Les vignes de Pétain
06 mars 2013
Les vignes de Pétain
Jean Vigreux, Le clos du Maréchal Pétain, Presses Universitaires de France, 2012, 162 pages, 17 €
Professeur d’Histoire contemporaine à l’université de Bourgogne, Jean Vigreux est l’auteur d’ouvrages sur la Résistance et la ruralité[1]. Il vient de publier Le clos du maréchal Pétain, un livre bien documenté sur l’histoire d’un cadeau fait à Pétain. En 1942, la ville de Beaune offrait un clos de vigne au Maréchal. Inscrivant cette histoire locale dans une perspective plus large, l’ouvrage évite l’écueil du sujet de thèse surdétaillé pour nous faire découvrir la complexité de la vie sous l’Occupation. L’historien a eu la chance de pouvoir s’appuyer sur les mémoires de l’ancien maire de Beaune[2], Roger Duchet, ainsi que sur un livre rédigé par l’édile lui-même en 1975, La République épinglée.
Une offrande au Maréchal
En zone occupée, la municipalité de Beaune accepte assez vite de jouer le jeu de la « Révolution nationale »[3] voulue par le Maréchal Pétain. En 1942, elle offre au chef de l’Etat un clos de vigne, l’un des innombrables cadeaux qui lui furent offerts à cette période.
L’image du « maréchal paysan » : une philosophie agrariste au service du régime
Si la vigne est le symbole de l’activité économique de ce terroir bourguignon, elle est aussi révélatrice du volet agrarien de l’idéologie de Vichy, souligné par Christian Faure. Valorisation de la cuisine régionale, du travail « bien fait », des usages immémoriaux, de la Province par rapport à la capitale, de l’Artisanat… Tous ces éléments sont autant de ressorts d’un projet global, le Maréchal se proposant de « régénérer » la France défaite, en s’appuyant sur la « vertu du sol ».
Entre pression administrative et féodalité
La portion de terrain est rebaptisée « Clos du maréchal Pétain » en accord avec l’Etat, le pouvoir local « répondant avec une allégeance totale aux sollicitations préfectorales », d’après Jean Vigreux. Loin d’y voir une simple preuve de servitude, l’auteur souligne que le tribut est revendiqué, évoquant des liens de type vassalique : il paraît naturel qu’en Bourgogne comme ailleurs, on offre au Chef de l’Etat des produits précieux. En juin 1942, la plupart des grandes maisons beaunoises font d’ailleurs parvenir au Maréchal plusieurs bouteilles de leurs meilleurs crus.
Un lieu de propagande
Un an plus tard, en 1943, la cérémonie du bornage du clos est l’occasion pour les autorités de mobiliser la population à travers une mise en scène bien orchestrée, destinée à valoriser l’apprentissage et le travail manuel de la jeunesse. Etiquettes ornées de la francisque collées sur les bouteilles, déclarations officielles exaltant le régime, la propagande est permanente autour des vignes. Pendant toute la période où le clos appartint au Maréchal, ce dernier reçut en moyenne une caisse de trente bouteilles par mois.
Des élites opportunistes, une population partagée
Si l’initiative de ce don peut surprendre, c’est qu’elle émane d’un monde particulier : celui des élites locales. Ce sont les fonctionnaires de Vichy qui, d’un commun accord avec les notables locaux, prennent ainsi la décision de détacher ce clos du domaine des Hospices de Beaune.
Les réactions au sein de la population sont diverses : si les vendanges de 1943 sont bien suivies – peut-être parce qu’elles furent largement relayées par la presse, les actes de révolte sont aussi courants dans la région. Plusieurs lettres avec des timbres à l’effigie du maréchal collés à l’envers sont postées cette même année.
Mais le réseau de notables veille : pensé comme « bras local » du régime de Vichy, il s’inscrit dans la typologie élaborée par Pascal Plas[4], qui souligne le rôle des membres des sociétés d’agriculture, des chambres d’agriculture, des caisses du Crédit agricole et des assurances mutuelles, ainsi que des syndicalistes.
Le pire et le meilleur
Cependant, loin d’offrir une vision manichéenne de la situation, l’historien souligne la complexité des rapports humains et politiques durant cette période : gestes d’obéissance à Vichy pour certains, immobilisme ou résistance pour d’autres. Il rappelle par exemple que les employés des Hospices ont caché plusieurs soldats recherchés par les troupes allemandes.
Refoulement à la Libération
A la Libération, l’épisode du clos du Maréchal est vite occulté, ce que l’historien attribue au refoulement national qui est propre à cette période. Lorsque Beaune est libérée, le 8 septembre 1944, le Conseil municipal issu de la Libération rebaptise simplement « l’avenue du Maréchal » en « avenue du 8 septembre ».
L’édile vite pardonné
Le maire maréchaliste, Roger Duchet, est dans un premier temps remplacé par Louis Lozerand, conformément à la circulaire spéciale du Ministère de l’Intérieur aux commissaires de la République. Ce document exigeait que soient congédiés des Conseils municipaux et des délégations spéciales « tous les hommes compromis par leur collaboration avec l’ennemi, par leur adhésion active au régime de Vichy ou par des habitudes ou des activités antinationales »[5]. Pourtant, malgré ce bref exil, Duchet retrouvera rapidement sa place de premier magistrat beaunois.
Le clos proposé en cadeau à … De Gaulle
Cette ambigüité se retrouve dans le sort réservé au clos : à l’été 1945, le clos perd son bornage, ses grilles et son nom, mais les éléments constitutifs de ces derniers ne sont pas détruits. Le 31 juillet 1946, il redevient propriété des Hospices, qui sont dédommagés. Une décision qui « montre bien la réussite des notables locaux dans leur entreprise de disculpation », souligne Jean Vigreux. Quelques mois auparavant, les notables de la ville avaient d’ailleurs proposé de faire don de ce clos … au général De Gaulle ! Cette proposition n’avait pas été suivie d’effet, mais « elle invite à penser les ressorts du rapport à l’autorité, mais aussi de l’opportunisme permanent ».
Un livre documenté au service d’une vision incarnée de l’Histoire
En définitive, Jean Vigreux a su rendre vivante cette anecdote du clos même pour les néophytes en matière d’Histoire locale. Il réussit l’exploit d’offrir une véritable analyse originale de l’épisode traité au lieu de s’en tenir à la description des faits, sans pour autant tomber dans la condamnation facile ou la caricature.
Deux bémols cependant : le caractère un peu répétitif de certains passages, et la réduction de l’exaltation de la terre par Vichy à un simple message de propagande. On ne peut s’empêcher de penser que, pour rencontrer un tel succès, le message agrarien devait bien faire écho à des aspirations réelles dans la population française de l’époque.
Marie-Eva Bernard
Crédit photo : Flickr, flow-to-graff
[1] La Faucille après le marteau. Le Communisme aux champs dans l’entre-deux-guerres, Presses universitaires de Franche-Comté, 2012
[2] Les archives de Roger Duchet sont conservés aux archives municipales de la sous-préfecture de Côte-d’Or.
[3] Idéologie officielle du régime de Vichy, dont le but était de refonder complètement la Société et l’Etat français
[4] Pascal Plas « Elites et édiles : le poids des réseaux » dans Gilles Le Béguec, Denis Peschanski (dir) Les élites locales dans la tourmente
[5] Claude Guyot, Historique du comité départemental de la Libération de la Côte-d’Or, 1962
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