Synthèse - Contribution à la mission flash de clarification du financement des retraites
Jean-Pascal Beaufret | 17 février 2025
Note pour le Premier président de la Cour des comptes
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1 – Dans les rapports du Conseil d’orientation des retraites-COR (partie 2), une agrégation des retraites obligatoires est présentée avec des soldes en excédent pour le passé ou en déficit limité pour l’avenir. Cette présentation n’est pas conforme à la réalité. Elle repose en effet sur l’idée de la « contingence » du solde des retraites : dans un déficit public global constant, l’État aurait pu choisir un autre mode de financement des retraites et substituer l’affectation de nouveaux impôts aux subventions qui équilibrent les régimes. Les soldes conventionnels du COR reflètent donc ce qui aurait pu se passer mais pas l’allocation réelle des ressources pourtant stable dans le temps qui a été mise en œuvre.
Accessoirement, le périmètre des retraites obligatoires n’y est pas retracé de manière exhaustive1, tel que décrit de manière détaillée dans le rapport à la commission des comptes de la sécurité Sociale-CCSS2. Les comptes n’y sont pas détaillés par régime pour le passé. Le futur lointain, analysé dans toutes ses dimensions, y éclipse un présent conventionnel.
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2 – Tous les détails des régimes de retraites sont publiés dans le rapport à la CCSS. Il n’y a donc pas de déficit « caché » des retraites. Mais, pour avoir une vue de l’ensemble, il faut un compte consolidé exhaustif, qui n’est jamais présenté, même à l’appui des réformes. Reconstitué, avec un classement compréhensible des flux, ce compte montre que les ressources sont composées à 64 % seulement de cotisations, 14 % d’impôts affectés et 20 % de subventions des autres administrations. Les subventions, mode de financement spécifique à la branche vieillesse, pèsent sur le solde de chacune des administrations qui les versent.
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3 – En comptabilité nationale, un déficit étant la différence entre des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires 3, la contribution des retraites au déficit d’ensemble des administrations en 2024 4 ressortirait au montant approché de -81 Mds d’euros : 412 Mds d’euros de dépenses et 331 Mds d’euros de prélèvements obligatoires affectés (-69 Md d’euros en 2023).
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Rapport Cour des comptes – Sécurité sociale, mai 2024, chapitre III, sur la compensation démographique.
4 – 69 % de la contribution des retraites au déficit d’ensemble des administrations proviennent des deux régimes des fonctionnaires de l’État et des collectivités locales (pensions civiles et militaires de l’État-PCMR et régime des agents locaux et hospitaliers de la CNRACL), les autres régimes spéciaux comptant pour 11 % tandis que le régime général des salariés du privé (base et complémentaire) compte pour 20 % du besoin de financement global.
Cette part de 20 % est toutefois sous-évaluée car elle ne prend pas en compte la compensation démographique que le régime général des salariés devrait apporter à l’État si ce mécanisme fonctionnait correctement. La Cour a chiffré l’écart à 10 Mds d’euros 5. En particulier l’État supporte une charge indue au titre du changement de statut des Télécoms et de La Poste avec la disparition au cours des vingt-cinq dernières années des cotisations à taux élevé de près de 400 000 fonctionnaires, en prenant en charge 300 000 retraités de ces anciennes administrations, sans compensation du régime général qui, lui, bénéficie des cotisations des personnels privés ayant remplacé graduellement les fonctionnaires.
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5 – À hauteur des deux tiers, le besoin de financement d’ensemble des retraites est financé par des surcotisations de quatre catégories d’employeurs publics de fonctionnaires (État, opérateurs de l’État, collectivités locales et établissements publics de santé) calculées ou versées avec des taux exorbitants du droit commun : ces taux, récemment rehaussés de 4 points, représentent plus de 100 % 6 pour l’État ou près de 50 % pour les employeurs locaux et hospitaliers, des traitements bruts des fonctionnaires augmentés de certaines primes 7. Ces taux se comparent à celui de 28 % pour les salariés du privé, plafond légal appliqué aux actifs non-fonctionnaires en emploi en France. Le taux de 28 % est au troisième rang le plus élevé dans l’Union Européenne. Considéré comme trop élevé au regard du coût du travail en France, il fait l’objet, pour les employeurs privés, d’allègements qui le portent au niveau approximatif de 25 % des rémunérations brutes 8.
prises en compte dans la loi de programmation militaire
6 – Les surcotisations, calculées ou versées, sont traitées par les employeurs publics dans leurs comptes comme des cotisations, ce qui majore anormalement leur coût de fonctionnement et la masse salariale des fonctionnaires actifs qu’ils emploient. Pour l’État, le coût d’un employé titulaire ou contractuel, revient ainsi à environ 75 000 euros par employé actif, toutes charges comprises y compris retraites, contre 48 000 euros pour un employé d’une entreprise privée. En comptabilité nationale, le classement en cotisation majore la valeur ajoutée non marchande et le PIB de 1,8 % ainsi que le ratio dépenses publiques sur PIB de 1,8 %.
Imputées dans les budgets des ministères employeurs, ces surcotisations faussent la réalité : par exemple la dépense intérieure d’éducation de 100 Mds d’euros de l’État ou bien le coût par élève pris en compte dans les comparaisons internationales, sont artificiellement majorés de 20 % sans impact opérationnel sur l’action des ministères de l’Éducation nationale ou des universités. Les surcotisations relatives aux militaires retraités représentent 14 % du budget du ministère des Armées, aboutissant à un effort de défense qui, présenté autour de 2 % du PIB (60 Mds) est en réalité réduit à 1,7 % du PIB (51 Mds), pour les seules dotations opérationnelles 9. Le mode de traitement de ces surcotisations exerce un effet d’éviction important sur les autres catégories de dépenses publiques régaliennes ou sociales (hôpital public).
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CNAF, CNSA, CNAM, CNAM-AT, UNEDIC, URSSAF-CN
7 – Les autres branches de la protection sociale apportent aussi des subventions aux régimes de retraites, sous des dénominations variables. Avec des motifs justifiés par les objectifs de chacune d’entre elles, 17 Mds d’euros sont versés chaque année au régime de retraites des salariés (base et complémentaire). Mais ces concours ne sont pas des prestations finales, seulement des compensations 10. En comblant le besoin de financement de la branche vieillesse, les autres branches de la Sécurité sociale dégradent leur propre solde et contribuent bien au déficit d’ensemble des administrations publiques au titre des régimes de retraites, qui, seuls, mandatent la dépense finale.
Les subventions des autres branches de la protection sociale couvrent une large partie du besoin de financement du régime général des retraites des salariés privé.
Estimation approchée , compte tenu de l’imprécision des compte rendus statistiques.
8 – Outre qu’il est compensé par des impôts affectés et des subventions pour 31 Mds d’euros d’allègements d’assiette et de taux spécifiques à la protection vieillesse, le régime général des salariés (base et complémentaire) supporte en effet une large partie des dispositifs légaux d’avantages non contributifs ou « distributifs » que l’on peut évaluer autour des 2/3 11, d’un total estimé de manière imprécise entre 58 Mds d’euros et 81 Mds d’euros. Ces montants justifient l’affectation d’impôts, dont la CSG/FSV, et les subventions mentionnées plus haut provenant d’autres branches de la protection sociale.
Mais ces dispositifs distributifs ne sont pas comptabilisés en charges des régimes. Ils ne sont pas connus par régime. Ils ne sont estimés qu’en cas de compensation. Ils restent non publiés pour ceux qui ne font pas l’objet de compensations. Ils ne sont estimés sur base statistique que rarement, une fois tous les cinq ans et ne sont jamais revus dans le cadre annuel des LFSS ou des LFI.
Cette remarque vaut aussi pour les régimes des fonctionnaires : des dispositifs distributifs représentent une proportion des dépenses nettement supérieure à celle du régime général des salariés, sur des bases comparables, hors les trimestres assimilés de chômage. Ils sont couverts par une partie des surcotisations des employeurs publics, qui, n’étant pas identifiées et affectées, ne renseignent pas sur leur importance dans les pensions des anciens fonctionnaires (militaires, départs précoces des professions actives, avantages familiaux).
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En plus de la précocité de l’âge d’ouverture des droits.
L’importance des dispositifs distributifs laisse penser qu’ils sont à l’origine du caractère comparativement élevé des prestations de retraites obligatoires en France, par rapport aux autres pays.
9 – Le poids des retraites dans le déficit d’ensemble des administrations publiques et leur caractère en moyenne généreux 12 n’ont donc pas été partagés avec le Parlement ou avec l’opinion publique, notamment à l’occasion des réformes récentes.
La communication du COR sur un solde conventionnel, contingent à des décisions non prises sur la nature des ressources allouées au système, a participé de ce défaut. Mais la présentation habituelle des comptes publics est également en cause, qui ne fournit pas une information suffisamment transparente : – parce que la comptabilité budgétaire comme la comptabilité nationale n’ont pas explicité la différence et tracé de limite en 2006 et 2013, entre « cotisations » d’une part, (coût nécessairement limité de l’acquisition d’un droit ou « pourcentage raisonnable des salaires versés au personnel en activité » selon le règlement européen de comptabilité nationale), et « subventions » d’autre part, dues aux caractéristiques spécifiques des régimes des fonctionnaires : on n’a donc ni mesuré ni expliqué le besoin de financement important et ancien du régime spécial de Sécurité sociale des pensions civiles et militaires de l’État-PCMR, que de nombreuses raisons peuvent justifier ;
– parce qu’à défaut d’une consolidation des comptabilités de l’État et de la Sécurité sociale dans le cadre plus vaste de l’ensemble des comptabilités publiques, le besoin de financement des retraites n’est pas attribué aux dépenses finales de retraites mais
L’article 34 de la constitution et les lois organiques relatives aux LFSS (loi du 2 aout 2005) continueraient à imposer des comptes des régimes obligatoires de Sécurité sociale sur base individuelle et une liste limitative des rapports annexés à la LFSS. Loi organique relative aux lois de finances du 1 août 2001. Je ne sais pas comment se rattache syntaxiquement ce segment à ce qui précède.
- reste localisé dans les comptes d’autres administrations, État, établissements publics administratifs, collectivités locales et hôpitaux ou autres branches de la protection sociale ;
- parce que, dans l’agrégation des administrations publiques en comptabilité nationale, aucun compte des unités retraites n’est isolé au sein des administrations de sécurité sociale (ASSO). Mais surtout, les ASSO ne comprennent pas le régime des pensions civiles et militaires de l’État-PCMR, car il est géré dans les comptes de l’État, bien qu’il soit un régime spécial de Sécurité sociale, également intégré dans les comptes de la Sécurité sociale après équilibrage par l’État.
Si le régime spécial des fonctionnaires était inclus dans les administrations de sécurité sociale, en toute logique économique et financière puisqu’il s’agit bien d’une dépense de protection sociale correspondant à ce sous-secteur, les ASSO verraient leurs dépenses majorées et leur solde très fortement dégradé. Les retraites, y compris le régime des fonctionnaires de l’État-PCMR, justifieraient de même la publication d’un sous-compte séparé dans les comptes de la nation, puisqu’elles représentent à elles seules le quart des dépenses publiques.
Sur ce dernier point, les articles liminaires des lois de financement et les lois de programmation, cadrage de la trajectoire des finances publiques, n’informent pas correctement le Parlement ou l’opinion publique sur l’origine des déficits. Ils reposent en effet :
- sur des classements institutionnels qui ne décrivent pas la finalité des recettes et des dépenses (régime PCMR et CADES) ;
- sur des agrégats après subventions croisées entre administrations et non avant, qui faussent les soldes.
Ils ne présentent pas une approche réaliste de la répartition du déficit des administrations entre les finalités de la dépense publique.
10 – Ces classements imparfaits, qui ne permettent pas d’identifier le poids des retraites dans les déficits, ne résultent pas de dispositions législatives. Ils s’expliquent par des choix pratiques que rien n’empêche de modifier. Rien n’interdit de scinder les recettes d’ordre du compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions entre cotisations et subventions, en allégeant la masse salariale excessive des employés de l’État par la prise en compte d’une subvention centrale non imputée aux ministères employeurs, de rattacher les PCMR aux administrations de sécurité sociale (ASSO) et, comme avant 2011, la CADES aux administrations centrales.
Une amélioration essentielle consisterait aussi à fournir une vision consolidée des comptabilités générales des différentes institutions publiques soumises au vote du Parlement en éliminant les flux croisés entre elles. A tout le moins, il serait possible de présenter les soldes des articles liminaires par sous-secteur, en comptes de la nation avant flux croisés de transferts entre administrations. L’origine des déficits publics apparaîtrait beaucoup plus clairement.
11 – Sans changer les textes et conformément aux lois organiques, il serait donc possible de produire :
- un compte audité de l’ensemble des régimes obligatoires de retraites (base et complémentaire), mettant en évidence aussi le solde avant les subventions portées en dépenses par les autres administrations, comme il a été proposé sans succès au COR en septembre 2023 ;
- des comptes par sous-secteur des administrations en comptabilité nationale conformes à la destination effective des recettes et des dépenses finales (tous régimes de protection sociale inclus et avant transferts croisés entre sous-secteurs), informatifs sur l’origine des déficits publics, assortis d’un détail du périmètre des retraites obligatoires.
Si l’on voulait aller plus loin dans la transparence et présenter au Parlement les comptes des régimes obligatoires de Sécurité sociale « sur base consolidée des administrations publiques », il faudrait en revanche modifier la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale 13 en prévoyant un nouveau document sur la contribution effective de chaque branche aux déficits consolidés des administrations publiques.
À défaut, cette présentation peut se faire dans les documents annexes prévus par la loi organique relative aux lois de finances, qui détaillent les multiples aspects des relations entre l’État et la Sécurité sociale (jaunes budgétaires). Une telle présentation, reprise dans la loi de programmation, pourrait faire apparaître pro forma la contribution importante des branches de la Sécurité sociale au déficit des administrations publiques.
C’est, dans un premier temps, sans changer les lois en vigueur, vers cet objectif de transparence que tendent les dix suggestions ci-dessous, éléments d’une contribution à la mission flash demandée par le Premier ministre.
SUGGESTIONS :
Suggestion 1 : délimiter un domaine spécifique des unités institutionnelles retraites dans les comptes de la nation ;
Suggestion 2 : en parallèle au solde conventionnel actuel, publier aussi un solde dans le rapport du COR, montrant le besoin de financement du système avant subventions ;
Suggestion 3 : publier dès le rapport de mai à la CCSS une agrégation de tout le périmètre des retraites de base et complémentaire ;
Suggestion 4 : scinder dans le CAS Pensions la part cotisation employeur et la part subvention, comptabiliser la première seulement en charges de personnel et la seconde dans la mission régimes sociaux et de retraites. Faire de même dans les comptes des opérateurs et des employeurs locaux ou hospitaliers. En tirer les conséquences dans le référentiel des comptes de la nation (rémunération ou transfert) ;
Suggestion 5 : mesurer la subvention implicite au régime général des salariés privés (base et complémentaire) du fait du changement de statut des personnels de France Télécom-Orange et La Poste non compensé à l’État ;
Suggestion 6 : en marge du PLFSS ou du PLF (documents annexes), fournir des comptes de chacune des branches de la Sécurité sociale avant transferts en dépenses et en recettes, pour déterminer la contribution effective de chacune d’entre elles au déficit des administrations consolidées ;
Suggestion 7 : modifier la présentation des articles liminaires des lois de financement et le périmètre des sous-secteurs dans les lois de programmation ;
Suggestion 8 : publier un tableau des besoins de financement par grand régime avant subventions ;
Suggestion 9 : comptabiliser, ou si ce n’est pas possible, estimer et publier par régime les avantages distributifs intégrés aux prestations de retraites et procéder à des revues régulières de ces avantages à l’occasion des lois de financement ;
Suggestion 10 : associer à la publication des compte rendus financiers des retraites et à leur communication par le gouvernement, une comparaison des prestations avec les pays de même niveau de développement, sur le modèle des statistiques publiées par exemple par L’OCDE, étude tous les deux ans appelée « Pensions at a Glance ».