http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130613.OBS3285/sanjay-subrahmanyam-un-historien-global-au-college-de-france.html
[7] Ibid., p. 114-116.
[8] On mentionnera en langue française l’excellent blog « Histoire globale » (http://blogs.histoireglobale.com/)
[9] Ibid., p. 117.
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