Une « Conquête » manquée : le cinéma à l’assaut de Nicolas Sarkozy

Fondapol | 27 mai 2011

Vision for the G20: Nicolas Sarkozy, Klaus SchwabLa Conquête, un film de Xavier Durringer

Le film aura été un véritable choc. Un président adulé lors de son élection par des millions de citoyens venait de tomber de son piédestal, massacré par une œuvre de fiction. En l’occurrence, un film sur son accession à la fonction suprême, qui le dépeignait comme un homme sans états d’âme, menteur et manipulateur…

Le film en question n’est pas La Conquête de Xavier Durringer, sorti sur les écrans français il y a peu, mais Primary Colors de Mike Nichols, film d’ouverture du Festival de Cannes en 1998. Le -futur- président dans le film s’appelait Jack Stanton mais tout le monde y avait reconnu Bill Clinton.

Les films de Durringer et de Nichols partagent un même sujet : le cheminement vers le pouvoir, et ils ont été réalisés alors que leur « personnage principal » était encore en fonction, comme chef de l’Etat. Pourtant, là où Primary Colors, faute d’être un grand film, était une contribution utile à la compréhension de la vie politique moderne dominée par les simulacres médiatiques et les ambitions sans limites, La Conquête ne réussit à aucun moment à nous convaincre de la nécessité de son existence.

Fiction ou imitation ?

Primary Colors n’était pas en effet une imitation de la réalité de la campagne électorale d’un futur président. C’était une sorte de paraphrase d’un livre, d’abord publié anonymement. Mike Nichols a toujours refusé l’identification directe avec Clinton, sans doute par peur des problèmes judiciaires, mais aussi parce qu’il considérait que son sujet était ailleurs. Les prestations impressionnantes des comédiens John Travolta et Emma Thompson pouvaient ainsi exister indépendamment du couple Clinton, ce qui permet de se concentrer davantage sur le récit propre du film.

Durringer, en revanche, secondé par le scénariste-journaliste Patrick Rotman, a beau qualifier La Conquête  d’œuvre de fiction, il colle tellement à la « réalité » des journaux télévisés et autres images des médias qu’on ne voit plus que cette dimension-là : un simple décalque, une répétition donnant l’impression constante de déjà vu.

Heureusement, Bernard Lecocq fait « du bon Chirac » et d’autres comédiens dans le film se distinguent aussi : Hippolyte Girardot est totalement crédible dans son rendu d’un Claude Géant froid et tacticien ; Samuel Labarthe est un Dominique de Villepin creux et méchant  -un peu trop d’ailleurs- et Denis Podalydès, bien sûr, montre son énorme savoir-faire de comédien dans un Sarkozy aussi nerveux que provocateur.

… il faut savoir choisir

Malgré les affirmations de Rotman sur la dimension cinématographique du personnage et de son destin, le sujet est tout sauf aisé. L’omniprésence dans les médias du « vrai » Sarkozy et les passions qu’il suscite rendent très compliquée une adaptation cinématographique maitrisée, où le personnage nous raconterait quelque chose de nouveau. Dans La Conquête, rien de neuf : seulement des expressions, des gestes et des phrases auxquelles on s’attend, une imitation qui frôle parfois celle des spécialistes du genre…

Dans une des rares séquences du film que l’on peut sans grand risque qualifier de fictionnelle, on voit Dominique Besnehard -Pierre Charon dans le film- imiter Ségolène Royal, lors d’une réunion préparatoire au grand débat d’entre les deux tours. Clin d’œil ironique à la fonction de conseiller très proche de Royal qu’occupait Besnehard en 2007 ? Peut-être. Mais l’acteur-agent des stars interrompt son imitation -volontairement mauvaise ?- après deux phrases à peine. Anecdote symptomatique d’un film qui ne choisit pas entre parodie et véritable satire et qui n’ose jamais prendre son envol pour exister en tant qu’objet cinématographique à part entière.

Un « flop » publicitaire

La campagne publicitaire pour lancer le film a été en revanche exemplaire. Des commentaires sur les « difficultés de financer le film » et « les réserves de l’Elysée » ont alterné avec la publication au compte-gouttes d’images du film. Peu nombreux étaient ceux qui avaient vu le résultat final avant la première mondiale au Festival de Cannes, le 18 mai.

Le but implicite était évidemment de présenter La conquête comme une œuvre créée dans la quasi-clandestinité, un acte de « résistance politique contre un régime en déficit démocratique ». But que le film, qui met en valeur l’humanité du président (volontairement ?) n’atteint, au demeurant, nullement…

De toutes façons, trois jours avant la projection à Cannes, « l’affaire DSK » a éclaté, étouffant tout ce buzz en un seul tweet ! Le film est passé du statut de « bombe potentielle » à celui de non-événement médiatique. La presse française l’a vertement critiqué et le public l’a accueilli dans une relative indifférence, même si la fréquentation en est, à ce jour, plus qu’honorable.

Un genre difficile mais pas impossible

Le demi-échec de La Conquête -par rapport à son objectif- est-il significatif de l’incapacité supposée du cinéma français de  « fictionnaliser » la vie de leurs hommes politiques ?

Notons que le spécialiste américain du genre, Oliver Stone, n’a jamais représenté un président en exercice. Ses films sur John Kennedy et Nixon ont été réalisés des années après le mandat électoral des protagonistes. L’exemple du film Le Caïman (2006) de l’italien Nanni Moretti est encore plus éloquent : bien que réalisé « sous » Berlusconi, le personnage clé du film n’était pas le président du conseil italien mais un producteur de cinéma en perte de vitesse qui décide de produire un film sur lui. Le producteur ressemblait vaguement à l’homme politique, mais c’est Moretti lui-même, dont on sait l’anti-berlusconisme, qui jouait le rôle d’Il Cavaliere dans le film!

Le réalisateur Henri Verneuil -preuve que l’on peut faire du bon cinéma sur les hommes politiques en France- a pour sa part consacré un film, Le Président (1961), à un personnage de vieux président du conseil -joué par Jean Gabin- qui observe avec effroi la politique affairiste de son temps. Le film était clairement situé sous la IVe République. Le modèle du film était Clemenceau -le personnage fictif du « président » possède, dans le film, un portrait du Tigre-, mais certains y ont également vu des ressemblances avec De Gaulle et même avec Jaurès. Verneuil avait en fait décidé, lui aussi, d’éviter l’identification facile afin de rendre son récit plus universel.

Le Président nous montre aussi qu’il ne suffit pas de copier les phrases et les gestes réels de personnalités, aussi passionnantes soient-elles, pour faire un bon film. Il faut un véritable récit et une écriture originale, en l’occurrence un roman de Simenon et les dialogues de Michel Audiard.

Ce sont aussi ces talents-là qui manquent à La Conquête.

Harry Bos est responsable du cinéma et des arts de la scène à l’Institut Néerlandais de Paris

 

Crédit Photo, Flickr: Nicolas Sarkozy – World Economic Forum Annual Meeting 2011

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