Le présent de l’histoire, entre passé et futur

05 juin 2013

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Henry Rousso, La Dernière Catastrophe. L’histoire, le présent, le contemporain, Paris, Gallimard, 2012, 328 p.

Auteur de l’expression « un passé qui ne passe pas »[1] qui désigne la rémanence du souvenir du régime de Vichy dans la France de la deuxième moitié du vingtième siècle, l’historien Henry Rousso est l’initiateur de l’histoire du temps présent. Dans cet ouvrage, il explique sa démarche scientifique, nous invitant à porter un autre regard sur les divisions du temps qui nous sont familières, entre passé, présent et futur.

Entre autobiographie et manifeste

Initialement, l’ouvrage se voulait une autobiographie intellectuelle dans laquelle Henry Rousso était censé présenter son parcours. Chemin faisant, l’auteur a élargi le projet initial pour en faire une réflexion sur la définition de l’histoire du temps présent et le rapport de l’historien à son époque.

L’histoire du temps présent porte-t-elle sur le passé le plus immédiat chronologiquement ? Concerne-t-elle les événements dont les répercussions sont les plus fortes aujourd’hui ?
Admet-elle une délimitation entre l’époque contemporaine et le passé immédiat ? En expliquant son itinéraire académique, l’auteur théorise cette nouvelle manière de faire de l’histoire.

Aux sources de l’histoire contemporaine

L’histoire du temps présent a longtemps été regardée avec suspicion. Henry Rousso rapporte ainsi de manière plaisante les propos du grand médiéviste Bernard Guenée, qui aurait choisi d’étudier le Moyen-Age,  « parce qu’il était trop intelligent pour faire de l’histoire contemporaine, où la profusion des sources incite à la facilité, et pas assez pour faire de l’histoire antique où leur rareté conduit à beaucoup user de la réflexion … »[2].

L’auteur explique qu’à partir des années 1970, un basculement s’est opéré tant au sein du monde universitaire qu’au sein du public. Dans un présent hanté par les catastrophes du XXe siècle, où les questions mémorielles sont devenues prégnantes, un intérêt inédit s’est développé pour une époque contemporaine, dont la dimension tragique semblait appeler une étude approfondie.

Un nouveau rôle pour l’historien

Puisqu’il s’agit d’étudier un passé qui « loge » encore parmi nous, la place du passé se transforme.

Ainsi, l’histoire n’est plus nécessairement l’étude d’événements assez lointains pour qu’il puisse s’inscrire dans le temps long. Rousso s’oppose ainsi à l’exigence de « longue distance » mise en avant par l’historien Fernand Braudel pour lequel l’événement est « l’écume de l’histoire ».

Il est possible selon lui d’étudier des événements qui nous sont proches sans qu’une distance temporelle soit requise. Ce qui compte est d’introduire une distance critique vis-à-vis de l’événement en distinguant sa dimension mémorielle de ses aspectes factuels.

Une histoire de l’histoire contemporaine

Après avoir expliqué sa méthode et ses implications, l’auteur s’intéresse aux évolutions de note perception de l’histoire.

Il montre ainsi la transformation radicale qu’entraîne la Révolution française dans la manière de regarder le passé. Avant 1789, l’étude du temps passé s’inscrit dans un continuum, cyclique chez les Grecs, linéaire au Moyen-Age. Les philosophes des Lumières et surtout la Révolution introduiront une rupture fondamentale dans la conception du lien entre passé et présent. L’Ancien Régime et la République sont alors considérés comme deux périodes radicalement différentes. Dès lors, la continuité est brisée entre un passé révolu et un présent fondamentalement inédit. L’étude historique s’intéressera au passé en tant que temps ancien.

Toutefois, les deux guerres mondiales, les drames à répétition du vingtième siècle, modifient le rôle de l’historien, confronté à un passé qui persiste dans l’époque contemporaine. C’est ainsi qu’apparaît la nécessité d’une histoire du temps présent, conçue comme branche de l’histoire générale.

Le « passé dans le présent » et le « présent dans le passé »

L’auteur n’élude pas les problèmes que pose la nouvelle démarche qu’il a contribué à forger. Il avertit ainsi contre la tentation du « présentisme »[3]  qui désigne un régime d’historicité focalisé sur le présent, oblitérant de ce fait la spécificité du passé et du futur.

Les enjeux sont nombreux pour les pratiques historiennes.

Le chercheur est ainsi confronté à sa subjectivité, à la question du détachement par rapport à son sujet d’étude. Comment aborder l’histoire de la Shoah, du régime de Vichy ou de la guerre d’Algérie, passés si « présents » ? Comment répondre à une demande mémorielle tout en gardant une rigueur scientifique ? Quelle place accorder aux témoins ?

Ce sont toutes ces questions qui traversent le livre avec une profondeur de vue et une limpidité qui en font une importante contribution au renouvellement historiographique mais aussi une pierre de touche dans la manière de mener à bien une réflexion historique. 

Jean Sénié

Crédit photo: Flickr, zigazou76

 


[1] Id. (avec Éric Conan), Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, coll. « Pour une histoire du XXe siècle », 1994 (nouvelle éd. Augmentée : Paris, Gallimard, coll. « Folio / Histoire », 1996.).

[2] Id., La Dernière Catastrophe. L’histoire, le présent, le contemporain, Paris, Gallimard, 2012, p. 45.

[3] Notion forgée par François Hartog

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