Freemium, un nouveau modèle économique ?
01 mai 2013
Freemium, un nouveau modèle économique ?
Parmi les business models florissants importés des États-Unis, le Freemium occupe une place à part : encore cantonné à l’économie numérique, il pourrait se révéler d’une extraordinaire richesse pour l’économie « classique ».
C’est Fred Wilson, co-fondateur d’Union Square Ventures, qui le premier utilisa ce terme sur « AVC blog ». Ce néologisme, résulte de la contraction de « Gratuit » (free) et « offre haut de gamme payante » (premium). Le Freemium vise à augmenter les profits en maximisant la demande d’un produit payant. Il consiste à proposer une offre gratuite pour toucher une large base de consommateurs, puis à générer un revenu en vendant un produit premium à certains de ces utilisateurs. Le consommateur peut ainsi tester l’offre et estimer si le prix demandé est en accord avec l’utilité qu’il va en retirer.
La ligne rouge du coût marginal
La rentabilité d’une société basée sur le Freemium, dépend du nombre d’utilisateurs qui passeront de l’offre gratuite à l’offre payante. Les recettes émanant de la publicité sont marginales pour ces sociétés qui se financent majoritairement par leurs abonnés.
Pour qu’une entreprise fondée sur ce modèle réussisse, elle doit bénéficier d’un coût marginal de production du service gratuit, nul ou négligeable. Par exemple, le service mail de Google peut se prévaloir d’un coût de stockage proche de zéro – environ 5 centimes d’euros pour 700 Mo[1]. Un coût marginal trop élevé de l’offre gratuite pousserait l’entreprise à augmenter le prix de son offre payante, ce qui aurait pour conséquence un taux de conversion insuffisant et une rentabilité trop faible pour la survie de l’entreprise. C’est pour cette raison que les premiers théoriciens du Freemium ont nié les possibilités d’expansion du modèle au-delà de l’économie numérique. L’argument le plus souvent avancé est qu’un bien matériel a forcément un coût marginal de production, de stockage ou de distribution élevé. Ainsi, les possibilités d’expansion du Freemium sont souvent limitées aux secteurs culturel et éducatif, excluant de fait, l’industrie, l’agriculture et la distribution.
Vers une extension du modèle : le cas de la grande distribution
Faut-il en conclure que le modèle Freemium ne peut définitivement pas être transposé en dehors de l’économie numérique ? Prenons l’exemple de la distribution. Pourquoi ne pas utiliser les produits dont la péremption est proche, aujourd’hui jetés en grande quantité, pour organiser une distribution gratuite de produits alimentaires sans surcoût pour la chaine de distribution ? Dans les secteurs d’activité où il est rarement utilisé, l’introduction du Business Model Freemium permet à une entreprise de marquer son originalité et de gagner rapidement des parts de marché,.
Ainsi, une entreprise de grande distribution pourrait toucher une clientèle d’individus plus large qui continuera à consommer le produit après un ou deux tests gratuits. Outre la forte dimension symbolique d’un tel geste de solidarité, la distribution d’aide alimentaire gratuite, combinée à une forte campagne de communication, permettrait, à terme, d’accroitre le profit de l’entreprise en fidélisant une future clientèle. Cela aurait un coût faible pour les centres commerciaux, qui pourraient proposer cette offre dans leurs locaux, au moyen de personnels bénévoles, hors des heures d’ouverture du supermarché pour ne pas interférer avec la clientèle « payante ».
Concilier business et RSE : un modèle hybride ?
Les pratiques peu scrupuleuses des grandes surfaces à l’égard des produits bientôt périmés représentent selon la Fédération française des Banques Alimentaires (FFBA) : 600 000 tonnes de denrées alimentaires, pour les grandes et moyennes surfaces, par an en France (essentiellement des fruits, légumes et produits ultra-frais). La FFBA considère qu’environ un tiers pourrait être récupéré.
Certaines sociétés distribuent déjà une partie de ces denrées à des œuvres caritatives, mais une gestion interne du procédé permettrait de le valoriser en termes d’image et de développement futur. Cela pourrait inciter ces mêmes sociétés à en faire plus. Au XXIème siècle, est-il encore acceptable d’incinérer et d’enfouir de telles quantités de nourritures quand la solidarité et l’intérêt économique devraient pousser les grandes surfaces à en faire don ?
Quels enjeux ?
A qui faire don ? Selon les données de l’INSEE, on comptait pour l’année 2012, 8,7 millions de personnes en situation précaire en France, c’est-à-dire dont le revenu est inférieur à 60 % du niveau de vie médian français. Ce sont les premières cibles et les premiers bénéficiaires de la gratuité. Avant la révolution du Freemium, ces dernières avaient un accès limité à la culture dominante sous toutes ses formes : peinture, musique, littérature, cinéma y compris lorsqu’elles bénéficiaient d’internet. Or, suite à l’émergence des géants de l’internet, les sociétés rivalisent d’adresse pour démocratiser leurs contenus : Deezer, Spotify, Wikipédia. La culture autrefois réservée –car plus facilement accessible- à une élite est désormais à la portée de tout individu pourvu qu’il dispose d’une connexion internet. On aurait bien du mal à chercher parmi les antiques, un seul auteur qui fit une proposition si saugrenue. Quoi ? Financer l’éducation des plébéiens par les services payants des patriciens, la gamelle du valet par le repas du seigneur. Cela, semble-t-il, n’était venu à l’oreille de personne. Ce que propose Deezer, par effet collatéral, c’est tout simplement de financer l’accès gratuit des plus pauvres à la musique, fut-elle de basse qualité, contre le paiement régulier des abonnés.
Et cela a du bon, quand bien même l’exposé cru des motifs choque le sens commun, il y a de la justice dans cette proposition – car à en croire John Rawls « l’injustice est simplement constituée par les inégalités qui ne profitent pas à tous ». Or dans l’exemple de la distribution, la consommation des plus fortunés profite à tous, en particulier aux plus pauvres.
Certes, tout ceci est encore bien éloigné de la réalité, mais qu’on ne s’y trompe pas, il y a là de quoi rénover complétement notre vision de l’entreprise. Et si l’entreprise avec toutes les externalités négatives qu’on lui connaît, n’était plus, dans l’imaginaire collectif, ce monstre froid qui échange scientifiquement une denrée contre un prix, mais un outil de réduction des inégalités. Oui, il y aurait là quelque chose de tout à fait singulier, et les profits 2011 de Deezer[2] montrent que cet autre modèle économique mériterait d’être regardé de très près et transposé dans d’autres secteurs.
Michael Rameil
Crédit photo: Flickr, louisvolant
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