Machiavel juge de nos Princes : du bon usage des promesses et du danger du mensonge en politique

Christophe de Voogd | 06 octobre 2014

4770024260_4e83c125cd_bMachiavel juge de nos Princes : du bon usage des promesses et du danger du mensonge en politique

Par @ChristopheDeVoogd

« Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps, néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient la loyauté pour base de toute leur conduite »

Hélas, nous sommes encore plus loin de la chevalerie d’honneur que Machiavel, qui dans ce célèbre chapitre 18 du Prince, en diagnostiquait déjà la fin ! La fidélité à ses engagements n’est pas une vertu politique : le dicton ne veut-il pas que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » ? Pourquoi, au demeurant, ajoute Machiavel, respecter des promesses à l’égard d’hommes qui sont toujours prêts à trahir les leurs?

De là à faire l’apologie du cynisme en politique, à prôner une démagogie sans frein car sans conséquence, voire la pratique du mensonge systématique, il n’y a qu’un pas… que ne franchit justement pas Machiavel ! Et qui distingue une interprétation machiavélique de son œuvre, aussi répandue que paresseuse, d’une lecture véritablement machiavélienne.

Car si la trahison de ses engagements est bien l’apanage du prince avisé, c’est à trois conditions impératives, nous précise-t-il :

La première est que l’accomplissement de la promesse serait « nuisible » au prince et contredirait donc son objectif central : se maintenir au pouvoir. La seconde est que « les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus ». On reconnaît là la constante théorie des circonstances au cœur de l’ouvrage. D’où la célèbre figure du renard (la ruse) couplée au lion (la force) qui constitue, dans ce même chapitre, la double figure du Prince

Mais la troisième condition est tout aussi déterminante : le prince peut trahir ses engagements mais («  ce qui est absolument nécessaire », insiste Machiavel) à condition de « bien déguiser cette nature de renard et de posséder parfaitement l’art de simuler et de dissimuler ». Car la politique est un vaste théâtre où les bons acteurs sont toujours appréciés. Et le besoin de croire est si fort en l’homme qu’ « un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper » !

Sans doute l’on retrouve ici l’anthropologie très pessimiste de Machiavel, joyeuse nature pourtant, mais traumatisé par les trahisons et les tortures de Florence. Il ne va pas pour autant jusque dire que l’on peut tromper tout le monde tout le temps…

A fortiori, si l’on croit avec le regretté Raymond Boudon, qu’il existe une « compétence morale du peuple », le manquement à la parole donnée et le jeu de simulation/dissimulation rencontrent des limites.

Quelles sont-elles ?

Le non-respect des promesses électorales ? Seulement de façon marginale. Les vieux peuples démocratiques sont habitués a été déçus et comprennent, bon gré mal gré, que les circonstances peuvent changer la donne. En ont-ils vraiment voulu à François Mitterrand de n’avoir pas « changé la vie » ? A Jacques Chirac de n’avoir pas réduit « la fracture sociale » ? La réélection des deux hommes montre qu’il n’y pas là, aux yeux de l’opinion, de risque insurmontable pour le Prince. Surtout s’il a la prudence de masquer la rupture de l’engagement en ne la reconnaissant pas : jamais ni François Mitterrand, ni Jacques Chirac n’ont officiellement enterré leur programme et reconnu un « changement de cap ».e

Alors la non-réalisation d’objectifs chiffrés et datés par le Prince lui-même ? Ici, la question est plus délicate. Dire que la « crise de l’euro est derrière nous » (Nicolas Sarkozy), ou pire encore que « l’inversion de la courbe du chômage se produira avant la fin de l’année » (François Hollande), c’est prendre un risque réel car la vérité de tels engagements peut être aisément démentie et la confiance sérieusement ébranlée. Plus le délai sera court et plus le risque sera grand, car l’oubli, il est vrai de plus en plus rapide en nos temps médiatiques, doit faire son œuvre. Faute de quoi le Prince perdra le soutien de la majorité silencieuse, même s’il peut encore garder celui de ses partisans : cas de figure de Nicolas Sarkozy, qui n’est jamais descendu sous l’étiage des sympathisants UMP, mais a perdu en 2012.

Mais bien plus dangereux, pour ne pas dire mortifère est la déformation de, pour ne pas dire le mensonge sur, une réalité constatable par tous : ainsi lorsqu’un ministre du Budget jure devant l’Assemblée, les « yeux dans les yeux » ne pas avoir de compte en Suisse et se voit très vite confondu ; ainsi lorsqu’un ministre du Travail déclare que l’inversion de la courbe du chômage s’est bien produite à la fin 2013 contre l’évidence des chiffres ; ainsi lorsqu’une Ministre de la Justice jure ne connaître ni les dates ni le contenu des écoutes diligentées contre un ancien président, en brandissant devant la presse (pour preuve de sa bonne foi !) un compte-rendu… desdites écoutes ! Enfin lorsque le Président lui-même annonce que « la reprise est là » alors que la croissance reste quasi nulle depuis son élection.

Il pourrait bien être possible, à regarder le détail des sondages, que l’effondrement sans précédent de la popularité de François Hollande tienne finalement à « l’ombre d’un doute » qui plane de plus en plus, non seulement sur ses résultats mais sur sa sincérité : thème sur lequel il récolte des notes abyssales (seuls 21% des Français désormais le croient « sincère »), alors qu’il y avait là un point fort de son image en 2012.

Nicolas Sarkozy; en politique instinctif qu’il est (le renard de Machiavel !), a bien senti la puissance dévastatrice de ce thème du « mensonge » qu’il a été le premier, dans le scepticisme général, a évoqué dès le débat de second tour en 2012.

Depuis son retour en politique il en fait un argument force sur tous les sujets, de la fiscalité à la GPA; et affirme sans cesse son propre ethos comme celui qui n’a « jamais trahi, jamais menti ». Nul doute que le gouvernement actuel sera fort dépourvu lorsque la bise du « mensonge » sera venue. C’est à dire lorsqu’elle prendra véritablement dans l’opinion. Mais l’arme est aussi redoutable pour celui qui la manie : car s’il se voyait pris lui-même en flagrant délit de mensonge, l’effet boomerang serait dévastateur…

Crédit photo : David Biesack

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