Tunisie : Internet et la révolution
Fondapol | 17 janvier 2011
Entretien avec Hamadi Kaloutcha*
Claude Sadaj pour Fondapol
Fondapol : La Tunisie vit un moment historique, elle vient de faire une révolution qui sera, tout le monde l’espère, une révolution pour la démocratie. Les Tunisiens ont montré beaucoup de courage et de détermination. Ce mouvement a-t-il été favorisé par Internet et les réseaux sociaux sur le web ?
Hamadi Kaloutcha : J’affirme que oui malgré ce qu’on peut entendre ici ou là. Certes, c’est d’abord le peuple tunisien qui, par son courage, bravant les tirs à balles réelles de la police, a mené la lutte partout dans le pays. Mais ce qui a déclenché le mouvement, c’est la communication entre les personnes, communication rendue possible par internet et Facebook en particulier. Nous avons déjà initié des formes de communication sociale récemment. Car il faut savoir que les premiers mouvements sociaux tunisiens ont eu lieu dans le bassin minier à Rdayef en 2008.

Un journaliste, Fahem Boukadous, les avait filmés et avait envoyé les cassettes video à une télévision française. Il n’en est rien sorti et le journaliste est toujours en prison. Ben Ali avait coupé tous les liens entre les Tunisiens. Et Facebook s’est installé ensuite. Au début c’était sur des usages ludiques, comme le partage de la musique. Et sur ces comptes on avait créé des groupes, dont un en solidarité avec les gens de Rdayef. On y avait retrouvé les reportages de Fahem Boukadous. Les Tunisiens étaient déjà très en colère mais on ne comptait qu’une centaine de milliers de Facebookers. Puis très vite on est arrivé à 2 millions d’utilisateurs. Le régime a reconsidéré la situation et a censuré Facebook durant l’été 2008. Il y a eu alors une bataille. Trois groupes d’environ 10 000 personnes se sont constitués sur Facebook avec trois stratégies. La première a consisté à rédiger une pétition apolitique qui n’a rien donné. La deuxième a été une manifestation devant le théatre municipal, et là il y a eu des passages à tabac. Et la troisième a été d’attaquer le système économique des FAI (fournisseurs d’accès à internet). Ces derniers étaient des membres de la famille présidentielle. Nous avons tous ensemble décidé de résilier nos abonnements, compte tenu que n’avions plus Facebook et que le service était donc interrompu. 4000 personnes l’ont fait réellement et ceci a été très mal vécu par le fournisseur d’accès qui voyait potentiellement le manque à gagner sur les futures vagues de résiliations. Un article était paru dans Le Temps, journal qui, depuis, a été racheté par la famille Ben Ali, où l’on parlait pour la première fois de censure. Au lendemain de notre action, Facebook a été rouvert. Le gouvernement a alors adopté une véritable stratégie de traque à l’encontre des blogueurs, et on s’est alors livré à un vrai bras de fer. Un nouveau groupe s’est créé contre la censure : « Tous solidaires : non à la fermeture de Facebook en Tunisie ». Facebook s’imposait… et l’activisme politique était en train de monter. J’ai créé d’autres groupes, notamment pour lutter contre la propagande d’Etat qui faisait passer le peuple tunisien pour un peuple immature, incapable de vivre en démocratie. Il y a eu une chasse permanente sur le net assurée par des hommes de Ben Ali engagés spécifiquement pour cette tâche.
Fondapol : Wikileaks a-t-il joué un rôle dans les événements ?
Hamadi Kaloutcha : Wikileaks nous a révélé tout ce que nous savions déjà. Mais Wikileaks a permis que la vérité soit perçue par l’extérieur, à partir d’autres sources. Il s’agissait des câbles de diplomates américains. J’ai repris toutes les informations concernant la Tunisie et je les ai diffusées. Mon compte a tenu un mois, quand j’ai été attrapé, le ministère de l’intérieur a eu mes login et tout a été effacé. La première semaine j’avais compté 170 000 visites… Le vocabulaire découvert sur Wikileaks que les Tunisiens n’utilisaient pas encore est entré dans nos usages. Le mot « mafia » a fait son apparition. Et bien des slogans ont repris des expressions lues dans wikileaks.
Fondapol : Vous avez diffusé beaucoup d’information par Facebook. Mais pour vous-même, quel a été l’apport des réseaux sociaux ?
J’ai pu entendre des discours d’hommes de bon sens comme Moncef Marzouki ou Mohamed Abbou pour ne citer qu’eux. Nous avons ressenti, entre compatriotes, un immense soulagement de voir que nous pouvions avoir les mêmes idées. Auparavant, nous nous sentions médiocres. Car dans un régime non démocratique, rien ne vous renvoie l’image de la réalité. Personne ne se connaît vraiment, les journalistes ne font pas leur travail, ils ne relayent que les discours officiels. En peu de temps, pendant les événements, ce sont 2 millions de comptes Facebook qui ont été actifs et se sont démultipliés car dans chaque famille, ce sont 6 ou 7 personnes qui se parlent et relayent ensuite vers d’autres personnes, partout, dans la rue, dans les cafés. Twitter a également joué un rôle décisif pour favoriser les rassemblements. Voilà nos outils démocratiques.
Maintenant nous mettons à profit notre capacité à nous organiser dans la solidarité, pour la protection des familles, des femmes seules…
Maintenant, je me sens libre.
*Hamadi Kaloutcha est blogueur tuniso-belge : http://www.facebook.com/Kaloutcha.Hamadi. Il a fait des études de science politique à l’Université libre de Bruxelles. Il vit actuellement en Tunisie.
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