Résumé
1.

Principaux enseignements de l’enquête

Introduction

 

1.

2022, présidentielle de crises

2.

La protestation électorale vient de loin. Retour sur les élections présidentielles depuis 1965

I.

Un contexte sans précédent : comment la guerre pèse sur le choix électoral

1.

L’actualité ukrainienne s’impose aux électeurs

2.

Il est devenu plus difficile de suivre la campagne

3.

Pour la première fois depuis 1965, la crainte d’une guerre mondiale hante une élection présidentielle

4.

Des électeurs sensibles aux risques d’ingérences russes dans la campagne présidentielle

5.

L’opinion juge sévèrement Vladimir Poutine

6.

Des électorats sensibles au poutinisme (Zemmour, Mélenchon, Le Pen)

7.

Président et candidat en temps de guerre

II.

Présidentielle 2022 : le révélateur d’une crise française de la politique

1.

Le vote protestataire, entre persistance et amplification

2.

S’abstenir ou voter blanc sont deux formes de la protestation électorale

3.

Malgré la campagne présidentielle, la désaffiliation partisane se poursuit

4.

La droitisation protestataire de l’électorat se confirme

5.

Les sources générationnelles de la déconsolidation démocratique

6.

L’avènement des protestations anomiques : Gilets jaunes, antivax et anti-passe vaccinal

7.

L’étincelle du pouvoir d’achat

III.

Une présidentielle bousculée par un espace médiatique en transition

1.

Défiance du public et fragmentation des auditoires : vers une désaffiliation médiatique ? 

2.

La perception globalement négative des réseaux sociaux n’est pas partagée par ceux qui les utilisent

3.

Comportements protestataires et médias sociaux sont entrés en résonance

IV.

Des points de résistance à la politisation négative

1.

Critiqué, le président Emmanuel Macron distance encore ses concurrents

2.

Le soutien à l’idée européenne progresse encore dans l’opinion

3.

La solidarité avec les Ukrainiens est une cause populaire

4.

La famille et les amis : des communautés de confiance qui demeurent

5.

Les nouvelles générations empruntent des voies alternatives de politisation

6.

Pour la plupart des électeurs (85%), il est utile d’aller voter à l’élection présidentielle malgré la crise internationale

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Résumé

La nouvelle étude de la Fondation pour l’innovation politique, 2022, présidentielle de crises, propose de mieux cerner l’impact de la guerre russe en Ukraine sur le déroulement de la campagne et sur l’issue de l’élection présidentielle française. Son influence sur le scrutin pourrait être d’autant plus déterminante que les cadres classiques de la compétition électorale ont perdu une bonne part de leur capacité régulatrice : le rôle des médias est contesté par les réseaux sociaux, tandis que les candidats et les partis de gouvernement sont concurrencés, voire distancés par les populistes.

Ce contexte singulier décrit une « présidentielle de crises », au croisement de bouleversements internes et externes. Cette étude prolonge notre observation du risque populiste en France mise en place lors de la crise des Gilets jaunes et dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.

Notre enquête a été administrée du 10 au 14 mars 2022, auprès d’un échantillon de 3.108 personnes inscrites sur les listes électorales et issues d’un échantillon de 3.449 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Dominique Reynié,

Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

Auteur, entre autres, du Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XXe siècle (Odile Jacob, 1998), du Vertige social nationaliste. La gauche du Non (La Table ronde, 2005) et des Nouveaux Populismes (Pluriel, 2013). Il a également dirigé l’ouvrage Où va la démocratie ? (Plon, 2017) et Démocraties sous tensions (Fondation pour l’innovation politique, 2020), deux enquêtes internationales de la Fondation pour l’innovation politique.

Fondation pour l'innovation politique,

Think tank libéral, progressiste et européen.

DIRECTION

Dominique REYNIÉ, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique

RÉDACTION

Victor DELAGE, Nicola GADDONI, Katherine HAMILTON, Dominique REYNIÉ, Axel ROBIN, Mathilde TCHOUNIKINE

PRODUCTION

Victor DELAGE, Anne FLAMBERT, Nicola GADDONI, Katherine HAMILTON, Axel ROBIN, Mathilde TCHOUNIKINE

RELECTURE ET CORRECTION

Francys GRAMET, Claude SADAJ

MAQUETTE ET RÉALISATION

Julien RÉMY

Enquête conçue par

la Fondation pour l’innovation politique

Réalisée par

l’institut Opinionway

L’équipe en charge de la réalisation de l’enquête :

Guillaume INIGO (directeur d’études), Bruno JEANBART (vice-président), Clément ROYAUX (chargé d’études)

IMPRESSION

GALAXY Imprimeurs

PARUTION

Avril 2022

Crédits

Abréviations des différents partis politiques utilisées dans cette étude
DLF : Debout la France ! • EELV : Europe Écologie-Les Verts • FdG : Front de gauche
LFI : La France insoumise • FN : Front national • LO : Lutte ouvrière • LR : Les Républicains • LREM : La République en marche • NPA : Nouveau Parti anticapitaliste • PCF : Parti communiste français • PS : Parti socialiste • RN : Rassemblement national

 

 

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Principaux enseignements de l’enquête

I. Un contexte sans précédent : comment la guerre pèse sur le choix électoral

1. L’actualité ukrainienne s’impose aux électeurs. À la question : « À quelle fréquence suivez-vous l’actualité concernant la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ? », 70% des électeurs interrogés répondent s’informer à ce sujet au moins une fois par jour. Seuls 2% des répondants déclarent ne jamais suivre les actualités concernant ce conflit.

2. L’impact de la guerre en Ukraine sur la campagne présidentielle se reflète également dans la manière dont les électeurs estiment la gravité des événements : 89% des personnes interrogées sont inquiètes de la guerre menée par Poutine en Ukraine.

3. Les préoccupations soulevées par la crise ukrainienne ont des répercussions sur la décision électorale : 45% des répondants estiment que le conflit comptera dans la détermination de leur vote lors du premier tour. Si seulement 10% des personnes interrogées disent avoir changé leur choix de vote en raison de la guerre en Ukraine, cette proportion double (20%) chez ceux qui répondent que le conflit comptera dans leur choix au premier tour.

4. Il est devenu plus difficile de suivre la campagne : 26% des répondants disent ne pas parvenir à s’informer correctement sur les différents candidats et sur leurs propositions à cause de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine (contre 43% qui déclarent arriver quand même à s’informer correctement sur les différents candidats et leurs propositions). Près d’un tiers (29%) des personnes interrogées déclarent ne pas chercher à s’informer sur les différents candidats car la campagne présidentielle ne les intéresse pas.

5. 48% estiment que l’on ne parvient plus à parler des grands sujets qui concernent la France et son avenir en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Des variations significatives peuvent être relevées selon les électorats potentiels. Les électeurs potentiels d’Emmanuel Macron (65%) et de Jean-Luc Mélenchon (56%) affirment majoritairement que la crise en Ukraine n’empêche pas la discussion autour des thématiques qui intéressent l’avenir de la France, tandis que l’option inverse est plus souvent citée par les électeurs de Valérie Pécresse (57%), de Marine Le Pen (54%) et d’Éric Zemmour (59%), un point de vue également partagé par une majorité des électeurs (55%) prévoyant de s’abstenir ou de voter blanc lors du premier tour.

6. 70% craignent de voir le conflit dégénérer en une guerre mondiale.

7. 68% des répondants considèrent que les ingérences étrangères constituent une menace importante dans la campagne présidentielle, dans la mesure où les citoyens n’ont pas la capacité de s’informer correctement, en particulier pour distinguer le vrai du faux.

8. 58% des personnes interrogées pensent que « l’État russe tentera de perturber l’élection présidentielle française, par exemple par la diffusion de fausses informations ». Parmi ceux qui le pensent, plus d’un tiers (37%) estiment que ce sera dans le but de favoriser un candidat qui aurait la préférence du Kremlin. Marine Le Pen (45%), Éric Zemmour (40%) et Jean-Luc Mélenchon (20%) sont le plus souvent considérés comme les candidats qui seraient favorisés par une telle intervention de l’État russe.

9. La quasi-totalité des répondants (88%) ont une opinion négative de Vladimir Poutine. L’opinion est même « très négative » pour 68%. On trouve cependant 10% des personnes interrogées exprimant une opinion positive de Vladimir Poutine. L’opinion positive à l’égard du président russe est plus répandue parmi les répondants âgés de 18-24 ans (24%) que chez ceux de 65 ans et plus (4%).

10. Des électorats sensibles au poutinisme (Zemmour, Mélenchon, Le Pen). L’opinion positive à l’égard de Vladimir Poutine est présente au sein des électorats potentiels d’Éric Zemmour (22%), de Jean-Luc Mélenchon (17%), de Marine Le Pen (16%) et de ceux qui disent vouloir s’abstenir (15%) lors du premier tour de l’élection présidentielle.

11. Les deux tiers des personnes interrogées (64%) se disent satisfaites de la façon dont le président de la République gère la crise en Ukraine, contre un tiers (34%) qui sont mécontents (2% n’ont pas répondu). Remarquons, par ailleurs, que 39% des répondants qui se disent mécontents de l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République sont malgré tout satisfaits de sa gestion de la crise en Ukraine.

12. Aucun des concurrents d’Emmanuel Macron n’est jugé capable de pouvoir mieux gérer la crise ukrainienne que lui.

 

II. Présidentielle 2022 : le révélateur d’une crise française de la politique

13. Le vote protestataire : persistance et amplification. Les intentions de vote de premier tour en faveur des candidats protestataires atteignent 46%. Les trois candidats de la droite protestataire, Marine Le Pen (19%), Éric Zemmour (12%) et Nicolas Dupont-Aignan (1%), réunissent 32% des intentions de vote, soit 18 points de plus que l’ensemble des candidats de la gauche protestataire (14%), composée de Jean-Luc Mélenchon (12%), Philippe Poutou (1%) et Nathalie Arthaud (1%).

14. L’hétérogénéité des électeurs susceptibles de voter pour les trois principaux candidats protestataires est notable. L’électeur type de Jean-Luc Mélenchon est plutôt jeune, métropolitain, salarié du secteur public ou chômeur. L’électeur type de Marine Le Pen est d’abord une femme, âgée entre 18 et 24 ans, vivant dans une commune rurale, salariée du secteur privé autant que du secteur public, au chômage, femme au foyer, opposée à la mondialisation. Éric Zemmour recueille un niveau d’intentions de votes comparable dans les différents segments de la population, à ceci près que son électorat est sensiblement plus masculin.

15. Abstention et vote blanc : 35% des personnes interrogées pourraient voter blanc au premier tour de la présidentielle, 26% disent pouvoir s’abstenir.

16. Les principales raisons indiquées montrent que l’abstention et le vote blanc procèdent moins d’un désintérêt pour la politique ou pour l’élection présidentielle que d’une forme de protestation. Ainsi, 30% des répondants disent qu’ils pourraient s’abstenir ou voter blanc car « les différents candidats ne leur conviennent pas », 24% car « c’est la même politique qui est menée quel que soit le résultat », 15% pour « protester contre le système actuel ». L’hypothèse selon laquelle la guerre menée par la Russie en Ukraine influence l’élection est en partie vérifiée puisqu’elle arrive en quatrième position (11%) des raisons d’une potentielle abstention ou d’un vote blanc, à égalité avec le désintérêt pour la politique (11%) et devant l’idée que son vote « ne sert à rien » (9%).

17. Dans le cadre d’un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, les personnes indiquant être « certaines » ou ayant « de fortes chances » de voter pour la candidate du RN représentent 31% des personnes interrogées, soit le résultat le plus élevé de nos cinq vagues réalisées depuis septembre 2019. Sur la même période, Emmanuel Macron atteint également son résultat le plus élevé (40%).

18. En cas de second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, 72% des électeurs pouvant voter Éric Zemmour au premier tour expriment une préférence pour Marine Le Pen, tandis que 16% des électeurs d’Éric Zemmour s’abstiendraient ou voteraient blanc et que 9% voteraient pour Emmanuel Macron.

19. 20% des électeurs qui pourraient voter pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour seraient disposés à voter pour Marine Le Pen dans un second tour l’opposant à Emmanuel Macron. 37% voteraient en faveur du président sortant, 37% s’abstiendraient ou voteraient blanc.

20. 25% des électeurs qui pourraient voter Valérie Pécresse au premier tour seraient disposés à voter pour Marine Le Pen dans un second tour l’opposant à Emmanuel Macron. 42% voteraient en faveur du président sortant, 28% s’abstiendraient ou voteraient blanc.

21. Selon nos données, près d’un électeur sur deux (44%) estime que son choix pour le premier tour de l’élection présidentielle « peut encore changer », contre 55% répondant qu’il « est définitif » (1% de non-réponses). Lorsque les électeurs sont questionnés sur leur second choix (« Et si vous deviez voter pour un autre candidat, ce serait pour… ? »), 20% des répondants déclarent qu’ils voteraient blanc et 11% qu’ils s’abstiendraient. Ces formes de protestation électorale constituent donc deux grands réservoirs électoraux.

22. La défiance à l’égard des partis politiques est confirmée : 80% des personnes interrogées ne font pas confiance aux partis politiques.

23. La désaffiliation partisane se poursuit malgré la campagne : 39% des électeurs ne déclarent pas de proximité avec un parti. LREM et le RN, les deux formations les plus populaires, suscitent respectivement l’intérêt de 10% seulement des électeurs.

24. La droitisation protestataire de l’électorat se confirme. En mars 2022, 46% des électeurs interrogés déclarent vouloir voter pour l’un des candidats de droite (Valérie Pécresse, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Éric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan) au premier tour. La droite protestataire représente le tiers des électeurs (32%), contre 27% en 2017. En mars 2022, la droite protestataire (32%) surpasse la droite de gouvernement (12%) et dépasse largement son niveau de 2017 (27%).

25. La droitisation protestataire de l’électorat s’observe également à travers l’autopositionnement sur l’échelle gauche-droite. 40% des répondants se situent à droite (entre 6 et 10 sur l’échelle), 21% à gauche (entre 0 et 4) et 15% au centre (5 sur l’échelle). Les personnes interrogées pouvaient ne pas se positionner sur cette échelle. Un quart des répondants (23%) ont choisi de ne pas se positionner.

26. Placés devant l’hypothèse d’un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, les électeurs qui se situent à droite sont un peu plus nombreux à être « certains » ou avoir « de fortes chances » de voter pour la candidate du RN (42%) que de voter pour le président sortant (40%).

27. Les nouvelles générations de citoyens sont peut-être en train de modifier le jeu politique et l’élection présidentielle pourrait leur fournir un moyen d’exprimer une forme de protestation, même s’ils risquent de s’abstenir beaucoup. En témoigne notamment la tentation populiste des 18-24 ans au premier tour de la présidentielle : 54% disent qu’ils voteront pour l’un des candidats protestataires, soit 8 points de plus que la moyenne (46%).

28. L’engagement politique des jeunes se traduit plus souvent par la volonté de contourner le système politique, comme le montre leur soutien à des mouvements en rupture avec le système politique : les deux tiers des 18-24 ans (66%) ont une image positive des Gilets jaunes (contre 49% en moyenne et 34% pour les 65 ans et plus). De même, la moitié (49%) ont une image positive des antivax (contre 30% en moyenne et 14% chez les 65 ans et plus). Enfin, 54% des plus jeunes ont une bonne image des anti-passe vaccinal, soit 17 points de plus que la moyenne (37%) et 35 points de plus que les 65 ans et plus (19%).

29. A contrario, on relève aussi les signes d’une politisation positive. L’un des enseignements les plus notables en ce qui concerne les nouvelles générations est la proportion de jeunes citoyens répondant faire confiance aux institutions religieuses, soit 50% chez les 18-24 ans contre 35% en moyenne.

30. 49% des électeurs disent avoir une image positive des Gilets jaunes, un record depuis 2019. Par ailleurs, 30% des électeurs gardent une image positive des antivax, soit 3 points de plus qu’en septembre 2021 (27%), et 37% ont une image positive des anti-passe vaccinal.

31. Le pouvoir d’achat (59%) est le principal enjeu pris en compte dans le choix des électeurs, devant l’immigration (24%) et les inégalités sociales (24%). Au sein des électorats potentiels, le pouvoir d’achat arrive partout en tête, à l’exception des électeurs potentiels d’Éric Zemmour, pour lesquels l’immigration arrive en première position (68%), et des électeurs potentiels de Yannick Jadot, pour lesquels le réchauffement climatique domine leurs préoccupations (67%). Enfin, la guerre menée par la Russie en Ukraine est davantage citée par les potentiels électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour (35%) que par l’ensemble de l’échantillon (20%).

 

III. Une présidentielle bousculée par un espace médiatique en transition

32. L’usage des médias sociaux s’est imposé dans le quotidien des électeurs : 92% d’entre eux utilisent au moins un réseau social. Chez les moins de 35 ans, l’utilisation d’au moins un réseau social atteint 99%, mais elle concerne à peu près tous les 50-64 ans (90%) et même les 65 ans et plus (82%).

33. En moyenne, la plupart des personnes interrogées déclarent utiliser Facebook (77%) et YouTube (77%). Moins massif, l’usage de WhatsApp (59%) et d’Instagram (47%) reste très répandu. Twitter (32%) et TikTok (27%) sont moins utilisés, suivis de Twitch (15%) et de Telegram (15%). Les trois quarts des répondants (77%) indiquent utiliser un réseau social au moins une fois par jour.

34. Les électeurs ne font pas confiance aux informations circulant sur les réseaux sociaux. 64% des répondants estiment qu’ils « offrent à n’importe qui la possibilité de s’exprimer sur des sujets [que les gens] ne maîtrise[nt] pas », 63% qu’ils « favorisent la diffusion de fausses informations », 50% qu’ils « donnent à d’autres trop d’informations sur notre vie privée » et 37% qu’ils « nous amènent à discuter uniquement avec des gens qui sont du même avis que nous ».

35. Comportements protestataires et médias sociaux sont entrés en résonance. Dans l‘hypothèse d’un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, 49% des répondants qui utilisent quotidiennement Telegram indiquent « être certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Marine Le Pen (contre 31% en moyenne) et 31% indiquent qu’ils voteraient pour Emmanuel Macron (contre 40% en moyenne). De même, 39% des utilisateurs quotidiens de YouTube sont « certains » ou ont de « fortes chances » de voter pour la candidate du RN (contre 30% pour le président sortant), et ceux utilisant TikTok au moins une fois par jour sont 38% (contre 40% pour Emmanuel Macron).

 

IV. Des points de résistance à la politisation négative

36. Critiqué, le président Emmanuel Macron distance encore ses concurrents. Avec la crise de la Covid-19, la proportion d’électeurs satisfaits de son action comme président s’est nettement améliorée. Elle est passée de 29% à 35% entre janvier et septembre 2020, puis à 40% en septembre 2021. Le jugement favorable s’est encore renforcé depuis la guerre lancée par Poutine en Ukraine : en mars 2022, ce sont 45% des répondants qui se disent satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron.

37. Le soutien à l’idée européenne progresse encore dans l’opinion. La confiance des répondants à l’égard de la Commission européenne a sensiblement augmenté, passant de 41% en juillet 2021 à 49% en mars 2022. Il en va de même pour le Parlement européen (41% juillet 2021, contre 47% en mars 2022). Ces tendances sont inverses à celles que l’opinion réserve à nos institutions nationales : sur la même période, la confiance à l’égard de l’Assemblée nationale a baissé de 6 points
(de 48% en juillet 2021 à 42% en mars 2022).

38. 70% des répondants qui ont l’intention de voter Marine Le Pen au premier tour ne souhaitent pas que la France quitte l’Union européenne. L’euro bénéficie également d’un fort soutien (69%). Les deux tiers (67%) des répondants qui ont l’intention de voter pour Éric Zemmour ne souhaitent pas que la France quitte l’Union européenne et une proportion similaire (73%) veut conserver la monnaie commune. Enfin, la quasi-totalité des électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon souhaitent que la France ne quitte ni l’Union européenne (88%) ni l’euro (89%).

39. Le soutien à l’OTAN est renforcé par la guerre de Poutine en Ukraine. La moitié des électeurs interrogés (50%) considèrent que l’appartenance de la France à l’OTAN est une bonne chose (contre 47% en juillet 2021), 37% jugent que l’appartenance de notre pays à cette alliance n’est « ni une bonne ni une mauvaise chose » et seulement 11% une mauvaise chose (contre 14% en juillet 2021).

40. La solidarité avec les Ukrainiens est une cause populaire. La plupart des répondants approuvent « le fait que les pays de l’Union européenne soient solidaires entre eux pour faire face à la crise déclenchée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine » : 86% y voient « une bonne chose » (contre 12%, qui y voient plutôt « une mauvaise chose » et 2% de non-réponses). Par ailleurs, 78% des électeurs sont favorables « aux sanctions économiques de la France et des autres pays européens contre la Russie pour soutenir l’Ukraine ».

41. Lorsque l’on précise que les sanctions contre la Russie pourraient conduire à une baisse du pouvoir d’achat, les répondants maintiennent leur soutien. Parmi les répondants qui soutiennent les sanctions économiques, 83% des répondants déclarent y être favorables « même si elles entraînent une augmentation du coût de la vie pendant un certain temps (par exemple, la hausse du prix de l’essence) ».

42. La famille et les amis : des communautés de confiance qui demeurent. On observe que pour suivre l’actualité de la guerre menée par Poutine en Ukraine, les discussions au sein de la famille (22%) et les discussions avec les amis (14%) arrivent parmi les options les plus citées, loin devant les journaux nationaux, les grandes radios, les chaînes de télévision et l’ensemble des réseaux sociaux.

43. Pour 85% des personnes interrogées, il « est encore utile d’aller voter à l’élection présidentielle car il faut que la démocratie fonctionne malgré la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ».

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2022, présidentielle de crises

La nouvelle étude de la Fondation pour l’innovation politique, 2022, présidentielle de crises, propose de mieux cerner l’impact de la guerre russe en Ukraine sur le déroulement de la campagne et sur l’issue de l’élection présidentielle française. Son influence sur le scrutin pourrait être d’autant plus déterminante que les cadres classiques de la compétition électorale ont perdu une bonne part de leur capacité régulatrice : le rôle des médias est contesté par les réseaux sociaux, tandis que les candidats et les partis de gouvernement sont concurrencés, voire distancés par les populistes. Ce contexte singulier décrit une « présidentielle de crises », au croisement de bouleversements internes et externes. Cette étude prolonge notre observation du risque populiste en France mise en place lors de la crise des Gilets jaunes et dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.

Notre enquête a été administrée du 10 au 14 mars 2022, auprès d’un échantillon de 3.108 personnes inscrites sur les listes électorales et issues d’un échantillon de 3.449 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence. L’échantillon a été interrogé par questionnaire auto-administré en ligne sur système Computer Assisted Web Interview (CAWI). Les résultats de ce sondage doivent être lus en tenant compte des marges d’incertitude : entre 0,8 et 1,8 points au plus pour un échantillon de 3.100 répondants. À noter les échantillons restreints pour les intentions de vote en faveur de Nathalie Arthaud (27 personnes), Philippe Poutou (27 personnes) et de Nicolas Dupont-Aignan (27 personnes).

 

2

La protestation électorale vient de loin. Retour sur les élections présidentielles depuis 1965

Le vote populiste est en constante progression depuis 1965. Les courbes ci-dessous représentent son évolution au premier tour des élections présidentielles de 1965 à 2017. Sur la période, le niveau du vote populiste varie selon que l’on intègre ou non le vote pour les candidats communistes. Lors des grandes heures du vote communiste, entre 1945 et 1981, on ne regardait généralement pas le PCF comme un parti populiste. De fait, par bien des aspects, ce parti répondait pourtant aux critères du populisme que nous proposons ici. Par d’autres aspects, il s’en éloignait, en particulier en considérant sa forte intégration au système français des élites politiques, syndicales, universitaires et médiatiques. Compte tenu de l’objectif de notre indicateur, il serait inapproprié d’ouvrir ici un tel débat.

Mais, dans notre reconstitution du vote populiste au premier tour des élections présidentielles de 1965 à 2017, nous avons choisi de présenter deux séries de données : l’une n’inclut pas le vote communiste, l’autre l’inclut. Nous n’avons pas pris en compte le vote en faveur de Pierre Juquin (2,10% des suffrages exprimés en 1988), candidat communiste dissident. Il importe enfin de noter que, de toute façon, à partir de 1988, le vote PCF décline rapidement, au profit d’un vote FN qui le supplante largement et systématiquement jusqu’en 2017. Le vote FN a d’ailleurs bénéficié d’importants transferts de l’électorat communiste.

Enfin, précisons que les résultats ont été calculés par rapport aux suffrages exprimés puis par rapport aux électeurs inscrits, ce qui permet d’intégrer ultérieurement sur un même plan l’abstention et le vote blanc, offrant la possibilité d’une évaluation globale de ce que nous nommons ici la « protestation électorale ».

Candidatures retenues : 1965 : J.-L. Tixier-Vignancour (Comités Tixier-Vignancour) ; 1969 : J. Duclos (PCF), A. Krivine (LC) ; 1974 : J.-M. Le Pen (FN), B. Renouvin (NAR), A. Laguiller (LO), A. Krivine (FCR) ; 1981 : A. Laguiller (LO), G. Marchais (PCF) ; 1988 : J.-M. Le Pen (FN), A. Laguiller (LO), A. Lajoinie (PCF) ; 1995 : J.-M. Le Pen (FN), A. Laguiller (LO), R. Hue (PCF), J. Cheminade (SP) ; 2002 : B. Mégret (MNR), J.-M. Le Pen (FN), A. Laguiller (LO), O. Besancenot (LCR), R. Hue (PCF), D. Gluckstein (PT) ; 2007 : J.-M. Le Pen (FN), A. Laguiller (LO), O. Besancenot (LCR), M.-G. Buffet (Gauche populaire et antilibérale), G. Schivardi (PT) ; 2012 : M. Le Pen (FN), N. Dupont-Aignan (DLR), J.-L. Mélenchon (FdG), P. Poutou (NPA), N. Arthaud (LO), J. Cheminade (SP) ; 2017 : M. Le Pen(FN), N.Dupont-Aignan(DLF), F. Asselineau (UPR), J.-L. Mélenchon (LFI), P. Poutou (NPA), N. Arthaud (LO), J. Cheminade (SP).

I Partie

Un contexte sans précédent : comment la guerre pèse sur le choix électoral

1

L’actualité ukrainienne s’impose aux électeurs

Depuis le déclenchement de l’invasion russe, le 24 février 2022, l’actualité ukrainienne s’est imposée dans le débat public, catalysant l’attention des médias et conséquemment des citoyens. À la question : « À quelle fréquence suivez-vous l’actualité concernant la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ? », plus des deux tiers des électeurs interrogés (70%) répondent s’informer à ce sujet au moins une fois par jour, 2% seulement des répondants déclarant ne jamais suivre les actualités concernant ce conflit.

L’impact de la guerre en Ukraine sur la campagne présidentielle se reflète également dans la manière dont les électeurs estiment la gravité des événements. À la question : « Vous le savez, la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. Est-ce que cette situation vous inquiète ? », 89% des personnes interrogées répondent par l’affirmative. Le niveau d’inquiétude est en relation avec la fréquence de l’information, même s’il demeure très élevé dans tous les cas. Ainsi, 95% des électeurs qui suivent l’actualité ukrainienne au moins une fois par jour se déclarent préoccupés par le conflit. Ce chiffre descend à 70% parmi ceux qui s’informent moins d’une fois par semaine mais il est encore au niveau de 45% pour ceux qui disent ne jamais suivre les actualités à propos de cette guerre.

Guerre en Ukraine : fréquence d’information et niveau d’inquiétude des électeurs

Copyright :

© Fondation pour l’innovation politique – avril 2022

Les préoccupations soulevées par la crise ukrainienne amènent à concevoir des répercussions sur le comportement électoral. En effet, près de la moitié des répondants estiment que le conflit comptera dans la détermination de leur vote lors du premier tour (45%). Si seulement 10% des personnes interrogées disent avoir changé leur choix de vote en raison de la guerre en Ukraine, cette proportion double (20%) chez ceux qui répondent que le conflit comptera dans leur choix au premier tour.

Le poids de la guerre en Ukraine sur le vote à la présidentielle

Copyright :

© Fondation pour l’innovation politique – avril 2022

La crise ukrainienne semble devoir peser davantage sur les électeurs de droite

Copyright :

© Fondation pour l’innovation politique – avril 2022

2

Il est devenu plus difficile de suivre la campagne

Un quart des répondants (26%) disent ne pas parvenir à s’informer correctement sur les différents candidats et sur leurs propositions à cause de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. Cette difficulté est davantage exprimée par les femmes (28%) que par les hommes (22%), chez les actifs (28%) que chez les inactifs (22%). Cependant, près d’un tiers (29%) des personnes interrogées déclarent ne pas chercher à « s’informer sur les différents candidats car la campagne présidentielle ne les intéresse pas ».

Le sentiment de ne pas parvenir à s’informer correctement dans cette campagne électorale concerne un quart des électeurs

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La moitié des personnes interrogées (48%) estiment que l’on ne parvient plus à parler des grands sujets qui concernent la France et son avenir en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Cette opinion est plus répandue encore chez les électeurs qui attribuent de l’importance au thème de l’immigration (57%) et à celui de l’influence de l’islam (55%) dans la détermination de leur vote.

L’impact du conflit en Ukraine sur la campagne présidentielle est davantage cité par les électeurs plus sensibles aux thèmes de l’immigration et de l’islam…

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Des variations significatives peuvent être relevées selon les électorats potentiels. Les électeurs d’Emmanuel Macron (65%), d’Anne Hidalgo (60%) et de Jean‑Luc Mélenchon (56%) affirment majoritairement que la crise en Ukraine n’empêche pas la discussion autour des grandes thématiques sur l’avenir de la France, tandis que l’option inverse est plus souvent citée par les électeurs de Marine Le Pen (54%), de Valérie Pécresse (57%) et d’Éric Zemmour (59%), un point de vue également partagé par une majorité des électeurs (55%) prévoyant de s’abstenir ou de voter blanc lors du premier tour.

L’impact du conflit en Ukraine sur la campagne présidentielle est également davantage cité par les électeurs de droite

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3

Pour la première fois depuis 1965, la crainte d’une guerre mondiale hante une élection présidentielle

Plus des deux tiers des personnes interrogées craignent de voir le conflit en Ukraine dégénérer en une guerre mondiale (70%). Cette inquiétude est plus répandue encore chez les femmes (76%) et elle concerne 73% des électeurs qui suivent l’actualité ukrainienne au moins une fois par jour.

Il importe de noter que la crainte engendrée par la situation en Ukraine traverse tous les électorats. Elle concerne 80% des électeurs potentiels d’Éric Zemmour et 80% de ceux qui disent vouloir s’abstenir, soit quelques points seulement sous la moyenne (89%). De même, une majorité (59%) des électeurs potentiels d’Éric Zemmour et de ceux qui disent vouloir s’abstenir (64%) redoutent l’extension de ce conflit en une guerre mondiale. Le niveau de préoccupation est donc élevé, même si le niveau moyen est supérieur (70%).

Le spectre d’une guerre mondiale, évoqué plusieurs fois par les médias depuis le début de la crise, est un facteur inédit dans l’histoire de l’élection présidentielle française. Jamais depuis 1965 la campagne présidentielle n’a été traversée par une crise d’une telle ampleur. La peur d’un emballement du conflit conditionne le rôle de la tragédie ukrainienne dans la décision électorale : 70% des répondants redoutent que l’invasion de l’Ukraine par la Russie provoque un nouveau conflit mondial. Plus de la moitié (53%) de ces électeurs estiment que la situation en Ukraine comptera dans leur vote, tandis que 13% disent avoir déjà changé leur choix de vote depuis le début de l’invasion russe.

Les électeurs les plus attentifs à l’actualité en Ukraine craignent davantage un conflit mondial

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4

Des électeurs sensibles aux risques d’ingérences russes dans la campagne présidentielle

Nous avons demandé aux électeurs s’ils considéraient les ingérences étrangères dans la campagne présidentielle comme une menace pour les institutions démocratiques ou si, différemment, ils pensaient que les citoyens ont la capacité de repérer les fausses informations et de neutraliser ces stratégies de manipulation. Plus des deux tiers (68%) des répondants considèrent que les ingérences étrangères constituent une menace dans la campagne présidentielle, dans la mesure où les citoyens n’ont pas la capacité de s’informer correctement, et en particulier de distinguer le vrai du faux. En revanche, 29% des électeurs estiment que, même si les interférences étrangères restent un problème, elles ne constituent pas une menace pour les institutions démocratiques.

Plus de la moitié des personnes interrogées (58%) pensent que « l’État russe tentera de perturber l’élection présidentielle française, par exemple par la diffusion de fausses informations ». Cette conviction est plus répandue parmi les électeurs d’Emmanuel Macron (68%) et de Valérie Pécresse (68%), alors que 52% des électeurs d’Éric Zemmour, 51% des abstentionnistes et 45% des électeurs de Marine Le Pen ne croient pas que l’État russe tentera de perturber l’élection. Parmi ceux qui croient que l’État russe tentera de perturber l’élection présidentielle, plus d’un tiers des répondants (37%) estiment que ce sera dans le but de favoriser un candidat qui aurait la préférence du Kremlin. Cette crainte est plus répandue parmi les électeurs qui se situent à gauche (45%) que chez ceux qui se situent à droite (36%) ou au centre (32%).

Les électeurs de gauche redoutent que l’État russe tente de favoriser l’élection d’un candidat qui aurait sa préférence

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Pour l’opinion, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean‑Luc Mélenchon sont les candidats que l’État russe souhaite favoriser

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5

L’opinion juge sévèrement Vladimir Poutine

La quasi-totalité des répondants (88%) ont une opinion négative de Vladimir Poutine. L’opinion est même « très négative » pour plus des deux tiers (68%). On trouve cependant 10% des personnes interrogées exprimant une opinion positive de Vladimir Poutine. Ce chiffre est plus élevé chez les hommes (12%) que chez les femmes (10%) et, surtout, l’opinion à l’égard du président russe est plus positive parmi les répondants âgés de 18-24 ans (24%) que chez ceux de 65 ans et plus (4%). Les habitants de l’agglomération parisienne ont une meilleure opinion de Poutine (14%) que ceux vivant dans les communes rurales (10%), tout comme les répondants appartenant aux catégories sociales supérieures (15%) par rapport à ceux appartenant aux catégories inférieures (11%).

Le président russe est plus populaire chez les électeurs dont le revenu du foyer est inférieur à 1.000 euros mensuels (20%) que chez ceux dont le revenu est égal ou supérieur à 3.500 euros (6%) ; ceux qui ont une bonne opinion de lui ont aussi une image positive des Gilets jaunes (81%, contre 49% en moyenne), des antivax (75%, contre 30% en moyenne) et des antipasse vaccinal (81%, contre 37% en moyenne). Il existe un lien entre le fait d’avoir une opinion positive du président russe et le vaccin contre la Covid-19 : alors que seulement 8% des vaccinés ont une opinion positive de Vladimir Poutine, ce chiffre monte à 25% parmi les non-vaccinés.

On note que l’attachement à l’Union européenne et à l’euro est nettement moins marqué chez les électeurs qui déclarent avoir une opinion positive de Poutine : un tiers des répondants (36%) ayant une opinion positive du président russe sont favorables à l’Union européenne (contre 56% en moyenne) et un tiers d’entre eux (34%) sont favorables à l’euro (contre 54% en moyenne).

Les électeurs qui ont une opinion positive du président russe restent majoritairement inquiets de la guerre en Ukraine (67%), même si la moyenne de l’échantillon est sensiblement supérieure (89%). De même, les électeurs qui ont une opinion positive de Vladimir Poutine sont nettement moins favorables aux sanctions économiques contre la Russie (43%) que ceux qui le jugent négativement (83%). Enfin, les répondants ayant une opinion positive de Poutine sont moins nombreux à craindre la perturbation des campagnes électorales par des puissances étrangères (52%) que ceux qui en ont une opinion négative (71%).

6

Des électorats sensibles au poutinisme (Zemmour, Mélenchon, Le Pen)

Dans le passé récent, Éric Zemmour, Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon ont tenu des propos indulgents, voire élogieux, à l’égard de Vladimir Poutine. Aujourd’hui, ces commentaires leur sont reprochés compte tenu de la guerre en Ukraine. L’opinion positive à l’égard de Vladimir Poutine est présente au sein des électorats potentiels d’Éric Zemmour, de Jean‑Luc Mélenchon, de Marine Le Pen et de ceux qui disent vouloir s’abstenir lors du premier tour de l’élection présidentielle.

Intentions de vote et poutinisme d’opinion

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Ce clivage pèsera également sur le second tour de l’élection présidentielle. Les répondants qui ont une opinion positive de Vladimir Poutine sont plus nombreux à vouloir voter pour Marine Le Pen et Éric Zemmour en cas de second tour face à Emmanuel Macron, alors que les électeurs de Jean‑Luc Mélenchon qui ont une opinion positive du président russe sont plus nombreux à dire vouloir s’abstenir.

La préférence pour un candidat protestataire face à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle est plus élevée chez les électeurs ayant une opinion positive de Vladimir Poutine

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Un lien existe entre le comportement électoral protestataire, l’orientation prorusse d’une partie de l’échantillon et les sources d’information utilisées. Sputnik et Russia Today sont deux agences de presse appartenant à l’État russe, bien connues pour favoriser l’agenda du Kremlin. Or, les personnes interrogées qui déclarent avoir une opinion positive de Vladimir Poutine sont plus nombreuses à connaître l’existence de ces deux agences. C’est encore plus net parmi les personnes qui disent s’informer par ces canaux. Cette tendance est perceptible au sein des électorats protestataires.

Les électeurs protestataires et les médias russes en France

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7

Président et candidat en temps de guerre

Notes

1.

Voir 2022, le risque populiste en France (vagues 2 et 3), Fondation pour l’innovation politique, octobre 2020.

+ -

Les deux tiers des personnes interrogées (64%) se disent satisfaites de la façon dont le président de la République gère la crise en Ukraine, contre un tiers (34%) qui sont mécontents (2% n’ont pas répondu). Remarquons par ailleurs que 39% des répondants qui se disent mécontents de l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République sont malgré tout satisfaits de sa gestion de la crise en Ukraine.

Dans la vague 3 de notre « indicateur de la protestation électorale » (octobre 2020)1, nous avions interrogé les électeurs pour savoir quels partis auraient fait « mieux », « ni mieux ni moins bien » ou « moins bien » que le gouvernement actuel dans la gestion de la crise de la Covid-19. La plupart des répondants ont estimé que les partis d’opposition n’auraient fait « ni mieux ni moins bien ». En 2022, lorsque l’on pose la même question, cette fois pour savoir si les candidats à l’élection présidentielle auraient fait « mieux », « ni mieux ni moins bien » ou « moins bien » qu’Emmanuel Macron dans la gestion de la crise en Ukraine, la plupart des répondants estiment que les candidats auraient fait « moins bien » que le président. Aucun des onze concurrents d’Emmanuel Macron n’est perçu capable de mieux gérer la crise ukrainienne que lui. Cependant, certains électorats potentiels de candidats à la présidentielle pensent que leur champion aurait fait mieux que le président sortant : 57% des électeurs d’Éric Zemmour, 55% des électeurs de Marine Le Pen et 52% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pensent que leur candidat aurait mieux géré la crise qu’Emmanuel Macron.

Pour l’opinion, aucun candidat n’aurait fait mieux qu’Emmanuel Macron dans la gestion de la crise en Ukraine

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Notes

2.

Sur 3.132 électeurs interrogés, 317 personnes déclarent avoir modifié leur choix de vote depuis le début de la guerre. Parmi ces électeurs, 69% des 51 personnes qui avaient l’intention de voter en faveur de Valérie Pécresse avant la guerre en Ukraine ont désormais l’intention de voter pour Emmanuel Macron.

+ -

Parmi les répondants qui se disent satisfaits de la façon dont Emmanuel Macron gère la crise ouverte par la guerre de Poutine en Ukraine, presque tous approuvent les sanctions économiques contre la Russie (92%). Tout en restant majoritaire, cette approbation est moins marquée (54%) chez les électeurs mécontents de la gestion de la guerre par le président. Cette satisfaction à propos de la façon dont Emmanuel Macron gère la guerre en Ukraine a permis la progression des intentions de vote en sa faveur pour le premier tour. Parmi les électeurs qui déclarent que la guerre de la Russie contre l’Ukraine les a conduits à réviser leur intention de vote, les deux tiers (69%) de ceux qui avaient l’intention de voter Valérie Pécresse et qui ont changé d’avis expriment leur intention de voter pour Emmanuel Macron. Cet enseignement peut être relevé, même s’il devra être confirmé en raison des effectifs concernés 2.

II Partie

Présidentielle 2022 : le révélateur d’une crise française de la politique

1

Le vote protestataire, entre persistance et amplification

Notes

1.

Voir Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2019-octobre 2021, 4 vol (disponibles sur www.fondapol.org).

+ -

2.

Nous avons fait le choix de compter Nicolas Dupont‑Aignan et son parti DLF – offre politique balançant entre droite souverainiste et droite populiste – dans le calcul du potentiel électoral populiste. En 2017, pendant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, le président de
DLF avait en effet passé un accord de gouvernement avec Marine Le Pen au terme duquel il acceptait de devenir son Premier ministre en cas d’élection de la candidate du FN. Depuis, les prises de position de Nicolas Dupont‑Aignan, en particulier dans le cadre de la crise sanitaire, viennent conforter notre choix initial de classer ce parti et son candidat dans la catégorie populiste.

+ -

3.

On se souvient qu’en 2012 et en 2017, le PCF avait décidé ne pas présenter de candidat et de se rallier à la candidature de Jean‑Luc Mélenchon. Le retour d’un candidat communiste, avec Fabien Roussel, signifie déjà par lui-même la volonté du PCF d’exprimer une voix alternative à celle du leader de LFI. On sait que le style populiste, l’autoritarisme et l’extrême personnalisation de sa candidature, en 2012 comme en 2017, ont fini par exaspérer les communistes. De plus, en considérant tant le discours de campagne que le contenu du programme
de Fabien Roussel, il nous a semblé légitime de ne pas inclure le candidat du PCF dans la catégorie des populistes ni dans celle du bloc de la gauche protestataire (LFI, NPA, LO).

+ -

L’élection présidentielle de 2017 a été marquée par un vote protestataire d’une ampleur sans précédent depuis la première élection présidentielle, en 1965. Au cours du quinquennat qui s’achève, loin de refluer, l’intérêt des Français pour la politique protestataire s’est confirmé. En témoignent la crise des Gilets jaunes, de même que l’attraction du vote populiste mesuré, entre septembre 2019 et octobre 2021, dans les cinq vagues de notre « indicateur de la protestation électorale 1». Dans notre nouvelle enquête 2022, présidentielle de crises, les intentions de vote de premier tour en faveur des candidats protestataires atteignent 46%. Les trois candidats de la droite protestataire, Marine Le Pen (19%), Éric Zemmour (12%) et Nicolas Dupont‑Aignan (1%) 2 réunissent 32% des intentions de vote, soit 18 points de plus que l’ensemble des candidats de la gauche protestataire (14%), composée de Jean‑Luc Mélenchon (12%), de Philippe Poutou (1%) et de Nathalie Arthaud (1%) 3.

L’hétérogénéité des électeurs susceptibles de voter pour les trois principaux candidats protestataires est notable. L’électeur type de Jean‑Luc Mélenchon est plutôt jeune, métropolitain, salarié du secteur public ou chômeur. L’électeur type de Marine Le Pen est d’abord une femme, âgée entre 18 et 24 ans, vivant dans une commune rurale, salariée du secteur privé autant que du secteur public, au chômage, femme au foyer. Éric Zemmour recueille un niveau d’intentions de votes comparable dans les différents segments de la population, à ceci près que son électorat est sensiblement plus masculin.

Les électeurs ayant l’intention de voter pour un candidat protestataire, et plus encore pour un candidat de la droite protestataire, ont une opinion plus favorable à Vladimir Poutine

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Profil des électeurs des principaux candidats protestataires

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Pour le second tour, en raison de son imprévisibilité, nous avons mesuré la disponibilité à voter pour les deux premiers candidats qui arrivent en tête des intentions de vote au premier tour. Les électeurs étaient donc invités à répondre qu’ils sont « certains » ou qu’il y a « de fortes chances » qu’ils votent pour le candidat de leur choix. Dans le cadre d’un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, la part de personnes indiquant être « certaines » ou qu’il y a « de fortes chances » qu’elles votent pour la candidate du RN s’élève à 31%, soit le résultat le plus élevé de nos cinq vagues successives, depuis septembre 2019. Parallèlement, le président sortant atteint également son résultat le plus élevé sur la même période. Ainsi, 40% des répondants sont « certains » ou disent qu’il y a « de fortes chances » qu’ils votent pour lui lors du premier tour. La proportion de ceux qui pourraient s’abstenir ou voter blanc baisse de 7 points, de 29% en septembre 2021 à 22% en mars 2022. Il en va de même pour la proportion de personnes qui ne savent pas encore pour qui voter, passant de 13% en septembre 2021 à 6% en mars 2022.

La disponibilité électorale et l’hypothèse d’un duel Emmanuel Macron-Marine Le Pen (septembre 2019-mars 2022)

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En cas de second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, les transferts de voix en faveur du président sortant ou de la candidate du RN seront observés de près. Tout d’abord en raison de la forte porosité entre les populismes de droite : 72% des électeurs qui pourraient voter Éric Zemmour au premier tour et 48% de ceux qui pourraient voter pour Nicolas Dupont‑Aignan expriment une préférence pour Marine Le Pen dans un duel face à Emmanuel Macron, tandis que 16% des électeurs d’Éric Zemmour et 43% des électeurs de Nicolas Dupont‑Aignan s’abstiendraient ou voteraient blanc et qu’une minorité voterait pour Emmanuel Macron (9% dans les deux cas). Ensuite, la barrière séparant les électeurs de Jean‑Luc Mélenchon de ceux de Marine Le Pen n’est pas non plus étanche : parmi les électeurs qui pourraient voter pour le candidat LFI au premier tour, un cinquième (20%) disent pouvoir voter pour Marine Le Pen au second tour. Ils sont plus d’un tiers (37%) à dire qu’ils voteront en faveur d’Emmanuel Macron et la même proportion (37%) à déclarer qu’ils s’abstiendront ou voteront blanc. Par ailleurs, le comportement des électeurs du PS et de LR paraît imprévisible, tant ils oscillent entre abstention, indécision, tentation protestataire et soutien à la majorité actuelle. Un quart des électeurs qui pourraient soutenir Anne Hidalgo (25%) au premier tour disent pouvoir s’abstenir ou voter blanc en cas de second tour Macron-Le Pen ; il en va de même pour 28% de ceux qui pourraient voter Valérie Pécresse au premier tour. Ces électorats sont toujours plus nombreux à dire qu’ils voteraient Macron plutôt que Le Pen au second tour (42% des électeurs qui ont l’intention de voter pour Valérie Pécresse expriment une intention de vote pour le président sortant, 62% parmi les électeurs potentiels d’Anne Hidalgo). Cependant, une part significative apparaît ouverte au vote populiste de droite : 6% des électeurs potentiels d’Anne Hidalgo et, surtout, un quart de ceux de Valérie Pécresse (25%) pourraient voter pour la candidate du RN. Sans surprise, la plupart des électeurs d’Emmanuel Macron (93%) ou de Marine Le Pen (95%) au premier tour maintiendraient leur choix au second tour.

2

S’abstenir ou voter blanc sont deux formes de la protestation électorale

Notes

4 .

Jusqu’en 2014, le recensement du vote blanc était confondu avec celui du vote invalide (vote nul). La catégorie se nommait « blancs et nuls ». Le vote blanc est comptabilisé à part depuis la loi du 21 février 2014. Il a été recensé séparément pour la première fois lors des élections européennes de juin 2014. L’élection présidentielle de 2017 a donc connu le nouveau régime du vote blanc.

+ -

Les raisons de l’abstention et du vote blanc sont diverses 4 : désintérêt pour la politique, difficulté à choisir, rejet de l’offre politique, des partis, des gouvernants ou expression d’un mécontentement plus général. Une partie seulement de l’abstention relève de la protestation électorale. Lorsque nous interrogeons les personnes sur leur disponibilité à l’abstention ou au vote blanc dans le cadre du premier tour de la présidentielle, le vote blanc semble plus attractif que l’abstention : 35% des personnes interrogées répondent qu’elles pourraient voter blanc (13% « oui, certainement », 22% « oui, probablement »), tandis qu’elles sont 26% à déclarer pouvoir s’abstenir (10% « oui, certainement », 16% « oui, probablement »). La disponibilité à l’abstention et au vote blanc procède de diverses causes, mais les principales raisons indiquées par les personnes interrogées montrent que l’abstention et le vote blanc procèdent moins d’un désintérêt pour la politique ou pour l’élection présidentielle que d’une forme de protestation. L’hypothèse selon laquelle la guerre menée par la Russie en Ukraine influence l’élection est en partie vérifiée, puisqu’elle arrive en quatrième position des raisons d’une potentielle abstention ou d’un vote blanc, à égalité avec le désintérêt pour la politique et devant l’idée que son vote « ne sert à rien ».

Les raisons de l’abstention et du vote blanc

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Les femmes sont plus disposées que les hommes à s’abstenir ou à voter blanc

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Au sein des classes populaires, la moitié des électeurs envisagent de s’abstenir ou de voter blanc

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Rappelons néanmoins que si le niveau de l’abstention peut jouer un rôle clé dans un résultat électoral, il reste difficile à anticiper 5. Depuis plusieurs années, les électeurs se montrent plus indécis à l’approche d’un scrutin, hésitant notamment entre participation et abstention 6. En France, c’est particulièrement le cas pour l’élection présidentielle, comme le montre le précédent de 2017. Selon nos données, près d’un électeur sur deux (44%) estime que son choix pour le premier tour de l’élection présidentielle de 2022 « peut encore changer », contre 55% répondant qu’il « est définitif » (1% de non-réponses). Lorsque les électeurs sont questionnés sur leur second choix (« Et si vous deviez voter pour un autre candidat, ce serait pour… ? »), 20% des répondants déclarent qu’ils voteraient blanc et 11% qu’ils s’abstiendraient. Ces formes de protestation électorale constituent donc deux grands réservoirs électoraux.

Les électeurs qui ne se positionnent pas sur l’axe droite-gauche sont plus disposés à s’abstenir ou à voter blanc au premier tour

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En cas de second choix, l’abstention et le vote blanc sont parmi les principaux réservoirs électoraux

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3

Malgré la campagne présidentielle, la désaffiliation partisane se poursuit

Notes

7.

Voir Bruno Cautrès, « La défiance a mis son gilet jaune », Note Le Baromètre de la confiance politique, #1, vague 10, Sciences-Po-Cevipof,
janvier 2019.

+ -

La moitié seulement des personnes interrogées (54%) déclarent s’intéresser à la politique (contre 45%). Or ce résultat est proche des niveaux habituellement observés en dehors des périodes électorales 7. Par ailleurs, s’il est vrai que 68% des répondants disent s’intéresser à l’élection présidentielle, ils sont encore près d’un tiers (31%), à quelques jours du premier tour, à répondre ne pas y prêter attention. En pleine campagne présidentielle, cet état d’esprit s’inscrit dans le cadre plus large d’une prise de distance à l’égard des corps intermédiaires et, plus généralement, du système politique : 80% des personnes interrogées ne font pas confiance aux partis politiques, 56% ne font pas confiance à l’Assemblée nationale et 61% ne font pas confiance aux syndicats. Si le constat est connu, il demeure impressionnant.

Forte défiance des citoyens à l’égard des institutions politiques

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Notes

8.

Anne Muxel, Politiquement jeune, L’Aube, 2018.

+ -

Pour la sociologue Anne Muxel, « l’érosion de la confiance dans les institutions de la démocratie représentative se traduit par une détérioration de la participation démocratique classique (participation électorale, militantisme partisan et engagement civique) 8 ». Notre enquête fait état d’une spectaculaire désaffiliation partisane. Une partie significative des électeurs (39%) n’ont aucune proximité avec un parti ou une tendance politique. Ce chiffre est encore plus élevé au sein de certaines catégories, atteignant 44% chez les femmes (contre 33% chez les hommes) et 42% chez les non-diplômés (contre 34% pour les personnes titulaires d’un diplôme supérieur à bac + 2).

Les électeurs ne se reconnaissent plus dans les partis

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Si 59% des répondants disent se sentir proche d’un parti politique, ce qui frappe, c’est la grande dispersion des affiliations, atteignant des niveaux très bas, à gauche comme à droite. Depuis leur élimination au premier tour de la précédente élection présidentielle, en 2017, les partis de gouvernement ne sont toujours pas parvenus à retrouver les niveaux d’affiliation qu’ils avaient autrefois dans l’opinion. On se souvient qu’en 2017 le « dégagisme » avait provoqué l’effondrement des partis de gouvernement, débouchant sur un second tour opposant un candidat hors système, Emmanuel Macron, à une candidate antisystème, Marine Le Pen. Du jamais vu. Cinq ans plus tard, c’est LREM et le RN qui suscitent le plus d’intérêt, mais toutes proportions gardées : 10% seulement des électeurs dans un cas comme dans l’autre. Enfin, la désaffiliation partisane s’étend à une sorte de désaffiliation politique, le quart (23%) des personnes interrogées répondant ne pas se situer sur l’échelle gauche-droite. Ce quart d’électeurs qui ne se reconnaissent ni de gauche ni de droite rassemble des personnes qui se sentent éloignées de la vie politique ou qui la rejettent : les femmes (28%) y sont surreprésentées, ainsi que les jeunes, 31% des 18-24 ans, les sans-diplôme/BEPC/CAP/BEP (28%), les ouvriers (29%), les hommes et les femmes au foyer (35%), ceux dont le revenu mensuel du foyer est inférieur à 1.000 euros (29%).

4

La droitisation protestataire de l’électorat se confirme

Notes

9.

Voir Victor Delage, La Conversion des Européens aux valeurs de droite, Fondation pour l’innovation politique, mai 2021, ainsi que Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France. Vague 4 et 2022, le risque populiste en France. Vague 5, Fondation pour l’innovation politique, juin et octobre 2021.

+ -

La droitisation protestataire de l’électorat que nous avions identifiée 9 peut enfin se mesurer à travers les intentions de vote : en mars 2022, 46% des électeurs interrogés déclarent vouloir voter pour un des candidats de droite (Valérie Pécresse, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Éric Zemmour, Nicolas Dupont‑Aignan) au premier tour de la présidentielle. Pour rappel et comparaison, en 2017, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le total des suffrages exprimés en faveur des candidats de droite atteignait 48,3%. Confirmé dans les urnes le 10 avril 2022, le total des intentions de vote de droite (46%) serait supérieur de 20 points au total des intentions de vote de gauche (26%). Si la droite domine, elle ne progresse pas par rapport à 2017. En revanche, la droite protestataire améliore encore son score global. Elle représente désormais le tiers des électeurs (32%), contre 27% en 2017, maximum, en additionnant les scores de François Asselineau et de Jacques Cheminade avec ceux de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont‑Aignan. En mars 2022, les intentions de vote en faveur de la droite protestataire dépassent de 20 points celles en faveur de la droite de gouvernement (12%). La droite protestataire (Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont‑Aignan) surclasse également de 18 points le total des intentions de vote en faveur de la gauche protestataire (14%). Enfin, remarquons que le potentiel électoral de la droite serait plus élevé encore si nous y incluions une partie des intentions de vote pour Emmanuel Macron, une dizaine de points si l’on estime, par exemple, que les électeurs de droite représentent un tiers du vote Macron. Dans ce cas, même si une partie de l’électorat macroniste devait aller à la gauche, cela ne pourrait remettre en cause la prépondérance de la droite.

La droitisation protestataire de l’électorat s’observe également à travers l’autopositionnement sur l’échelle gauche-droite. À la question : « Sur une échelle de 0 à 10, où 0 correspond à la gauche et 10 correspond à la droite, où diriez-vous que vous vous situez ? », 40% des répondants se situent à droite (entre 6 et 10 sur l’échelle), 21% à gauche (entre 0 et 4) et 15% au centre (5 sur l’échelle).

Les personnes interrogées pouvaient ne pas se positionner sur cette échelle. Un quart des répondants (23%) ont choisi de ne pas se positionner. La mise en perspective de ces données avec notre indicateur de la protestation électorale, 2022, le risque populiste en France, permet de rendre compte de l’évolution de l’autopositionnement politique. En moins de trois ans, la proportion d’électeurs se situant à droite de l’échiquier politique s’est accrue de manière significative, enregistrant son plus haut niveau en mars 2022.

La société française glisse encore un peu plus à droite

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Pour le premier tour de l’élection présidentielle, le vote des électeurs se situant à droite (de 6 à 10 sur l’échelle gauche-droite) est réparti en 4 groupes principaux : 27% disent qu’ils voteront pour Emmanuel Macron (contre 28% en moyenne), 23% pour Marine Le Pen (contre 19%), 20% pour Valérie Pécresse (contre 12%), 19% pour Éric Zemmour (contre 12%) et 1% pour Nicolas Dupont‑Aignan, un niveau identique à la moyenne de son score. Ainsi, 43% des électeurs qui se considèrent de droite indiquent voter pour un candidat de la droite protestataire (Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont‑Aignan), contre 20% pour la candidate de la droite de gouvernement, Valérie Pécresse. Si les répondants qui se situent au centre (position 5 sur l’échelle) sont nombreux à dire qu’ils voteront pour le président sortant (42%), ils sont aussi 21% à dire qu’ils choisiront la candidate du RN, loin devant celle des LR (6%), Éric Zemmour (6%) et Nicolas Dupont‑Aignan (2%).

La mobilisation des électeurs qui ne se situent pas sur l’échelle gauche-droite pourrait profiter à Marine Le Pen

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Placés devant l’hypothèse d’un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, les électeurs qui se situent à droite sont un peu plus nombreux à être « certains » ou à avoir de « fortes chances » de voter pour la candidate du RN (42%) que de voter pour le président sortant (40%). Parmi les électeurs qui se situent au centre, près de la moitié (48%) disent être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Emmanuel Macron, contre plus d’un quart (26%) qui se prononceraient pour Marine Le Pen. Il importe de rappeler que les électeurs se situant à droite (40%) sont beaucoup plus nombreux que ceux se situant au centre (15%). Notons également que si 50% des électeurs se situant à gauche déclarent être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Emmanuel Macron, 15% indiquent vouloir voter pour Marine Le Pen (15%). Un quart (27%) des répondants se situant à gauche disent pouvoir s’abstenir ou voter blanc. Si la proportion des électeurs de gauche n’atteint que 21% de l’ensemble des personnes interrogées, leur mobilisation comptera évidemment beaucoup pour le président sortant dans le cas d’un second tour l’opposant à Marine Le Pen.

Autopositionnement à droite et soutien aux sanctions contre la Russie

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5

Les sources générationnelles de la déconsolidation démocratique

Les nouvelles générations de citoyens sont peut-être en train de modifier le jeu politique et l’élection présidentielle pourrait leur fournir un moyen d’exprimer une forme de protestation, même s’ils risquent de beaucoup s’abstenir. Dans la perspective du premier tour de la présidentielle, la tentation populiste est élevée chez les 18-24 ans : 54% disent qu’ils voteront pour l’un des candidats protestataires, soit 8 points de plus que la moyenne (46%). Derrière Emmanuel Macron (29% des 18-24 ans, soit un niveau conforme au 28% du score moyen du président candidat), les deux principaux candidats sont Marine Le Pen (24%, contre 19% en moyenne) et Jean‑Luc Mélenchon (20%, contre 12%). À noter qu’Éric Zemmour est moins apprécié au sein de cette classe d’âge : 7% des 18-24 ans déclarent qu’ils voteront pour le candidat de Reconquête ! (contre 12% en moyenne).

Symptôme d’une possible déconsolidation démocratique, les jeunes électeurs sont plus abstentionnistes que leurs aînés. La propension des 18-24 ans à s’abstenir s’est confirmée ces dernières années, quel que soit le type de scrutin, avec en moyenne des taux supérieurs de 10 points à celui de l’ensemble des électeurs. Comme le montrent nos données, l’élection présidentielle de 2022 ne semble pas échapper à ce phénomène.

La disponibilité à s’abstenir ou à voter blanc est plus élevée chez les jeunes

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Notes

10.

Les Addictions chez les jeunes (14-24 ans). L’urgence d’une politique de santé et de sécurité publiques, Fondation pour l’innovation politique-
Fondation Gabriel-Péri-Fonds Actions Addictions, juin 2018, p. 12.

+ -

Attention, cependant, car ces résultats ne signifient pas que les jeunes générations se détournent de la politique. Au contraire, 59% des 18-24 ans déclarent s’y intéresser, soit 5 points de plus que la moyenne (54%). Mais cet engagement se traduit plus souvent par la volonté de contourner le système politique, comme en témoigne le soutien à des mouvements en rupture avec les logiques représentatives des organisations institutionnelles et des pouvoirs intermédiaires traditionnels. Ainsi, deux tiers des 18-24 ans (66%) ont une image positive des Gilets jaunes (contre 49% en moyenne et 34% pour les 65 ans et plus). De même, la moitié (49%) ont une image positive des antivax (contre 30% en moyenne et 14% chez les 65 ans et plus). Enfin, 54% des plus jeunes ont une bonne image des anti-passe vaccinal, soit 17 points de plus que la moyenne (37%) et 35 points de plus que les 65 ans et plus (19%).

La corrélation entre la fréquentation des réseaux sociaux et l’intention de vote à la présidentielle constitue également un autre indicateur de la recomposition par les nouvelles générations de l’espace public. Selon une enquête de 2018, un quart des jeunes interrogés (26%) estiment passer plus de 5 heures par jour sur les réseaux sociaux, et ils sont mêmes 10% à dire y passer plus de 8 heures par jour 10. Les données de 2022, présidentielle de crises indiquent que les 18-24 ans qui utilisent Twitter, Telegram ou TikTok au moins une fois par jour sont nombreux à dire qu’ils voteront pour Jean‑Luc Mélenchon. Pour Marine Le Pen, ce sont avant tout les utilisateurs quotidiens de Facebook mais aussi d’Instagram et de TikTok et de YouTube qui déclarent qu’ils voteront pour la candidate du RN. On observe que les 18-24 ans qui fréquentent quotidiennement les réseaux sociaux sont en revanche moins nombreux que la moyenne à dire qu’ils voteront Éric Zemmour, à l’exception de ceux qui sont sur Telegram et Twitch au moins une fois par jour.

Les intentions de vote selon l’âge

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Les jeunes s’informent moins sur la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine

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Dans un contexte de tensions extrêmes entre le monde démocratique et la Russie, la radicalité des 18-24 ans s’exprime aussi dans leur jugement à l’égard de Vladimir Poutine : 24% des jeunes électeurs expriment une opinion positive du président russe, contre 10% en moyenne et contre seulement 4% parmi les 65 ans et plus.

Depuis le début du conflit, les actions se sont multipliées en faveur des Ukrainiens, notamment à travers des dons financiers, des dons matériels et l’accueil des réfugiés fuyant la guerre. Portés par cet élan de solidarité, 78% des répondants déclarent être « favorables aux sanctions économiques de la France et des autres pays européens contre la Russie ». Parmi ces électeurs, 83% restent même « favorables aux sanctions économiques contre la Russie même si elles entraînent une augmentation du coût de la vie pendant un certain temps (par exemple, la hausse du prix de l’essence) » ; en revanche, 15% disent y être opposés si ces mesures doivent conduire à une baisse du pouvoir d’achat. Or, parmi les répondants en faveur des sanctions économiques, ce sont les 18-24 ans qui sont les plus nombreux (31%) à s’y opposer à partir du moment où elles entraîneraient une augmentation du coût de la vie, loin devant les 50 ans et plus (9%). La proportion des plus jeunes à considérer que l’enjeu du pouvoir d’achat sera déterminant dans leur vote est pourtant moins élevée que leurs aînés (48% contre 59% pour les 50 ans et plus).

6

L’avènement des protestations anomiques : Gilets jaunes, antivax et anti-passe vaccinal

Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, la France a vu s’enchaîner une série de crises d’intensités différentes, depuis les oppositions aux réformes ou le mouvement des Gilets jaunes jusqu’à la formation des mouvements antivax puis anti-passe sanitaire qui ont accompagné la pandémie de la Covid-19.

Un record depuis 2019 : 49% des électeurs disent avoir une image positive des Gilets jaunes

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Les soutiens aux protestations anomiques favorisent… le vote protestataire !

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Si les antivax et les anti-passe vaccinal ne sont pas une reproduction à l’identique des Gilets jaunes, on trouve des éléments communs à ces trois mouvements, tous porteurs d’une radicalité inédite : 30% des électeurs gardent une image positive des antivax, soit trois points de plus qu’en septembre 2021 (27%), et 37% ont une image positive des anti-passe vaccinal.

Enfin, les répondants qui ont une image positive de ces trois mouvements protestataires sont plus nombreux à dire vouloir s’abstenir ou voter blanc lors du premier tour de la présidentielle : 31% de ceux qui ont une bonne image des Gilets jaunes, 37% de ceux qui ont une bonne image des antivax et 35% de ceux qui ont une bonne image des anti-passe vaccinal répondent vouloir s’abstenir. L’intention de voter blanc est plus élevée encore parmi ceux qui soutiennent les Gilets jaunes (39%) et parmi ceux qui soutiennent les antivax (42%) et les anti-passe vaccinal (42%).

Les électeurs qui ont une bonne image des mouvements protestataires sont plus nombreux à avoir une opinion positive de Poutine

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Les électeurs qui ont une image positive des mouvements protestataires s’informent davantage avec Sputnik et Russia Today

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7

L’étincelle du pouvoir d’achat

La question du pouvoir d’achat est apparue rapidement au cours du quinquennat Macron. À l’origine de la crise des Gilets jaunes, on trouve l’élément déclencheur de l’augmentation du prix de l’essence. Plus récemment, le 7 mars 2022, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé un engagement de l’État d’un montant de 22 milliards d’euros pour contenir une partie de la hausse des prix de l’énergie induite par la guerre menée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine.

Le pouvoir d’achat est le principal enjeu pris en compte dans le choix des électeurs, à l’exception des électeurs potentiels d’Éric Zemmour, pour lesquels c’est l’immigration qui arrive en première position (68%), et chez des électeurs potentiels de Yannick Jadot, pour lesquels le réchauffement climatique est en tête des préoccupations (67%). Remarquons, enfin, que l’enjeu de la guerre menée par la Russie en Ukraine est davantage cité par les potentiels électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour (35%) que par l’ensemble de l’échantillon (20%), confirmant le rôle favorable au sortant que peut jouer la stature présidentielle dans ce scrutin, tandis qu’en dehors des périodes de cohabitations la position de président sortant s’est révélée être un inconvénient plus qu’un avantage.

Le pouvoir d’achat s’impose comme un enjeu majeur pour l’élection présidentielle

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Dans tous les électorats, le pouvoir d’achat constitue un des deux principaux enjeux de cette élection

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Dans tous les électorats, le pouvoir d’achat constitue un des deux principaux enjeux de cette élection (suite)

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III Partie

Une présidentielle bousculée par un espace médiatique en transition

1

Défiance du public et fragmentation des auditoires : vers une désaffiliation médiatique ? 

Les résultats de la vague 4 (avril 2021) et 5 (octobre 2021) de notre « indicateur de la protestation électorale », 2022, le risque populiste en France, faisaient état d’une crise de la représentation médiatique, parallèlement à la crise de la représentation politique, plus souvent évoquée. Les données de cette nouvelle enquête, 2022, présidentielle de crises, confirment la forte défiance à l’égard des médias, une majorité (58%) des répondants déclarant ne pas leur faire confiance.

La plupart des personnes interrogées n’ont pas confiance dans les médias

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La défiance envers les médias est particulièrement élevée chez les électeurs favorables aux mouvements protestataires de type anomiques. Ainsi, ceux qui indiquent avoir une image positive du mouvement des Gilets jaunes et des antivax font moins confiance aux médias (35% contre 40% en moyenne). Cette faible confiance envers les médias se retrouve parmi les répondants qui ont une image positive des anti-passe vaccinal (33% contre 40% en moyenne). Les répondants qui se sentent proches de Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, témoignent également d’une défiance plus importante (81%) vis-à-vis des médias que l’ensemble de l’échantillon (58%). Le niveau de défiance est plus proche de la moyenne pour les sympathisants du RN (59%) ou de LFI (61%). On note que les électeurs proches de LREM sont ceux chez lesquels la confiance dans les médias est la plus élevée (62%). L’utilisation des réseaux sociaux, même chez ceux qui les utilisent tous les jours, ne semble pas jouer un rôle dans la confiance des répondants dans les médias, à l’exception des utilisateurs quotidiens de Telegram (63%) et de YouTube (66%), dont le niveau de défiance dans les médias est supérieur à la moyenne (58%).

2

La perception globalement négative des réseaux sociaux n’est pas partagée par ceux qui les utilisent

L’usage des médias sociaux s’est imposé dans le quotidien des électeurs : 92% d’entre eux utilisent au moins un réseau social. Chez les moins de 35 ans, l’utilisation d’au moins un réseau social atteint 99%, mais elle concerne à peu près tous les 50-64 ans (90%) et même les 65 ans et plus (82%). En moyenne, la plupart des personnes interrogées déclarent utiliser Facebook (77%) et YouTube (77%).

Moins massif, l’usage de WhatsApp (59%) et d’Instagram (47%) reste très répandu. Twitter (32%) et TikTok (27%) sont moins utilisés, suivis de Twitch (15%) et de Telegram (15%). Les trois quarts des répondants (77%) indiquent utiliser au moins un réseau social tous les jours.

Intentions de vote selon la taille de la commune et utilisation des réseaux sociaux

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* Les intentions de vote pour Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean Lassalle et Nicolas Dupont‑Aignan n’ont pas été incluses, les écarts avec la moyenne globale n’étant pas significatifs.
** Les réseaux sociaux Twitch et Telegram n’ont pas été ici inclus car les échantillons selon les tailles d’agglomération étaient trop faibles.

Les médias sociaux sont plus utilisés par les jeunes, à l’exception de Facebook

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Les femmes (83%) sont plus nombreuses que les hommes (72%) à utiliser Facebook. Elles sont aussi plus nombreuses sur WhatsApp (63%, contre 55% pour les hommes), Instagram (56%, contre 39%) et TikTok (32%, contre 21%). En revanche, l’utilisation de YouTube, Twitter, Telegram et Twitch ne varie pas selon le genre. La proportion de femmes (82%) à utiliser un réseau social tous les jours est également supérieure à celle des hommes (71%).

Certains réseaux sociaux sont plus ou moins utilisés en fonction de la taille de la commune des répondants. Ainsi, Facebook est plus utilisé dans les communes rurales et les villes de 2 000 à 19 999 habitants (80%) que dans l’agglomération parisienne (73%). Pour les autres réseaux sociaux, c’est l’inverse : plus l’agglomération est grande, plus ils sont utilisés. Ainsi, les répondants sont 75% à utiliser YouTube dans une commune rurale (contre 79% dans les villes de plus de 100 000 habitants). Ces chiffres, au-dessus de la moyenne, montrent cependant que la numérisation de l’espace public s’installe comme culture commune, malgré les profondes différences qui séparent le monde rural des métropoles. Les écarts sont bien plus marqués pour d’autres réseaux sociaux : les répondants des communes rurales sont 50% à utiliser WhatsApp (contre 74% dans l’agglomération parisienne), 45% à utiliser Instagram (contre 55% dans l’agglomération parisienne). Ils sont également 28% à utiliser Twitter et 25% à utiliser TikTok dans les communes rurales (contre respectivement 42% et 34% chez les répondants de l’agglomération parisienne). Cette tendance ne diffère pas pour les réseaux les moins utilisés : 12% des personnes interrogées vivant dans une commune rurale utilisent Twitch et 11% Telegram, contre 19% et 22% pour les personnes vivant dans l’agglomération parisienne.

Les classes aisées sont plus consommatrices de réseaux sociaux

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Notes

1.

Voir Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France. Vague 5, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2021.

+ -

2.

Ibid

+ -

Notre enquête montre donc que la plupart des répondants utilisent les réseaux sociaux avec une fréquence plutôt élevée. En septembre 2021, ils étaient 15% à indiquer que les réseaux sociaux étaient une de leur source d’information principale 1. Chez les moins de 35 ans, l’utilisation des réseaux sociaux comme l’une des sources principales d’information montait même à 34% 2. Nos données indiquent qu’une partie significative de l’opinion publique ne fait pour autant pas confiance aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux. Les raisons de cette défiance peuvent être multiples, notamment l’effet « bulle de filtre » et le faible contrôle de la véracité des informations en circulation.

L’ambivalence des réseaux sociaux est perçue par les électeurs

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Dans l’ensemble, les électeurs ne font pas confiance aux informations circulant sur les réseaux sociaux

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Notes

3.

Voir Jules Grandin et Tom Fevrier, « Présidentielle 2022 : quels sont les candidats les plus suivis sur les réseaux sociaux ? », lesechos.fr, 18 décembre 2021.

+ -

On le sait, les moins de 50 ans sont bien plus favorables aux réseaux sociaux que les 50 ans et plus. Ils sont 41% à indiquer que les réseaux sociaux permettent à chacun de s’exprimer plus librement (contre 24% chez les 50 ans et plus), 61% qu’ils permettent de rencontrer de nouvelles personnes (contre 48%), 44% qu’ils offrent la possibilité de s’informer par soi-même (contre 26%) et 50% qu’ils permettent d’accéder à des services utiles (contre 42%).

Les candidats protestataires cherchent à accroître leur influence, déjà grande, au sein des classes populaires et moyennes. Ce sont également les plus présents sur les réseaux sociaux. Ainsi, derrière le président sortant, les candidats les plus suivis sur Facebook, Twitter et TikTok sont Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon. Ils sont aussi, avec Éric Zemmour, ceux qui ont le plus d’abonnements sur Instagram. Jean‑Luc Mélenchon est également particulièrement suivi sur YouTube ainsi que sur Twitch 3. Pour autant, nos données montrent que les classes populaires et moyennes sont plus méfiantes que les classes aisées face aux dangers des réseaux sociaux : 71% des répondants des classes moyennes et 66% de ceux des classes populaires pensent que les réseaux sociaux offrent à n’importe qui la possibilité de s’exprimer sur des sujets qu’il ne maîtrise pas, contre 57% des répondants des classes aisées. Les répondants des classes populaires sont également 64%, et ceux des classes moyennes 68%, à penser que les réseaux sociaux favorisent la diffusion de fausses informations, contre 57% des classes aisées. Si, globalement, les électeurs ont peu confiance dans les informations qui circulent sur les réseaux sociaux, s’ils sont conscients de leurs effets pervers, l’utilisateur d’un réseau social a cependant tendance à faire davantage confiance aux informations présentes sur ce réseau que la moyenne des répondants. Ceux qui utilisent YouTube, Twitter, Twitch et Telegram quotidiennement sont même majoritaires à indiquer avoir confiance dans les informations circulant sur ces plateformes. Selon les résultats de la vague 5 de notre « indicateur de la protestation électorale », réalisée en septembre 2021, la moitié des utilisateurs quotidiens de Telegram (50%) et plus d’un tiers des utilisateurs quotidiens de Twitch (38%) utilisent les « nouveaux médias » (YouTube, les blogs et forums sur Internet ou les réseaux sociaux) comme première source d’information.

Plus les répondants utilisent un réseau social, plus ils font confiance aux informations qui y circulent

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3

Comportements protestataires et médias sociaux sont entrés en résonance

Nos données montrent une relation entre l’utilisation des réseaux sociaux et une orientation électorale protestataire. Les utilisateurs quotidiens d’Instagram et de YouTube sont respectivement 32% et 33% à déclarer pouvoir être abstentionnistes au premier tour de l’élection présidentielle (contre 26% en moyenne). De même, les personnes interrogées utilisant quotidiennement YouTube (39%) et Instagram (40%) sont plus nombreuses que la moyenne (35%) à indiquer qu’elles pourraient voter blanc. Comme le montre le graphique ci-après, c’est chez les utilisateurs quotidiens de TikTok, Telegram et Twitch que l’abstention et le vote blanc sont les plus hauts.

TikTok, Twitch et Telegram : foyers d’abstention et de vote blanc

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En revanche, l’utilisation quotidienne de Facebook, WhatsApp et Twitter ne semble pas avoir d’effet sur l’intention de s’abstenir ou de voter blanc au premier tour : les utilisateurs quotidiens de Facebook, WhatsApp et Twitter sont 35% à dire pouvoir voter blanc, comme la moyenne des électeurs (35%). Parmi les usagers quotidiens de Facebook, ils sont 27% à indiquer pouvoir s’abstenir, 26% parmi ceux de WhatsApp, et 28% parmi ceux de Twitter (contre 26% en moyenne). Le potentiel de protestation électorale, et plus précisément la possibilité de voter pour l’un des trois grands candidats populistes, Jean‑Luc Mélenchon, Éric Zemmour ou Marine Le Pen, est sensible à l’utilisation des réseaux sociaux, notamment des réseaux utilisés par les plus jeunes : TikTok, Twitch et Telegram.

Les réseaux sociaux favorisent Jean-Luc Mélenchon et pénalisent Marine Le Pen

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Dans le cas d’un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, 40% des électeurs interrogés indiquent être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour le président sortant, 31% lui préférant la candidate du RN. Cependant, les répondants qui utilisent quotidiennement Telegram sont 49% à indiquer être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Marine Le Pen (31% indiquent qu’ils voteraient pour Emmanuel Macron). De même, 39% des utilisateurs quotidiens de YouTube sont « certains » ou ont de « fortes chances » de voter pour la candidate du RN (contre 30% pour le président sortant), et ceux utilisant TikTok au moins une fois par jour sont 38% (contre 40% pour Emmanuel Macron). Enfin, ceux utilisant quotidiennement Facebook seraient 37% à être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Marine Le Pen, et 39% pour Emmanuel Macron. Seuls les utilisateurs quotidiens de WhatsApp sont moins nombreux (26%) que la moyenne (31%) à être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Marine Le Pen au second tour, alors que 48% indiquent être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter Emmanuel Macron.

Les enquêtes d’intention de vote n’annoncent pas un second tour opposant le président sortant à Éric Zemmour ou à Jean‑Luc Mélenchon. L’hypothèse ne peut donc être considérée tant que ces deux candidats ne sont pas crédités d’un score leur permettant d’accéder au second tour. Cependant, si l’on mesure la disponibilité à voter pour le candidat protestataire dans le cadre d’un second tour qui verrait s’affronter Emmanuel Macron et Éric Zemmour, les répondants utilisateurs quotidiens de Telegram sont 33% à indiquer être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Éric Zemmour, et ceux utilisant YouTube tous les jours 27% (contre seulement 22% pour la moyenne des répondants). Les utilisateurs quotidiens de Telegram (37%) et de YouTube (38%) sont moins nombreux que la moyenne (44%) à indiquer être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Emmanuel Macron.

Enfin, en cas de second tour entre Emmanuel Macron et Jean‑Luc Mélenchon, en moyenne, 40% des électeurs interrogés indiquent être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour le président sortant contre 23% pour Jean‑Luc Mélenchon. Mais il est intéressant de noter que le score du candidat de LFI serait supérieur à la moyenne chez les utilisateurs quotidiens de Facebook (26%), d’Instagram (28%), YouTube (28%), Twitter (32%), TikTok (32%), Twitch (33%) et Telegram (35%). Les répondants les moins nombreux à indiquer être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Emmanuel Macron sont ceux qui utilisent quotidiennement Twitter (35%), Twitch (34%), TikTok (31%) Telegram (29%) et YouTube (29%). Ceux qui utilisent WhatsApp tous les jours sont moins nombreux à être « certains » ou avoir de « fortes chances » de voter pour Jean‑Luc Mélenchon (20%), tandis que 49% de ces utilisateurs quotidiens sont « certains » ou ont de « fortes chances » de voter pour Emmanuel Macron.

L’utilisation des réseaux sociaux, et surtout leur fréquence d’utilisation, est donc bien liée à la protestation électorale. Nos données montrent également qu’au-delà d’une disponibilité à voter pour des candidats antisystèmes, les utilisateurs fréquents des réseaux sociaux ont également une meilleure image des mouvements protestataires qui traversent la France ces dernières années, notamment les Gilets jaunes, les antivax et les anti-passe vaccinal.

Les utilisateurs quotidiens de TikTok et YouTube sont plus nombreux à déclarer une intention de vote pour la droite protestataire

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Les utilisateurs quotidiens de réseaux sociaux ont une image plus positive que la moyenne des mouvements protestataires

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Les utilisateurs quotidiens de réseaux sociaux semblent plus sensibles à toutes les formes de mouvements antisystèmes. Les utilisateurs de Twitch et de Telegram, qui sont presque exclusivement des moins de 35 ans, sont les plus proches des mouvements protestataires. C’est d’ailleurs sur ces deux réseaux sociaux que nous retrouvons la plus grande proportion de répondants qui déclarent n’être pas vaccinés contre la Covid-19 et ne pas avoir l’intention de se faire vacciner (22% pour les utilisateurs quotidiens de Twitch et 24% pour ceux de Telegram, contre 11% en moyenne). Cependant, l’utilisation quotidienne de Facebook et de WhatsApp, qui sont les deux réseaux sociaux utilisés tant par les moins de 35 ans que par les 35-50 ans, semble avoir moins d’influence sur l’appréciation des mouvements
protestataires.

Les utilisateurs quotidiens des réseaux sociaux sont également plus susceptibles d’avoir une opinion positive du président russe Vladimir Poutine. Nous avons déjà montré que les mouvements protestataires sont mieux perçus par les utilisateurs quotidiens des réseaux sociaux que la moyenne des électeurs. Il en va de même s’agissant de la perception à l’égard de Vladimir Poutine. Ainsi, en moyenne, la proportion des électeurs qui ont une bonne opinion du président russe (10%) augmente significativement parmi ceux qui utilisent quotidiennement Instagram (15%), WhatsApp (17%), YouTube (20%), Twitter (24%), TikTok (24%), Twitch (32%) et Telegram (47%). Chez les utilisateurs quotidiens de Facebook, cette opinion positive de Poutine est de même niveau (11%) que la moyenne (10%).

Les utilisateurs quotidiens de réseaux sociaux sont moins favorables que la moyenne aux sanctions économiques contre la Russie pour soutenir l’Ukraine

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IV Partie

Des points de résistance à la politisation négative

1

Critiqué, le président Emmanuel Macron distance encore ses concurrents

L’élection présidentielle de 2022 s’inscrit dans une crise au long cours de la politique en France. Cette crise se manifeste notamment par l’effondrement des organisations représentatives, partis et syndicats, favorisant l’émergence d’une protestation chronique et multiforme, visible depuis quelques années déjà, et ce bien avant 2017. Les « Bonnets rouges », les « Moutons », les « Pigeons », les « Pendus » ou les zadistes ont préexisté aux Gilets jaunes. Ces mouvements sont sans principe directeur, sans leader ni doctrine, sans programme. Leur nature anomique les prédispose à la confrontation, voire à la violence pure et simple.

Une telle évolution de la conflictualité alimente la défiance vis-à-vis des gouvernants et de la classe politique en général. Ainsi, l’opinion à l’égard de « l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République » s’est détériorée lors de l’émergence du mouvement des Gilets jaunes ou du mouvement social suscité par le projet de réforme des retraites. Néanmoins, avec la crise de la Covid-19, la proportion d’électeurs satisfaits de son action comme président s’est nettement améliorée. Elle est passée de 29% à 35% entre janvier et septembre 2020, puis à 40% en septembre 2021. Le jugement favorable s’est encore renforcé depuis la guerre lancée par Poutine en Ukraine : en mars 2022, ce sont 45% des répondants qui se disent satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron.

En mars 2022, 45% des électeurs sont satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron comme président

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Notes

1.

Voir Olivier Galland et Marc Lazar, Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans, Institut Montaigne, février 2022.

+ -

Si une partie significative de la jeunesse semble se délier du système politique français, les 18-24 ans sont aussi les plus nombreux (56%) à se dire satisfaits de l’action du président sortant. Ces données viennent confirmer l’idée d’une « jeunesse plurielle », divisée en fonction de ses orientations politiques, sociétales et culturelles 1.

Le niveau de diplôme est un autre facteur décisif, confirmant que l’action d’Emmanuel Macron convainc avant tout la France des diplômés : 50% des personnes ayant un diplôme supérieur à bac + 2 sont satisfaites de son action, soit 9 points de plus que les personnes sans diplôme ou disposant d’un BEPC, CAP ou BEP (41%). Enfin, l’autopositionnement sur l’échelle gauche-droite montre que la moitié des répondants qui se situent au centre (51%) se disent satisfaits. Ce résultat peut être considéré comme relativement faible pour un président qui ne se veut « ni de gauche ni de droite ». On note, par ailleurs, qu’un électeur sur deux se situant à droite se dit satisfait de l’action de Macron comme président (50%), contre 41% pour ceux qui se situent à gauche. Ces résultats confirment que la politique du président sortant est plus appréciée chez les électeurs de droite que de gauche.

Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen en 2017 sont les moins satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron comme président de la République

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Comme nous l’avons vu dans la première partie de notre enquête, près des deux tiers des répondants (64%) sont satisfaits de la façon dont Emmanuel Macron gère la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine. De plus, les électeurs n’estiment pas que les autres candidats à la présidentielle auraient fait mieux que lui. C’est une situation nouvelle. En effet, le fait d’occuper la position de sortant, hors des périodes de cohabitation, a eu tendance à exposer de manière croissante les présidents, les amenant à la défaite ou à ne pas se représenter : Valéry Giscard d’Estaing en 1981, Nicolas Sarkozy en 2012, François Hollande en 2017. L’élection de 2022 est le point d’arrivée d’une crise sanitaire historique, doublée d’une crise internationale majeure, signifiant le retour de la guerre en Europe. Un contexte aussi périlleux, incertain, change la position du sortant, moins exposé que ses prédécesseurs au rituel de la destitution électorale et modifie sensiblement la donne de l’élection présidentielle, celle du président sortant comme celle de ses concurrents. Au cœur de tempêtes successives, du point de vue des électeurs, le risque de changer de capitaine peut peser plus lourd que l’éventuelle jubilation que l’on espère tirer de sa défaite.

2

Le soutien à l’idée européenne progresse encore dans l’opinion

Notes

2.

Dominique Reynié (dir.), Libertés : l’épreuve du siècle. Une enquête planétaire sur la démocratie dans 55 pays, Fondation pour l’innovation politique-International Republican Institute-Community of Democracies, Konrad Adenauer Stiftung-Genron NPO-Fundación Nuevas Generaciones-República do Amanhã, janvier 2022, p. 50.

+ -

3.

Ibid.

+ -

4.

Ibid.

+ -

Déjà acquis dans nos vagues précédentes, le soutien à l’Union européenne et à l’euro progresse encore dans l’opinion. Il faut y voir un effet de la crise internationale qui a donné lieu à une mobilisation exceptionnelle des Européens, engagés dans un puissant mouvement de solidarité avec les Ukrainiens ; on a vu aussi l’expression inédite d’une volonté de prendre en charge la protection des Européens dans un mouvement au profit du président sortant, qui apparaissait déjà lors des élections européennes de 2019 comme le plus européen de tous les candidats.

On peut faire l’hypothèse que ces nouveaux progrès du soutien à l’Union européenne et à l’euro sont aussi une conséquence de la gestion de la pandémie de la Covid-19. C’est ainsi que la confiance des répondants à l’égard de la Commission européenne a sensiblement augmenté, passant de 41% en juillet 2021 2  à 49% en mars 2022. Il en va de même pour le Parlement européen (41% en juillet 3 2021 , contre 47% en mars 2022). Ces tendances sont inverses à celles que l’opinion réserve à nos institutions nationales : sur la même période, la confiance à l’égard de l’Assemblée nationale a baissé de 6 points (de 48% en juillet 2021 4 à 42% en mars 2022).

Déjà élevé, le soutien à l’Union européenne et à l’euro s’est renforcé

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L’attachement à l’Union européenne et à l’euro résiste aux diatribes des candidats antisystèmes, même au sein de leurs électorats, ce que nous avons régulièrement relevé depuis plusieurs années : les deux tiers des personnes (70%) qui ont l’intention de voter Marine Le Pen au premier tour en 2022 ne souhaitent pas que la France quitte l’Union européenne. L’euro bénéficie également d’un fort soutien (69%). Les résultats sont les mêmes pour les électeurs qui déclarent avoir l’intention de voter pour Éric Zemmour : les deux tiers (67%) ne souhaitent pas que la France quitte l’Union européenne et une proportion similaire (73%) veut conserver la monnaie commune. Enfin, la quasi-totalité des électeurs potentiels de Jean-Luc Mélenchon souhaitent que la France ne quitte ni l’Union européenne (88%) ni l’euro (89%).

Le renforcement du soutien à l’OTAN, confortée par la guerre de Poutine en Ukraine, est un troisième élément défavorable aux candidatures protestataires. En effet, la moitié des électeurs interrogés (50%) considèrent que l’appartenance de la France à l’OTAN est une bonne chose (contre 47% en juillet 2021) ; 37% jugent que l’appartenance de notre pays à cette alliance n’est « ni une bonne ni une mauvaise chose » et seulement 11% une mauvaise chose (contre 14%).

La guerre menée par Poutine en Ukraine renforce le soutien à l’OTAN

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Jugement sur l’utilité de l’appartenance à l’OTAN selon les électorats potentiels

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Peu importe l’âge, la solidarité des pays de l’Union européenne pour faire face à la crise en Ukraine est largement considérée comme une bonne chose

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3

La solidarité avec les Ukrainiens est une cause populaire

La plupart des répondants approuvent « le fait que les pays de l’Union européenne soient solidaires entre eux pour faire face à la crise déclenchée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine » : 86% y voient « une bonne chose » (contre 12%, qui y voient plutôt « une mauvaise chose », et 2% de non-réponses). Par ailleurs, 78% des électeurs sont favorables « aux sanctions économiques de la France et des autres pays européens contre la Russie pour soutenir l’Ukraine ».

Profil des répondants favorables et opposés aux sanctions économiques contre la Russie

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Lorsqu’on précise dans la question que ces sanctions pourraient conduire à une baisse du pouvoir d’achat des Français, les répondants qui y étaient favorables au départ maintiennent leur soutien à la cause ukrainienne. Ainsi, parmi les répondants qui soutiennent les sanctions économiques, 83% déclarent y être favorables « même si elles entraînent une augmentation du coût de la vie pendant un certain temps (par exemple, la hausse du prix de l’essence) ». Seuls 15% font la réponse inverse.

Parmi les différentes catégories socioprofessionnelles, les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprise sont les moins favorables aux sanctions économiques. Mais le soutien demeure majoritaire, et il est maintenu y compris si l’on précise que ces sanctions pourraient entraîner une augmentation du coût de la vie. Ainsi, 71% des artisans, commerçants et chefs d’entreprise favorables aux sanctions le reste même si cela entraîne une augmentation du coût de la vie ; ce n’est finalement que 12 points de moins que les employés (83%) et 10 points de moins que les ouvriers (81%).

4

La famille et les amis : des communautés de confiance qui demeurent

Notes

5.

Voir 2022, le risque populiste en France. Vague 4, Fondation pour l’innovation politique, juin 2021, p. 31-43

+ -

Face à la double crise de la représentation politique et médiatique 5, les électeurs se retrouvent au sein de communautés civiques relevant de formes moins institutionnelles, plus proches, plus intimes, plus naturelles, notamment la famille et les amis. À la question : « À l’approche de l’élection présidentielle, parmi les discussions suivantes, quelles sont celles qui vous aident le plus à décider pour qui vous allez voter ? », les répondants devaient classer de 1 à 3 les items suivants : « la famille », « les amis », « le travail ». Plus de la moitié (56%) d’entre eux estiment que les discussions avec la famille sont celles qui les aident le plus à décider de leur vote, suivies par les discussions avec les amis (26%). En revanche, les discussions au travail (8%) sont considérées comme peu utiles dans le choix du vote. Ce résultat peut en partie s’expliquer par la pandémie et les phases du confinement associé au télétravail qui ont sans doute pesé.

Par ailleurs, on observe que pour suivre l’actualité de la guerre menée par Poutine en Ukraine, les discussions au sein de la famille (22%) et les discussions avec les amis (14%) arrivent parmi les options les plus citées, loin devant les journaux nationaux, les grandes radios, les chaînes de télévision et l’ensemble des réseaux sociaux. Ces résultats montrent que, dans un espace public bouleversé où médias traditionnels et nouveaux médias se disputent l’information, les communautés traditionnelles restent pour les individus des points solides, aussi bien dans la détermination de leur comportement électoral que dans leur manière de s’informer.

5

Les nouvelles générations empruntent des voies alternatives de politisation

Notes

6.

Voir Dominique Reynié (dir.), Le XXIe siècle du christianisme, Éditions du Cerf, 2021.

+ -

Les jeunes électeurs fournissent une part importante du vote populiste. Leur contribution à l’abstention est plus massive encore. On les retrouve aussi en soutien de mouvements protestataires anomiques, zadistes, animalistes. Ces comportements politiques illustrent le processus de déconsolidation démocratique. A contrario, on relève aussi les signes d’une politisation positive. C’est une donnée qui peut surprendre, mais les 18-24 ans font nettement plus confiance (53%) à l’Assemblée nationale que la moyenne des électeurs (42%), plus confiance aux partis (37%) que l’ensemble des répondants (18%). Ils sont également plus enclins (77%) à faire confiance aux associations que la moyenne (66%), plus nombreux à faire confiance aux syndicats (57%) que la moyenne (37%).

Les nouveaux électeurs, s’ils ne s’abstiennent pas massivement comme ils l’ont fait lors des scrutins européens (2019), municipaux (2020), départementaux et régionaux (2021), disent également leur attachement à l’Union européenne (90%, contre 84% en moyenne), à l’euro (84%, contre 85%), mais aussi faire confiance au Parlement européen (54%, contre 47% en moyenne) et à la Commission européenne (58%, contre 49%).
L’un des enseignements les plus notables en ce qui concerne les nouvelles générations est la proportion de jeunes citoyens répondant faire confiance aux institutions religieuses, soit 50% chez les 18-24 ans contre 35% en moyenne. On peut y voir un retour du religieux qui répondrait à un besoin individuel de trouver sa place au sein d’une communauté productrice de sens et bienveillante, dans un contexte d’incertitudes et d’insécurités. Le religieux n’est pas, comme on l’imagine volontiers en France, une anomalie mais plutôt un phénomène dont la montée en puissance accompagne la globalisation 6.

Les nouvelles générations sont les plus ouvertes à la mondialisation

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Alors que près des trois quarts des 18-24 ans (71%) disent être intéressés par l’élection présidentielle de 2022 (contre 68% en moyenne), ils sont aussi plus nombreux (59% contre 45%) à considérer que la crise déclenchée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine comptera au moment de voter au premier tour le 10 avril. Il est possible que l’invasion de l’Ukraine ait un effet mobilisateur. Ainsi, alors que 10% de l’ensemble de l’échantillon dit avoir changé de vote depuis le début de la guerre, ce chiffre grimpe à 23% chez les 18-24 ans. Le risque d’une forte abstention au sein de ces générations ne doit pas nous amener à penser qu’elles se sont détachées des affaires de la cité.

6

Pour la plupart des électeurs (85%), il est utile d’aller voter à l’élection présidentielle malgré la crise internationale

Comme le plus bel hommage rendu par notre démocratie au courage des Ukrainiens, les électeurs estiment massivement (85%) que, malgré la guerre menée par Poutine en Ukraine, il « est encore utile d’aller voter à l’élection présidentielle car il faut que la démocratie fonctionne malgré la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ». Un électeur sur dix (12%) considère au contraire qu’il « n’est plus utile d’aller voter à l’élection présidentielle car la démocratie ne peut plus fonctionner correctement en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine » (3% de non-réponses).

« Il faut que la démocratie fonctionne malgré la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine »

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Parmi les répondants qui sont les plus nombreux à dire qu’« il n’est plus utile d’aller voter à l’élection présidentielle car la démocratie ne peut plus fonctionner correctement en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine », on trouve les « désaffiliés politiques », ceux qui ne se sentent proches d’aucun parti (17%), ainsi que les personnes qui ne se positionnent pas sur l’échelle gauche-droite (20%). Ces chiffres restent malgré tout minoritaires.

On note que parmi les électeurs que la guerre en Ukraine inquiète, la quasi-totalité (87%) estime qu’il « est encore utile d’aller voter malgré la guerre ». Cette proportion tombe à 68% parmi les électeurs que la guerre n’inquiète Les électeurs les plus sensibles au poutinisme sont également plus disposés à contester l’utilité de l’élection présidentielle dans ces temps de guerre. Ainsi, un quart des répondants (26%) ayant une opinion positive de Vladimir Poutine pensent qu’« il n’est plus utile d’aller voter à l’élection présidentielle car la démocratie ne peut plus fonctionner correctement en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ». C’est 15 points de plus (11%) que chez les électeurs qui ont une image négative de Poutine.

L’utilité d’aller voter à l’élection présidentielle malgré la crise ukrainienne selon les électorats potentiels

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On note que parmi les électeurs que la guerre en Ukraine inquiète, la quasi-totalité (87%) estime qu’il « est encore utile d’aller voter malgré la guerre ». Cette proportion tombe à 68% parmi les électeurs que la guerre n’inquiète Les électeurs les plus sensibles au poutinisme sont également plus disposés à contester l’utilité de l’élection présidentielle dans ces temps de guerre. Ainsi, un quart des répondants (26%) ayant une opinion positive de Vladimir Poutine pensent qu’« il n’est plus utile d’aller voter à l’élection présidentielle car la démocratie ne peut plus fonctionner correctement en raison de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ». C’est 15 points de plus (11%) que chez les électeurs qui ont une image négative de Poutine. pas. Pour une proportion significative de l’échantillon, la guerre menée par Poutine en Ukraine ne doit pas empêcher le bon fonctionnement de la démocratie française.

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