Les trois défaites de Jean-Luc Mélenchon

Fondapol | 19 août 2012

800px-Melenchon,_6ème_République_-_MG_6503En présentant sa candidature à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon s’était fixé une série d’objectifs dont aucun n’aura été atteint. Sous la bannière du Front de Gauche, il ambitionnait de fédérer la gauche du PS afin de rendre sa puissance perdue au vote communiste. Le pari semblait raisonnable puisque le hasard et les faits lui concoctaient une situation particulièrement favorable : pour la première fois depuis 1965, l’élection présidentielle allait se dérouler sur le fond d’une crise économique et financière sans précédent depuis la second guerre mondiale ; le retrait d’Arlette Laguiller et de Olivier Besancenot, qui furent les figures les plus célèbres, les plus pittoresques mais aussi les plus professionnelles de la gauche radicale, lui offrait l’avantage d’une situation de fausse concurrence avec les candidatures de Nathalie Arthaud et de Philippe Poutou ; comme une aubaine supplémentaire, le discours écologiste, volontiers orienté vers la gauche radicale et capable de mordre sur son électorat  était laissé à l’abandon par une candidate, Eva Joly, dont la passion pour le ministère de la justice a pris le pas sur celui de l’environnement. Soutenu par un Parti communiste ayant renoncé à présenter un candidat « maison », c’est donc en position de quasi monopole que Jean-Luc Mélenchon a pu aborder le premier tour de l’élection présidentielle. Il pouvait ainsi croire possible les deux autres grands objectifs qu’il s’était donné : devenir le candidat de la classe ouvrière et, suprême défi, battre Marine Le Pen en la laissant « loin derrière », et rendre le peuple à la gauche.

1. Relancer le vote communiste ?

Pour évaluer les performances de Mélenchon, il faut les comparer avec les résultats de la gauche du PS lors des élections présidentielles précédentes. Il est possible de le faire à l’aide d’une catégorie électorale que l’on nommera « gauche communiste ». Cette catégorie agrège le score des candidats qui, à la fois, revendiquent la filiation communiste et se situent à la gauche du PS. Si l’on exclut les élections de 1965 et de 1974, puisque le PCF décida alors de soutenir dès le premier tour le candidat socialiste en ne présentant aucune candidature concurrente, on obtient des résultats qui montrent le premier échec de Jean-Luc Mélenchon.

Première défaite de Jean-Luc Mélenchon :

Il ne parvient pas à relancer le vote communiste

Cumul des scores du candidat du PCF et de la gauche communiste

élections présidentielles

(% des suffrages exprimés)

1969 1981 1988 1995 2002 2007 2012
22,4________

Duclos, Krivine

17,6__________

Laguiller, Marchais

11,2__________

Laguiller,
Lajoinie,
Juquin,
Boussel

13,9__________

Laguiller,
Hue

13,8____________

Laguiller,
Besancenot,
Hue,
Gluckstein

7,6____________

Laguiller,
Besancenot,
Buffet,
Schivardi

12,8___________

Mélenchon,
Poutou,
Arthaud

Le 22 avril 2012, le score réalisé par Jean-Luc Mélenchon (11,1%) constitue donc un échec. Le candidat du Front de gauche souffre de la comparaison avec les scores les plus élevés que la gauche communiste doit à Jacques Duclos (21,3%), en 1969, ou à Georges Marchais (15,3%), en 1981. En 2012, le total « gauche communiste » (12,8%) est inférieur à la valeur médiane (13,8%) que fait apparaître la série des 7 résultats obtenus entre 1965 et 2012.

2. Laisser Marine Le Pen « loin derrière » ?

Jusqu’à l’élection présidentielle de 1981, la candidature du Parti communiste et celle de l’extrême droite n’ont pas eu la possibilité de se mesurer l’une à l’autre dans le cadre de l’élection présidentielle. Deux fois, en 1965 et en 1974, le PCF a renoncé à présenter un candidat pour faciliter la tâche de François Mitterrand. Deux fois, en 1969 et en 1981, l’extrême droite n’est pas parvenue à présenter un candidat. En revanche, depuis 1988, chaque nouveau scrutin a permis d’observer le match des populismes. Or, à partir de 1988, la concurrence entre le populisme de gauche et le populisme de droite s’est toujours soldée par la victoire de ce dernier. En 2012, Jean-Luc Mélenchon échoue comme ses prédécesseurs. Il ne réalise pas son objectif clé qui était de battre la candidate du Front national.

 

 

Deuxième défaite de Jean-Luc Mélenchon :

Il est largement battu par Marine Le Pen

(% des suffrages exprimés)


3. Rendre le peuple à la gauche ?

L’élection présidentielle de 2012 se caractérise par une propagation sans équivalent de la rhétorique populiste. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont surenchéri sans cesse, chacun se réclamant du « peuple », le premier mettant l’accent sur un « peuple social », les « classes populaires » et les « ouvriers » en particulier, la seconde insistant sur un « peuple national ». Pendant la campagne, le candidat du Front de gauche vilipendait les sondeurs et les politologues qui pointaient ses difficultés auprès de la classe ouvrière en particulier et des classes populaires en général. Pourtant, indubitablement, au soir du 22 avril, c’est bien Marine Le Pen qui remporte la bataille du vote populaire. Haut la main.

La vérification par l’analyse de la composition sociodémographique de chacun des deux électorats est éloquente. Tous les indicateurs marquant l’appartenance au monde des classes populaires mettent en lumière la domination de Marine Le Pen, fournissant en même temps les clés d’explication de son bon score historique.

Troisième défaite de Jean-Luc Mélenchon :

Les classes populaires préfèrent le populisme de droite

En 1981, Georges Marchais, le premier Secrétaire du PCF, parvenait encore à réunir sur son nom une part significative des suffrages (15,3%) dans un contexte pourtant marqué par l’effacement du communisme de l’horizon historique. Mais il faut rappeler que « le Parti » n’était pas encore concurrencé par un populisme de droite. Jean-Marie Le Pen n’avait pas alors obtenu les signatures nécessaires à la présentation de sa candidature. Sept ans plus tard, lors de l’élection présidentielle de 1988, le nouveau décor se met en place. Jean-Marie Le Pen, candidat du Front national écrase (14,4%) le candidat du PCF, André Lajoinie (6,8%). Le vote communiste n’est plus en mesure de rivaliser avec le vote frontiste. L’addition du vote Juquin, candidat communiste dissident (2%) et du vote trotskiste représenté par Laguiller (2,3%) et Boussel (0,4%) donne un résultat (11,2%) qui ne permet pas davantage d’égaler le premier score significatif de Jean-Marie Le Pen. Depuis, chaque élection présidentielle se termine par le même constat.

La préférence pour Marine Le Pen tient à l’importance du thème de la fermeture[1]

 

Les classes populaires sont désormais perdues pour les populistes de gauche. Jean-Luc Mélenchon a su parler éloquemment des ouvriers mais il n’a pas été capable de parler aux ouvriers.

Dominée par l’hostilité à la globalisation, la campagne du 1er tour a favorisé Marine Le Pen  au détriment de Jean-Luc Mélenchon[2]

La préférence des classes populaires pour le populisme de droite s’explique par le rôle que jouent désormais le rejet de l’Europe et le refus de la globalisation. En témoignent encore l’hostilité à l’immigration ou l’importance accordée au thème de la lutte contre la délinquance.

Ces résultats paraissent confirmer les thèses présentées dans mon récent livre sur les populismes, en particulier dans les pages concacrées au « problème de Mélenchon »[3]). Prise dans le vieillissement démographique, la crise économique, les exigences de la globalisation et l’épuisement financier de l’Etat providence, l’Europe s’abandonne au populisme de droite. Plus encore, ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux. Dès lors, un populisme sans nationalisme est d’autant plus sûrement voué à l’échec qu’il doit affronter la concurrence d’un populisme xénophobe. Lors du premier tour de l’élection présidentielle française de 2012, la triple défaite de Jean-Luc Mélenchon fournit ainsi la plus récente illustration d’une tendance européenne de fond, en attendant l’Autriche, dans quelques mois.

Dominique Reynié est Professeur à Sciences Po et Directeur général de la Fondapol

credit photo: Pierre-Selim


[1] Ifop : « sondage jour de vote » pour le compte d’Europe n°1, de Paris Match et de Public Sénat. Enquête menée auprès d’un échantillon de 3509 représentatif de la population âgée de 18 ans et plus, inscrite sur les listes électorales. La représentativité a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne (CAWI-Computer Assisted Web Interviewing).

[2] Ibid.

[3] Populismes : la pente fatale, Plon, 2011, cf. notamment pages 226-229.

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