Que reste-t-il de la droite ?

08 mars 2012

Michel Winock, La droite, hier et aujourd’hui, Perrin, Paris, janvier 2012, 272 pages, 8,50€.

Au pouvoir sans discontinuité depuis dix ans, la droite est un objet politique difficile à identifier. Deux quinquennats, dix-sept ans de présidence (Chirac puis Sarkozy) rendent paradoxalement ce camp politique moins facile à définir en raison de la différence des personnalités et des contextes. Il n’est qu’à entendre les différentes caricatures en vogue, qui associent tour à tour le « sarkozysme », à une « marche consulaire » [1], à un « lepénisme light » ou encore à un « ultralibéralisme » brutal. C’est à une salutaire remise en perspective historique que nous invite Michel Winock dans ce livre qui est le pendant d’un travail qu’il avait précédemment accompli sur la gauche dans la même collection [2].

Les « trois droites » de René Rémond

L’ouvrage suit un déroulement chronologique organisé en dix chapitres, de l’origine du terme de droite (ceux qui se placent à droite de l’hémicycle de l’assemblée au moment de voter la nature du veto du roi pendant la Révolution) [3], à l’évolution de la droite sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Jugeant que la typologie de René Rémond est la plus pertinente, Michel Winock choisit pour point de départ la célèbre partition entre droite légitimiste, droite orléaniste et droite bonapartiste [4]. Si la droite s’inscrit dans un système binaire droite/gauche caractéristique de la vie politique française, il existe dans ce camp politique trois familles de pensée dont chacune est le fruit d’une histoire. Avec une continuité singulière, elles ont traversé régimes et mandatures jusqu’à aujourd’hui.

Le dernier-né de la famille des droites

S’il s’en inspire largement, Michel Winock introduit une nouveauté dans la typologie de René Rémond, en distinguant une quatrième droite. Un des grands apports de l’ouvrage est en effet de revenir de manière synthétique sur l’histoire de la droite « nationale fermée » ou droite « radicale », qui se distingue par la pratique d’un nationalisme d’exclusion. On la voit apparaître dans les années 1880 avec l’épisode boulangiste et se poursuivre jusqu’au Front national, en passant par l’« affaire Dreyfus » et le poujadisme. La quatrième droite se veut proche du peuple (Pierre-André Taguieff utilise le qualificatif de « national-populiste »), anti-immigrés, xénophobe et présente l’appel au chef comme un recours. Cette nouvelle catégorie permet d’affiner l’analyse de René Rémond et de mieux comprendre les phénomènes complexes à l’œuvre derrière les termes de « populisme » ou d’« extrême-droite ».

Les droites sous Sarkozy

En dernier ressort, l’auteur propose une analyse critique des fondements idéologiques du sarkozysme. Un peu rapidement, celui-ci a été associé au bonapartisme, comme en témoigneraient son projet actuel d’utilisation du référendum et sa méfiance affichée à l’encontre des corps intermédiaires. Pour autant, on retrouve d’autres inspirations dans l’action et le discours du président-candidat, du libéralisme confiant dans l’initiative individuelle à des positions plus conservatrices en matière sociétale.

Michel Winock considère ainsi que le Président est parvenu à opérer une synthèse des différentes familles de pensée de son camp politique. Il met en évidence la diversité idéologique de la droite sarkozyste, le propre de l’action présidentielle étant justement de brouiller les appartenances dans une rupture constante.

Droite melting-pot

On assisterait ainsi sous la présidence Sarkozy à l’émergence d’une nouvelle forme de droite qui constitue un véritable melting-pot. Si l’on peut en interroger la cohérence, l’auteur se contente d’y voir une nouvelle forme de rapport à la droite et à son histoire, fondé sur les circonstances et non plus sur les références du passé. Cette souplesse idéologique reflète la nouvelle configuration politique générale, telle quelle se fait jour depuis maintenant une vingtaine d’années [5].

En définitive, Michel Winock propose un ouvrage clair, maniable dont on déplorera toutefois l’absence de bibliographie. Cette lacune ne diminue en aucun cas les mérites du livre qui s’avère un adjuvant indispensable à la compréhension de la vie politique française, a fortiori en période électorale.

Jean Senié


[1] DUHAMMEL Alain, La marche consulaire, Paris, Plon, 2009 ; idée reprise par ROUSSEAU Dominique, Le consulat Sarkozy, Paris, Odile Jacob, 2012.

[2] WINOCK Michel, La Gauche en France, Paris, Perrin, « Tempus », 2006. ; voir aussi, WINOCK Michel et NIKEL Séverine, La gauche au pouvoir : L’héritage du Front populaire, Paris, Bayard, « Essais », 2006.

[3]GAUCHET Marcel,   La Droite et la Gauche », dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, III, Les France, 1. Conflits et partages, Gallimard, Paris, 1992.

[4] WINOCK Michel, La droite. Hier et Aujourd’hui, Paris, Perrin, « tempus », 2012, p. 25-74.

[5] HARTOG François, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2002.

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