Face à l’islamisme, la Suède a perdu un temps précieux

Ann-Sofie Hermansson | 17 juillet 2023

Ann-Sofie Hermansson, membre du Parti social-démocrate suédois et chroniqueuse au journal suédois Göteborgs-Posten, a publié le 12 juillet 2023 un article intitulé « Jag borde lagt ännu mer kraft på att bekämpa islamismen » et dont la Fondation pour l’innovation politique vous propose une traduction.

Notes

1.

Ulla Engberg, “Former Gothenburg mayor acquitted in “extremism” libel case”, Sveriges Radio, 11 février 2020.

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Membre du Parti social-démocrate, Ann-Sofie Hermansson est l’ancienne maire de Göteborg. Son échec aux élections municipales de 2018 précède la défaite historique des sociaux-démocrates aux élections nationales du 11 septembre 2022, devancés par le parti populiste les Démocrates de Suède et par la droite du Parti des modérés.

Hermansson est devenue conductrice de camion de ramassage de déchets ménagers chez Renova, à Göteborg. Sa reconversion est un choix personnel. Elle dit s’accomplir avec bonheur dans cette nouvelle fonction. Elle a par ailleurs fondé une société de fabrication de vêtements à motifs réfléchissants.

Chroniqueuse invitée au Göteborgs-Posten, Ann-Sofie Hermansson dénonce la montée de l’islamisme en Suède. Son engagement contre l’islamisme lui a valu d’être attaquée en diffamation en 2020, après avoir qualifié deux militantes musulmanes d’« extrémistes », « antidémocratiques » et leur avoir reproché de « défendre les terroristes » 1. La cour a classé la plainte sans suite, après avoir jugé que ses propos relevaient de la liberté d’expression.

Ann-Sofie Hermansson s’exprime aujourd’hui à propos de l’islamisme.

Notes

2.

En juin 2023. Fri tanke est une maison d’édition fondée en 2008 par Christer Sturmark, Tomas Björkman, Sven Hagströmer et Björn Ulvaeus. La maison d’édition se compose de plusieurs branches d’activité, un forum, une maison d’édition, un groupe de réflexion et un magazine, qui, selon la description de l’éditeur lui-même, travaillent ensemble dans l’esprit des Lumières

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3.

Publié en 2009, le Rapport Menaces contre la démocratie et les valeurs fondamentales – une image de la situation de Malmö, plus connu sous le nom de Rapport Rosengård, de Magnus Ranstorp et Josefine Dos Santos, traitait déjà des problèmes de radicalisation islamique dans le district de Rosengård. Le Rapport a constaté que la diffusion de la radicalisation islamique était parvenue à un niveau dangereux. L’auteur du Rapport a alors été accusé de diaboliser les musulmans, entre autres par Masoud Kamali, alors enquêteur spécial du gouvernement sur les questions de discrimination. Leif Stenberg, chercheur au Center for Middle Eastern Studies de Lund, a qualifié le Rapport de « pur scandale » et parmi les critiques figuraient également Jan Guillou et Mattias Gardell. Le point commun aux critiques de ce rapport est un fort engagement politique à gauche. Ces experts et journalistes de gauche ont accusé le rapport de ne pas être scientifique, notamment parce que seules 30 personnes avaient été tirées au sort pour être interrogées. Certains avaient critiqué le Rapport parce qu’il soutenait que le port des vêtements religieux et de la barbe pouvaient être des signes de radicalisation, reprenant en cela des hypothèses issues des rapports d’Europol. Le fait est que le Rapport Rosengård proposait un tableau descriptif de la situation et non une étude scientifique. Il n’en demeure pas moins que le choix des sujets d’entretien et les questions posées avaient été correctement définis avec les responsables de la ville de Malmö. Les personnes interrogées avaient travaillé à Rosengård pendant des années. Les questions et la méthode utilisées pour le Rapport avaient été préparées lors des séminaires et des réunions associant des responsables de la ville de Malmö, des policiers, des universitaires, etc.

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4.

La Säpo ou la Säkerhetspolisen est le service de la sûreté de l’État de la Suède. Il produit un rapport chaque année, en collaboration avec le Centre national d’évaluation de la menace terroriste (NCT).

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La Suède a perdu un temps précieux en ne prenant pas au sérieux la menace islamiste, lorsque les signes avant-coureurs ont commencé à apparaître, il y a une dizaine d’années. Au contraire, les lanceurs d’alertes ont été stigmatisés. S’il y a une chose que je regrette au cours de mes années actives en politique, c’est de ne pas avoir abordé la question de l’extrémisme islamiste avec plus de vigueur. Ce n’est qu’en devenant maire de Göteborg que je me suis rendu compte de la gravité de la situation. Cela tient au fait qu’à ce moment-là, je me suis trouvée exposée à beaucoup plus d’informations. Plusieurs personnes courageuses ont attiré mon attention sur le degré de radicalisation de l’islamisme. Ces personnes, qui allaient devenir mes amis, œuvraient dans la police, dans les services sociaux ou étaient journalistes, toutes raisonnables mais inquiètes. Elles avaient déjà alerté sur des problèmes de cette nature dans le passé, mais elles s’étaient heurtées au silence ou avaient été soupçonnées d’être à la solde d’organisations racistes.

Ainsi, dans son livre limpide Den omhuldade islamisten: Åren då radikaliseringen tog fart i Sverige (L’islamiste chéri. Les années où la radicalisation a décollé en Suède) publié aux éditions Fri Tanke förlag 2, le journaliste et auteur Magnus Sandelin évoque les années où la radicalisation a pris son essor en Suède. Et le rapport Rosengård 3, très décrié lors de sa publication, en 2009, mettait en garde contre la radicalisation islamique à Malmö. Mais le débat qui a suivi portait sur un tout autre sujet. Nous avons perdu l’occasion d’un débat extrêmement important sur la radicalisation, alors qu’il était encore temps de prendre des mesures pour enrayer une évolution funeste. Au lieu de cela, de nombreux journalistes, décideurs politiques et leaders d’opinion ont dépensé leur temps et leur énergie à contester la réalité de ces problèmes.

Selon Magnus Ranstorp, chercheur en terrorisme, la Suède, comme la Norvège, aurait dû légiférer dès 2012-2013 pour s’attaquer au problème des djihadistes, mais la question était jugée trop sensible à l’époque. Il n’a plus été possible de nier le problème lorsque le vent a tourné en 2014, alors que 300 Suédois – Göteborg étant surreprésenté – ont rejoint l’« État islamique » ou des groupes similaires.

Émerge alors l’histoire d’un salafisme présent en Suède au début des années 2010 qui est à la fois prosélyte, financièrement et idéologiquement engagé en soutien de l’État islamique, en Irak et en Syrie (ISIS), ainsi que d’autres groupes terroristes, recrutant même en Suède parmi les salafistes, envoyant des jeunes combattre à l’étranger. L’argent ne leur a pas fait défaut, y compris l’argent public suédois. Le rapport annuel 2021 de Säpo4 note que plusieurs centaines de millions de couronnes de fonds publics ont été versés à des organisations liées à des environnements islamistes violents.

Bettan Byvald, travailleur social dans les quartiers de Angered, évoque la manifestation d’un nouveau phénomène, celui de militants à la recherche de services où il leur sera possible d’exercer un pouvoir sur les enfants et les jeunes gens. Selon Bettan Byvald, « il ne s’agit pas nécessairement d’activisme religieux, cela peut également concerner des clans criminels œuvrant de manière stratégique. Pratiquant l’entrisme, ils intègrent nos administrations, notamment en tant qu’enseignants, directeurs de centres de loisirs et fonctionnaires, mais aussi en tant qu’hommes politiques au sein de nos conseils municipaux. Nous ne devons pas penser que nous sommes à l’abri de cela ».

C’est ce genre de choses qui finit par miner notre démocratie et nuire à notre société, lorsque, pour reprendre les termes du philosophe Karl Popper, nous devenons si tolérants que nous ne sommes pas prêts à défendre notre société tolérante contre les attaques des intolérants.

Je n’ai jamais regretté d’avoir entrepris la lutte contre la radicalisation à Göteborg. Au contraire, j’aurais dû agir avec plus de force. C’était, et c’est toujours, la peur d’être stigmatisé pour avoir parlé clairement de l’extrémisme qui est pourtant notre pire ennemi.

Voir les autres publications de la Fondation pour l’innovation politique sur ce sujet :