Les charter schools feront-elles un jour école en France ?
Fondapol | 02 octobre 2014
Les charter schools feront-elles un jour école en France ?
Par @YvesPozzodiBorgo,
sénateur de Paris et Président de l’institut Jean Lecanuet
Par sa très forte diversité et les nombreuses expérimentations, bonnes et mauvaises, qui s’y produisent, le système éducatif américain est une source permanente d’interrogations, de réflexions et de débats pour notre bonne vieille école de la République, si monolithique, si centralisée et si prudente dans ses réformes. D’autant que la sociologie éducative américaine n’est pas si éloignée de la nôtre et que les problèmes des Américains (cohésion sociale, inégalités scolaires, recrutement des enseignants, enseignement des sciences,…) sont bien souvent aussi les nôtres. Le cas des charter schools américaines est ainsi un cas intéressant à observer. Le développement de ces écoles sur le territoire américain, et surtout dans les grandes agglomérations, faisait peu de bruit en dehors des Etats-Unis jusqu’à ce que le nouveau maire de New York, Bill de Blasio, décide de taper du poing sur la table et, ce faisant, de rallumer une guerre scolaire dans sa ville et au-delà.
Le principe des charter schools
Comment pourrait-on définir simplement le principe des charter schools ? En France, nous connaissons bien le couple école publique-école privée, les premières gratuites et les secondes payantes. Les charter schools constituent une sorte de troisième voie, et c’est ce qui les rend intéressantes. Il s’agit d’écoles à fonds publics (et privés aussi en complément), laïques, non sélectives, gratuites pour les familles, mais à gouvernance privée (des pédagogues, mais surtout des organisations dépendant de fondations). Comme nos écoles privées sous contrat, ces établissements signent une convention (avec l’État dont ils dépendent), précisant les obligations auxquelles ils seront astreints tant d’un point de vue pédagogique qu’administratif et, bien entendu, les objectifs de réussite qu’ils devront atteindre au risque de perde leur statut (cela arrive régulièrement). Au demeurant, les obligations sont restreintes et les charter schools ont pu ainsi, par exemple, allonger la durée des journées scolaires, réviser les programmes, pratiquer une politique de ressources humaines très différente de celle des district schools.
Ce qui est intéressant, et nouveau, est, d’une part, ce choix au sein même du secteur public et, d’autre part, cette alliance entre la gratuité d’inscription (et donc l’accès possible à ces structures de populations socialement très défavorisées – elles y sont d’ailleurs majoritaires) et l’autonomie pédagogique dont l’école dispose. C’est aussi, on s’en doute, le point qui fait débat. Comment, ou jusqu’où, accepter, sur financement public, des expérimentations ou des pédagogies parfois fort éloignées des programmes et des pratiques traditionnelles ? Même si les statistiques globales de performance ne les confortent pas dans leur jugement, les détracteurs des charter schools ne manquent pas de souligner aussi l’opacité financière de telle ou telle structure, la piètre qualité de certains enseignants, des innovations pédagogiques nuisibles aux élèves, voire en définitive peu innovantes. Le maire de New York a d’ailleurs dit stop aux charter schools dans sa ville avant de mettre un peu d’eau dans son vin sous la pression des lobbies et du camp républicain plus unanime que les démocrates sur la question.
Le concept fait école
Il est vrai que, lentement mais sûrement, le concept fait école : 5 000 charter schools et plus de 2 500 000 élèves depuis l’apparition de la première structure en 1992 dans le Minnesota. Les listes d’attente s’allongent pour ces écoles auxquelles on accède par tirage au sort (lottery). Certes, cela ne représente au total que 5 % des élèves américains, mais la croissance des effectifs s’accélère et, surtout, l’influence pédagogique de ces écoles est bien supérieure à leur poids réel. Car la seule présence des charter schools dans presque chaque grande ville américaine, et parfois même dans des locaux communs avec l’école publique traditionnelle, interroge en permanence le système public traditionnel sur sa pédagogie – ce que faisait chez nous le privé autrefois et qu’il ne fait plus beaucoup pour des raisons tant règlementaires que financières ou culturelles. Recentrages pédagogiques puissants sur quelques matières fondamentales, usage massif des outils numériques, traitement innovant de la grande difficulté : bien souvent, cette école publique d’un genre nouveau, si elle réussit bien sûr, oblige l’ancienne à s’interroger sur ses pratiques.
Pour Barack Obama, cet apport de nouvelles idées vers le secteur public traditionnel est la vertu principale des charter schools. Le seul problème, et il n’est pas mince, est que cette coexistence entre les deux structures étant loin d’être pacifique (on l’a vu à New York), l’exportation de bonnes pratiques ne se fait pas comme il devrait se faire ou ne se fait même pas du tout. Et encore moins quand les deux structures partagent les mêmes locaux. C’est dommage car l’idée de départ d’établir un pont pédagogique entre elles était séduisante, et les tentatives de réchauffement initiées récemment par des élus ou d’importants acteurs privés comme la fondation Bill Gates sont donc les bienvenues. En tout cas, il faudra continuer à suivre cette expérience car charter schools ou pas, je le redis, cet esprit de changement est ce qui manque souvent à notre système français : l’innovation, le souffle pédagogique, l’adaptation fine aux problèmes du terrain, la force du contrat et de l’évaluation des performances pour interrompre ce qui ne fonctionne pas et développer ce qui peut permettre à l’élève de réussir.
Crédit photo : ENAC
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