L’enfant pauvre au royaume de l’enfant-roi
Pauline Minaud | 09 juin 2015
L’enfant pauvre au royaume de l’enfant-roi
Par Pauline Minaud
Les sociétés occidentales, qu’elles soient européennes ou américaines ne comptent plus les paradoxes qui s’attachent à leur modèle de développement.
La pauvreté infantile en fait partie. Alors même que les différentes branches du marketing (alimentaire, vestimentaire, touristique) regorgent d’imagination pour satisfaire les plus jeunes d’entre nous, contribuant ainsi à l’émergence de l’enfant-roi, la pauvreté infantile, plus cachée, n’en est pas moins solidement ancrée dans nos sociétés dites « développées ».
Ce paradoxe est d’autant plus inquiétant que, comme l’a souligné le Fond des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), la problématique de la pauvreté infantile « s’est montrée en grande partie absente du débat sur les politiques de développement pour l’après-2015 »[i]. Pourtant le nombre d’enfants concernés a très fortement augmenté depuis la crise financière de 2008, et notamment aux États-Unis, pays le plus riche du monde.
Alors même que les jeunes générations représentent l’avenir de la nation, et devraient donc être l’objet d’une attention constante par les politiques, comment expliquer les forts taux de pauvreté infantile aux États-Unis ? Quelles sont les politiques mises en œuvre pour y remédier ?
Pauvreté infantile, de quoi parle-t-on?
Un enfant vit en situation de pauvreté lorsque « le revenu et les ressources disponibles pour son éducation sont insuffisants au point de l’empêcher d’avoir un niveau de vie considéré comme acceptable dans la société dans laquelle il vit et suffisant pour garantir son bien-être émotionnel et physique ou son développement[ii].» La situation familiale et les conditions d’emploi des parents ont été identifiées comme les facteurs principaux conduisant à la pauvreté infantile[iii]. Dans l’Union européenne, ce sont les enfants de familles immigrées et de familles monoparentales qui sont jugés comme plus susceptibles de sombrer dans la pauvreté infantile, tandis qu’aux États-Unis, parmi les 22%[iv] d’enfants américains pauvres, l’écrasante majorité provient de familles noires, latinos ou amérindiennes[v].
Des chiffres inquiétants et surprenants
Les chiffres du dernier rapport de l’UNICEF font froid dans le dos. En effet, « depuis le début de la crise financière en 2008, 2,6 millions d’enfants ont sombré dans la pauvreté dans les 41 pays les plus riches du monde et environ 76,5 millions d’enfants vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté (fixé à 60% du revenu médian) dans ces pays »[vi].
Ces mêmes chiffres, pour être parlant, doivent cependant être mis en perspective. En effet, l’UNICEF a également souligné que 18 États étaient parvenus à réduire leur taux de pauvreté infantile et surtout d’environ 30%, ce qui représente une baisse considérable[vii]. Ces pays se trouvent principalement en Europe, au premier titre desquels se trouvent l’Autriche, la Finlande, la Norvège, la Pologne, et la Slovaquie, mais aussi le Chili, tous moins « riches » que les États-Unis.
Le plus surprenant néanmoins reste en effet le classement des États-Unis. Le pays le plus riche du monde (en termes de PIB) est classé 36e sur les 41 pays développés analysés par l’UNICEF. L’excuse de la crise économique dont les États-Unis ont payé un lourd tribut ne suffit pas à expliquer les forts taux de pauvreté infantile dans ce pays, puisque le nombre d’enfants pauvres était déjà anormalement élevé avant 2008[viii].
Les États-Unis, frein à la réduction mondiale de la pauvreté infantile
Parmi les nouveaux enfants pauvres comptabilisés à l’intérieur des pays de l’OCDE, un tiers sont des enfants américains. La progression de la pauvreté infantile aux États-Unis a en effet été plus forte que lors de la récession de 1982. Aujourd’hui au royaume de l’enfant-roi, un enfant américain sur trois est pauvre, soit près de 24,2 millions.
Une autre caractéristique majeure de la pauvreté infantile aux États-Unis réside dans ses grandes disparités régionales. La pauvreté infantile qui a augmenté dans 34 États entre 2006 et 2011 a connu ses plus fortes hausses dans le Nevada, l’Idaho, Hawaï et le nouveau Mexique, tandis que l’État du Mississippi et celui du Dakota du Nord sont parvenus à réduire leur taux de pauvreté infantile. L’État du Nouveau Mexique est le plus concerné par la pauvreté infantile, ayant le plus fort taux avec 41,9% soit 4 enfants sur 10 touchés par la pauvreté. Au contraire, le New Hampshire ne compte “que” 11%[ix] de sa population juvénile sous le seuil de pauvreté. De manière générale, les taux de pauvreté infantile sont plus élevés dans les États du Sud et plus faibles en Nouvelle Angleterre et dans les États des plaines du Nord[x].
Résoudre le fléau de la pauvreté infantile : une nécessité économique
La lutte contre la pauvreté infantile ne répond pas seulement à des préoccupations sociales ou morales, mais également à une logique économique. En effet, une étude[xi] menée en 2008 en Écosse a montré que sur le long terme, 16 milliards d’euros par an pourraient être économisés si la pauvreté infantile disparaissait, entraînant alors une suppression des coûts qui y sont liés quant aux problèmes de santé, échecs scolaires, la criminalité ou encore comportements antisociaux. L’étude expliquait également que lorsque « la société doit donner une seconde chance à des adultes pauvres, le coût dépasse largement celui d’une intervention appropriée et opportune auprès des enfants »[xii].
Dès lors, les politiques de protection sociale apparaissent comme des facteurs décisifs en vue d’éviter la pauvreté. L’Unicef estime même que « tous les pays ont besoin d’une protection sociale qui offre des filets de sécurité significatifs afin de protéger les enfants, que ce soit en temps de crise ou de prospérité »[xiii].
La réponse américaine, une ambition sans précédent
Cette idée semble avoir gagné du terrain aux États-Unis, puisque trois députés démocrates ont présenté le mois dernier le HR 2408, Child Poverty Reduction Act of 2015, visant la création d’un groupe de travail fédéral sur la réduction de la pauvreté infantile. L’objectif serait en effet de réduire de moitié cette pauvreté d’ici 10 ans et de l’éliminer complètement d’ici 20 ans. Cette proposition est inspirée de la législation britannique de 2000, dont le but est l’éradication de la pauvreté infantile en 2020. Malgré quelques années difficiles dues à la récession économique, la politique britannique de lutte contre la pauvreté infantile a dans l’ensemble connu de bons résultats[xiv].
Dès lors, l’espoir est permis pour les enfants américains d’imaginer un peu plus leur futur à l’image de leur pays, développé et ambitieux.
[i] http://europa.eu/epic/news/2014/20140919-unicef-releases-outlook-on-child-poverty-post-2015_fr.htm
file:///C:/Users/pminaud/Downloads/2013_child_poverty_fr_web.pdf
[iv]http://www.nccp.org/topics/childpoverty.html
[v]http://www.nccp.org/topics/childpoverty.html
[viii]http://www.nccp.org/faq.html
[ix]http://www.nccp.org/topics/childpoverty.html
[1] ibid
[xiv]https://www.aei.org/publication/how-the-us-reduced-child-poverty-by-a-third-since-1995/
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