Sunnisme contre chiisme: faut-il choisir ?
01 février 2013
Sunnisme contre chiisme: faut-il choisir ?
Dans l’islam contre l’islam, le politologue franco-libanais Antoine Sfeir ambitionne de donner un aperçu clair des dissensions qui partagent le monde musulman à commencer par l’antagonisme entre les chiites et les sunnites. Ces rivalités, qui trouvent leur origine dans une histoire plus ou moins légendaire, expliquent une grande partie des enjeux géopolitiques de notre époque.
Un tropisme pro-chiite
D’emblée, l’auteur montre un tropisme pro-chiite prononcé.
Dans son analyse de la querelle originelle entre sunnites et chiites, Antoine Sfeir donne l’avantage aux seconds. Le fondateur de cette branche historique de l’Islam, Ali, gendre du prophète était ainsi un calife pacifique, religieux mais naïf, à l’inverse du gouverneur de Damas Omeyyade Mo’awiya, pragmatique, stratège et peu porté sur la foi, ancêtre des sunnites. De même, le chiisme tend à se structurer verticalement et hiérarchiquement dès l’origine quand le sunnisme, qui ne reconnaît aucune autorité religieuse supérieure, demeure structurellement éclaté, désordonné, au risque de l’islamisme ou de la soumission à un pouvoir temporel captateur.
Dans le sunnisme, les califes ont bloqué « les portes de l’ijtihad» c’est-à-dire de l’interprétation personnelle dès le XIème siècle quand le chiisme l’autorise. Fondé sur la croyance d’un imam caché qui, à son retour, révèlera la bonne interprétation du Coran et des hadiths (communications orales du prophète Mahomet), le chiisme encourage une interprétation continue du Livre et de la Tradition.
La supériorité supposée du chiisme semble s’étendre jusqu’à son clergé. Ainsi, l’imam chiite, souvent théologien, devient le représentant de l’imam caché et tire une légitimité bien plus grande que l’imam sunnite, simple pasteur auto-proclamé ou nommé. Antoine Sfeir cite le cas d’un imam d’une mosquée de Clamart nommé par le maire malgré son ignorance des questions religieuses et très vite démis de ses fonctions. Dans un prêche, il avait appelé au djihad pour défendre la cause palestinienne. Selon l’auteur, la décision prise par le gouvernement français, en 2002, de former des imams est la meilleure réponse à de tels risques de dérives.
Le sentiment d’oppression des chiites
Néanmoins, en raison de leur position minoritaire dans le monde musulman les chiites ont adoptés des comportements allant du quiétisme à la posture « révolutionnaire » vis à vis des autorités civiles dont ils se méfient. Opprimés les chiites se sont identifiés à Hussein, le 3ème Imam, dont ils commémorent le martyr une fois par an à travers une dramaturgie religieuse, le Tazieh, que l’on pourrait rapprocher (avec des réserves importantes) de la Passion du Christ. C’est depuis cette époque légendaire que cette communauté religieuse date le début de son oppression, réminiscence, peut-être, du mythe zoroastrien de l’oppression du dieu du bien par le dieu du mal jusqu’à sa libération définitive à la fin des temps.
Le chiisme explique le particularisme iranien
La branche révolutionnaire du chiisme est aujourd’hui incarnée par le Guide de la Révolution iranienne. Elle est fondée sur le principe de supériorité du pouvoir religieux sur le pouvoir politique. L’Iran, « Vatican du chiisme » est d’ailleurs le seul État véritablement chiite dans un océan sunnite. Conséquence d’une conversion en masse sous les Séfévides au 16ème siècle, pour contrebalancer l’influence de la Turquie sunnite, l’Iran nourrit une peur de l’encerclement dont elle essaye aujourd’hui de sortir.
La compromission des puissances occidentales avec les pays sunnites
Or, les puissances occidentales, seul recours de l’Iran pour sortir de son enclavement, ont malheureusement épousé la cause sunnite en privilégiant, à l’instar des États-Unis, la relation avec la théocratique Arabie Saoudite pour des raisons commerciales et d’accès aux réserves pétrolifères.
Aujourd’hui, les Occidentaux tendent à diaboliser l’Iran et même à « favoriser » le retour des sunnites au pouvoir là où ils étaient tenus à l’écart, comme cela se passe en Syrie. Or, selon l’auteur, la pacification de cette région passe par l’Iran. La France, désespérément absente de la région, pourrait jouer le rôle de puissance médiatrice essentielle avec l’Iran, créneau laissé vacant par les États-Unis et leurs alliés anglais.
La question du nucléaire : l’occasion de normaliser les relations avec l’Iran
Depuis la révolution iranienne, les Occidentaux ignorent largement la puissance chiite.
Paradoxalement, l’auteur estime que la question du nucléaire iranien, en obligeant au dialogue, est l’occasion de rétablir des relations avec le pays.
Selon lui, la société, le pouvoir et même le clergé seraient extrêmement divisés sur l’opportunité du programme nucléaire. En choisissant les bons interlocuteurs, l’Europe et les États-Unis pourraient recréer les conditions d’une nouvelle relation avec Téhéran.
Se protéger contre l’islamisme sunnite
Ainsi, l’auteur ne cache pas sa préférence pour un rapprochement, certes prudent, avec ce grand ennemi d’hier. Ce point de vue s’explique par l’inquiétude de l’auteur à l’égard de la montée de l’islamisme dans le monde sunnite. Antoine Sfeir déplore ainsi la préférence donnée par l’Occident aux pays arabes qui a pu conduire, selon lui, à endosser leur inimitié vis à vis de l’Iran. Or, ce pays doté d’une riche civilisation présente des avantages certains pour lutter contre l’islamisme radical, idéologie déterritorialisée et ennemie de la culture.
Une vision du monde musulman obsolète ?
Originale et instructive, l’analyse de M. Sfeir prête, cependant, un peu rapidement au chiisme les vertus de remède aux maux de l’islam contemporain, tout en minorant les dérives fanatiques dont sa version iranienne est porteuse. Par ailleurs, l’ouvrage surestime le pouvoir des puissances occidentales et notamment celui de la France dans le règlement des tensions moyen-orientales. À l’inverse, elle ne tient pas suffisamment compte de l’aspiration actuelle des peuples arabes et donc sunnites à se saisir de leur destin.
François de Laboulaye
Crédit photo, Flickr: zbigphotography
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