Les nouveaux visages du national-populisme
Fondapol | 03 février 2012
Pierre-André Taguieff, Le Nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, 124 p, 6€.
Pierre-André Taguieff a acclimaté à la biosphère politique française dans les années 1980 le vocable de « national-populisme » [1]. Conscient des évolutions sémantiques qu’a subies ce concept tombé dans le « domaine public », le sociologue pose la question de sa validité en tant que catégorie de compréhension des phénomènes politiques et s’interroge sur les différentes formations politiques qui mériteraient aujourd’hui une telle étiquette.
De quoi populisme est-il le nom ?
Abstraction faite de sa dimension nationaliste, le terme populisme est flou. L’auteur précise qu’il est souvent employé de manière fautive comme un qualificatif interchangeable pour désigner de manière indifférenciée les formations de l’extrême-droite, de la droite radicale, de la droite autoritaire ou encore la droite identitaire [2] dans le but de les disqualifier. Taguieff se propose de rapatrier le concept de populisme dans le champ de l’analyse scientifique. Il rappelle ainsi que « combattre n’est pas connaître » ; l’anathème tout comme l’indignation n’ont jamais servi la recherche mais participent au contraire d’une régression du débat au stade a-politique.
A l’origine du populisme, un conservatisme apeuré
A la suite de cette mise au point sémantique, l’auteur se livre à l’analyse du contexte politique actuel. Les pays occidentaux seraient selon lui traversés par une triple crise : économique et financière, politique et culturelle. Ce constat fait écho à la distinction opérée par Dominique Reynié entre une crispation autour d’un patrimoine matériel menacé et la peur de voir disparaître un patrimoine immatériel (langue, urbanité mais aussi acquis sociaux ou encore Etat providence) [3]. Taguieff explique ainsi que « ces nouveaux mouvements « populistes », loin de s’opposer à la démocratie libérale, prétendent se réclamer au contraire de ses valeurs : liberté d’opinion, tolérance, laïcité (ou sécularisation), égalité hommes/femmes, respect des minorités et des droits des homosexuels, etc. contre la menace incarnée par une immigration de culture musulmane accusée de vouloir imposer ses propres valeurs et normes, à travers un multiculturalisme institutionnel ou quasi institutionnel qui les soustrait à toute critique – au nom du droit à la différence légalement protégé [4]». Il s’agit donc de préserver des acquis face à de prétendues menaces.
Définir le nouveau national-populisme
Le populisme selon Taguieff, avant d’être de droite ou de gauche, avant d’être un contenu programmatique, est un discours. Structuré autour de la notion centrale d’ « appel au peuple »[5] sa tonalité sera, selon les cas, protestataire, lorsqu’il dénonce l’establishment et les élites déterritorialisées, ou identitaire quand il appelle au repli culturel ou ethnique. Ignorant les clivages traditionnels, le populisme est une forme de parole politique essaimant aussi bien à gauche (Jean-Luc Mélenchon) qu’à droite (Marine Le Pen) [6].
Le discours populiste prend néanmoins une coloration particulière quand il est porté par des partis identitaires : c’est en cela qu’on peut parler d’un nouveau « national-populisme ». On assiste ainsi en Europe à une mue des formations d’extrême-droite en partis néo-nationaux-populistes [7]. Ces formations ont ainsi conservé tout en les adaptant leurs anciens discours. L’idée de « préférence nationale » a ainsi fusionné avec l’exigence de protection sociale. Le national-populisme exige ainsi que les nationaux bénéficient avant les autres des bienfaits de l’Etat providence, de la redistribution et d’autres facilités.
Indignons-nous !
Enfin le nouveau national-populisme joue sur l’émotion, sur l’indignation. En réponse au sentiment de lassitude, d’agacement, d’énervement qui gagne certaines couches de la population, les solutions proposées par les partis traditionnels apparaissent bien faibles. Selon Taguieff, « le succès, dans nombres de sociétés occidentales, du libelle indigent de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, permet de mesurer l’impuissance de la caste politique à définir une offre politique crédible pour lutter contre la crise économico-financière, ses causes, ses conséquences » (p.90). Répondre au sentiment de déréliction par un « c’est comme ça » ou un « on ne peut rien y faire et serrons les dents » bien senti n’apporterait donc rien si ce n’est de l’eau au moulin de ces national-populismes.
L’islam comme ennemi structurant
Un des traits marquants de ce nouveau national-populisme est enfin le rôle d’épouvantail qu’a pris l’islam dans son argumentaire. A ce propos, Pierre-André Taguieff opère une distinction entre islamophobie et islamismophobie. Pour la première, tous les musulmans sont de potentiels terroristes. Selon la seconde, certains musulmans font une lecture intransigeante du Coran qu’il ne faut pas oblitérer et qui peut constituer une source de conflit avec un certain nombre des valeurs en cours dans les démocraties libérales. Loin de prôner un « choc des civilisations » ou une lutte frontale pour la défense de notre identité, l’auteur ne passe pas pour autant sous silence les difficultés et les dangers que peuvent représenter une certaine lecture de l’islam pour les citoyens des démocraties libérales. Il explique ainsi que « la stratégie de l’euphémisation systématique de la menace islamiste relève d’une volonté de camoufler les réalités gênantes et inquiétantes » (p. 102.).
Un phénomène européen
On regrettera que l’auteur, en raison du format (petit) du livre, ne développe pas davantage les spécificités des national-populismes dans chaque pays européen. Il aurait ainsi pu appliquer sa grille de lecture à l’ensemble des démocraties touchées par le phénomène afin de faire ressortir les accointances mais aussi les différences entre les différents partis. Un tel éclairage aurait permis de mieux comprendre la présence de Mme Le Pen vendredi dernier à Vienne, où se sont rassemblés les dignitaires de l’extrême-droite européenne. Néanmoins on ne peut que reconnaître à ce livre ses mérites, nombreux et divers. Il constitue une très bonne introduction aux questions difficiles et brûlantes que soulève le populisme et nous invite à nous interroger sur la démocratie et sur son incomplétude.
Jean Senié
[1] TAGUIEFF Pierre-André, « La rhétorique du national-populisme, dans Mots, n°9, 1984, p. 113-139. ; Ibid., Le Nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, p. 55. : « En 1983-1984, j’ai introduit l’expression « national-populisme » – ou plus exactement celle de « national-populisme autoritaire » -, pour caractériser la spécificité d’un parti Front national en France ».
[2] TAGUIEFF Pierre-André, Le Nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, p. 15-21.
[3] REYNIE Dominique, Populisme, la pente fatale, Paris, Plon, 2011.
[4] TAGUIEFF Pierre-André, Le Nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, p. 25-26.
[5] TAGUIEFF Pierre-André, L’Illusion populiste : de l’archaïque au médiatique, Paris, Berg International, « Pensée politique et sciences sociales », 2002 ; rééd. revue et augmentée et précédée d’une nouvelle préface, sous le titre L’Illusion populiste. Essais sur les démagogies de l’âge démocratique, Paris, Flammarion, « Champs », 2007.
[6] TAGUIEFF Pierre-André, Le Nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, p. 67-72.
[7] Ibid., p. 62-63.
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