Le monde en 2035 vu par la CIA
William Guebhardt | 12 avril 2017
Tous les quatre ans, à l’entrée en fonction du nouveau président des Etats-Unis, la CIA dresse pour lui un bilan de l’état du monde et effectue des prévisions sur les années à venir. Basé sur l’interview de 2500 experts répartis dans 35 pays, le rapport de la CIA sur l’état du monde en 2035, baptisé le « paradoxe du progrès » a été rendu public afin de favoriser le débat et de sortir de l’entre soi des services de renseignement. Ce rapport dresse dans un premier temps un constat à court terme de l’évolution du monde et élabore une série de spéculations.
Un accroissement des inégalités tant économiques qu’environnementales
L’accroissement démographique (la population mondiale passant de 7,5 milliards d’habitants à 8,8 milliards) se fera inégalement, avec notamment une explosion démographique en Afrique mais un vieillissement des populations européennes et chinoises. A contrario la croissance économique devrait stagner, associée à un développement du travail automatisé et des intelligences artificielles limitant le nombre d’emplois non qualifiés, ce qui ne garantira pas nécessairement un accès au marché du travail à une population plus importante. Ainsi un accroissement des inégalités important est à prévoir.
Par ailleurs, la pollution de l’air sera la première cause de mortalité en 2035, la moitié de la population mondiale n’aura pas accès à l’eau potable et certaines grandes villes littorales telles que Djakarta, Hô-Chi-Minh-Ville ou encore Bangkok se dépeupleront du fait de la montée des eaux. Ainsi les défis environnementaux nécessiteront une réelle solidarité internationale. Néanmoins cette coopération sera rendue difficile par la compétition accrue pour l’accès à des ressources en raréfaction.
Populisme et terrorisme en réaction
Le « paradoxe du progrès » est que le monde sera plus connecté que jamais grâce à l’évolution des techniques de communication mais sera également sujet à des replis identitaires, religieux et nationalistes du fait de l’accroissement des inégalités économiques et environnementales.
De plus, la faiblesse de l’Etat et l’effondrement du travail entrainera un accroissement du phénomène religieux, alors seul « pourvoyeur de sens et de continuité ». L’effondrement des Etats moyen-orientaux laissera un espace pour les extrémistes. Galvanisée par le conflit sunnite-chiite lié aux tensions entre Arabie Saoudite et Iran, la menace terroriste devrait être plus élevée, le progrès technologique facilitant le recrutement et les agissements à grande échelle.
Enfin le profil des guerres va changer, sortant de la configuration traditionnelle « armée contre armée » et ayant désormais plutôt recours à des attaques ciblées par le biais de drones et de cyberattaques.
Face à ces constats, le rapport propose 3 scénarios à long terme appelés Iles, orbites et communautés.
Iles
«La combinaison de tous ces événements a donné naissance à un monde fragmenté et sur la défensive où des Etats inquiets cherchent métaphoriquement et physiquement à construire des murs pour se protéger des problèmes extérieurs, formant ainsi des « îles » dans un océan d’instabilité».
Les conséquences néfastes de la mondialisation, notamment l’accroissement des inégalités, entrainera une montée des populismes, ce à quoi les gouvernements réponderont par plus de protectionnisme au détriment d’un dialogue international. D’ici 20 ans, l’automatisation des tâches et l’essor des Intelligences Artificielles vont créer des opportunités de relance, la créativité viendra alors de la coopération entre l’homme et la machine. Les gouvernements qui s’en sortiront seront ceux qui miseront sur la recherche et l’innovation et qui parviendront à garder les talents technologiques dans leurs frontières.
Orbites
Du fait de divisions politiques et de difficultés budgétaires, les Etats-Unis se replieront sur l’échiquier international, retrait dont profiteront la Russie, la Chine et l’Iran (qui profitera aussi de l’instabilité au Moyen-Orient) pour imposer leur domination économique et militaire au plan régional. Il en résulte un accroissement des tensions qui se manifestera dans un premier temps par une guerre de propagande, des cyberattaques et des représailles économiques. Bien qu’ « en dépit de l’accroissement des tensions géopolitiques, les intérêts économiques et politiques empêcheraient la guerre » l’arme atomique sera utilisée dans un conflit entre l’Inde et le Pakistan. La Chine et les USA interviendront alors pour éviter l’escalade nucléaire. Le risque de catastrophe imminente aura poussé les Nations à collaborer pour leur survie.
Communautés
Dans ce scénario, les groupes privés locaux auront pris le pas sur les gouvernements nationaux du fait d’un manque de confiance grandissant des populations envers leurs gouvernants. Seuls la politique étrangère, la défense nationale et les opérations militaires resteront du domaine du gouvernement. Tout le reste, l’économie, l’éducation, la santé seront gérées par les autorités locales et les entreprises privées.
De ce fait, les entreprises seront bien plus impliquées dans la vie de leurs employés, elles se chargeront de leur éducation, leur santé et leur logement.
Ce système fonctionnera dans les démocraties libérales qui encouragent les partenariats public-privé et la décentralisation, mais beaucoup moins dans les autres types de gouvernement, ce qui mènera à un autoritarisme plus fort.
Une étude crédible ?
La CIA prend très au sérieux l’élaboration de ces rapports, en recourant à des milliers d’experts. Par ailleurs l’étude publiée en 2000 sur l’état du monde en 2015 prévoyait de nouvelles formes de cyberattaques étatiques, une Russie restaurant son influence dans les pays ex-soviétiques et un Moyen-Orient en crise secoué par le terrorisme. Elle semblait donc avoir vu juste, néanmoins elle prédisait également à tort la naissance d’un Etat palestinien, une Irak nucléarisé et une Union Européenne plus intégrée.
Enfin, le rapport note que l’ « histoire est aussi faite de ruptures », une rupture étant par définition non prévisible…
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