Sarkozy 2012 : la tactique d'Hannibal ?
Fondapol | 05 août 2012
Une défaite annoncée…
En cette aube du 2 août 216 av. J.C., aux environs de la petite ville de Cannes en Apulie, la situation se présente bien mal pour le général carthaginois, Hannibal Barca. Soumis à une guerre d’usure par le tenace dictateur romain, Fabius Cunctator (« le temporisateur »), mal soutenu par la métropole, ses forces se sont amenuisées au fil du temps, tandis que le Sénat a reconstitué une redoutable machine de guerre. De sorte qu’à Rome des ambitieux estiment le temps venu d’en finir une fois pour toutes avec l’intrus. Hannibal, certes, est un tacticien hors pair, mais n’a –t-il pas perdu la main ? N’est-il pas usé par le temps, les succès sans lendemain, les dissensions dans son propre camp ? Et, face à lui, l’expérience militaire d’un Paul Emile, l’énergie d’un Varron, les deux nouveaux consuls, le valent bien et au-delà ! La victoire, c’est clair, ne peut leur échapper. A ceci près que le premier préfèrerait un combat en montagne, tandis que le second, qui a le commandement ce jour-là, choisit l’affrontement en plaine…
Le piège d’Hannibal
Face aux 50.000 hommes d’Hannibal d’origine disparate (Carthaginois, Numides, Gaulois, Ibères), Rome aligne 8 légions, renforcées d’autant d’alliés : 80.000 hommes au total. La lourde infanterie romaine, si disciplinée, ne peut qu’enfoncer les lignes carthaginoises ; d’autant, que – signe évident de son déclin, n’est-ce pas ? – Hannibal a curieusement étiré celles-ci, qui n’offrent plus qu’un maigre rideau face au rouleau compresseur du dispositif romain, rassemblé en trois rangs compacts.
Mais voilà : lorsque les légions s’engouffrent profondément dans la poche créée par le repli du centre carthaginois, la tactique d’Hannibal va donner toute sa mesure. Sous son commandement personnel, l’élite de l’infanterie africaine disposée sur les flancs se referme en tenaille sur les Romains, alors même que la cavalerie ibère, qui a détruit entretemps la cavalerie de Paul Emile, tombe sur leurs arrières. Obligées de combattre sur les quatre côtés à la fois, entravées par leur propre masse, les légions sont tombées dans un piège mortel. Et c’est, des heures durant, le massacre. Au soir de la bataille 45.000 cadavres romains jonchent le sol ; 80 sénateurs et Paul Emile lui-même ont laissé leur vie à Cannes…
Toute analogie…
Sous-estimation de l’adversaire, oubli des mises en garde, enthousiasmes inexpérimentés, ambitions rivales, occupation précoce et facile du terrain qui fait croire à sa conquête définitive, toute analogie avec le moment présent de notre combat électoral serait-elle à écarter ? Dans la négative, l’exemple de Cannes devrait inviter les uns et les autres à bien réfléchir.
Les deux candidats socialistes en « fausse bonne position »
D’abord ceux qui, à gauche, vendent la peau de l’ours avant de l’avoir tué et confondent le temps médiatique béni des primaires avec le temps politique, bien plus long et bien plus ouvert, de la campagne à venir.Car les deux vainqueurs du 9 octobre sont désormais exposés à la contre-attaque. Certes, François Hollande, qui connaît son histoire et comprend le moment, a fait jusqu’ici preuve d’une prudence digne de Fabius Cunctator ; mais d’une part sa promesse de recruter 60.000 nouveaux enseignants, ouvre, dans un contexte de déficit massif, une brèche dans ses positions ; d’autre part, toute tentative d’intégration dans son message des mots d’ordre d’Arnaud Montebourg relèverait de la quadrature du cercle, l’exposant à l’accusation d’incohérence. Quant à Martine Aubry, dont l’assurance impétueuse rappelle celle de Varron à Cannes (cf. « Je battrai M.Sarkozy en 2012 ! »), elle est certes constante et ferme… dans un surréalisme fiscal et budgétaire qui ouvre un véritable boulevard à la contre-argumentation factuelle. Elle est certes bien campée au cœur de la gauche, position stratégique en vue du deuxième tour des primaires ; mais qui, si elle l’emporte, créera, pour le PS, un trou béant au centre, espace décisif pour le seul deuxième tour qui compte : celui de la présidentielle. D’ores et déjà, les résultats serrés du 9 octobre ne peuvent que créer une situation de rivalité entre les deux impétrants et les obliger à s’avancer à découvert.
Du bon timing en politique
Le camp adverse ne doit pas davantage oublier la leçon d’Hannibal : pour Nicolas Sarkozy, ne pas partir trop tôt, quoi qu’en disent ceux qui poussent à une campagne précoce ; celle-ci aurait pour plus sûr effet de l’empêcher de continuer à gouverner et de l’exposer au feu redoublé d’un adversaire en supériorité numérique dans les sondages et les medias. Mais ne pas partir trop tard, non plus, sous peine de voir le cœur de son dispositif enfoncé de manière irrémédiable. Plusieurs « séquences », comme disent les communicants, s’annoncent, rythmées par un calendrier d’ores et déjà connu, notamment sur le plan international, favorable au Président. Après tout le G20 ne se réunira-t-il pas à… Cannes (France) ? Voilà qui est de bon augure, aurait-dit nos Romains ! Mais n’oublions pas Dame Fortune, (particulièrement capricieuse en ces temps !), qui peut réserver bien des surprises et imposer un autre tempo politique.
En toute hypothèse, il est, du point de vue de la majorité actuelle, impératif de ne pas rester inactif dans l’intervalle, car il faut dès à présent préparer le coup suivant : il reviendrait logiquement à la cavalerie du Président, c’est-à-dire à l’UMP, trop discrète jusqu’ici, de lancer ses escadrons ; et à François Fillon d’assurer, tel Magon à Cannes, la résistance, pied à pied, du coeur du dispositif.
Le « coup d’œil » d’Hannibal… et de Max Weber
Il faudrait ensuite au président sortant, s’il est candidat, tout « le coup d’œil » d’Hannibal, ce coup d’œil qui est aussi la qualité première de l’homme politique pour Max Weber, pour déterminer le moment juste de la contre-offensive. Et un coup d’oeil qui devra porter bien au-delà de Cannes –et, bien au-delà de la seule droite, en direction du centre – car, de la tactique gagnante à la stratégie victorieuse, il y a un espace immense, que n’a pas su franchir le même Hannibal. On connait la fin de l’histoire…
Christophe de Voogd est responsable du blog « trop libre »
credit photo: World Economic Forum
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