Dubois, un « génie » méconnu

Jean Sénié | 06 avril 2015

Hyacinthe_Rigaud_Dubois_detailDubois, un « génie » méconnu

Alexandre Dupilet, Le cardinal Dubois. Le génie politique de la Régence, Paris, Taillandier, 23.90€.

Par Jean Senié

Guillaume Dubois n’est pas un inconnu de l’histoire de France. Plusieurs travaux historiques récents ont déjà été consacrés à la figure de l’abbé Dubois[1]. Pour autant, ce dernier reste l’objet d’un double opprobre. D’une part, il a fait l’objet, et ce dès son vivant, de jugements négatifs qui ont dessiné l’image d’un homme machiavélique, retors, jouisseur, pour ne pas employer de qualificatifs plus scabreux[2]. D’autre part, cette image s’est perpétuée jusqu’à nous, notamment en raison d’un sempiternel recours aux mêmes sources hostiles au cardinal. Ainsi, pour ceux qui ont été marqués par le film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence, la figure du cardinal, jouée par un Jean Rochefort paillard et amoral, constitue leur référent[3]. C’est justement à cette personnalité cruciale du début du XVIIIe siècle qu’Alexandre Dupilet essaye de rendre toute sa complexité en remettant en perspective et son parcours et son œuvre politique.

L’homme Dubois

Sans être une hagiographie ou un ouvrage à charge, ce qui n’aurait d’ailleurs pas grand sens, le livre d’Alexandre Dupilet entend faire comprendre l’abbé dans la diversité de sa vie. De l’enfance briviste au ministériat (1722-1723), la carrière de ce fils d’apothicaire est irrémédiablement liée au Régent, Philippe d’Orléans, dont il fut le précepteur[4]. Une clé de lecture essentielle avancée par Alexandre Dupilet a trait justement à cette relation. Elle est à la fois sésame de toutes les portes mais aussi source de craintes si jamais elle venait à se rompre[5]. Le souci d’assurer sa position, sociale et symbolique, apparaît comme le corollaire du lien qui s’est noué entre le précepteur et son élève. Comme le dit l’historien : « il fut un véritable météore. Il partit de rien, juste muni de sa formidable ambition et d’une confiance certaine, mais pas inébranlable en ses possibilités »[6].

Lorsqu’on regarde le parcours de Dubois en tenant compte de la précarité de son statut social, on se rend compte que sa lutte pour arriver au sommet de l’Etat reçoit son impulsion de cette crainte originelle. Pour autant, cette vision n’a rien de psychologisante. En effet, Alexandre Dupilet, même s’il analyse de manière extensive les pamphlets et autres écrits à charge, se livre à l’étude d’une grande finesse de la correspondance diplomatique du cardinal, dressant ainsi un autre portrait de Dubois. On le découvre travailleur[7], appliqué, inquiet[8], ne rechignant certes pas à user d’intrigues si nécessaire mais faisant aussi preuve de franchise lorsque l’occasion se présente. On découvre aussi avec intérêt ses débuts dans le monde des relations internationales où il est parfois mis en difficulté[9]. C’est donc un tout autre cardinal qui se dessine tout au long de l’ouvrage. A cet égard, on peut toutefois se demander si Alexandre Dupilet n’insiste pas trop sur le caractère exceptionnel de Dubois, notamment en le qualifiant de « génie »[10]. On a l’impression que l’auteur se laisse entraîner par son personnage, haut en couleur il est vrai, pour minimiser ses défauts et surtout louer sa politique étrangère. Une comparaison esquissée avec ses prédécesseurs, Richelieu et Mazarin, aurait gagné à être étoffée, quand bien même cela aurait abouti à la conclusion de l’exceptionnalité de Dubois. On aurait aussi pu souhaiter un rapprochement entre le cardinal Fleury et Dubois. Outre cet aspect, si la relation de Dubois avec le Régent est approfondie avec sensibilité, il n’en reste pas moins que le livre donne parfois l’impression d’un Dubois évoluant dans un monde à part. Mais cela tient probablement à l’usage extensif de la correspondance diplomatique. Ce dernier point nous rappelle que la grande préoccupation de Dubois a été la politique étrangère[11].

Dubois ou une pensée internationale.

Le grand œuvre de Dubois reste sa politique étrangère. Il est l’auteur en 1717 de la Triple Alliance entre la France, l’Angleterre et les Pays-bas qui devient l’année suivante la Quadruple Alliance avec l’entrée en son sein de l’Empire. On a pu taxer Dubois, notamment les historiens de la Troisième République, d’anglomanie, voire d’avoir « bradé » la géopolitique louis-quatorzienne au profit d’un illusoire renversement des alliances. Pour autant, « contrairement aux apparences, sa diplomatie ne fut pas si éloignée de celle de Louis XIV »[12]. Cette affirmation, l’auteur l’étaie par une observation, pour ainsi dire au jour le jour, de la politique de celui qui n’est encore que l’abbé Dubois dans les années 1718-1720. De sa lutte contre Alberoni, principal ministre de Philippe V, à la négociation des mariages entre la France et l’Espagne, en passant par l’intégration de l’Espagne au sein de la quadruple alliance, Alexandre Dupilet montre que Dubois n’était pas l’homme rigide qu’on a pu décrire et qu’il avait une perception étendue de la réalité internationale européenne au lendemain de la paix d’Utrecht.

Ainsi, il ne peut s’agir de porter un jugement catégorique sur lui sous prétexte qu’il a concédé à l’Angleterre d’abandonner les travaux dans le port de Mardyck. On ne saurait aussi l’accuser d’un renversement d’alliance inconséquent quand on voit qu’il n’a de cesse de rétablir les liens entre la France et l’Espagne pour assurer un équilibre européen[13].

Dubois, parangon de la Régence.

Pour Alexandre Dupilet, « comme son maître enfin, Dubois demeure l’incarnation de la Régence. Il est la Régence, fait particulièrement corps avec son époque jusque dans ses contradictions les plus profondes »[14].

Au-delà de cette affirmation, l’auteur entend rétablir un jugement historique nuancé sur la Régence que l’on a encore trop souvent tendance à associer à une période de libertinage, à la banqueroute de Law ou tout simplement à une période de transition entre deux règnes. Si ce dernier aspect est indéniable, encore faut-il s’entendre sur ce que recouvre le vocable transition. Les travaux précédents d’Alexandre Dupilet montrent en effet l’importance de cette période tant sur le plan politique que sur celui des relations internationales[15]. Ce livre vient ajouter une pierre à son entreprise d’éclairer sous un nouveau jour la Régence[16]. Le jugement conclusif qu’il porte sur le cardinal résonne alors comme une métonymie du renouveau des travaux sur cette période : « Mais Dubois, une fois encore, échappe à son image. […] comme si, en dépit des efforts consentis pour parvenir à éloigner les poncifs, la mémoire du cardinal était à jamais figée, immobile».[17]

[1] Guy Chaussinand Nogaret, Le Cardinal Dubois : une certaine idée de l’Europe, Paris, Perrin, 2001. ; Jean-Pierre Thomas, Le Régent et le cardinal Dubois ou l’Art de l’ambiguïté, Paris, Payot, 2004.

[2] Alexandre Dupilet, Le cardinal Dubois. Le génie politique de la Régence, Paris, Taillandier, 2015, p. 12-14.

[3] Ibid., p. 15.

[4] Ibid., p. 47-48

[5] Ibid., p. 249-251.

[6] Ibid., p. 343. Et d’ajouter : « là encore, l’expression de génie politique, ou de politicien de génie s’impose. Car parvenir au sommet de l’Etat, écarter les concurrents, déjouer les basses manœuvres, faire reconnaître ses mérites, il fallait, comme personne, maîtriser les ressorts de l’art de l’intrigue politique et savoir profiter des moments et circonstances favorables qui allaient se présenter ».

[7] Ibid., p. 326-327.

[8] Ibid., p. 125-129.

[9] Ibid., p. 110-113.

[10] Ibid., 344-345.

[11] Ibid., p. 340 : « ce sont avant tout les succès diplomatiques qui s’imposent que l’on a envie de retenir ».

[12] Ibid., P. 341.

[13] Ibid., P. 337

[14] Ibid., p. 345.

[15] Alexandre Dupilet, La Régence absolue. Philippe d’Orléans et la polysynodie (1715-1718), Seyssel, Champ Vallon, 2011.

[16] Alexandre Dupilet, Le cardinal Dubois. Le génie politique de la Régence, Paris, Taillandier, 2015, n. 14, p. 352.

[17] Ibid., p. 350.

Crédit photo : Hyacinthe Rigaud Dubois detail / Wikipedia

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