La culture de la convergence : des médias au transmédia
03 mai 2018
« Sur la mer agitée des théories consacrées aux réseaux, Henry Jenkins est un auteur qui compte, une boussole qui indique le nord de façon constante. Pour cette raison, la culture de la convergence se présente comme un vaisseau amiral, peut être l’ouvrage le plus important consacré aux transformations de la culture à l’âge du numérique. Désormais, une nouvelle façon de faire de la culture émerge ». Henry Jenkins, doyen du département de journalisme à l’université de Californie du Sud, décrypte les pratiques et les mutations des nouveaux médias, de la téléréalité en passant par les jeux vidéos et un cinéma toujours plus enclin aux dérives mercantiles. Les frontières s’effacent chaque jour un peu plus, entre producteurs et usagers des médias.
Penser la convergence et le transmédia : l’intelligence collective et le paradigme de l’expert.
Le sourcing, le fait d’obtenir des informations de sources directes et le plus souvent non vérifiées, est une pratique controversée du journalisme contemporain. Une pratique associée à un jeu relativement excluant, dans la mesure où seule une poignée de privilégiés peut avoir accès à des sources souvent anonymes, donc invérifiables. Mais faire des suggestions ou des hypothèses à partir d’une perte de poids d’un candidat de téléréalité, où de la pousse d’une barbe dans une émission d’aventure, permet aussi d’induire un jugement. « Le paradigme de l’expert nécessite un corps de savoir constitué, qu’un individu pourra maîtriser. En revanche, les questions qui alimentent l’intelligence collective sont souples, largement ouvertes, interdisciplinaires » précise l’auteur. Et contrairement à l’expertise, l’intelligence collective n’est pas la détention d’un savoir statique, mais le processus social d’acquisition de ce même savoir. La question se pose enfin de savoir si l’on à le droit, dans une communauté du savoir, d’ignorer, ou plus exactement de définir ce que l’on veut savoir et quand : un challenge permanent à l’heure du spoiler.
Surveiller Big Brother.
De « Survivor » à « Big Brother », les fans d’émissions de téléréalité se sont rapidement constitués en communautés du savoir, afin d’analyser, de commenter les productions du groupe Endemol. Pendant la première saison de Big Brother aux Etats-Unis, le site web du programme attire près de 4,2 milliards de visiteurs, et les fans les plus accrocs payent pour visionner l’émission 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Certains spectateurs ont même le projet de modifier le cours du programme en transgressant la règle du cloisonnement de la maison du reste du monde, jetant des messages à l’intérieur de balles de tennis dans le jardin. L’auteure Pam Wilson analyse ce phénomène qu’elle décrit comme de « l’activisme narratif : c’est à dire l’effort accompli par des fans pour influencer les évènements télévisés ».
De la télévision sur rendez-vous à la télévision de l’engagement.
« Le modèle transmédia est étroitement lié aux évolutions plus larges de la manière dont l’industrie de la télévision, aux Etats-Unis, considère ses consommateurs : en gros, on est passé d’un modèle fondé sur le rendez-vous, à un modèle fondé sur l’engagement ». La télévision du rendez-vous, c’était celle du modèle « Must see tv », celle qui attendait des spectateurs qu’ils soient là, au rendez-vous pour le programme, avec un certain engagement. L’apparition et le développement des plateformes bouleverse cette notion d’assiduité, mais aussi les opportunités publicitaires et le financement des contenus. La fidélité et l’assiduité est aussi l’affaire des créateurs de contenus. « Du côté de la création, toute une série d’émissions cultes, dont « Alias », « Lost », « 24 heures chrono », « Battlestar », « Galactica », « Les Sopranos », « The Shield », « The Wire » et « Heroes », ont tenté de définir la télévision de l’engagement. Comme l’ont observé les auteurs Jason Mitelle et Stephen Johnson, ces séries se caractérisent par une grandes complexité narrative et formelle, qui passe souvent par un casting étoffé, des histoires étendues, ainsi que par une intensification et un ajournement permanent des l’intrigue et du dénouement ». Jamais le développement créatif et le processus marketing des programmes n’avaient été aussi imbriqués. La structure même du contenu narratif et son attractivité publicitaire, influence la rémunération des auteurs. La collaboration est toujours plus étroite entre les producteurs de contenus, les grandes marques, et les nouvelles plateformes, signe d’un engouement nouveau pour l’industrie transmédia, depuis la fin de la décennie 2000.
Démocratiser la télévision ? La politique de la participation.
« En août 2005, l’ancien vice-président démocrate Al Gore participait au lancement d’une nouvelle chaîne d’information câblée, Current. Son objectif était ‘encourager la participation active des jeunes en tant que journalistes et citoyens. Le spectateur n’était pas seulement appelé à consommer les programmes de Current, mais également à participer à leur production, à leur sélection et à leur diffusion ». Le principe de faire juger ou évaluer le contenu par les spectateurs ou les consommateurs n’a rien de nouveau en soi. Slashdot était l’un des sites précurseurs en la matière. Current avait donc pour ambition de transférer ce modèle au secteur de la télévision. Mais quelle finalité visait exactement la chaîne : une démocratisation des contenus, de l’audience, du rapport aux annonceurs, des valeurs portées par les programmes ? Et bien que le média restait fidèle à ses principes et à ses valeurs, il était toujours source de suspicion et de réserve, puisqu’il émanait du monde des affaires et de la sphère politique.
Henry Jenkins témoigne de cette période de transition, durant laquelle plusieurs segments publics et privés des médias ont appris à vivre ensemble, vers une culture de la convergence.
Si les médias personnalisés des années 90, incarnaient les idéaux de la révolution numérique, en libérant les publics de la tyrannie des médias de masse, l’heure est au « néo-individualisme » : celui d’un contenu sur mesure, mais aussi moins diversifié dans ces sources. Henry Jenkins tient cependant à démontrer que la convergence des médias est une chance, encourageant la participation et l’intelligence collective : un mouvement qui porte la voix des communautés, en dehors des logiques marchandes, stimulant la créativité et la consommation de biens culturels. Le fossé numérique laisse désormais place à un fossé participatif : c’est le nouveau défi d’une culture inclusive, à l’heure où si les technologies sont plus accessibles et banalisées, l’écart se creuse entre une culture populaire et une autre, plus élitiste : « Le pouvoir de la participation ne viendra pas de la destruction de la culture commerciale, mais de sa réécriture, de sa customisation, de sa réélaboration, de son extension, de son élargissement, de sa diffusion et de son retour dans les médias grand public ».
Farid Gueham
Pour aller plus loin :
– Note critique « La participation médiatique selon Henry Jenkins », cairn.info
– Notes de lecture « La Culture de la convergence. Des médias au transmédia », journals.openedition.org
– « Storytelling + Interactivité + Transmedia = Storytelling 2.0 », socialmediaclub.fr
– Thèse « Le “ Tissage narratif ” et ses enjeux socioculturels dans les séries télévisées américaines contemporaines », par Hélène Breda
– « Les frontières brouillées du transmédia La culture de la convergence », humanite.fr
Photo by Thomas Jensen on Unsplash
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