Faut-il prévoir une véritable période de transition présidentielle en France ?
Benjamin Boscher | 25 novembre 2016
Alors qu’aux Etats-Unis s’est ouverte une période bien spécifique, celle de la transition présidentielle, on s’interroge sur l’absence d’une telle latence démocratique en France. Censé permettre une passation des pouvoirs en douceur et livrer toutes les clés de l’action présidentielle à l’équipe élue, ce temps politique est moins anodin qu’il n’y paraît. La France pourrait songer à se doter d’un tel intervalle.
La période de transition présidentielle qui s’est ouverte aux Etats-Unis le 8 novembre dernier n’est pas anecdotique. Au soir de son élection, Donald Trump est devenu le President elect des Etats-Unis tandis que Barack Obama demeure pleinement Président des Etats-Unis et ce, jusqu’au 20 janvier prochain. A cette date, la main gauche apposée sur une bible, Donald Trump se prêtera à la cérémonie de prestation de serment sur les marches du Capitole à Washington DC et deviendra alors officiellement le 45ème Président des Etats-Unis.
D’ici là, pendant 73 jours, les équipes des deux Présidents s’attellent à tout mettre en œuvre pour permettre une passation des pouvoirs harmonieuse et efficace. Les Etats-Unis accordent une place importante à cette période qu’ils ont encadrée dès 1963, via le Presidential Transition Act, modifié à plusieurs reprises.
En pratique, les équipes du Président Obama préparent depuis près d’un an cette transition. Elles ont établi un Conseil de coordination pour la transition présidentielle (composé de responsables de la sécurité nationale, du territoire et de l’économie), ont permis l’installation des équipes de campagne des deux principaux candidats à quelques pas de la Maison Blanche, livrent chaque jour des informations confidentielles au Président élu et lui transmettent les renseignements et les dossiers nécessaires à sa prise de fonction. L’exécutif conduit les affaires du gouvernement de manière à favoriser une passation des pouvoirs présidentiels ordonnée. Il a même été rapporté que l’équipe du Président Obama a prévu d’organiser un exercice de simulation de crise afin de préparer l’équipe de Donald Trump à l’hypothèse d’une menace pour la sécurité nationale [1].
Au cours de ces 11 semaines de transition, l’équipe présidentielle entrante va, quant à elle, pouvoir procéder à la nomination de plus de 4000 postes au sein des administrations centrales (Spoil system oblige), prendre la mesure de la tâche qui l’attend, élaborer des stratégies pour la mise en œuvre de son programme et préparer au mieux sa prise de fonction. Cette latence démocratique est donc une période de préparation intense.
L’enjeu d’une telle transition présidentielle, longue et méthodique, est de permettre au Président élu de commencer efficacement son action dès son premier jour d’exercice du pouvoir. Elle lui permet de prendre le temps nécessaire afin de procéder aux bonnes nominations, de construire les conditions d’une unité politique nationale, d’améliorer le début du mandat de son équipe et, finalement, d’accroître l’efficacité du futur gouvernement. Ces avantages ne sont pas vains.
L’exemple de la transition réussie entres les équipes Bush & Obama fait, à ce titre, référence. Le fair-play politique avait alors parfaitement fonctionné. Obama avait ainsi pu signer, dès les deux premières semaines de son mandat, plusieurs décrets présidentiels. Ces premières actions lui avaient alors permis de lancer les réformes les plus essentielles de son action présidentielle.
Il est également possible de noter que dans de nombreuses grandes entreprises, la passation des fonctions entre deux CEO se déroule pendant plusieurs semaines, afin que le responsable entrant puisse bénéficier de tous les conseils de l’ancienne équipe et d’un temps certain afin d’organiser opérationnellement les grands axes de ses propres orientations. Elle limite aussi l’impact que certaines erreurs pourraient engendrer.
Cette période comprend donc des avantages réels. Pourtant, la plupart des passations de pouvoir au sein des démocraties occidentales se passe dans un laps de temps très bref et de manière beaucoup moins méthodique, notamment en France.
En France justement, la passation des pouvoirs est issue d’une pratique coutumière et se veut avant tout solennelle. Le président élu accède à ses nouvelles fonctions une dizaine de jours seulement après son élection et prend la mesure de sa charge une fois installé à l’Elysée, relativement seul face à ses nouvelles responsabilités.
Dans une démocratie solide, résiliente et apaisée, une transition des pouvoirs relativement longue ne devrait pas inquiéter. Bien sûr, la passation des pouvoirs constitue forcément un défi pour n’importe quel régime démocratique. Mais la stabilité politique pourrait paradoxalement sortir renforcée d’une période de représentation bicéphale du pouvoir, utilement et habilement organisée.
A l’heure du courtermisme, cette latence démocratique conduit à repenser la cadence de l’action politique. Elle lui impose un cycle de recul, de préparation, d’échange après des campagnes électorales souvent frénétiques et enclines aux excès. Elle lui permet de se montrer plus efficace au cours des premiers mois, essentiels, d’un gouvernement. Et si la France songeait à se doter d’un tel intervalle, dès 2017 ?
Pour aller plus loin:
[1] Le Monde, « Etats-Unis : de Barack Obama à Donald Trump, la lourde transition, » 2016/11/11
Gruet Stéphanie, « La passation des pouvoirs présidentiels aux États-Unis : Le Presidential transition act », Pouvoirs 3/2009 (n° 130) , p. 151-161
« Crédit photo Flickr: Obama-Biden Transition Project»
Aucun commentaire.