Primaire de la droite : la course à l’ « homme-peuple » ?

Omar Ben Abderahmen | 31 octobre 2016

photo peuplePar Omar Ben Abderahmen, Délégué Les Républicains de la 2ème circonscription de Haute-Loire

Dans son ouvrage Le Bon Gouvernement, l’historien Pierre Rosanvallon conceptualise la notion d’ « homme-peuple », idée selon laquelle un homme pourrait parvenir à représenter et incarner en son seul-être l’intégralité d’un peuple sur lequel il s’appuie pour mener sa politique (ce qui peut faire aisément penser au césarisme démocratique). Il prend l’exemple du Second Empire et argue que Napoléon III était un modèle d’homme-peuple : il disposait de la plupart des pouvoirs exécutif et législatif et entendait représenter tous les Français. Lui-même disait d’ailleurs dans ses Idées napoléoniennes que « la nature de la démocratie est de se personnifier dans un homme ».

Aujourd’hui, cette notion, est plus que jamais actuelle– et il semble intéressant de s’épancher quelque peu sur sa pertinence dans la période actuelle, notamment à la veille des primaires de la droite et du centre.

Si le système politique contemporain n’est pas comparable avec le Second Empire, la notion de « peuple » est la base de la Vème République (« la souveraineté nationale appartient au peuple […] » article 3 de la Constitution). Très logiquement, et favorisée par l’élection du Président au suffrage universel direct, l’idée de peuple est au cœur des stratégies électorales des différents candidats. Deux façons de placer cette notion au cœur des différents discours se dégagent : celle de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, et celle de son concurrent, l’ancien Premier ministre Alain Juppé.

Le peuple, un moyen ou une fin en soi ?

Pour le premier, la stratégie du peuple est clairement identifiée. Au fond le programme politique de Nicolas Sarkozy reviendrait presque à revenir à la lettre à la définition de la démocratie telle qu’Abraham Lincoln l’avait résumée à travers sa célèbre formule : « le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». Aussi, Nicolas Sarkozy ne cesse de pointer du doigt les « bobos parisiens », jusqu’à donner l’illusion qu’il y a deux peuples au sein d’une même société : ceux qui seraient éloignés de toute réalité et qui vivraient dans un monde dont les limites géographiques seraient les arrondissements aisés de la capitale, et ceux qui vivraient la vraie réalité du terrain et dont la vie est bien plus difficile . L’ancien Président se veut clairement en porte-parole de cette « majorité silencieuse », de la même façon qu’il souhaitait l’être en 2007 ou en 2012, avec les résultats que l’on connait.

Pour le maire de Bordeaux, même si la stratégie est différente, l’idée du peuple n’est pas éloignée non plus. En effet, le slogan du candidat Juppé est la formule suivante : « apaiser, rassembler, réformer ». Apaiser qui ? Rassembler qui ? Et réformer pour qui ? Quand un candidat place le rassemblement comme l’une de ses premières missions, c’est bien qu’il pense que le peuple doit être le moteur de son action. Si le ton n’est pas le même, le fond est semblable. La base des désaccords entre les deux candidats, qui semblent être les mieux placés pour remporter cette élection, est ailleurs : alors que Nicolas Sarkozy considère que le rassemblement du peuple passera par une adaptation des élites et des corps intermédiaires à la base de la population qui « vit dans le vrai », Alain Juppé pense lui qu’il est possible de rassembler les différentes composantes de la société française en apaisant les tensions.

Cette dimension se retrouve parfaitement dans le type de gouvernance envisagé par les deux concurrents. Alain Juppé envisage de frapper vite et fort en utilisant les ordonnances (comme Jean-François Copé). De son côté, Nicolas Sarkozy souhaite demander aux Français de trancher sur un certain nombre de questions, juste après l’élection présentielle, à travers le référendum (Bruno Le Maire propose d’organiser à la fois 2 référendums et d’adopter 8 ordonnances). L’objectif pour les deux est le même : éviter l’opposition dans la rue, un éventuel blocage du pays, et agir vite. Mais on retrouve la différence exprimée précédemment : Juppé considère que le peuple, en lui ayant accordé sa confiance, lui aura donné son aval pour ses mesures, tandis que Sarkozy pense le recours au peuple est le moyen ultime d’approuver ses mesures.

Droite bonapartiste ou droite orléaniste ?

Au fond, et pour conclure, cette démonstration fait encore et toujours revenir à l’œuvre immense et fondatrice de René Rémond avec sa fameuse thèse des Droites en France. Elle permet d’encore mieux situer les deux principaux concurrents : Alain Juppé serait le représentant d’une droite orléaniste, tandis que Nicolas Sarkozy se veut lui le représentant de la droite bonapartiste (césarienne). L’enjeu de la primaire, – est peut-être d’ailleurs sûrement celui-ci : quelle droite souhaite conduire au pouvoir la majorité du peuple ?

René Rémond disait à propos de ce clivage interne : « La distinction entre les deux droites, “orléaniste” ou libérale, et “bonapartiste” ou autoritaire, est plus vive que jamais : toute l’histoire des droites sous la Ve République s’ordonne autour de leurs rapports » . Il semble que la primaire des 20 et 27 novembre n’échappe pas à ce constat, et que le principal défi pour le vainqueur sera de rassembler l’ensemble des droites françaises, condition de la victoire pour notre famille politique…

Pour aller plus loin: 

Des Idées napoléoniennes, Paris, Paulin, 1839, p. 27-28.

–  Voir le discours prononcé par l’ancien chef de l’Etat, le 9 octobre dernier au Zénith de Paris.

–  « René Rémond et ses droites françaises », entrevue avec Frédéric Fritscher et Alexis Lacroix, Le Figaro, 6 octobre 2005.

                                                                                                                                             logo-republicains-scpo

« Crédit photo: Omar Ben Abderahmen»

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