L’impact des réseaux sociaux sur la campagne présidentielle argentine : le cas de Javier Milei
Alexandre Agache | 23 octobre 2023
Aperçu du compte Instagram de Javier Milei
« Resultados en vivo: cómo fueron las elecciones 2023 en la Argentina », La Nación, 23 octobre 2023.
Voir le site de la chambre des députés : www.hcdn.gob.ar/diputados/jmilei.
Pedro Lacour, « Quién es y quépiensa el estrategacomunicacional que sueña con convertir a Milei en el “Bolsonaroargentino” », La Nación, 31 août 2023.
Augusto Taglioni, « Quién es Fernando Cerimedo, el cerebro digital de Milei que trabajó con Bolsonaro y Kast », La Política Online, 30 août 2023.
Législateur de la ville autonome de Buenos Aires depuis 2021 et candidat pour devenir chef de gouvernement de la ville de Buenos Aires. Voir le site de la législature de la ville autonome de Buenos Aires : www.legislatura.gob.ar/legislador/marraramiro.
Javier Milei, Instagram [@javiermilei]
Javier Milei [@javiermilei], 4 octobre 2023, [Photo] https://www.instagram.com/p/Cx-t4T5Ahps/
Javier Milei, Instagram [@javiermilei],26 septembre 2023,« Muchas gracias San Martín…!!! » LA LIBERTAD AVANZA. VIVA LA LIBERTAD CARAJO [https://www.instagram.com/p/CxoLarAPvA1/?img_index=1].Voir aussi la vidéo : https://www.instagram.com/p/Cxp6u3bg9Ks/
Javier Milei [@javiermilei], 28 septembre 2023. « GRANDIOSO@gaturro…!!! », VIVA LA LIBERTAD CARAJO [https://www.instagram.com/p/CxvGgoLADY3/].
Javier Milei[@javiermilei], 18 septembre 2023, « SORTEO DE LA DIETA N° 21 », VIVA LA LIBERTAD CARAJO [Vidéo] https://www.instagram.com/p/CxVyZeiAtrn/
Javier Milei[@javiermilei], 1 octobre 2023, « TE AMO@soyfatimaflorez…!!! « , VIVA LA LIBERTAD CARAJO [Vidéo] https://www.instagram.com/p/Cx3ggYZgKMs/
Javier Milei [@javiermilei], 2 octobre 2023, VIVA LA LIBERTAD CARAJO [Photo]https://www.instagram.com/p/Cx4f351gqH_/
TikTok, El Peluca Milei [@elpelucamilei].
Maia Jastreblansky « Milei viral. Asífunciona la tropa de jóvenes en tiktok y youtube que juntaronmillones de votos para la ola violeta », La Nación, 26 août 2023.
Delfina Celichini, conversation personnelle, 5 octobre 2023.
Nombre d’abonnés le 10 octobre 2023.
Source : Banque mondiale, 2021.
Federico Galligani, « Ramiro Marra comenzó con recorridas de campaña y se posicionacomo el candidato a jefe de Gobierno de Javier Milei », Infobae, 4 juin 2023.
Pedro Lacour, conversation personnelle, 11 octobre 2023.
Dominique Reynié, Le Dessous des Cartes – ARTE, 15 septembre 2023, « La démocratie : un modèle en péril – Une Leçon de géopolitique du Dessous des cartes ».
Wallard, H. « L’essor des populismes: Origines et particularités des mouvements populistes : leur succès politique », Futuribles, 426, 55-74, 2018 (https://doi.org/10.3917/futur.426.0055).
Le 22 octobre 2023, le candidat d’extrême droite Javier Milei est arrivé deuxième derrière Sergio Massa lors du premier tour de l’élection présidentielle argentine, en obtenant 30,8% des suffrages exprimés1. Il accède ainsi au second tour de l’élection présidentielle, qui aura lieu le 19 novembre 2023. Apparu sur les plateaux de télévisions en 2014, l’économiste a connu une médiatisation rapide, notamment grâce à ses sorties polémiques. Élu député de la Nation argentine en 20212, Javier Milei fonde la même année le parti libertarien La Libertad Avanza. Ses positions antisystème et anti-élites le distinguent du reste de l’échiquier politique argentin. Elles rencontrent un écho important auprès de la population. Dans un contexte économique général difficile, l’Argentine fait en effet face à une situation économique catastrophique, qui favorise et donne de la crédibilité aux discours antipolitiques et anti-élites, estime Olivier Dabène, Président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC). Les réseaux sociaux constituent un formidable relais des discours portés par le candidat Milei. Ce dernier y est en effet très suivi, bien que la gestion de ses comptes sur ces réseaux est caractérisée par son caractère anarchique et désorganisé.
Bien que Milei ait su s’entourer malgré tout de quelques conseillers en communication, parmi lesquels Fernando Cerimedo3, spécialiste en marketing et ancien conseiller politique de Jair Bolsonaro lors des campagnes de 2018 et de 20224, il n’est pas épaulé par une équipe de communication structurée, organisée et chargée de gérer sa campagne. Edouardo Del Piano, directeur de campagne de Ramiro Marra5, figure incontournable du parti libertarien, relève en ce sens que l’on ne retrouve aucun organigramme, aucun rôle précis ou fonction dédiée affectée à la communication dans la campagne de Milei. Cette organisation le distingue des autres candidats à l’élection présidentielle. À titre d’exemple, Sergio Massa, le candidat du parti présidentiel, comme Patricia Bullrich, la candidate du parti de la droite classique Juntopor el cambio, sont entourés d’équipes de communication compétentes et dotées de moyens financiers importants. Ainsi, le compte de Sergio Massa est alimenté de vidéos de ses interventions particulièrement travaillées, sous-titrées, cadrées et accompagnées de fonds musicaux. Patricia Bullrich publie également des vidéos de campagne élaborées ainsi que des extraits de ses différentes interventions lors de débats. Les stratégies de communication de ces deux candidats relèvent ainsi de méthodes soignées propres à la communication politique professionnelle.
À l’inverse, la page Instagram de Milei6 ne laisse aucun doute quant à l’absence de structure cohérente dans l’organisation de ses différentes publications. Son profil est ainsi rythmé par des captures d’écran de tweets7, de quelques vidéos du candidat pendant sa campagne8, ou encore par l’image d’un oiseau déclarant « Apurate Milei » (« Dépêchez-vous Milei », en référence à la dévaluation du pesos argentin). On y retrouve également des posts dénigrant l’actuelle vice-présidente de la Nation argentine Cristina Fernández de Kirchner9, une vidéo en plan rapprochée du candidat chantant à tue-tête10, une vidéo de sa propre télévision11 ou encore des résultats de sondages administrés sur Instagram avant le premier tour de l’élection présidentielle, qui demandent aux utilisateurs de désigner le candidat qui aurait remporté le premier débat présidentiel12. Son compte X (anciennement Twitter) s’inscrit dans la même logique d’apparente improvisation13.
À cela vient s’ajouter, depuis le début de sa médiatisation en 2014, un nombre grandissant de soutiens au candidat Milei sur les réseaux sociaux. Ainsi, en 202114, la création d’un compte fan du populiste nommé El Peluca Milei, par un adolescent admirateur, joue-t-il un rôle majeur dans l’omniprésence numérique du candidat. Les passages les plus polémiques, diffusés sur Youtube puis sur Tiktok, rencontrent beaucoup de succès auprès des Argentins. Les vidéos obéissent à un modèle bien précis, valorisé par les algorithmes du web et connu des influenceurs : plans rapprochés, sous-titres en gras, typographie jaune tape à l’œil, bande son entraînante… Ce modèle a permis à Javier Milei d’être connu même dans les lieux les plus reculés d’Argentine15, et lui a permis d’ « infiltrer la société à travers les réseaux sociaux et les jeunes »16, souligne Delfina Celichini, journaliste à La Nación. La diffusion de ses sorties médiatiques les plus polémiques parviennent à fédérer autour de sa personne une importante communauté d’abonnés : 2,3 millions sur TikTok, 701 000 sur Instagram, 988 000 sur YouTube17. Ces chiffres sont d’autant plus impressionnants que l’Argentine compte 46 millions d’habitants18. De même, des influenceurs professionnels de la communication sur les réseaux sociaux, ont également rejoint le candidat d’extrême droite. Certains ont fait le choix de s’engager sous la bannière de La Libertad Avanza, comme Ramiro Marra, ancien youtubeur traitant des questions de finance, aujourd’hui candidat au mandat de chef du gouvernement de Buenos Aires19.
En dépit de cet apparent chaos médiatique, la mise en avant de la figure d’un candidat dépourvu d’équipe de communication relève en réalité d’une logique précise, pensée par ses plus proches conseillers. S’ils mettent en avant la spontanéité du candidat et rejettent les tactiques électorales des autres candidats, sa campagne antisystème n’y échappe pourtant pas. Le journaliste Pedro Lacour, chargé de suivre sa campagne pour le quotidien La Nación, souligne ainsi le rôle central de Fernando Cerimedo, l’ancien conseiller des campagnes de Jair Bolsonaro, dans la constitution de cette stratégie d’apparente spontanéité : « Il est au cœur de la campagne de Milei, mais ils ne veulent pas pleinement le reconnaître. Cerimedo n’est pas un simple membre de la structure libertarienne, bien que son équipe le décrive comme « un consultant externe en communication numérique travaillant sur la campagne »20 ».
Le rôle majeur joué par les réseaux sociaux lors de la campagne électorale est un phénomène que l’Argentine partage avec d’autres pays du continent américain. Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil ont également tiré parti des réseaux sociaux pour mieux gagner les élections auxquelles ils se présentaient21. Leur hyper présence sur l’ensemble de ces plateformes numériques leur a permis de mobiliser électeurs et militants, de propager des fausses informations et de discréditer leurs rivaux. Si chaque candidat populiste s’appuie sur un réseau social de prédilection (WhatsApp pour Bolsonaro, Twitter pour Trump, TikTok et Instagram pour Milei), la stratégie d’une communication directe et d’apparence spontanée est la même. D’après Henri Wallard, directeur général délégué d’Ipsos, « les outils de communication et d’interaction numériques jouent un rôle majeur dans la conquête d’influence. Dès lors que l’entrepreneur politique construit sa relation avec un peuple de manière directe, sans intermédiaire, […] le rôle d’une communication directe, personnelle et instantanée devient en effet central »22. Le pari est réussi pour Milei, qui a su tirer profit de la relation de proximité établie avec ses électeurs par le biais des réseaux sociaux.
Cependant, comme le rappelle Olivier Dabène: « on peut gagner des élections avec les réseaux sociaux. On ne va pas gouverner avec les réseaux sociaux. » Si Javier Milei est élu après le second tour, ses soutiens numériques ne seront pas suffisants pour lui assurer un mandat stable.
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