"Violence !" le mot le plus galvaudé du moment… et le plus révélateur d’une société de confusion absolue

Christophe de Voogd | 20 mai 2016

violence !« Violence ! » le mot le plus galvaudé du moment… et le plus révélateur d’une société de confusion absolue

Par Christophe de Voogd

Dans le brouhaha actuel, où « tout est violence » et où toutes les « violences » se valent, le risque est grand de banaliser la violence au sens premier du terme, c’est-à-dire le déchaînement de la force destructrice contre les êtres et les biens.

« Plus dominé que moi, tu meurs ! »

La semaine passée aura vu, de la mise à sac du centre-ville de Rennes à l’annulation du concert de Black M. à Verdun en passant par la tribune contre le harcèlement sexuel et l’usage du 49-3, le paroxysme de la dénonciation de la « violence » : violences de toute nature et de toutes origines, physique, morale, « sociale », « symbolique », violence des « casseurs », de la police, de l’État, du gouvernement, des hommes, voire du « fascisme » rampant …

Ce qui d’ailleurs n’empêche pas de curieux oublis : on aura peu entendu déplorer, tant de la part de l’État que des médias, la destruction d’innombrables biens privés, pour ne rien dire des nuisances insupportables infligées depuis des semaines aux riverains de la place de la République et des centres de Rennes et de Nantes.

Mais dans ce discours à la fois si bavard et si sélectif, se donne à voir la marque vive de bien des maux français.

Les uns sont traditionnels : ainsi d’une police qui est avant tout une police d’ordre public, c’est- à dire une police d’État, chargée de protéger en priorité ses représentants et ses biens. La société passe après. Priorité qui s’accompagne paradoxalement d’une indulgence étrange du corps social à l’égard de la violence collective. La raison en est la profonde et ancestrale relation de méfiance entre Pouvoir et Société dans notre pays, une relation malsaine à l’Autorité, redoutée plutôt que respectée, subie plutôt que souhaitée, contestée plutôt que consensuelle.

Autre mal, plus contemporain, celui-ci : le triomphe de la sociologie « bourdivine » dans sa vulgate « Nuit debout », où triomphe justement l’usage indiscriminé du mot « violence » dans un manichéisme simpliste « dominants/dominés ». Confusionnisme et manichéisme où l’« absence totale de pensée » (M. Maffesoli) le dispute à la concurrence victimaire : « plus dominé que moi, tu meurs ! » Dans un pays où Max Weber semble oublié, y compris de nombreux sociologues, il n’est pas inutile de rappeler sa définition même de l’État moderne par « le monopole de la violence légitime ». Autrement dit, contrairement à tant de commentaires qui renvoient dos à dos « violences policières » et « violences des casseurs », toutes les violences ne se valent justement PAS.

Ce qui ne légitime en rien les abus de certains policiers. Leur action, en État de droit, est soumise aux principes de proportion et d’opportunité. Mais pour les casseurs (comme pour tout délinquant) il n’y a justement ni proportion ni opportunité à prendre en compte : TOUTE violence leur est interdite. Faute de quoi, la conclusion serait simple : armons-nous tous ! Et vive Trump et une NRA à la française!

Dans ce contexte, l’on reste songeur devant les déclarations gouvernementales si alambiquées, si lénifiantes et si confusionnistes : François Hollande, fidèle à son balancement rhétorique habituel, en pratiquant l’équilibre instable entre liberté de manifester et condamnation des débordements ; Bernard Cazeneuve, coutumier de l’enfoncement des portes ouvertes, en affirmant que « Nantes et Rennes n’ont pas vocation à devenir des champs de bataille » : on est heureux de l’apprendre. La palme revient au secrétaire d’État aux anciens combattants qui voit dans l’annulation du concert de Black M.

à Verdun une « violence » (encore une !). De l’autre côté, les affiches haineuses de la CGT et la rhétorique plus sophistiquée de Jean-Luc Mélenchon mettent de l’huile sur le feu. Car contrairement à tant de commentaires naïfs, le leader du Front de gauche n’a nullement « condamné » les violences des casseurs ; il en a dénoncé le caractère POLITIQUEMENT contre-productif (« ces gens servent nos adversaires ») : ce qui est fort différent.

Comme sont évidemment différentes les stratégies des uns et des autres : recherche d’un pourrissement de la part du gouvernement qui mise sur la disqualification des opposants par l’accumulation des violences de rue ; stratégie jusqu’au-boutiste de l’extrême gauche qui veut – au moins – la chute du gouvernement Valls.

Mais les deux options présentent un redoutable point commun : la politique du PIRE qui conduisit jadis Marie-Antoinette là où l’on sait. Politique qui, aujourd’hui pousse à leur paroxysme colères et clivages et qui fera demain le jeu des solutions les plus autoritaires dans un pays où les libertés, de loi sur le Renseignement en état d’urgence, sont déjà bien menacées.

Article publié initialement dans Atlantico le 16 mai 2016.

crédit photo Flickr: Jeffrey Schnapp

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