François Hollande : les mots et les choses [1]

Fondapol | 27 mai 2012

6837061142_d06c7e073c_bI/ Le temps du candidat

Dans le diagnostic désormais établi de la « sous-estimation » générale de François Hollande  –d’abord par ses concurrents socialistes, ensuite par son principal rival à la présidentielle- il convient de mettre au premier plan la question de la rhétorique. Champ capital notamment en période de crise, comme on le sait depuis les discours prêtés à Périclès par Thucydide, et plus généralement dans l’ordre politique. Car le discours est à la fois moyen et enjeu du pouvoir : moyen, car c’est par le discours que l’on draine le vote ; enjeu, car être élu, c’est gagner le droit de parler au nom de (les Français en l’occurrence) , de devenir la source légitime du discours (de la France). Cela, on le sait encore grâce à Michel Foucault, moins oublié que Thucydide, et qui semble avoir écrit pour François Hollande les mots suivants :

« Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer. » (L’ordre du discours)

François Hollande disciple de Foucault ?

François Hollande, disciple inattendu de Michel Foucault ? En tout cas, fait rarissime dans la vaste partie de notre classe politique issue de la technocratie, le  nouveau Président  -comme ce blog l’a signalé depuis de longs mois- est un très bon orateur, maniant avec maestria les trois registres classiques ethos, pathos et logos et une vaste panoplie de figures rhétoriques :  les observateurs l’ont réalisé sur le tard avec la célèbre anaphore du « Moi président de la république », mais que le discours du Bourget avait déjà illustrée dans des termes bien proches (« Présider la République , c’est…»). François Hollande refermait ainsi, dans une cohérence thématique et stylistique impressionnante, le cercle parfait de sa campagne électorale…

Le technocrate bat l’avocat

On est plus habitué à trouver une telle virtuosité chez les avocats, l’autre grand milieu pourvoyeur d’hommes politiques français, qui, de François Mitterrand à Arnaud Montebourg en passant par Nicolas Sarkozy, ont largement dû leurs succès à leur maitrise de l’art oratoire. Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, et… Martine Aubry, l’ont appris à leurs dépens,

Car, comme en 1981, 1988 et 2007, c’est d’abord à une victoire rhétorique à laquelle l’on a assisté, d’abord lors des primaires socialistes (qui ont couronné justement François Hollande et Arnaud Montebourg), puis le 6 mai dernier.

Ce qui pose une question majeure : comment se fait-il que Nicolas Sarkozy, dont les qualités de débatteur et d’orateur sont exceptionnelles – il en était lui-même  à ce point convaincu qu’il pensait, on s’en souvient, « exploser » son adversaire lors du débat de l’entre deux tours –  a-t-il été pu être ainsi défait ?

François II

Pour le comprendre, il faut remonter au précédent de François Mitterrand, avec lequel « François II »  entretient, on le sait, un mimétisme étonnant (jusqu’à reproduire, clin d’œil de Dame Fortune, le 6 mai dernier, le score du 10 mai 1981 !). Mimétisme contracté sans doute à l’époque où, jeune conseiller à l’Elysée, il a pu mesurer la virtuosité du maître, dont il a repris la stratégie du discours. Celle que les « communicants » d’aujourd’hui baptisent « triangulation » mais que les bons vieux orateurs de l’antiquité avaient déjà repérées comme l’une des techniques les plus efficaces de la captatio benevolentiae (captation de bienveillance de l’auditoire) .

Captations tous azimuths

Le problème à résoudre est simple : dans un pays coupé en deux, pour l’emporter, il faut aller chercher dans l’autre camp, les voix qui feront la différence : d’où une entreprise de captation de l’imaginaire adverse par :

1/ Une captation thématique : ce fut la reprise dans les clips de campagne de François Hollande, l’exaltation de trois valeurs, au plus haut point « sarkozystes » : « mérite, travail, effort ». Mitterrand, par son affiche de campagne  sur fond de clocher et son oxymore de la « force tranquille », avait de même fait appel à l’imaginaire de droite, ancrée dans la ruralité et la figure du chef/père.

2/ Une captation stylistique : a-t-on assez remarqué à quel point l’anaphore était la « marque de fabrique » de Nicolas Sarkozy, dont il usa tant en 2007, avec son fameux « j’ai changé » de la Porte de Versailles ? Dans tous ses discours, l’anaphore est omniprésente, traduction stylistique d’un ethos volontariste et inlassable. François Hollande a lui pour signature stylistique le rythme ternaire, dont on trouvera d’innombrables exemples dans ses prises de parole spontanées comme dans son discours d’Evry en février dernier (« écarter la stigmatisation, la division, la suspicion »). Mais voilà qu’avec son « Présider la République » et son « Moi, Président », il opère une véritable OPA sur la figure de style favorite de son adversaire !

De l’art du contrepied en rhétorique

On avancera ici l’idée que l’absence de réaction de Nicolas Sarkozy, que l’on imagine bouche-bée à ce moment décisif du débat, pourrait aussi s’expliquer par  ce magnifique contrepied rhétorique que lui a infligé –et avec quels délices !- son adversaire. Avec ce bénéfice supplémentaire : accusé de « mollesse » et de « flou » y compris dans son propre camp, l’ethos de François Hollande avait tout à gagner à l’emploi de cette figure de l’insistance et de la résolution. D’une pierre, deux coups !

Et, art suprême, François Hollande aura su combiner les deux procédés stylistiques dans autant d’anaphores ternaires : Le Bourget : « Présider la République c’est rassembler, c’est réconcilier, c’est unir »; Evry (dans une référence gaullienne subliminale à la libération de Paris en 1944) : « banlieues reléguées, banlieues abandonnées, banlieues stigmatisées ».

Des mots aux choses…

Redoutable dispositif qui à la fois défait l’adversaire avec ses propres armes, conforte l’orateur et s’inscrit dans une plus vaste stratégie sur laquelle nous reviendrons : la damnatio memoriae de Nicolas Sarkozy. Mais qui laisse ouverte la question de l’adaptation de la rhétorique de François Hollande, non plus à la « conquête »  mais à l’ « exercice » du pouvoir », pour reprendre la célèbre distinction de Léon Blum. Ou encore, pour parler comme Michel Foucault, à ce moment délicat où les « mots » sont confrontés aux « choses »…

Christophe de Voogd est responsable du blog « trop libre »

Cet article est dédié à Luuk van Middelaar

Crédit photo: flickr, Sergio Crahan

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