Promised Land : du gaz dans le robinet ?
08 mai 2013
Promised Land : du gaz dans le robinet ?
Gus van Sant réalise Promised Land, une fiction sur l’extraction hydraulique du gaz de schiste aux Etats Unis, un film directement inspiré du travail du jeune documentariste Josh Fox pour Gasland (2010). Ce dernier film, pamphlet très critique et non moins critiqué sur les pratiques du « fracking » aux Etats Unis, a eu un très fort retentissement médiatique, y compris en Europe. Promised Land, projet porté et co-scénarisé par la star Matt Damon qui joue lui-même le rôle principal, serait-il de la même veine que son pendant documentaire ?
Du documentaire à la fiction : une tradition américaine ?
Promised Land n’est certainement pas le premier film de fiction politique américain qui prend sa source dans un documentaire. Ainsi, l’on a vu l’enfant terrible Michael Moore réaliser Bowling for Colombine (2002), un documentaire provocateur et toujours d’actualité sur la terrible tuerie dans la Colombine High School en 1999 et la passion voire folie américaine pour les armes, avant que Gus van Sant n’adapte ces événements dans son magnifique et énigmatique Elephant (2003). La meilleure adaptation du documentaire An Inside Job (2010), analyse exhaustive et glaçante de Charles H. Ferguson des origines et des coulisses de la crise de banques de 2008, fut certainement le non moins glaçant Margin Call (2012) de J. C. Chandor, où l’on suit les événements dans une banque new-yorkaise, à la veille de la credit crunch de Wall Street. Ces deux remarquables fictions, pourtant très différentes, partagent une même absence de dimension moralisatrice et, par conséquent, l’on n’y trouve pas les artifices conventionnels du récit hollywoodien mélodramatique qui inclut notamment l’obligatoire rédemption du héros à la fin du film.
Un film placé sous de mauvais auspices
Avant la sortie en France et en dépit de son titre, les prémices pour Promised Land furent peu prometteuses. Aux Etats-Unis, le film n’a ramassé que 7,5 millions de dollars en recettes et la seule véritable controverse autour du film, bien relayée par la presse française, fut la participation financière d’Image Nation Abu Dhabi, une société de production des Émirats du Golfe, grand producteur d’hydrocarbures conventionnels et donc suspects d’esprit partisan face à une source d’énergie alternative et localisée chez leurs principaux clients…
Le récit du film paraît d’ailleurs au premier regard assez convenu : Steve (Matt Damon), représentant de la grande compagnie énergétique au nom évocateur Global, arrive avec sa collègue Sue (Frances McDormand) dans un petit village dans la campagne profonde de Pennsylvanie – également la patrie de Josh Fox – pour obtenir auprès des habitants le droit de fracturer leur sous-sol. Le village est ni plus ni moins un archétype du cinéma américain : la petite communauté rurale qui vit en quasi autarcie, où chacun a sa place et joue son rôle. On se croit presque dans l’espace idéalisé de la terre promise des « Pilgrim Fathers » et cette image paradisiaque est encore renforcée par la réalisation très soignée, voire lisse, de Gus Van Sant. Sauf que une crise est aussi passée par là. Comme dans une grande partie de l’Amérique (semi-) rurale, les usines et autres entreprises ont fermé ou délocalisé, la population est désœuvrée et appauvrie. C’est désormais à Steve et à Sue d’apporter la (nouvelle) « terre promise ». D’où la disponibilité de la plupart des habitants à signer les contrats proposés.
Mais c’est sans compter avec la résistance d’un retraité, ancien scientifique, et surtout l’apparition de Dustin, jeune écolo très jovial et très communicatif (John Krasinsky, également co-scénariste du film). Le spectateur, se souvenant des images spectaculaires du film de Josh Fox avec des robinets d’eau crachant du gaz enflammé – Promised Land s’y réfère brièvement – pensait déjà que quelque chose clochait et l’on se prépare désormais à un confrontation manichéenne entre « good guys » et « bad guys » qui n’a rien à envier à un polar moyen ou un film catastrophe où la survie de la communauté dépend du courage surhumain de quelques uns.
Mais un film classique, juste et équilibré… au départ
C’est justement ce scénario simpliste que Gus Van Sant semble pendant la plus grande partie du film vouloir éviter.
D’abord par les dialogues, intelligents, vifs, par moment très drôles et qui donnent toute leur chance aux acteurs, parmi lesquels notamment McDormand et Damon sont excellents. Ce sont d’ailleurs les personnages de Sue et de Steve – les « bad guys » – qui sont les plus complexes, les mieux dessinés, notamment à travers des éléments récurrents ou leitmotivs visuels ou narratifs (les petits chevaux dans la prairie, le rituel « You’re the owner of this place ? »). Steve n’est pas Richard III de Shakespeare ; Sue n’est pas Lady Macbeth. Promised Land joue un jeu assez subtil et émouvant d’empathie avec eux : Sue est la petite bourgeoise bourrée de bon sens qui n’oublie jamais ses propres intérêts mais qui est avant tout absorbée par le sort de son fils ; Steve est le jeune et ambitieux négociateur en apparence endurci, capable de résister au chantage minable d’un maire. C’est pourtant Steve, hanté par le doute, qui perd pied, face à l’offensive du scientifique retraité et de Dustin. Le dernier parvient non seulement à retourner la population locale mais il séduit également la jeune institutrice Alice (Rosemarie DeWitt), convoitée par Steve. L’histoire du film est la sienne, celle d’une ambition et d’une illusion brisées. Car ce garçon, lui même originaire de cet énorme espace rural qu’est l’Amérique et qui pourrait venir tout droit d’un film de Frank Capra, croit vraiment aux bienfaits de sa mission pour son pays démuni.
Un retournement mal venu
Il faut un double retournement de situation peu crédible pour que Steve réalise qu’il est lui-même aussi manipulé dans une affaire qui ne se joue décidément plus à son niveau.
Tout d’un coup et c’est son véritable point faible, Promised Land, devient ce qu’il n’a pas voulu ou n’aurait pas dû être, un véhicule terriblement formaté et conventionnel au service d’une cause. Une cause dont les arguments ne sont d’ailleurs jamais mis en doute ni même débattus. L’affrontement psychologique équilibré entre des personnages complexes laisse la place à une conclusion unilatérale, où l’on retrouve, comme il se doit, « bad guys », théorie du complot et… rédemption du héros !
C’est dire que Promised land mérite incontestablement le détour en tant que fiction et que le débat sur le gaz de schiste le mérite également, mais dans la réalité…
Harry Bos
Crédit photo : Wcn247
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