Le chancelier Merz est-il déjà dans l'impasse ? Pour la première fois, l'AfD dépasse la CDU/CSU dans un sondage

Patrick Moreau | 09 avril 2025

Docteur en Histoire, docteur d’État (FNSP) en sciences politiques, CNRS, spécialiste des partis extrémistes en Europe.

Notes

1.

„Neueste Wahlumfrage zur Bundestagswahl von INSA”, INSA, 7 avril 2025 [en ligne].

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2.

Mara Marx, „Friedrich Merz: Das ist Deutschlands mutmaßlich nächster Kanzler”, Wirtschafts Woche,
26 février 2025 [en ligne].

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3.

Marco Fründt et Benno Stieber, „Lokale CDU-Verbände kritisieren Merz”, TAZ, 7 avril 2025 [en ligne].

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4.

Andreas Rödder, „Damit ist die Politikwende der Union im Grunde pulverisiert”, Welt, 14 mars 2025 [en ligne].

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5.

Ferdinand Otto et Jana Hensel, „Entweder er bricht sein Wort-oder das AfD-Tabu”, Zeit Online, 5 avril 2025
[en ligne].

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6.

Jan Redmann, „Brandenburgs CDU-Chef: „AfD Nazis zu nennen, reicht nicht!’”, Focus Online, 12 février 2024
[en ligne].

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7.

Alexander Eydlin, „Ostdeutsche Länder fordern mehr Einfluss in der Bundespolitik”, Zeit Online, 3 avril 2025
[en ligne].

+ -

8.

Mathias Brandt, „Wer befürwortet das neue Sondervermögen?”, Statista, 6 mars 2025 [en ligne].

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9.

Claudia Müller, „Union und AfD fast gleichauf”, Tagesschau, 3 avril 2025 [en ligne].

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Pendant la campagne électorale, Friedrich Merz avait organisé son argumentation autour de trois thèmes principaux : le contrôle de l’immigration, le soutien aux entreprises et la reconquête de l’électorat CDU/CSU parti à l’AfD depuis 2017. À ce jour, en avril 2025, le bilan est négatif.

Selon l’institut de sondage Insa1, la CDU/CSU a reculé à 24,5 % d’opinions favorables, l’AfD faisant jeu égal (24,5 %). Il s’agit d’un signal politique dramatique pour la droite conservatrice allemande. En effet, si cette dynamique se confirmait, l’AfD pourrait devenir, à court terme, la première force politique en Allemagne.

Les raisons de cette montée en puissance de l’AfD sont liées, comme l’ont souligné nombres d´observateurs, à la personnalité et à la carrière politique de Friedrich Merz. Son accession à la tête de la CDU a été longue et difficile2. Ce n’est qu’au bout de trois tentatives qu’il a pu enfin devenir président du parti, après avoir été éliminé de sa direction par Angela Merkel, son ennemie intime. Devenu homme d’affaire, il était considéré, malgré son éloignement du parti, comme un espoir de la ligne conservatrice, en particulier par tous ceux qui critiquaient la politique de Merkel. Ces mécontents, le plus connu étant Alexander Gauland, allant rejoindre l’AfD en 2013 et 2014. Aujourd’hui, la stratégie de Merz risque d’affaiblir la démocratie chrétienne en Allemagne. Les Verts l’ont accusé – non sans raisons – d’être le brise-glace de l’AfD.

Plusieurs erreurs stratégiques

Le reproche le plus grave adressé à Merz, conduisant à la longue liste des démissions et des critiques actuelles dans la CDU3, est que Merz serait passé sous les fourches caudines de la gauche, tant sur le plan programmatique que stratégique. En excluant préalablement et catégoriquement deux options politiques (une majorité avec l’AfD ou un gouvernement minoritaire), la CDU/CSU s’est exposée à dépendre, pour longtemps, d’au moins un partenaire de gauche, voire de deux, si son affaiblissement politique se poursuivait (le SPD ou les Verts, ou les deux). Friedrich Merz a cédé, sans combat, sa position de force électorale dominante qui aurait pu lui permettre de jouer sur l’option d’un rapprochement limité avec l’AfD. Certes, la gauche serait montée au créneau au nom de « l’antifascisme », mais la CDU/CSU aurait pu négocier et imprimer de son sceau le programme de gouvernement. Aujourd´hui, on peut avoir l’impression que Merz a cédé sur presque tout et que le SPD a gagné les élections au Bundestag. Une thèse popularisée par une des têtes pensantes de la CDU, l’historien
Andreas Röder4.

Tout aussi grave est que Merz et ses conseillers, tous originaires de l’Ouest et largement ignorant de la réalité politique et culturelle des nouveaux Bundesländer, ont de facto ignoré les électeurs de l’AfD, pourtant venus en partie de la CDU entre 2017 (1,2 million) et 2025 (1 million). Alors que ces électeurs sont majoritairement de sensibilité conservatrice (et pas völkisch-racialistes). Merz a mis au placard sa dépouille de conservateur5. En manque d’idées, la CDU a repris un thème porteur pour la gauche, « l’antifascisme », et a fait de l’AfD son ennemi principal. En soi, une stratégie logique étant donné la force de l’AfD dans les nouveaux Bundesländer et sa progression à l’Ouest. Le résultat de cette stratégie a été de radicaliser les critiques adressées à l’AfD, conduisant à qualifier ses électeurs de « nazis6 ». Un non-sens politique qui exaspère au plus haut point une majorité des électeurs des nouveaux Bundesländer. Les ministres-présidents de toutes les couleurs dans ces Länder – redoutant que l’AfD n’atteignent les 40/45 % des suffrages – réclament une révision stratégique7, qui ne peut à ce jour venir de la direction d’une CDU peuplée de cadres formés et pensant en des termes politiques et culturels typiques de l’Ouest.

L’appréciation du passage en force des crédits militaires et infrastructurels reste difficile et controversée. Certes, Merz a menti pendant la campagne, alors qu’il était intimement persuadé que ces choix économiques et de défense seraient nécessaires. Sur ce point il est en accord avec la grande majorité des électeurs8 ; Merz aurait donc pu jouer davantage sur ce potentiel de soutien, ainsi que sur le « danger Trump » pour expliquer son revirement brutal. Sa défense consécutive aux attaques de Die Linke, du BSW et des Verts a été largement jugée incohérente. Depuis quelques jours, sa prudence sur la question des droits de douane est considérée comme tout aussi maladroite. Les Allemands ont peur, non seulement de la guerre qui vient, mais aussi de la crise économique et sociale qui se profile à l’horizon. Merz aurait pu occuper ce créneau et intensifier sa pression sur le SPD.

En conclusion, la perte de confiance dans l’homme Merz, mais aussi dans la CDU/CSU9 est porteuses de lourdes menaces pour l’avenir. De fait, l’histoire politique de la RFA montre qu’il est particulièrement difficile de regagner des électeurs déçus, comme l’ont montré les élections au Bundestag depuis 2017.

La CDU/CSU ne restera un Volkspartei qu’au prix de choix stratégiques clairs et qui supposent d’imposer au SPD des politiques attendues par les électeurs de la droite conservatrice. Le contrôle de l’immigration, l’allègement des charges pour les entreprises, une révision de la politique écologique des années passées (sur le nucléaire notamment) sont des thèmes porteurs et attendus par la base CDU/CSU. Merz doit se montrer capable de les imposer. S’il échoue et s’il accepte une « politique de gauche », la CDU connaîtra une crise rapprochant l’AfD du pouvoir.

Source :

Source : „Umfrage-Schock für die Union – AfD erstmals bundesweit vor CDU/CSU”, Welt, 9 avril 2025 [en ligne].

Patrick Moreau, AfD: the German far-right at a dead end, November 2024.