Le régime de Vichy et sa Milice: un épisode fasciste de l'histoire française
24 septembre 2013
Le régime de Vichy et sa Milice: un épisode fasciste de l’histoire française
Michèle Cointet, La Milice française, éditions Fayard, 2013, 343 pages, 23€
Avec Milice Française, l’historienne Michèle Cointet s’inscrit à contre-courant d’une tradition historiographique, certes érudite et de grande qualité, mais trop influencée par une doxa faisant l’impasse sur l’idéologie totalitaire qui gangrenait l’Europe centrale et méditerranéenne au cours des années 1930-1940. L’auteur propose ici un ouvrage d’engagement, dénué de complexes historiques et ne craint pas d’ériger Joseph Darnand en objet d’étude fascinant et légitime tout en le qualifiant de fasciste.
Un engagement clair et net
A la fois sérieux, documenté et parfaitement accessible à un public d’amateurs éclairés, cet ouvrage confirme qu’il a bien existé une forme de fascisme à la française, parfaitement organisé et agissant, soucieux d’investir les organes de l’Etat, au-delà des petits cercles connus de collaborationnistes parisiens affichés. Une organisation qui a su recruter plusieurs milliers d’hommes, principalement dans les classes moyennes (loin des clichés véhiculés par la littérature ou le cinéma), dont l’engagement raisonné répondait souvent à des motivations idéologiques.
L’ombre fasciste dans les organes de l’Etat
Car ce qui se dégage nettement de la courte histoire de la Milice (Laval la crée le 30 janvier 1943), au-delà de ses missions officielles de maintien de l’ordre et de lutte contre les agissements de la Résistance, c’est la volonté ferme d’infiltrer les organes de l’Etat et d’imprimer au cours de la politique gouvernementale un tour ouvertement idéologique. En politique intérieure, l’instauration d’un Etat fort et la mise en œuvre de politiques d’inspiration nationale-socialiste marquées au premier chef par l’anticommunisme et l’antisémitisme, mais avec un parti pris hostile aux conservatismes (Darnand, le 7 juin 1944, proclamera : « Avec les hommes fidèles, nous ferons la Révolution socialiste qu’attend le peuple »). En politique étrangère, le souhait de participer à la construction d’une Europe unie sous la bannière allemande et victorieuse de la Russie soviétique (d’où les nombreux engagements de miliciens, d’abord dans la LVF, puis dans la division de waffen-SS Charlemagne).
Une infiltration effective mais avortée
A l’intérieur du microcosme vichyste, la Milice doit lutter contre de nombreux adversaires : aussi bien les maréchalistes, qui se sont toujours méfiés de ces idéologues armés et violents et qui ont tenu à s’en démarquer pendant et après la guerre, que les « gouvernementaux » vichyssois (au premier rang desquels le créateur et chef officiel de la Milice, Pierre Laval) qui pensaient l’utiliser et l’instrumentaliser ou encore les collaborationnistes partisans empêtrés dans leurs querelles intestines.
Mais contrairement à ces trois mouvements, extérieurs aux organes de l’Etat français jusqu’à la nomination de Marcel Déat au ministère du travail et de la solidarité nationale (et détesté de Pétain), en mars 1944, la Milice est une institution officielle. Joseph Darnand la dirigera jusqu’à sa nomination, le 10 janvier 1944, comme Secrétaire général au maintien de l’ordre, avec autorité sur l’ensemble des forces de police qui assurent la sécurité publique et la sûreté intérieure de l’Etat (police nationale, gendarmerie, préfecture de police de Paris, garde mobile). Le 8 avril 1944, il reçoit également autorité sur les services de renseignements généraux et le 13 juin, il est nommé Secrétaire d’Etat à l’intérieur. Parallèlement, Philippe Henriot est promu Secrétaire à l’information et à la propagande, poste qu’il occupe jusqu’à son assassinat fin juin 1944.
Le temps aura manqué pour achever le processus et Ribbentrop, qui envisageait fin août 1944 un gouvernement français (dans l’hypothèse d’une victoire allemande et d’une réoccupation du territoire français) dirigé par Jacques Doriot, ne pourra jamais réaliser ce projet. Il n’en reste pas moins que le processus de fascisation de l’Etat français était conçu et bien entamé à l’été 1944.
Une lecture agréable
Le récit proposé par Michèle Cointet a le mérite de la clarté et de la précision, alternant avec pertinence les considérations générales sur la Milice et les portraits bienvenus des principaux chefs, à commencer par la figure intéressante de Joseph Darnand.
On regrettera cependant quelques lacunes dans le chiffrage des effectifs miliciens et des pertes dues à la guerre et à l’épuration. On aurait également aimé un développement plus ample et davantage de détails sur les évolutions psychologiques d’un Darnand, encore confiant dans l’issue finale du conflit en août-septembre 1944, puis gagné par une sorte d’asthénie à l’hiver et au printemps 1944-1945, avant d’emmener un bataillon de franc-gardes miliciens escarmoucher vainement en Italie du nord en avril-mai 1945.
Au final, La Milice française reste un livre indispensable pour ceux qui s’intéressent à ce qu’on a pu nommer la droite révolutionnaire française.
Jean Sénié
Crédit photo : Flickr, PhotosNormandie
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