L'autre Cicéron

10 septembre 2013

10.09.2014L’autre Cicéron

Cicéron le politique, Christian Habicht, Les Belles Lettres, 2013, 216p, 19€

Si l’œuvre de Cicéron représente un fond presque inépuisable de textes philosophiques, religieux, rhétoriques, historiques et juridiques à traduire, son auteur souffre d’une image d’homme couard, pusillanime sur le plan politique, quand il n’est pas jugé franchement incompétent. C’est contre cette vision, largement relayée par le grand historien allemand Theodor Mommsen (1817-1903), que s’insurge Christian Habicht dans son livre Cicéron le politique. Il entend non seulement réhabiliter Cicéron quant à son jugement politique mais aussi remettre au centre de sa vie son projet politique. C’est en dernière instance un livre sur le rapport de Cicéron avec la République.

Une légende noire

Exceptée sa mort, où il sut faire preuve de courage et montre de dignité[1], Cicéron est souvent présenté comme une girouette, un homme sans conviction ou tout du moins manquant de la force de caractère nécessaire à la réalisation de ses projets. Son consulat en 63 av. J.-C., au cours duquel il déjoue la conspiration de Catalina, brille comme son plus haut fait de gloire et la décennie suivante vient ternir son éclat par ses compromissions avec les différents membres du triumvirat, soit César, Pompée et Crassus.

Christian Habicht ne nie pas que l’auteur latin ait pu faire de nombreuses erreurs. Mais il déconstruit le discours péjoratif tenu à l’encontre de l’homo novus d’Arpinum. Que ce soit ses contemporains ou les historiens qui évoquent Cicéron, Christian Habicht analyse à chaque fois leur discours, met en parallèle leurs arguments afin de les remettre en perspective et de les relativiser. On a ainsi une généalogie de l’anticicéronisme savant qui se dessine et qui constitue une intéressante page d’histoire intellectuelle.

C’est que l’auteur est convaincu que Cicéron a joué un important rôle sur le plan politique, et non pas uniquement sur le plan des idées, mais aussi que la politique tient un rôle central dans sa vie et dans son accomplissement en tant que bonus, soit en tant qu’honnête homme.

Cicéron, un animal politique

Après avoir insisté sur l’excellence rhétorique de Cicéron et sur la qualité de ses prises de paroles lorsqu’il était avocat, Christian Habitch montre ce qui constitue pour les principes à l’origine de sa politique, à savoir un conservatisme tempéré qui n’exclut pas un certain nombre de réformes notamment sociales.

L’auteur est évidemment conscient des insuffisances du personnage. Tout d’abord sur le plan personnel, il met à plusieurs reprises en avant sa trop grand sensibilité aux critiques ainsi qu’aux revers qui entrainent parfois chez lui des périodes de prostration voire de dépression. Il montre ainsi qu’en 56 av. J.-C., la crainte de se mettre César à dos l’empêcha de concrétiser ses menées en vue de rompre l’entente entre Pompée, César et Crassus[2].

Ensuite, le contexte historique, celui des troubles de la République romaine, explique en partie les difficultés de Cicéron à trouver un positionnement stable, lui qui se pensait comme représentant privilégié de la République. Christian Habicht insiste sur la difficulté qu’il y avait pour Cicéron de s’affirmer face à une personnalité politique de premier plan comme César ou à la fin de sa vie face au jeune Octave. C’est même une force qu’un simple descendant de chevaliers d’Arpinum comme lui, qui ne dispose pas de dons militaires privilégiés, ait pu s’affirmer comme une personnalité politique importante de la Rome républicaine.

C’est justement cette capacité à occuper, en dépit de ses origines sociales, un pan de la scène politique qui permet à l’auteur de démontrer le rôle politique de Cicéron. Ainsi, même s’il n’a pu les mettre en pratique en raison des temps difficiles rencontrés par la République, Cicéron apparait néanmoins comme une personnalité politique essentielle qui, d’ailleurs, se percevait comme telle.

Cicéron ou la République

Le grand objectif de ce livre agréable à lire et frappé d’un grand souci de clarté (il s’agit à l’origine de conférences) est de montrer que Cicéron a toujours considéré qu’il était de son devoir d’intervenir dans la sphère publique. Il ne s’agit pas, selon l’auteur, de satisfaire son ego, tout du moins pas uniquement. Cicéron répond également à une vision de l’homme, héritée de la philosophie grecque et de la tradition romaine, qui fait de l’intervention de l’homme pour la République l’accomplissement d’une vie réussie.

Tout au long de sa vie, Cicéron a essayé de faire valoir ses idées pour la République. Que ce soit au travers de ses livres comme on l’a longtemps dit mais aussi grâce à ses interventions et aux responsabilités qu’il a endossées. Christian Habitch, en grande empathie avec son sujet d’étude, présente un Cicéron qui a toujours eu en vue le bien public.

L’ouvrage permet ainsi de rendre un peu de place à Cicéron face au géant que représente Jules César. Il permet, peut-être, aussi de découvrir un Cicéron moins connu ou moins étudié. Enfin, il offre une possible réflexion sur ce que veut dire servir l’Etat et ce n’est pas là le moindre de ses mérites.

Jean Sénié

 

Crédit photo : Flickr, saigneurdeguerre

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[1] Un groupe de soldat – selon Plutarque, le centurion Herennius et le tribun militaire Popilius –  vint le mettre     mort. Il aurait lui-même tendu le cou au dehors de sa litière montrant par là qu’il acceptait sa mort de façon honorable comme l’exigeait la coutume romaine.

[2] Cicéron, Ad Atticum, IV, 5, 1

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