Qui est Charles Maurras ?

20 février 2014

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Olivier Dard, Charles Mauras, Armand Colin, octobre 2013, 352p, 25€

Le livre d’Olivier Dard, sobrement intitulé Charles Maurras[1], constitue la première tentative de synthèse sur cette figure essentielle – et honnie[2] – de l‘histoire politique française. Prenant acte de l’absence de biographie récente et synthétique, l’auteur écrit un ouvrage important, au fait de tous les renouvellements historiographiques qu’a connus le sujet.

Une biographie réussie

Le livre d’Olivier Dard s’inscrit dans le renouveau des études consacrées à Maurras (né le 20 avril 1868 à Martigues et mort le 16 novembre 1952 à Saint-Symphorien-lès-Tours) et au maurrassisme[3]. Il rend compte, selon un découpage chronologique, de la vie de celui qui fut tout à la fois poète, écrivain, chroniqueur, journaliste politique et maître à penser de toute une génération d’intellectuels[4].

Il retrace les principaux moments de la vie du Martégal de façon vivante, en s’appuyant notamment sur sa correspondance avec l’abbé Penon[5]. Cette dernière s’avère être un outil de premier importance pour pénétrer l’intimité et la pensée de Charles Maurras. Il faut rappeler, à ce propos, qu’une surdité précoce[6] a contribué à renforcer chez lui une appétence pour l’écrit et pour les mots.

On pourra toutefois déplorer l’absence d’ « effets de réel » dans cette biographie. Olivier Dard, à juste titre, part du principe que les anecdotes concernant Maurras, pour intéressantes qu’elles soient, n’apportent que peu d’éléments à la compréhension de la pensée et du parcours de l’homme politique. En revanche, il aurait été intéressant d’insérer davantage Charles Maurras dans un milieu social afin d’insister sur ses relations, les salons qu’il fréquentait mais surtout sur les aspects matériels de la vie du « maître »[7]. En un mot, le livre aurait gagné à décrire une journée de la vie de Maurras. Toutefois, deux raisons nous interdisent d’instruire de faux procès à l’historien. D’une part, il explique qu’à partir de la création de l’hebdomadaire l’Action française en 1899 (devenu quotidien en 1908) jusqu’à sa disparition en 1944, la vie de Maurras se confond avec celle du journal. D’autre part, il cherche avant tout à reconstituer la pensée de Charles Maurras et à la contextualiser[8].

Un « magistère intellectuel »

Le livre d’Olivier Dard montre avec brio que si Maurras a eu une influence, celle-ci s’est exercée sur le plan intellectuel et non sur le plan politique. Cela ne veut pas dire que Maurras n’a pas écrit des textes politiques. Au contraire, il a animé quotidiennement une rubrique de l’AF dont le titre était « La Politique ». Toutefois, il y a indéniablement un magistère du verbe qui se suffit à lui-même. C’est d’ailleurs contre cette aporie politique, c’est-à-dire le passage de la théorie à la pratique, que s’insurgent les vagues de dissidents de l’AF à partir des années 1920, de Louis Dimer[9] et Georges Valois[10] à Jean de Fabrègues[11], Robert Brasillach[12] et Lucien Rebatet[13]. L’ouvrage d’Olivier Dard insiste à juste titre sur l’écart, toujours maintenu par Maurras, entre ces deux sphères d’activités

C’est que pour le Provençal la conquête du pouvoir doit se faire par une adhésion intellectuelle à ses idées. Maurras est persuadé du caractère implacable de sa démonstration. Celle-ci doit emporter les convictions de ses adversaires. On aurait ici apprécié une formulation condensée des idées du Maurras de la maturité. Certes, une telle démarche se serait heurtée à celle d’Olivier Dard qui adopte une lecture heureusement contextualisante. Toutefois, une annexe sur le « nationalisme intégral », bien qu’artificielle, aurait facilité l’appréhension de cette notion difficile, dont l’auteur montre bien que l’élaboration se fait de manière progressive, par superposition.

Enfin, l’historien montre l’importance de l’esthétique dans la formulation du nationalisme de Charles Maurras. Ses convictions politiques viennent, en effet, en grande partie de ses conceptions esthétiques, tout du moins dans un premier temps. Il oppose le romantisme septentrional à la clarté de la langue romane. Plus qu’une conviction félibriste indéniable, c’est la certitude d’une supériorité de la langue latine, prise au sens large, sur le reste. Cette supériorité découle de sa clarté, de son ordre interne, de son harmonie. C’est une des conclusions importantes du travail d’Olivier Dard que de souligner la prégnance de l’esthétique dans l’émergence du maurrassisme. C’est un point qui permet une relecture heureuse des premières conceptualisations du jeune Maurras.

Influence de Maurras

La dernière partie du livre est consacrée à l’influence du personnage. La conclusion des développements savants de l’auteur qui propose un tour d’horizon des droites radicales depuis les cinquante dernières années est que l’influence de Maurras n’a cessée de décliner depuis les années 1960 pour devenir aujourd’hui un synonyme d’infamie. La « rôle matriciel » de la pensée de Charles Maurras est aujourd’hui négligeable. Affirmer le contraire revient à vouloir construire une figure d’épouvantail.

Or, c’est justement le grand mérite de ce livre de proposer une synthèse appelée à devenir, dans l’étude de l’histoire politique et intellectuelle de la Troisième République, une référence.

Jean Sénié



[1] Olivier Dard, Charles Maurras, Paris, Armand Colin, 2013.

[2] « NKM : Buisson voulait «faire gagner Charles Maurras», dans Libération 24 juin 2012 : « «Le principal reproche que je fais à Patrick Buisson c’est que son objectif, à mon avis, n’était pas de faire gagner Nicolas Sarkozy, il était de faire gagner Charles Maurras», a-t-elle déclaré sur Canal+. ». L’article commet par la suite une erreur cocasse lorsqu’il dit que Charles Maurras fut une « figure de l’extrême droite catholique ». Quand on connait la condamnation de l’action française par Pie XI en 1926 et les procès concernant la foi de Maurras, on mesure toute l’ignorance qui entoure ce personnage ainsi que sa capacité à agglomérer les différents opprobres.

[3] Olivier Dard, Jean-Yves Guérin et Michel Leymarie (dirs.), Maurrassisme et littérature. L’Action française. Culture, société, politique IV, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012 ; Olivier Dard, Michel Leymarie, Neil McWilliam (dirs.), Le maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture, société, politique III, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010. ; Olivier Dard, Michel Grunewald (éds.), Jacques Bainville – Profils et réceptions, Berne, Peter Lang, Collection Convergences Vol. 57, 2010 ; François Cochet, Olivier Dard, Subversion, anti-subversion, contre-subversion, Paris, Riveneuve, Collection Actes Académiques, 2010 ; Olivier Dard, Michel Grunewald (éds.), Charles Maurras – L’étranger et Charles Maurras, l’Action française – culture, politique, société, Berne, Peter Lang, Collection Convergences Vol 50, 2009 ; Michel Leymarie, Jacques Prévotat (éds.), L’Action française. Culture, société, politique. Villeneuve d’Ascq, Presses de Septentrion, 2008.

[4] Sur le concept de génération, voir Michel Winock, L’Effet de génération. Une brève histoire des intellectuels français, Éditions Thierry Marchaisse, 2011.

[5] L’auteur se fonde sur la magistrale édition de la correspondance de Charles Maurras avec l’abbé Penon, à la fois mentor, ami et interlocuteur de Maurras. Sur ce point voir, Alex Tisserand (éd.), Dieu et le roi : Correspondance entre Charles Maurras et l’abbé Penon (1883-1928), Toulouse, Privat, 2007. On citera aussi, à titre indicatif, Agnès Callu et Patricia Gillet (éds.), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres autobiographiques (1898-1952), Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 2008.

[6] Il est atteint à l’âge de quatorze ans de surdité précoce.

[7] A cet égard, il n’est pas anodin de constater que l’auteur n’utilise que très peu le fonds Charles Maurras (576 AP) des Archives nationales.

[8] Olivier Dard, Charles Maurras, Paris, Armand Colin, 2013, p. 273-274 : « Mais c’est en France que Maurras est bien un « contemporain capital » du premier XXe siècle. Sa place et son rôle dans l’histoire politique, culturelle et religieuse y sont de premier plan. Cette biographie, qui s’inscrit dans le sillage de recherches collectives récemment entreprises, montre que ce qui domine chez Maurras, est moins une influence politique direct, y compris sous Vichy, qu’une forme de magistère intellectuel. »

[9] Michela Passini, «  Louis Dimier, l’Action française et la question de l’art national », dans Olivier Dard, Michel Leymarie, Neil McWilliam (dirs.), Le maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture, société, politique III, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p. 209-218. ; Neil McWilliam, “Érudition et engagement politique. La double vie de Louis Dimier », dans Claire Barbillon, Roland Recht et Philippe Sénéchal (dirs.), Histoire de l’histoire de l’art en France au XIXe siècle. Actes du colloque international, Paris, INHA et Collège de France, 2-5 juin 2004, Paris, La Documentation française, 2008, p. 403-417. ; Neil McWilliam, « Action Française, Classicism, and the Dilemmas of Traditionalism in France, 1900-1914 », dans June Hargrove, Neil McWilliam (éds.), Nationalism and French Visual Culture, Washington, National Gallery of Art, 2005, p. 269-292.

[10] Olivier Dard (dir.), Georges Valois, itinéraire et réceptions, Berne, Peter Lang, 2011.

[11] Véronique Chavagnac, Jean de Fabrègues et la Jeune Droite catholique, Villeneuve d’Asq, Éditions du Septentrion, 2000.

[12] François Huguenin, L’Action française, Paris, Perrin, 2011, p. 474.

[13] Robert Belot, « Critique fasciste de la raison réactionnaire : Lucien Rebatet contre Charles Maurras » dans Mil neuf cent, n°9, Paris, Société d’études soréliennes, 1991, p. 49-67.  ; Id., Lucien Rebatet. Un itinéraire fasciste, Paris, Seuil, 1994.

 

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