Vous avez dit « variable d’ajustement » ?
05 juillet 2013
Vous avez dit « variable d’ajustement » ?
Le mot de la semaine, employé à la fois par le président de la République et par la future ex- ministre de l’écologie, aura sans doute été « variable d’ajustement » : le premier, pour écarter l’idée de coupes budgétaires dans la fonction publique ; la seconde pour protester contre celles, bien réelles, infligées à son ministère. Une invitation à calculer cette fameuse « variable d’ajustement »…
« Lèse-majesté rhétorique »
Dans les deux cas, le même procédé rhétorique bien connu des manuels d’argumentation : la marginalisation de la mesure contestée, présentée comme inefficace ou illégitime. Mais si le président s’en prenait au camp adverse – y compris en l’occurrence à la Cour des comptes- , Delphine Batho s’en prenait à son propre camp, tout en reprenant (inconsciemment ?) la figure rhétorique présidentielle. Qui sait ? Ce fait de « lèse-majesté rhétorique » aura peut-être contribué à l’agacement du chef de l’Etat et au « limogeage » (mot employé à tort d’ailleurs car il s’agit d’une « destitution ») de la Ministre…
« 500 millions » ? oui, toutes choses inégales par ailleurs…
Mais la marginalisation présidentielle mérite que l’on s’y arrête davantage. François Hollande a en effet étayé sa contre-argumentation d’un chiffre : le remplacement d’un fonctionnaire sur deux ne rapporterait « que 500 millions » : une paille en effet dans le déficit des comptes publics : 80 milliards cette année.
Chiffre calculé à partir des départs prévus en retraite (un peu plus de 50.000 par an ces prochaines années) et du coût moyen d’un fonctionnaire débutant, mais chiffre qui est assorti lui-même de variables non négligeables que le président n’a pas rappelées :
1/ la mesure ne concerne que les fonctionnaires d’Etat, à l’exclusion des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, c’est-à-dire s’il ne s’applique qu’à un fonctionnaire sur 3 (1,7 sur 5,2 millions).
2/ ce chiffre exclut la redistribution de 50% (au maximum) des économies faites sous forme de revalorisation des traitements des fonctionnaires en place (dispositif Sarkozy).
3/ Enfin et surtout, ce chiffre concerne que la première année d’application de la mesure ! Or celle-ci, comme démontré lors de la dernière campagne présidentielle et oublié depuis, aurait des effets bien plus spectaculaires que les 500 millions annoncés. Car le non remplacement chaque année d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite entraîne arithmétiquement des économies qui s’additionnent, s’amplifient et se prolongent sur des décennies.
Un problème démocratique et intergénérationnel
En effet, fait rarement rappelé dans le débat public, un nouveau fonctionnaire est recruté pour 60 ans (40 ans de carrière et 20 ans de retraite), engageant ainsi le budget de la nation sur quelque… 12 législatures ! Au problème budgétaire s’ajoute donc l’enjeu de la liberté du choix démocratique et de l’arbitrage intergénérationnel, aussi cruciaux que passés sous silence.
Mais soyons « politiques », oublions le parlement et la jeunesse, et contentons-nous de voir l’impact de la « variable d’ajustement » sur une seule mandature présidentielle, horizon sans cesse revendiqué par le président.
Des économies cumulatives, croissantes et structurelles
Reprenons donc le calcul de François Hollande et nous arrivons à :
An 1 : 500 millions
An 2 : 1 milliard
An 3 : 1,5 milliard
An 4 : 2 milliards
An 5 : 2,5 milliards
Soit au total 7, 5 milliards d’euros d’économies sur 5 ans
– A quoi s’ajoute l’économie faite sur la progression automatique des rémunérations due à l’ancienneté, hors même de toute augmentation du point d’indice : au moins quelques centaines de millions d’euros, dont nous ferons grâce au président.
– Si la mesure était appliquée aux trois fonctions publiques nous arriverions (compte tenu des différences de rémunération, plus fortes dans la fonction publique d’Etat) à une économie totale d’environ 20 milliards d’euros.
– Et cela sans toucher à la revalorisation des carrières pouvant aller jusqu’à 50% des économies réalisées…
20 milliards d’euros : vous avez dit « variable d’ajustement » ?
Une leçon de Pierre Moscovici
Lors de mes lointaines études à Sciences Po, un jeune et brillant maître de conférences nous apprenait que l’économie était un système en état de déséquilibre permanent qui nécessitait des « ajustements » réguliers. C’est justement, nous disait-il, dans la préférence pour tel ou tel ajustement qu’intervient le choix politique. Il s’appelait Pierre Moscovici, alors jeune membre de la Cour des comptes tout comme François Hollande.
On ne saurait mieux dire. En refusant de faire porter, sauf à la marge, l’ajustement budgétaire, tout comme la réforme des retraites, sur la fonction publique, en décidant donc de le faire ipso facto retomber sur le secteur privé (salariés et entreprises), le gouvernement fait un choix risqué, car incompatible avec sa promesse de « réforme dans la justice ». Quel que soit le sens donné à ce mot – égalité de traitement pour les libéraux, égalité sociale pour la gauche – l’exemption de la fonction publique sera bel et bien vécue comme une… injustice.
Christophe de Voogd
Crédit photo : Flickr, beeldmark
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