Résumé
I.

Certitudes et confusion

II.

transition énergétique : bonnes intentions, mauvais calculs

1.

Le réquisitoire de la cour des comptes

2.

le champ de ruines de la transition : le rapport du CGSP

3.

Le bilan critique de la chaire électricité Paris-dauphine

4.

les recommandations du think tank Synopia

5.

la proposition de la commission pour 2030 et le projet sur la sécurité énergétique

III.

Enterrer la « novlangue » et renouer avec l’esprit critique

1.

L’Energiewende allemande est un contre-modèle

2.

Un pseudo-marché européen de l’électricité à la botte du politique

3.

Les fausses certitudes blotties dans les mots « transition énergétique »

4.

Vertu personnelle, ressources collectives

IV.

Carton rouge pour le bâtiment à énergie « positive »

1.

les faux calculs d’une division par deux de la consommation d’énergie française

V.

Pour une politique énergie-climat efficace : marché, démocratie, intérêt national

1.

Un marché efficace incluant le carbone

2.

développer les enr compétitifs, favoriser l’autoconsommation et rendre son rôle au marché

3.

redonner le goût de l’analyse économique non biaisée à une dg comP encore sous hypnose

4.

donner une gouvernance digne de lui au marché carbone qui a le mérite d’exister

5.

Epouser la démocratie : vers des décisions informées librement consenties

6.

l’intérêt national français

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Résumé

Face à un risque climatique qui ne cesse de croître, les politiques énergétiques européennes restent marquées par ce mélange de bonnes intentions et de mauvais calculs que l’économiste et énergéticien Albert Bressand dénonçait dans sa précédente note rédigée pour la Fondation pour l’innovation politique en juillet 2013. Des analyses convergentes confirment pourtant que l’écart se creuse entre intentions et résultats – ainsi des rapports de la Cour des comptes, du CGSP, du think tank Synopia et de la chaire Électricité de l’université Paris-Dauphine. Hélas ! la novlangue reste vivace et le terme « ambition » en est venu à dispenser de toute prise en compte des résultats réels. Des projets démesurément coûteux perpétuent le gaspillage des ressources, ainsi du bâtiment à énergie positive pour tous (Bepos) qui va créer une nouvelle strate de contraintes et d’intermédiaires protégés dans un secteur déjà sinistré, cela pour un rapport coûts/bénéfices souvent dérisoire et au détriment des moins fortunés.

Le moment est venu de rompre avec les fausses certitudes que dissimule le terme « transition énergétique ». Diviser les émissions françaises d’un facteur 4 ne reculera le réchauffement que de trois semaines d’ici à 2050 – et de moins d’une semaine par comparaison avec un facteur 2 bien moins pénalisant. Marché, démocratie et intérêt national sont les principes fondateurs de la nécessaire reconstruction. Un marché carbone digne de ce nom peut générer des réductions d’émissions de 5 à 60 fois moins chères que les projets à forte connotation symbolique. La démocratie passe par un contrôle parlementaire des dépenses et des résultats climatiques, aux antipodes d’une décentralisation prétendue citoyenne dans laquelle un mécanisme de prix hypercentralisé subventionne les mieux toiturés aux dépens des plus modestes. La prise en compte de l’intérêt français serait, quant à elle, au diapason d’un monde dans lequel ni l’Allemagne, ni les États-Unis, ni la Chine ou la Russie ne font de cadeaux.

Albert Bressand,

Senior fellow, Vale Columbia Center for Sustainable International Investment, New York, Professor of International Strategic Management in Energy, Rijksuniversiteit Groningen

I Partie

Certitudes et confusion

Notes

3.

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change », avril 2014 (http://mitigation2014.org).

+ -

4.

Albert Bressand, Transition énergétique : bonnes intentions et mauvais calculs, Fondation pour l’innovation politique, juillet 2013. ().

+ -

5.

De 7 % en 2012, dont 11 % pour l’électricité en raison des charges…

+ -

6.

En 2007, selon l’approche « territoire », la France a émis 506 millions de tonnes équivalent Co2 (Mt Co2éq.) de GES (Co2, CH4 et N20), soit 8,2 tonnes par habitant, en baisse de 7 % par rapport à En revanche, selon l’approche « empreinte », ces émissions ont été de 752 Mt Co2éq. en 2007, soit 12,2 tonnes par habitant, en progression par rapport aux 11,6 tonnes de 1990. Les émissions « territoire » ne représentaient plus que 67 % des émissions « empreinte » en 2007, contre 83 % en 1990, en raison de la tertiarisation de l’économie française, au détriment de l’industrie, très émettrice de Co2, et de l’agriculture, émettrice de méthane. une part croissante des émissions liées à la demande intérieure française est donc « importée ». Source : Commissariat général au développement durable, Repères, édition 2014, p. 13. À noter que ces émissions peuvent être mesurées, comme ici, en tonnes de Co2 équivalent, ou en tonnes de carbone (soit 3,7 fois moins).

+ -

7.

Les quelques éléments dont on dispose suggère que la désindustrialisation des pays développés a un impact fort sur les performances carbone via les « transferts » qu’elle induit (« In Annex B countries, produc- tion-based emissions have had a slight Consumption-based emissions have grown at 0.5 % per year, and emission transfers have grown at 12% per year » (Source : Le quéré et al., 2013 ; Peters et al., 2011 ; Global Carbon Project 2013).

+ -

8.

Voir notamment Sandra Laugier et Sébastien Velut, Rapport du groupe de travail SHS-Énergie, Alliance Athéna, septembre 2013.

+ -

Pour le grand public, la « transition énergétique » est en route. Elle progresse un peu comme le réseau TGV, avec une direction claire et pour des résultats qui semblent proportionnels à l’effort consenti. La finalité est, pense-t-on, la réduction du risque climatique. On peut aller plus ou moins vite, mais le progrès se mesure en économies d’énergie et en pourcentage d’énergies renouvelables (ENR) dans le bilan, c’est-à-dire, pour l’essentiel, en nombre de logements mieux isolés et en nombre d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques (PV) déployés, à quoi s’ajoutent véhicules électriques et éco- consommation. Un sondage Ifop de mai 2014 pour l’ONG WWF montre que les Français sont en majorité favorables aux énergies alternatives et qu’ils estiment que la transition énergétique peut être un atout économique : 90 % des personnes interrogées se déclarent favorables à « un modèle énergétique basé sur les énergies renouvelables et les économies d’énergie ». De même, selon une étude de l’association France Énergie Éolienne de mars 2014, 87% des Français souhaitent que l’on se dirige vers un « équilibre » entre différentes sources d’énergie, alors que le nucléaire représente un peu plus de 75 % de l’électricité produite dans l’Hexagone (soit un peu plus de 15% du bilan énergétique national)1.

 

Sobriété, équilibre des énergies, industries vertes et emplois de proximité : pour le public, l’effort de chacun pour « sauver la planète » est certes coûteux mais il est fondé sur une éthique personnelle d’harmonie et un projet collectif dont les résultats justifieront les sacrifices consentis. Pour qui s’en tient aux repères que se donne le corps politique, la progression semble d’ailleurs bien engagée : l’Europe atteindra son objectif de réduire de 20 % ses émissions de carbone par rapport à 1990, bien avant la date de 2020 qu’elle s’était fixée ; le développement des ENR est si rapide qu’en Allemagne, pays qui caracole en tête pour ce type d’énergie, la proportion d’électricité d’origine renouvelable a atteint le record de 75 % au cours de la journée du 11 mai 2014 (la moyenne au premier trimestre 2014 étant de 27 %2). La transition est en route et tout, pense-t-on, n’est qu’affaire de rythme. Même la question du nucléaire, sous-jacente au débat français, semble plus ou moins réglée par la promesse présidentielle de couper la poire en deux et de ramener la part du nucléaire à 50 % en 2025.

Or, dans le même temps, pour qui travaille concrètement sur ces sujets – par exemple pour adapter le  réseau  électrique  aux  ENR –, ce  monde de certitudes a déjà volé en éclats. Le caractère linéaire de la transition a fait place à une série d’interrogations sur les factures électriques en hausse constante, les vulnérabilités du réseau, les émissions qui recommencent à augmenter, les centrales classiques pratiquement neuves que les opérateurs ferment par dizaines alors qu’elles restent indispensables pour faire face aux intermittences du vent et du soleil…

Les doutes qui saisissent les experts, soulignons-le, ne remettent nullement en cause la réalité du changement climatique. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)3 est, à cet égard, un nouveau cri d’alarme sans ambiguïté : la planète est sortie de    la trajectoire qui permettrait de limiter la hausse des températures à 2 oC. Pourtant, les experts voient bien que, pour reprendre le titre de notre note rédigée pour la Fondation pour l’innovation politique en juillet 20134, les « bonnes intentions » qui inspirent la transition telle qu’elle est mise en œuvre en Europe se révèlent entachées de tant de « mauvais calculs » que rien ne garantit que l’on se rapproche vraiment des buts qui justifient la confiance du grand public.

 

empreinte carbone croissante et prix négatifs : les chiffres que l’on ignore

De fait, malgré la grande agitation, le bilan de la première décennie de transition à marche forcée est inquiétant en termes de compétitivité, tandis que les progrès que l’on attend sur le plan du climat se révèlent bien ténus dès lors que l’on adopte la perspective globale qui est celle du changement climatique. Les invocations à conduire des politiques « ambitieuses » ne parviennent plus à dissimuler que, paradoxalement, la facture des ménages augmente plus vite que ne baissent les prix de gros de l’électricité5 et que les emplois promis se révèlent être, via les hausses de factures électriques, des emplois aidés dont la contribution au dynamisme industriel s’exerce au moins autant au profit de la Chine que de l’Europe. Les deux bonnes nouvelles que nous évoquions ci-dessus – baisse des émissions européennes et record d’énergie renouvelable en Allemagne – sont des symboles forts qui recouvrent des réalités bien plus ambiguës :

  • la réduction des émissions de carbone depuis le territoire européen se révèle trompeuse quand on prend en compte la hausse du carbone que les Européens consomment à travers les importations qui se substituent aux productions Il faut alors se demander si la politique en vigueur, conduite en fermant les yeux sur la révolution pétro-gazière américaine et sur la croissance dopée au charbon des pays émergents, ne produit pas davantage de désindustrialisation que de décarbonisation. Les statistiques que l’on aime citer disent qu’un Français n’émet plus que 8,2 tonnes de CO2 par an depuis le territoire français, au lieu de 9,7 tonnes en 1990. Les statistiques qui mesurent l’impact réel sur la planète, consommation de produits chinois incluse, montrent qu’en réalité sa véritable « empreinte carbone » est de 12,2 tonnes au lieu de 11,6 tonnes en 19906 ;
  • quant au record allemand du 11 mai 2014, il s’est accompagné d’un épisode paradoxal mais de plus en plus fréquent de prix négatifs de l’électricité ce jour-là. Certes, 75 % de l’électricité du pays était renouvelable, mais il a fallu payer les industriels et les pays voisins pour qu’ils acceptent de prendre ces électrons que les règles européennes interdisent de ne pas produire mais qui étaient parfaitement inutiles par ce beau dimanche de Cela tout en continuant à verser aux producteurs de ce déluge électronique non désiré les très rémunérateurs prix garantis.
  1. De 7 % en 2012, dont 11 % pour l’électricité en raison des charges…
  2. En 2007, selon l’approche « territoire », la France a émis 506 millions de tonnes équivalent Co2 (Mt Co2éq.) de GES (Co2, CH4 et N20), soit 8,2 tonnes par habitant, en baisse de 7 % par rapport à En revanche, selon l’approche « empreinte », ces émissions ont été de 752 Mt Co2éq. en 2007, soit 12,2 tonnes par habitant, en progression par rapport aux 11,6 tonnes de 1990. Les émissions « territoire » ne représentaient plus que 67 % des émissions « empreinte » en 2007, contre 83 % en 1990, en raison de la tertiarisation de l’économie française, au détriment de l’industrie, très émettrice de Co2, et de l’agriculture, émettrice de méthane. une part croissante des émissions liées à la demande intérieure française est donc « importée ». Source : Commissariat général au développement durable, Repères, édition 2014, p. 13. À noter que ces émissions peuvent être mesurées, comme ici, en tonnes de Co2 équivalent, ou en tonnes de carbone (soit 3,7 fois moins).

 

Le changement climatique n’est pas un problème environnemental habituel : contrairement, par exemple, à la pollution de l’air ou d’une rivière qui peut être combattue par des comportements vertueux au plan local, la seule chose qui compte en matière climatique est le niveau des émissions au plan mondial. Fermer des usines qui émettent trop en Europe pour ensuite acheter les produits d’usines chinoises qui émettent encore plus accélère le réchauffement tout en donnant l’impression d’agir7. Qui plus est, l’Europe s’efforce d’influer sur ce système global qui la dépasse à travers, notamment, son système électrique, système lui-même éminemment complexe dans lequel les électrons solaires du 11 mai sont de peu d’utilité pour les nuits de novembre. La tentation est alors de confondre l’effort et le résultat, le nombre de panneaux posés ou de logements isolés et l’impact sur le climat global via les ajustements parfois déroutants du système électrique. Cette myopie – prendre la tension de son corps pour le mouvement du monde – est encouragée par l’absence de données fiables et récentes sur les effets systémiques, à commencer par la véritable « empreinte carbone » des Européens que les publications du Commissariat général au développement durable (CGDD) au ministère de l’Écologie suivent avec cinq à dix ans de retard sur la réalité. Ces effets indirects sont d’autant plus faciles à ignorer que la France administrative raisonne encore très largement « en économie fermée ». À une époque où les données s’échangent par térabits, on pourrait faire mieux.

 

un réveil, trois mariages et quelques enterrements : plan de cette seconde note

Après avoir analysé dans notre note de juillet 2013 les fondements et les contradictions des politiques énergétiques et climatiques européennes, c’est aux conditions d’un meilleur équilibre entre « désir de transition » et résultats réels (c’est-à-dire appréciés par rapport aux buts fondateurs de lutte contre le changement climatique, de sécurité et de compétitivité) que nous consacrons ce second rapport. Notre démarche s’intéresse non seulement au contenu des politiques mais aussi au discours qui en fait un produit social et politique autant qu’une stratégie économique. De manière encourageante, le monde des chercheurs en sciences humaines et sociales s’approprie progressivement l’objet énergie-climat et lui consacre une attention méritée8 ; toutefois, les évolutions réelles, notamment climatiques, tendent à être perçues à travers le discours sur la transition sans esprit critique. C’est l’état de ce discours sur l’énergie et le climat qui fournira donc la trame   de cette note. Nous évoquerons successivement le réveil des observateurs, notamment des économistes, l’enterrement de certaines fausses certitudes que nous aimerions étendre, à titre préventif, au bâtiment à énergie positive (Bepos) pour tous autour duquel on s’apprête à poursuivre dans les années 2020 le gaspillage de ressources collectives et la création de rentes indues. Et nous conclurons par les trois mariages qui nous semblent permettre la reconstruction qu’appellent ces politiques dont nous ne contestons en rien le caractère essentiel. De manière plus détaillée, notre plan sera le suivant :

  • dans une première partie, nous présenterons les travaux récents qui confirment le bilan inquiétant que présentait notre première note rédigée pour la Fondation pour l’innovation politique en juillet 2013 ;
  • dans une deuxième partie, nous nous appuierons sur ce consensus émergent pour pousser à son terme la rupture avec le discours convenu. Nous inviterons donc à dire adieu à l’« ambition » que les politiques tiennent à afficher dès qu’il s’agit de climat – sans grand souci de la valeur réelle de cette « ambition » –, adieu aussi à l’Energiewende allemande érigée en modèle, adieu à ce prétendu « marché européen » qui n’en est pas un et ne peut en être un puisque chaque État fixe librement les paramètres clés, et un adieu enfin, à la notion même de « transition énergétique » avec ce qu’elle charrie de linéarité et de fausses certitudes ;
  • puis la critique portera sur les éléments clés du programme des décennies à venir, le Bepos et cet objectif paradoxal qui voit les plus hautes autorités de l’État appeler à diviser par deux la consommation d’énergie de la France à l’horizon 2050, alors même que l’on prétend lui avoir donné, d’ici là, une énergie verte et bon marché. Il suffit pourtant d’observer les comportements réels, que ce soit en matière d’information ou d’énergie, pour voir que l’on consomme davantage de ce qui est à la fois plaisant, sûr et bon marché. Ce n’est pas en éteignant la France que l’on sauvera la planète ;
  • cette déconstruction une fois menée à son terme, la dernière partie de cette note s’efforcera alors de suggérer des principes de reconstruction pour une politique résolue face au changement Au discours émotionnel qui confond les objectifs bureaucratiques et les buts fondateurs, nous opposerons trois principes simples et pourtant perdus de vue aussi bien à Paris qu’à Bruxelles :
  • tout d’abord, le principe de marché efficace – au sens du marché de la théorie de l’équilibre général économique et non du marché biaisé sur lequel les électrons s’échangent pour ainsi dire sur leur bonne mine et sans considération de leur coût en capital, marché dont la Commission aura mis six ans à percevoir les aveuglantes contradictions ;
  • ensuite, le principe de démocratie, invoqué pour produire du solaire dit

« décentralisé », voire « citoyen », depuis n’importe quel toit, mais en fait contredit par un financement hypercentralisé des ENR qui crée des impôts parallèles dont le produit nourrit la rente des mieux toiturés et des plus influents au détriment des plus démunis.

  • enfin, le principe d’intérêt national bien compris – celui-là même que l’Allemagne défend opiniâtrement en matière économique et monétaire. Nous suggérerons, pour conclure, que l’objectif dit du « facteur 4 », consis- tant à diviser par quatre les émissions du pays d’ici à 2050, gagnerait à être rendu purement indicatif et, si possible, abandonné. Cet objectif a été conçu à la fin du xxe siècle lorsque le passage en force de la Chine et de son charbon n’avait pas encore bouleversé à ce point la géoéconomie. Il était alors encore concevable de faire des calculs de « new deal carbone » et de « justice planétaire » au dos d’une enveloppe. On pouvait aussi espérer que les négociations internationales ne se limiteraient pas à statuer sur les contraintes et transferts financiers que l’Europe serait quasiment la seule à accepter, le reste du monde se limitant à ce que son intérêt national lui commanderait de faire de toute façon. Notre première note évoquait la collision entre la philosophie européenne de paix universelle et d’exemplarité issue de Kant et un monde qui agit bien davantage sous le signe de Machiavel. C’est sous le signe de cette collision que nous évoquerons le chemin vers la Conférence Paris Climat (COP 21) de décembre 2015, sommet mondial sur le climat qui hélas ! se tiendra à Paris – « hélas ! » en songeant aux concessions que font les pays hôtes pour assurer ce que les médias appellent le « succès » de la réunion, même lorsque le succès est largement à leurs dépens. Ce thème sera toutefois développé dans une note distincte, toujours pour la Fondation pour l’innovation politique, que nous remercions d’accueillir les pensées dissidentes.
II Partie

transition énergétique : bonnes intentions, mauvais calculs

Notes

9.

Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), La Crise du système électrique européen. Diagnostic et solutions, Paris, janvier Avec les contributions de Marc oliver Bettzüge, Dieter Helm et Fabien Roques, janvier 2014 ().

+ -

10.

Éric Le Boucher, « L’ukraine, Alstom : le désastre de la politique européenne de l’énergie », Les Échos, 2 mai 2014.

+ -

Développant de manière détaillée l’analyse des faux-semblants de la « transition », notre note de juillet 2013 , Transition énergétique européenne : bonnes intentions, mauvais calculs, pouvait sembler iconoclaste. Elle ne l’est déjà plus. Depuis lors, des experts éminents ont en effet exprimé des inquiétudes qui rejoignent très largement les nôtres : il faut attirer l’attention des responsables et des activistes sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes de janvier 2014, du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective9 de janvier 2014 également, sur les déclarations du « groupe Magritte » qui regroupe de grands électriciens européens, sur les travaux qu’anime la chaire European Electricity Markets à l’université Paris-Dauphine autour de Jan Horst Keppler, Dominique Finon et Patrice Geoffron, et sur l’appel lancé en mars 2014 à l’impulsion de Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’Agence internationale pour l’énergie (AIE). Ces rapports concordant invitent à faire fi du politiquement correct et à corriger enfin une politique Énergie-Climat dont Éric Le Boucher notait, en citant Claude Mandil, qu’elle semble placée sous le signe du Père Ubu10.

1

Le réquisitoire de la cour des comptes

Notes

11.

Cour des comptes, La Mise en œuvre par la France du Paquet énergie-climat, communication au président de l’Assemblée nationale pour le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, Paris, 16 janvier 2014.

+ -

Il était logique pour la Cour des comptes de se pencher sur cette analyse coûts-avantages dont nous avons montré qu’elle est la grande absente du débat énergie-climat. Dans son rapport de janvier 201411, la Cour présente un bilan critique des politiques mises en œuvre. Au-delà des résultats très limités de certaines politiques eu égard aux dépenses engagées, la Cour observe avec sévérité que « ces mesures très diverses souffrent d’une insuffisante évaluation de la part de l’État, tant en ce qui concerne leur efficacité propre que leur coût effectif […] L’État n’a, en particulier, pas suffisamment mobilisé ses capacités d’expertise pour ajuster sa politique aux réalités. […] Au total, l’État a été peu performant, que ce soit en termes de simplicité comme de cohérence de son dispositif réglementaire ».

De fait, à travers le jugement de la Cour, fondé sur une enquête approfondie, c’est la question des compétences administratives qui est posée. Ne pas faire confiance au marché revient à supposer que les structures étatiques sont mieux à même de prendre les bonnes décisions que des millions de Français face à leur porte-monnaie et à leurs valeurs. En est-on sûr ? Ce peuple français dont on se réclame à chaque instant du discours politique a-t-il vraiment besoin qu’en permanence le législateur lui dise que faire et comment le faire ? Tel est pourtant le présupposé sous-jacent à la floraison de directives et objectifs quantifiés contraignants et autres codes que l’Europe et la France produisent pour rendre tangibles leurs bonnes intentions, cela au nom d’accords internationaux qui n’engagent pratiquement que l’Europe. Face à ce surinvestissement dans le top-down, que le caractère prétendument « décentralisé » des nouvelles énergies ne peut, nous le verrons, dissimuler, la Cour déplore la défaillance de deux outils européens qui étaient censés jouer un rôle important dans le plan initial mais qui ont été marginalisés depuis lors : celui du marché carbone – seul à même d’impulser une dynamique de développement du bas vers le haut et de mettre en lumière les coûts relatifs des divers modes de décarbonisation – et celui de la capture et stockage du carbone. Sur les deux fronts, les ambitions initiales ont été oubliées, au profit, peut-on ajouter, des ENR qui se prêtent mieux aux actes de communication politique :

  • « Le système d’échange de quotas européens (SCEQE), qui vise à constituer un marché du CO2, est le principal instrument de la réduction des émissions de GES », rappelle la Cour des comptes. Or, constate-t-elle, « du fait de la gratuité et des surplus de quotas attribués, il n’a, jusqu’ici, que peu touché la compétitivité des En contrepartie, il n’a pas non plus réussi à faire émerger un prix du carbone à la hauteur des objectifs de réduction des émissions qui lui avaient été fixés. En période de conjoncture économique défavorable, une conception peu flexible du système a interdit d’ajuster les quotas en conséquence »;
  • « S’agissant de l’autre instrument de régulation, le captage et stockage du CO2, l’échelon européen a également été privilégié pour développer les Ses incertitudes techniques, la faible rentabilité des projets du fait du bas prix du carbone et le modeste soutien des États ont contribué à ce qui est aujourd’hui un échec avéré ».

Ces deux lacunes passent largement inaperçues dans le discours ambiant sur la transition. Et pourtant, réunies, elles en signent l’échec à la fois sur le plan de la compétitivité – les tonnes non émises grâce aux ENR et à l’efficacité peuvent coûter plusieurs fois plus cher que celles résultant de décisions informées par les prix – et sur celui de la lutte contre le changement climatique. Sur ce dernier point, le terme même de « transition » est trompeur car il est relatif à la seule Europe, zone en très faible croissance dans un monde où augmente la population, le niveau de vie, la classe moyenne globale et l’usage des hydrocarbures, notamment du charbon. Les conclusions de la Cour des comptes invitent donc à la lucidité : « L’Europe se fixe des ambitions considérables […] qui laissent de côté l’essentiel des sources de carbone. Le risque est grand que les résultats ne soient pas à la hauteur des efforts consentis. »

2

le champ de ruines de la transition : le rapport du CGSP

Notes

12.

Commissariat général à la stratégie et à la prospective, op,cit.

+ -

13.

Dominique Auverlot, Étienne Beeker, Gaëlle Hossie et Aude Rigard-Cerison, « Le système électrique européen : un champ de ruines à reconstruire », 24 février 2014.

+ -

La même prise de conscience est perceptible dans les analyses sans parti pris auxquelles se livre le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP)12. Comme nous l’avions fait en juillet 2013, le rapport note le décalage entre les objectifs fondateurs et les objectifs intermédiaires qui sont censés en indiquer le chemin. Il importera, note le rapport, « de ne pas confondre objectifs et moyens. Ainsi, le prochain paquet Climat-Énergie devra se fixer comme seul objectif la réduction des émissions des gaz à effet de serre et proposer une cible lisible et stable à l’horizon 2030 ». Et de poursuivre : « La révision des politiques de soutien au développement des ENR s’impose également, notamment en remplaçant, pour les technologies matures, les tarifs d’achat par des mécanismes plus compatibles avec le marché. »

En février 2014, s’exprimant cette fois avec la liberté d’une prise de parole individuelle, Dominique Auverlot, Étienne Beeker, Gaëlle Hossie et Aude Rigard-Cerison, du même CGSP, n’hésitent pas à comparer le système électrique européen à « un champ de ruines ». Les résultats sur les trois fronts de la transition sont bien décevants en effet : une augmentation   des émissions de carbone – l’Allemagne réussissant la performance d’augmenter ses émissions de 1,5 % en 2013 malgré une consommation d’électricité en baisse de 4,6 % –, une hausse des prix de détail du fait des coûts des ENR, et même un retour de cette forme d’insécurité énergétique que l’on pensait presque éliminée en Europe, le risque de black-out. Selon les auteurs, les prix payés par les ménages européens ont augmenté de   27 % ces cinq dernières années (accentuant la précarité énergétique, qui touche actuellement entre 50 et 125 millions de personnes); en 2012, les émissions de GES ont augmenté dans certains pays européens, notamment en Allemagne (+1,5 % par rapport à 2011) ; les faibles prix actuels de l’électricité sur les marchés de gros ne permettent pas aux producteurs de rentabiliser leurs investissements : 40 % des capacités thermiques actuelles pourraient fermer à long terme. La situation est telle que les énergéticiens historiques sont fragilisés et ne pourront que faiblement contribuer au financement des investissements nécessaires pour décarboner le secteur électrique et remplacer les infrastructures vieillissantes (autour de 50 mil- liards d’euros par an jusqu’en 2050)13.

3

Le bilan critique de la chaire électricité Paris-dauphine

Notes

15.

Chaire European Electricity Markets, université Paris-Dauphine.

+ -

Les économistes rassemblés autour de la chaire European Electricity Markets de l’université Paris-Dauphine14 arrivent à un même constat sur l’état de confusion induit par plus d’une décennie de « transition énergétique » : « Même si une transformation d’une telle ampleur appelle la très longue durée, les Européens attendent légitimement, au bout de quinze années, des bénéfices identifiables en matière de prix, d’innovation dans les services associés, de performance environnementale ou de sécurité de fourniture… Mais, plutôt que l’évidence du progrès, la complexité – voire la confusion – caractérise aujourd’hui l’Europe électrique. » Ces économistes, réunis autour de Jan Horst Keppler, constatent que les mécanismes de base de la transition européenne ont été développés en contradiction avec le marché européen de l’énergie que la Commission prétendent avoir mis en place : « L’insertion de renouvelables intermittentes – résultant des objectifs du 3 fois 20 en 2020 – débouche sur des systèmes délicats à piloter et ouvre sur des dispositifs telles les obligations d’achat à tarifs garantis qui, de facto, placent ces équipements « hors marché ». […] Et comme le marché des quotas de CO2 ne délivre pas un signal-prix cohérent pour les investisseurs, l’incertitude sur l’avenir de l’Europe électrique domine, la seule garantie étant que la facture des consommateurs se trouvera renchérie, avec un effet mécanique sur une précarité énergétique déjà amplifiée par la crise économique15. »

4

les recommandations du think tank Synopia

Notes

16.

Synopia, Une nouvelle politique européenne de l’énergie ? Constats et propositions, rapport sous la direc- tion de Claude Mandil, mars 2014, p.3.

+ -

17.

  1. Ibid., p. 3

+ -

À l’initiative de Claude Mandil et du think tank Synopia =16, un groupe d’économistes de l’énergie (dont je fais partie) a appelé le Conseil européen de mars 2014 à prendre en compte les dysfonctionnements des politiques actuelles pour en corriger les défauts principaux et en relancer la dynamique sur des bases économiquement durables. Leur constat pour le marché électrique est sévère : « La situation est encore plus absurde sur le marché de l’électricité. La fixation d’objectifs pour la pénétration des énergies renouvelables (l’objectif européen de 20 %, décomposé en objectifs nationaux), alors que ces énergies, souvent trop chères et presque toujours intermittentes, ne peuvent pas se placer sur le marché, a nécessité des mesures spécifiques : tarifs de rachat garantis et priorité d’accès au réseau. Le marché fonctionne en théorie, mais puisque le prix et les quantités sont garantis aux producteurs d’électricité renouvelable hors hydraulique, le signal prix ne les atteint pas, alors que leur production devient une fraction significative de la production totale dans l’Union européenne : 7,8 % de l’électricité produite mais 16,7 % des capacités de production en 2013 (source : AIE) ; cette différence illustre le coût de l’intermittence. Et comme il faut bien payer le surcoût entre le prix de marché et le prix garanti au producteur de cette électricité, ce surcoût est réparti sur l’ensemble des consommateurs d’un pays sous forme de la CSPE (en France) ou sur tous les consommateurs     à l’exception des gros consommateurs industriels comme en Allemagne (système EEG). Il en résulte une situation que Claude Mandil qualifie de ubuesque, dans laquelle les prix de gros sont très volatils et en moyenne de plus en plus bas du fait de la croissance de la production renouvelable, et les prix de détail de plus en plus élevés du fait de l’impact croissant des systèmes de type CSPE ou EEG. Du coup, les gouvernements sont tentés soit de réglementer les tarifs aux particuliers, en augmentant encore le nombre d’acteurs qui échappent aux lois du marché, soit carrément de geler les prix, comme l’a proposé le principal parti d’opposition au Royaume-Uni17. »

5

la proposition de la commission pour 2030 et le projet sur la sécurité énergétique

Notes

18.

Commission européenne, European Energy Security Communication from the Commission to the European Parliament and the Council, CoM(2014) 330 final, 28 mai 2014.

+ -

19.

Ibid, p. 17 (traduit par nous : « Many of the measures described above point to the same underlying prio- rity: the need for Member States to coordinate better important energy policy decisions. It is clear that deci- sions on energy mix are a national prerogative, but the progressive integration of energy infrastructure and markets, the common reliance on external suppliers, the need to ensure solidarity in times of crisis, all imply that fundamental political decisions on energy should be discussed with neighbouring countries. the same holds true for the external dimension of Eu energy policy »).

+ -

20.

Pour une analyse récente qui identifie les problèmes mais se plie ensuite à la loi des bons sentiments et de l’espoir technologique, voir ibid. 12 : « Renewable energy is a no-regrets option but there have been concerns about the costs and impact on the functioning of the internal market. With technology cost reduc- tions, many renewable energy sources are increasingly competitive and ready to join the market (e.g. onshore wind power). their large scale integration will require smarter energy grids and new energy storage solutions. Capacity mechanisms at regional level may also need to be considered. »

+ -

Nous ne ménageons pas la Commission lorsqu’il s’agit de décrire la confusion analytique qui présida au dessin et à la mise en œuvre de la politique énergétique européenne. Donnons-lui crédit en revanche du début de rappel à l’ordre qu’elle vient d’adresser aux États membres18. Sans la nommer, elle n’épargne pas l’Allemagne pour son absence de toute consultation des autres pays membres lors de la mise en place de son Energiewende et pour ses accords bilatéraux avec la Russie sur le gazoduc Nord Stream, gazoduc dont le rôle est de contourner et, de fait, de marginaliser le rôle et les revenus de l’Ukraine, ainsi d’ailleurs que de la Pologne et de tout autre État membre par lequel ce gaz pourrait transiter à moindre coût. À l’avenir, demande discrètement la Commission, « il est nécessaire que les États membres coordonnent mieux les décisions importantes de politique énergétique. Il est clair que les décisions sur le bouquet énergétique sont une prérogative nationale, mais l’intégration progressive des infrastructures et des marchés, l’appel aux mêmes fournisseurs, la solidarité en cas de crise, impliquent que les décisions fondamentales soient discutées avec les pays voisins. Il en va de même pour la politique énergétique commune19 ». Cela dit, comme nous le faisions valoir en juillet 2013, même si les États se consultaient davantage, il ne peut y avoir de politique commune lorsque chacun reste libre d’enfreindre les objectifs environnementaux communs en substituant au nucléaire la combinaison ENR-charbon. Cette dernière implique la persistance dans l’atmosphère européenne des microparticules et gaz toxiques dont personne n’ose vraiment faire reproche à l’Allemagne – on critiquera bien davantage les voitures diesel responsables d’un quart environ des microparticules. Joints au désintérêt de l’opinion publique pour l’Europe et à la cacophonie qui entoure les relations avec la Russie, les particularismes nationaux en matière d’énergie sont tels que les décisions sur la partie non ENR de l’offre (nucléaire, charbon, gaz) resteront sans doute nationales pour de nombreuses années. Le plus sage serait d’en prendre acte, de cesser de prétendre que l’on construit un marché européen de l’énergie au sens plein du terme et de définir clairement les règles de concurrence qui s’imposent à tous. Après tout, les États-Unis sont bien moins intégrés que l’Europe aspire à l’être – et même l’est déjà – en matière électrique et ne s’en portent pas plus mal. Le Texas n’est pas relié au réseau du reste du pays, certains États ont conservé le cadre ancien monopolistique et réglementé – avec d’excellents résultats –, vingt-neuf États ont défini des objectifs ENR et le niveau fédéral parvient à des résultats climatiques meilleurs que l’Europe en ciblant ses attaques sur le charbon. Plus de modestie dans le discours, plus de pragmatisme dans l’intégration des marchés et, finalement, des performances supérieures sur tous les plans : le moment d’une politique énergétique à la fois plus modeste et plus efficace est venu pour l’Europe.

Au  total,  ces  rapports  et  propositions  montrent  que  la  satisfaction qui entourait la politique énergétique et climatique européenne a désormais volé en éclats. Le réveil est en cours. Il s’exprime toutefois avec une certaine timidité, comme si la parole était encore prisonnière des intentions initiales. La Commission, par exemple, comme les gouvernements nationaux, continue à dire des ENR qu’ils sont « de plus en plus compétitifs » sans distinguer clairement entre ceux qui ne le seront jamais et ceux qui le sont presque. Au lieu d’organiser l’action autour du succès de l’éolien terrestre lorsqu’il est déployé dans des sites ventés et proches des infrastructures, ou du solaire dans un nombre plus limité de cas, on invoque ces « gagnants » pour soutenir tous les losers au prorata de leurs surcoûts et l’on accepte de supporter les coûts de transformation des réseaux nécessaires au-dessus d’un certain seuil d’ENR20. Les régulateurs (en France, la CRE) sont à ce point absorbés dans la mise en place des règles et codes européens qu’ils ne jouent guère le rôle qui devrait être le leur pour la protection des consommateurs, comme assoupis au volant. Avant d’examiner sur quelles bases reconstruire des politiques, il importe donc d’achever le travail de déconstruction d’un discours autoréférencé.

III Partie

Enterrer la « novlangue » et renouer avec l’esprit critique

Notes

21.

Voir le site.  [consulté le 17 mars 2014].

+ -

22.

Propos tenus lors du lancement du rapport The Power of Wind, Sun and the Economics of Flexible Power Systems, AIE, Paris, 2014.

+ -

Cherchant les raisons pour expliquer les dysfonctionnements de la politique climatique et énergétique européenne – dont nous soutenons fermement les trois objectifs fondateurs –, notre analyse de juillet 2013  soulignait que le premier dysfonctionnement, la première source d’écart entre les objectifs fondamentaux et ces résultats décevants était la perte d’esprit critique qu’implique l’usage généralisé d’une véritable novlangue. « L’idée fondamentale du “novlangue”, dit un excellent article de Wikipédia (qui utilise le mot au masculin comme la première traductrice de 1984 de Orwell), est de supprimer toutes les nuances d’une langue afin de ne conserver que des dichotomies […] : si tu n’es pas pour, tu es contre, il n’y a pas de milieu. Ce type de raisonnement binaire permet de favoriser les raisonnements à l’affect, et ainsi d’éliminer tout débat, toute discussion, et donc toute potentielle critique de l’État. » Une sorte d’idéologie climatique contribue simplement à ériger en bien toute économie d’énergie, toute énergie dite renouvelable et à considérer comme mal toute critique d’ensemble de la transition.

La novlangue se nourrit d’un enthousiasme naïf dont les bonnes intentions ne peuvent obscurcir qu’il met en jeu des choix fondamentaux et des centaines de milliards d’euros. Même si le discours ambiant y est poussé à l’extrême, un exemple parlant est celui d’Europe Écologie Les Verts (EELV) dont le site s’ouvrait en mars 2014 sur une page invitant à « imaginer le monde d’après la transition énergétique » à la lumière des travaux de la Convention nationale EELV sur la transition énergétique qui s’était tenue à Lyon  le 10 mars 2012. Nous étions invités à nous projeter au début des années 2020 après que les recommandations EELV eurent été mises en place. L’image était séduisante : « La transition énergétique a créé 600 000 emplois nets en France en moins de dix ans. La mutation écologique des autres secteurs […] a permis de continuer la création massive d’emplois, si bien qu’on approche du plein emploi grâce à une production rapprochée de la consommation et ajustée aux besoins. La précarité énergétique est éradiquée […], la sécurité énergétique du pays est totale […], l’économie française est très largement renforcée. » Et, bien sûr, la menace de changement climatique est maîtrisée : « Nos émissions de gaz à effet de serre sont très faibles et compatibles avec une répartition équitable dans le monde21. » Le fait qu’un tel discours puisse être tenu suggère hélas ! qu’une idéologie, un dogme, tiennent lieu de raisonnement, et cela au-delà du cercle relativement restreint d’EELV.

Les experts y mettent davantage les formes, et pourtant des enceintes aussi respectables que l’OCDE, l’AIE ou la Commission européenne ont élaboré un discours qui s’efforce de réconcilier la doctrine du marché et l’intervention tous azimuts des gouvernements dans la décision sur l’énergie. Pris au piège de leur propre manque de rigueur initiale, ces organismes, d’où devraient venir les contrepoids critiques à l’usage généralisé de la novlangue, ont aujourd’hui le plus grand mal à suggérer quelques timides limites sur le montant des aides d’État. Cela toujours sans prise en compte des bénéfices réels – c’est-à-dire du nombre d’années ou de mois, ou plus souvent de semaines ou de jours – dont ces aides considérables ralentiront vraiment le changement climatique d’ici à 2050 ou 2100. L’AIE vient ainsi de publier un rapport qui montre clairement que, au-delà d’un certain seuil, l’ajout d’ENR dans un réseau électrique n’est possible qu’en repensant complètement le réseau en question. Au lieu de mettre en garde sur ces effets de seuil (ceux-là même qui font que l’Europe voit s’accumuler les surcoûts et chuter sa productivité), l’AIE se réfère aux pays dont le réseau est encore largement à construire pour dire « qu’il n’y a pas de limite technique à la quantité d’énergies variables qu’un système puisse accepter sur le long terme ». « Tous les systèmes analysés peuvent déjà aujourd’hui accepter une part de 25 % d’énergie variable, y compris, des systèmes peu flexibles comme celui du Japon », constate Maria van der Hoeven, directrice exécutive de l’AIE, dans un discours où l’analyse le cède au marketing22. De toute façon, soutient Simon Mueller, principal auteur de l’étude, « si la tâche semble plus difficile dans les systèmes “stables”, où les besoins de capacités nouvelles ou de remplacement sont faibles, c’est le prix à payer de la décarbonisation, et non pas un prix spécifiquement dû à la variabilité de certaines énergies renouvelables23 ». Autrement dit, la transition n’a pas à être discutée en termes de coûts, alors même que le rapport montre qu’ils impliquent de reconstruire entièrement les systèmes actuellement stabilisés et qu’elle s’interdit de mesurer les bénéfices (fort limités) de ce travail herculéen. Ces coûts, dit-on, sont inévitables et nécessaires. Une telle affirmation nous semble, hélas illustrer une fois de plus la tentation de s’affranchir de tout calcul et de toute comparaison des coûts et bénéfices au nom de la pureté des intentions.

 

Notes

25.

Le chiffre n’est que de 8,5 % pour l’Europe. Voir Commissariat général au développement durable-SoeS, Repères. Chiffres clés du climat France et monde, éd. 2014, p.14.

+ -

26.

Il représentait 4,7 % des émissions mondiales de GES en 2008 (source : Commissariat général au dévelop- pement durable-SoeS, Repères. Chiffres clés du climat France et monde, éd. 2013), niveau tombé à environ 4 % en 2013 du fait de la croissance chinoise dopée au charbon et de la crise européenne.

+ -

27.

Selon l’AIE, les émissions de Co2 augmenteront de 130 % d’ici à 2050 (prévisions présentées au G8 des ministres de l’Énergie à Aomori, au Japon en juin Voir aussi Lamont-Doherty Earth observatory, CO2 Higher Today Than Last 2.1 Million Years, 18 juin 2009). D’après le rapport Energy Technology Perspectives 2014 de l’AIE, de mai 2014, l’investissement nécessaire pour réduire de moitié les émissions et développer une « révolution internationale des technologies énergétiques » est de 44 trillions de dollars d’ici à 2050. L’AIE fait valoir que ces dépenses permettront des économies de combustibles de 115 trillions de dollars, soit un gain net de 5 trillions de dollars en utilisant un taux d’actualisation de 10 % (beaucoup plus avec un taux bas).

+ -

28.

Commissariat général au développement durable-SoeS, Repères. Chiffres clés du climat France et monde, éd. 2014, op.cit.

+ -

29.

Prenant la moyenne entre 4 % aujourd’hui et 1 à 2 % en 2050, le système électrique européen émettra moins de 3 % du total du GES mondial entre 2013 et En le décarbonant de 90 % d’ici à 2050 (progressivement, donc, de 45 % sur la période), on diminuerait de 1,35 % les émissions mondiales 2013-2050, ce qui équivaut en première analyse à 172 jours de retard de réchauffement à cet horizon. or, comme le montre l’importation par l’Allemagne d’une partie du charbon américain que l’Amérique ne consomme plus, la baisse des prix des hydro- carbures qu’entraînera une moindre consommation européenne entraînera une hausse de la consommation par le reste du monde. C’est donc plutôt d’une centaine de jours d’ici à 2050 que ralentira le réchauffement en évaluant ces effets induits à la moitié de l’effet initial. De 2050 à 2100, la planète continuera à tirer bénéfice de cette décarbonisation achevée qui se traduira alors par des émissions GES inférieures de 1 % environ, ralentis- sant le réchauffement d’une demi-année au plus, et plutôt de trois mois à l’horizon 2100.

+ -

des « ambitions » qui négligent les coûts et surestiment considérablement les bénéfices climat

Comme nous l’avons souligné, l’auto-aveuglement européen porte non seulement sur les coûts, bien visibles sur les factures électriques, mais aussi sur les bénéfices climatiques qui sont, il faut le regretter, minuscules au regard des efforts demandés. Résumons le raisonnement présenté en juillet 2013. L’Europe et la France organisent leur action autour, tout d’abord, du désir de bien faire. Face au danger climatique, on fait « tout ce que l’on peut » sur tous les fronts possibles. Le terme « ambitieux » est au cœur des débats. La revue de presse Contexte notait ainsi : « La gauche veut faire monter en puissance les énergies renouvelables et doter l’Europe d’un objectif de réduction de gaz à effet de serre ambitieux24. » Cette approche serait plus facile à défendre dans un monde dont l’Europe serait une partie essentielle, mais en matière climatique l’Europe ne pèse déjà plus qu’environ 10 % des émissions globales (voire même seulement 8,5 % selon les dernières publications disponibles)25 et son système électrique seulement 4 %, cela en instantané en 201426. Pour les décennies à venir, le caractère marginal des efforts européens sera encore plus prononcé car, même à politiques inchangées, les émissions européennes seraient à peu près stables tandis que les émissions planétaires ont doublé entre 1980 et 2005 et augmentent d’un peu moins de 2 % par an27 du fait de la hausse spectaculaire des émissions chinoises (9,7 % pour la seule année 2011 pour les émissions liées à l’énergie28) et indiennes.

Décarboner à grands frais le système électrique européen ne va ralentir le changement climatique que de deux à trois mois au mieux d’ici à 2050, tout simplement parce que ce système électrique pèse moins dans le bilan carbone mondial que deux ou trois années de croissance des pays émergents29. Si l’on se projette à la fin du siècle, on découvrira cette vérité déconcertante que le climat au 31 décembre 2100 sera ce qu’il aurait été en l’absence de ces 3 trillions d’euros de dépenses européennes vers le milieu de l’année 2099. La conclusion politique est si simple que l’Europe hésite à la regarder en face : dans un monde qui échappe au pouvoir de Bruxelles et de l’AIE, et qui va continuer à consommer les hydrocarbures que le progrès technique permettra d’exploiter encore durant un ou deux siècles, la seule façon d’éviter la catastrophe climatique est de capter et de stocker le carbone émis depuis ces hydrocarbures. Les stratégies ENR sont d’importantes stratégies d’appoint ; elles permettent de freiner la vitesse à laquelle grandit le défi mais, malgré l’effort considérable qu’elles impliquent et le sentiment de « changer de modèle » qu’elles suscitent, elles ne constituent pas des stratégies de sortie de crise (mitigation) proportionnées au défi climatique.

Une telle « ambition » aux effets en réalité limités gagnerait à être régie par un calcul économique rigoureux et non par une surenchère coûteuse pour les ménages et la compétitivité. Il faut faire tout ce que l’on peut faire à coûts raisonnables mais il faut cesser de promettre une décarbonisation du système électrique européen dont le public retient qu’il va atteindre  90 % alors que le chiffre pertinent est que ses effets sur le réchauffement sont de l’ordre de 1 %. La mention de ce « 90 % » devrait toujours être accompagnée d’indications sur les effets réels si l’on veut agir efficacement dans l’ordre matériel (le réchauffement, la compétitivité…) plutôt que dans l’ordre du symbolique et de l’idéologique.

1

L’Energiewende allemande est un contre-modèle

Notes

30.

« In a highly competitive world, German industry is at increasing disadvantage owing to the growing energy price disadvantage that it Average industrial electricity prices in Germany have risen approximately 60% since 2007; while prices in the united States and in China have increased less than 10%. […] the objective of the Energiewende was a competitive transition to a low-carbon economy. one of the key principles of this transi- tion was to maintain ‘competitive energy prices’. Germany has rapidly developed renewables capacity, but it has not generated the expected reduction in Co2 emissions. Moreover, with some of the highest electricity prices in the industrial world, Germany has failed to achieve its competitive energy price goal » (IHS Global GmbH, A More Competitive Energiewende. Securing Germany’s Global Competitiveness in a New Energy World, mars 2014, p. 1).

+ -

31.

Union française de l’électricité, « Le photovoltaïque allemand, un soleil… brûlant », 14 janvier 2013.

+ -

33.

La Commission a commencé à critiquer cette exemption en faveur des entreprises et le projet de loi allemand de juin 2014 prévoit que les industriels produisant leur propre électricité ENR ou cogénération (qui repré- sente au total le quart de leur consommation) paient en 2015 30 % de la surcharge (qui est de 6,24 cents/kWh, à comparer à un prix de gros de l’électricité de 4 cents environ), puis 35 % en 2016 et 40 % à partir de La Commission a aussi créé une certaine panique en Allemagne en suggérant que les tarifs garantis (FIt) s’appliquent aussi aux producteurs étrangers exportant de l’électricité verte vers l’Allemagne.

+ -

34.

Union française de l’électricité, « Le photovoltaïque allemand, un soleil… brûlant »,op. cit.

+ -

35.

Charles Krauthammer, « the unipolar Moment », Foreign Affairs, vol. 70, no 1, 1990/1991, p. 23-33.

+ -

L’Allemagne est donnée en exemple alors que, repoussant à des lendemains meilleurs la mise au pas de son puissant lobby charbonnier, son Energiewende se révèle un fiasco climatique dont les motivations profondes – essen- tiellement la sortie du nucléaire – n’ont que peu de liens avec la réduction des émissions de carbone. L’échec allemand est patent : en 2012, la consommation d’électricité a baissé de 4,6 %, la part des énergies renouvelables dans l’électricité a atteint un chiffre record (27 % au premier trimestre 2014), et pourtant les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 1,5 %30.

L’Union française de l’électricité (UFE) porte un regard quelque peu effaré sur l’Energiewende : « Très discrètement,  entre  le  1er  janvier  2012  et  le 1er janvier 2013, l’équivalent allemand de la CSPE (EEG) a enregistré une hausse de… 47 % ! […]. Soit, pour la consommation moyenne d’un ménage, un impact annuel de 185 € (en hausse de 60 € par rapport à 2012), la facture électrique totale moyenne des ménages allemands s’élevant, désormais, à 1 000 €. Et encore ceux-ci peuvent-ils s’estimer heureux que le niveau de subvention du PV en Allemagne ait été diminué de 50 % par rapport au dispositif initial. La ponction annuelle sur les revenus des ménages allemands s’élève ainsi à 7,5 Mds €. Pour financer la totalité du parc PV cible (quasi équivalent à la puissance installée au parc nucléaire français), les ménages allemands verront donc, très probablement, leur facture augmenter encore d’environ 25 à 30 €/MWh d’ici 2015, le prix de détail devant alors dépasser les 300 €31. » De même, dans une étude exhaustive de mars 2014, IHS/ CERA note que l’Energiewende a échoué à atteindre les objectifs qui lui avaient été fixés, son déploiement massif d’ENR ne s’accompagnant pas des baisses d’émissions annoncées, et les prix de l’électricité aux entreprises non subventionnées augmentant de 60 % depuis 2007 contre 10 % en Chine et aux États Unis. Une Energiewende mieux conçue – déployant les ENR à un rythme moins inconscient, dirions-nous – se traduirait par un gain de 2,5 % de croissance et d’un demi-million d’emplois en 2025, réduisant le risque de désindustrialisation dont s’inquiétait en janvier 2014 le ministre allemand de l’Économie et de l’énergie Sigmar Gabriel32.

Le fiasco au niveau des ménages ne s’étend pas aux grandes entreprises car l’Allemagne utilise le marché captif intérieur pour protéger les entreprises exportatrices (en théorie économique, on parle de dumping, mais la seule réaction française est de voir comment faire profiter les entreprises françaises du même soutien)33. Pour le système électrique allemand, l’Energiewende conduit à un gaspillage de capitaux de grande  ampleur  que  l’UFE  analyse en ces termes : « Malgré son impact financièrement exorbitant, le Gouvernement allemand maintient fermement le cap sur le développement du solaire. […] Comme la disponibilité du PV est globalement faible (12 % en moyenne), ceci va aboutir, d’ici 2020, à doter l’Allemagne d’une capacité installée beaucoup plus importante que celle de la France, soit 220 GW contre 145, et ceci pour une production finale relativement proche. Malgré un tel effort, le parc électrique allemand va continuer, pendant encore de nombreuses années, à émettre entre 500 et 600 g de CO2 par KWh produit, soit 7 fois plus que le parc électrique français. En été, le système électrique allemand va disposer d’une capacité très importante de déséquilibre des marchés en pouvant proposer des volumes très importants à l’export et ceci à “vil” prix, puisque largement subventionné34. »

Au vu de ces chiffres, on pourrait défendre que l’Energiewende est une chance pour la zone euro, à la condition expresse de ne pas l’imiter, précisément parce qu’elle contribue à dissiper le surplus de compétitivité allemand. Dans un registre autrement plus pacifique, l’Energiewende est à l’Allemagne triomphante des années 2010 ce que la seconde guerre d’Iraq fut à l’Amérique de l’unipolar moment35, un effort presque démesuré engagé sur des prémisses qui vont se révéler largement erronées et autour d’une multiplicité d’objectifs contradictoires. Dans les deux cas, la France gagnerait à prendre la tête d’un mouvement de scepticisme constructif, même s’il est vrai que, dans les deux cas, le coût de la dissension peut être élevé, tellement est fort le consensus chez ceux qui ont identifié l’ennemi – le nucléaire militaire irakien ou le nucléaire civil allemand – et qui comptent sur une mobilisation générale à leurs côtés.

C’est précisément sur les contours des synergies entre politique énergétique française et Energiewende que s’interrogeait la Fondation Robert-Schuman dans un rapport36 pour le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée : « L’énergie n’est pas un domaine facile pour la coopération franco- allemande ; pourtant, l’Europe de l’énergie ne progressera guère si Paris et Berlin ne s’accordent pas. » L’accord qu’elle entrevoit « au-delà de nos disparités » rejoint nos attentes sur le réalisme économique puisqu’il s’agirait de « conduire des transitions énergétiques réalistes fondées sur l’innovation, la compétitivité et la conquête des marchés de l’export ». Nous avons quelques doutes toutefois sur l’objectif de « créer un cadre stable favorable aux investissements de long terme et atteindre la masse critique dans la concurrence internationale » car c’est celui-là même qu’invoquent certains groupes ENR – à l’exception des entreprises éoliennes performantes – pour exiger un flux ininterrompu de subventions. Nos doutes croissent quand la Fondation, dans ce rapport par ailleurs subtil et pondéré, félicite l’Allemagne pour être « à l’avant-garde sur la voie de la transition énergétique d’un point de vue systémique ». Notre surprise fait tout de même place à un peu d’effroi lorsque, emportée par son élan syncrétique, la Fondation se réjouit que « bien qu’ils s’en défendent, les Allemands ont tout de même beaucoup appris du “colbertisme”. La mise en place de leur concept énergétique est l’illustration d’une économie politique discrète qui aide la recherche, appuie les filières industrielles, organise les réseaux et façonne le cadre légal. En France, le rôle de l’État ou des grands pôles ne saurait être moindre ». Les meilleures leçons que la France puisse prendre de l’Allemagne ne sont peut- être pas – telle n’est d’ailleurs pas la thèse de la Fondation – de la copier sur les éléments de colbertisme qu’elle nous aurait empruntés…

2

Un pseudo-marché européen de l’électricité à la botte du politique

Notes

37.

Joaquín Almunia, « Competition policy for innovation and growth: Keeping markets open and efficient », discours au European Competition and Consumer Day, Copenhagen, 8 mars 2012 : « Anti-competitive behaviour imposes a hidden cost on consumers and on the companies that play by the rules and neither can afford this extra cost during a downturn […] take the energy sector for It has undergone a wave of liberalisations but our vigilance is still much needed to ensure that competition is not distorted on the ground and that markets are not arti- ficially partitioned to the detriment of other operators and consumers. In line with the Eu 2020 flagship initia- tive for sustainable growth, the Eu still has to make progress towards a more resource efficient, greener and more competitive economy. translated into concrete action, this means that we aim to achieve an integrated European electricity wholesale market by 2014 […] We must make sure that these efforts are not undermined by the anti-competitive practices of some market players. In this line, we have recently conducted inspections at the premises of two major European power exchanges to investigate a suspected cartel in the form of geo- graphic market sharing between them. »

+ -

39.

Synopia,op. cit., p. 3.

+ -

S’il existait un prix Goncourt de la novlangue, il serait décerné à la Commission européenne, du moins pour la période qui va jusqu’à la mi-2013. Temple de l’économie de marché, ce que lui reproche suffisamment l’opinion française, la Commission européenne pouvait jusqu’à une période récente, dans le même document, inviter à une concurrence féroce qui élimine toute rente pour offrir les prix les plus bas au consommateur tout en invitant à financer toute énergie dite renouvelable en proportion directe de son manque de compétitivité. Les prix de l’électricité au détail s’envolent alors que les prix de gros s’effondrent, illustrant son échec patent à faire la différence entre un vrai marché intégré et un costume d’arlequin en forme de bande de Möbius sur lequel le bras droit sort du nucléaire pendant que le bras gauche y rentre et où politiques et activistes distribuent les milliards citoyens sous les applaudissements des lobbies.

Dans un discours prononcé à Copenhague le 8 mars 2012 dans le cadre   de la Journée européenne de la concurrence et du consommateur, Joaquín Almunia, le commissaire européen à la concurrence, rappelait  d’abord que tout comportement anticoncurrentiel « impose  un  coût  caché  sur  les consommateurs et sur les compagnies qui jouent franc-jeu, coûts inacceptables en ces temps de récession économique ». De son plein gré,  il prend alors l’exemple du secteur de l’énergie dont il note qu’il est « en pleine libéralisation » mais qu’il faut « rester très vigilant pour s’assurer que la concurrence n’est pas faussée sur le terrain et que les marchés ne sont pas artificiellement partagés au détriment d’autres  opérateurs  et des consommateurs ». Une telle entrée en matière devrait conduire à un inventaire sans complaisance des distorsions de concurrence qu’organisent les États. Cependant, elle le conduit finalement à se féliciter d’avoir lancé une enquête sur un éventuel partage de marché entre opérateurs au sein de deux Bourses d’électricité. Nous sommes au printemps 2012, les dysfonctionnements et la nationalisation des politiques énergétiques sont déjà bien visibles, à aucun moment pourtant ce régulateur suprême ni son armée de lawyers aguerris n’ont remarqué que la Commission qui les emploie et les États membres réservaient des parts croissantes du marché à certaines technologies – en pratique, certains groupes de compagnies. Pourtant, cette sélection des vainqueurs par les gouvernements implique, pour reprendre les termes du commissaire, « un coût caché sur les consommateurs et sur les compagnies qui jouent franc-jeu37 » ces dernières n’ayant pas d’autres choix que de passer par pertes et profits des centrales à gaz neuves pendant que l’Allemagne invoque la logique du marché pour construire 10 GW de centrales au charbon. Cela au nez et à la barbe de la DG COMP.

Deux ans plus tard, la Commission commence enfin à s’inquiéter des excès à éviter dans les aides d’État aux ENR. Le terme politiquement correct est de demander une meilleure intégration des ENR subventionnés au marché. Nul ne s’avise pourtant de s’inspirer du modèle américain où l’aide survient en amont, encourageant l’investissement mais laissant les prix se négocier sur le marché. Mais la chancelière allemande a promis de combattre la Commission si elle devait s’orienter vers une remise en cause des « subventions vertes38 ». Le bras de fer qui s’esquisse à l’été 2014 entre la Commission et l’Allemagne est intéressant à plus d’un titre car il montre à quel point la politique dite du marché européen a reposé jusqu’à ce jour sur la possibilité laissée aux États membres de prendre toute mesure « politiquement correcte » dans le strict cadre national. Alors qu’elle se décide enfin à mettre en avant avec fermeté les règles sur les aides d’État, la DG COMP ne semble d’ailleurs pas avoir compris qu’une raison essentielle qu’ont certains industriels ENR d’exiger des objectifs contraignants de parts des ENR dans les bouquets énergétiques (le 27 % pour 2030, que les lobbies vont exiger de traduire en objectifs nationaux) est, précisément, qu’une telle contrainte crée une force majeure leur permettant d’échapper à l’interdiction des aides d’État. Comme nous le soulignions, à long terme, c’est la crédibilité de la DG COMP et de la politique de la concurrence que l’on érode. Les Chinois tirent d’ailleurs déjà argument de ces aides intra-européennes pour s’opposer à toute velléité d’imposition de prélèvement carbone ou de mécanisme anti-dumping aux frontières de l’Europe.

Effet second de cette soi-disant « libéralisation », l’opérateur français EDF doit

vendre une partie de son électricité nucléaire aux opérateurs censés lui faire concurrence, cela à un prix fixé par le Parlement. Que dirait-on si, pour réduire le pouvoir de marché des quatre grands de l’automobile allemands dans les véhicules haut de gamme, on obligeait Mercedes à vendre à prix coûtant des Mercedes à son concurrent Peugeot qui les revendrait sous sa marque ? Le paradoxe est que cette loi des plus étranges est sans doute un moindre mal dans ce que l’on appelle très improprement le marché européen de l’énergie… Comme l’écrivent Claude Mandil et des économistes européens, « le marché intérieur de l’électricité a les apparences d’un marché, mais il n’en a aucune des caractéristiques qui lui permettraient de conduire à un équilibre général au moindre coût. On peut se demander si cette situation dans laquelle tout le monde se berce de l’illusion que le marché fonctionne n’est pas pire qu’une planification centralisée ; au moins cette dernière n’est pas hypocrite39 ».

Dans un marché véritable, les facteurs de production (technologie  et  donc capital) peuvent circuler librement. Or le marché électrique de gros européen n’est qu’une île de marché dans un océan de décisions politiques qui conditionnent les choix technologiques et déterminent l’usage du capital. Les prix sur ce marché permettent d’assurer les équilibres instantanés offre- demande mais ils n’ont rien à voir avec ceux qui permettraient de guider les acteurs vers des décisions efficaces. D’ailleurs, ceux des acteurs de marché qui avaient construit les centrales les plus efficaces (les centrales à gaz à cycle combiné que les directives de 2009 avaient, de fait, placées au centre du marché) ont mis la clé sous la porte : le seul GDF-Suez a effacé pour 14,9 milliards d’euros d’actifs, essentiellement sur des centrales électriques thermiques et des capacités de stockage de gaz en Europe40. Selon son PDG Gérard Mestrallet, l’entreprise va se concentrer désormais sur « le monde nouveau, qui passe par notre implication dans la transition énergétique  en Europe et l’accélération de notre développement dans les pays à forte croissance41 ». Celui-ci note aussi que « les surcapacités [en Europe] vont se maintenir. Même si la croissance effrénée des énergies renouvelables […] va s’infléchir, de nouvelles capacités de production sont mises en service alors que la consommation stagne ou baisse. Ces dernières années, nous avons fermé ou mis sous cocon 11,5 gigawatts de centrales au gaz, l’équivalent de 12 réacteurs nucléaires ». À l’évidence, le « nouveau monde » de l’investissement énergétique en Europe se limite aux nouvelles filières rentières, celles ou les électrons sont financés à prix coûtant plus marge. Au sein des onze entreprises membres du groupe Magritte, le niveau des fermetures – en d’autres termes le capital que la politique européenne conduit à jeter par la fenêtre – atteint 50 GW de capacités électriques. Le discours sur le chômage et la crise en Europe est trompeur puisque l’on peut mettre au rebut une trentaine de milliards d’euros d’installations neuves et performantes avec le soutien des gouvernants et des marchés boursiers ravis de voir les entreprises se concentrer sur les flux de subventions en Europe et sur les marchés sérieux dans le reste du monde. Qui plus est, ne produisant l’énergie que de manière intermittente, solaire et éolien ont encore besoin de ces centrales thermiques pour éviter le black-out. En lieu et place de marché, on érige donc un mécanisme d’aide, par exemple un « marché de capacités », en vertu duquel on payera ceux-là même que l’on a contraints à fermer leurs centrales pour qu’ils les rouvrent ou en construisent de nouvelles.

 

3

Les fausses certitudes blotties dans les mots « transition énergétique »

Notes

42.

« Energie : Lost in transition », Libération, 28 juin 2013, p.34.

+ -

43.

Voir par exemple Cédric Philibert, Interactions of Policies for Renewable Energy and Climate, AIE, 2011, p.16.

+ -

44.

« Produire un tWh avec du charbon conduit à émettre 800000 tonnes de Co2 et 30 000 tonnes de cendres, tandis que produire un 1 tWh avec du gaz ne génère que 400 000 tonnes de Co2 et pas de poussières. Le choix énergétique de l’Allemagne a donc conduit à une dégradation de la performance climatique de la première économie européenne » (Jean-François Raux, L’Expansion, 4 avril 2014).

+ -

À nouveau, le risque climatique est bien réel et c’est avec raison que l’on s’attache à mettre en place des politiques climatiques. Et pourtant, le terme même de « transition énergétique » avec l’aura d’inéluctabilité qui s’y attache est en passe de devenir un abus de langage. L’image d’une « transition » laisse croire que la voie est tracée vers un état final déjà bien identifié. Comme l’observe la philosophe Sandra Laugier citée par Libération, « [le terme de transition] peut faire croire, à tort, qu’il s’agit de passer d’un état stable à un autre, ce qui serait une grave erreur42 ». Des choix sont à faire dans un environnement qui a déjà considérablement changé depuis 2008, date d’adoption du paquet Énergie-Climat européen. Plus de démocratie, plus de marché et un sens plus aigu de l’intérêt national seront de meilleurs guides que ce « la transition, la transition vous dis-je » que l’on ajoute à tout programme électoral avec une assurance évoquant parfois celle du faux médecin et son « le poumon, le poumon vous dis-je » dont se gausse Molière. Il y a bien d’autres trajectoires possibles pour « décarboner l’économie » que celle, si coûteuse, qu’a choisie l’Europe. L’Amérique, pays en pleine révolution pétrolière et gazière où l’un des deux partis politiques rejette  la notion même de péril climatique, a quand même réduit ses émissions plus vite que l’Europe. Les défenseurs de « la transition » font valoir que l’avantage américain est enraciné dans des circonstances particulières qui ne le rattachent pas à une transition assumée et qui le rendent fragiles (qui en font, disent-ils, un progrès sans lendemain, un one-off). Toute une littérature se complaît d’ailleurs à mettre en garde contre les solutions à l’américaine qui permettent une décarbonisation rapide et bon marché avec des centrales au gaz qui resteront durablement émettrices. Des économistes de l’OCDE ou de l’AIE s’opposent ainsi à ce qu’ils nomment le risque de lock-in43. L’argument est déjà critiquable en théorie économique où l’allocation optimale des ressources reflète des équilibres (trade-offs) à la marge plutôt que des solutions politiquement correctes imposées à la hache. Ces arguments pour justifier la transition à l’européenne prêtent à sourire car, soucieuse de ne pas construire des centrales à gaz moyennement polluantes, une partie de l’Europe, et notamment la verte Allemagne, construisent des centrales au charbon et au lignite, dont la contribution climatique est franchement détestable44. Le véritable lock-in qui prend forme est celui de rentes garanties pour vingt ans à d’innombrables producteurs (chacun de nous pourrait en être un, pour peu qu’il ait un peu de biens au soleil), des producteurs-rentiers qu’il faut payer les dimanches de mai pour une électricité dont personne ne veut ce jour-là.

4

Vertu personnelle, ressources collectives

Le décalage entre succès proclamé et résultats médiocres, voire négatifs, renvoie aussi à la superposition de deux ordres d’appréciation que le discours sur la transition confond allégrement : celui des valeurs et comportements personnels et celui de la poursuite d’objectifs politiques d’ordre planétaire (climat), européen (sécurité d’approvisionnement) ou français (emplois, compétitivité) sur fonds publics ou parapublics. La confusion entre ces deux ordres est entretenue par des mécanismes de redistribution de grande ampleur comme les tarifs garantis qui créent des flux de revenus privés hors marché en « récompense » d’un comportement vertueux, flux dont   le ministre allemand de l’Environnement Peter Altmaier observait qu’ils pouvaient conduire à des rentes de 1 000 milliards d’euros sur 20 ans45. Ces rémunérations publiques de la vertu privée alourdissent la facture électrique des sans-toit pour financer la rente des propriétaires de toitures. La plupart de ces derniers (sur le site EDF,  en tout cas) expliquent leur intérêt pour  le solaire tout d’abord par leurs motivations écologiques, ce qui suggère qu’ils n’avaient pas nécessairement besoin que l’on finance leur vertu et  le renforcement du réseau électrique qu’elle appelle par l’attribution pour vingt ans de ce que la publicité pour certains installateurs solaires qualifiait pudiquement de « revenus EDF ». L’usage à grande échelle de l’incitation des « revenus EDF46 » trouvera hélas ! un écho durant la prochaine décennie dans l’usage tout aussi massif du bâton pour imposer à tout constructeur de logement de construire un bâtiment à énergie positive (Bepos), cela également au terme d’une analyse économique dont l’ingrédient clé est souvent le vœu pieux, le wishful thinking.

IV Partie

Carton rouge pour le bâtiment à énergie « positive »

Notes

48.

« Le bâtiment est le premier consommateur d’énergie en France, avec 43 % de l’énergie finale (environ 64 Mtep, ou 740 tWh), dont 32 Mtep d’énergie fossile (11 Mtep de fioul, 21 Mtep de gaz), qui génèrent 23 % des émissions de gaz à effet de serre » (Alain quinet et Renaud Crassous, « Pour un modèle économique de réno- vation énergétique dans le bâtiment », in Conseil économique pour le développement durable, La Rénovation énergétique des bâtiments. Politiques publiques et comportements privés, avril 2013, p.7).

+ -

49.

Approximativement 30 % des 23 % d’émissions actuelles, soit 7 % des émissions françaises au niveau actuel, qui représente 1 % du total mondial et environ 0,75 % de la moyenne des émissions mondiales 2030-2050. Ce 7 % de 0,75 %, soit l’équivalent de 5,75 jours sur les 10 950 jours de la période. Les effets indirects déjà cités suggèrent de diviser par deux ce chiffre.

+ -

50.

Pour une évaluation positive de la réglementation thermique (Rt) 2012, voir George-Francois Rey, « Rt 2012 : ce qu’il faut savoir », Maison Magasine, Le Guide de la construction, janvier 2013.

+ -

52.

« L’expérience des dix dernières années en France, ou en Allemagne par exemple, montre qu’il est difficile et coûteux de “violer” ce rythme intrinsèque au bâtiment, nos deux pays ayant eu, jusqu’à présent, des difficultés à dépasser un rythme de 100 000 a 200 000 rénovations fortes par an » (Alain quinet et Renaud Crassous, art.cit , p. 6 ).

+ -

Le bâtiment à énergie positive, aussi appelé Bepos, sera aux années 2020 ce que le panneau solaire pour tous aura été aux années 2010. Il est souhaitable que se perfectionnent les techniques qui conduisent aux bâtiments à énergie positive, et que ceux qui en ont les moyens, ou qui sont dans des circonstances où ce surcroît d’investissement est rentable, puissent en construire. L’absurdité du geste européen est d’en faire un principe obligatoire pour toute nouvelle construction de logements individuels ou collectifs à partir de 2020. On est censé diminuer les émissions de carbone, or voici que l’on se mêle de réduire la consommation d’énergie sans même poser la question de savoir si elle est déjà décarbonée, auquel cas les Européens qui le souhaitent ont eux aussi droit à l’abondance. La seule explication cohérente, mais elle renvoie aux fausses certitudes de « la transition », serait que les systèmes largement intermittents vont être si chers et compliqués à gérer qu’il est prudent d’en réduire la taille. Il faut alors dire clairement que le fameux 90 % de décarbonisation s’inscrit dans un cocktail où la somme des capacités est de 180 % et non pas 100 %, comme on le voit en Allemagne où la capacité solaire est déjà du même ordre que la demande total d’électricité – cela dans l’un des systèmes électriques les plus polluants d’Europe.

En pratique, les bâtiments Bepos devront incorporer des isolations dont rien n’assurent qu’elles ne vont pas bien au-delà de ce que suggérerait un rapport coûts/avantages raisonnable. Comme tout produit ou service, les économies d’énergie ont un coût ; c’est aux dépens du niveau de vie du pays qu’on l’oublie. En outre, pour fabriquer plus d’énergie qu’il n’en consommera, chaque bâtiment devra incorporer des panneaux solaires – on rêvera évidemment que les Chinois aient d’ici là perdu la main et ne règnent plus en maîtres sur ce marché. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pilote ce projet pour la France47. Le CSTB réunit des compétences reconnues en la matière ; néanmoins, le laisser légiférer sur le logement à venir de tout Français est un pas en avant pour la bureaucratie, un pas en arrière pour la démocratie et, malgré les meilleures intentions du monde, une source de gaspillage à venir. Examinons brièvement ce triptyque :

  • bureaucratie : il est bien de pouvoir offrir à qui le veut des bâtiments hyper-économes en énergie, mais rendre obligatoire de tels bâtiments impliquera que chaque projet d’habitation  individuelle  ou  collective  de plus de 60 mètres carrés soit évalué par des certificateurs d’énergie- positivité dont le financement se fera via la facture du chantier. Après l’essor inconsidéré de la fonction publique territoriale, nous risquons de voir surgir une fonction parapublique de l’écoconformité ;
  • démocratie : l’un des bénéfices de la décarbonisation devrait être d’élargir le champ des libertés dans les choix quotidiens, non pas de soumettre toute une population aux valeurs, certes très respectables, d’une nouvelle avant-garde. La contrainte devrait être une contrainte carbone, non pas une contrainte énergie qui est en fait l’imposition de certains modes de vie. On ne prend pas en considération qui voudrait utiliser une électricité décarbonée pour choisir ou inventer des architectures pensées autrement qu’en termes de boîte à flux ;
  • gabegie : quel sera le résultat pour la planète ? Le chiffre que l’on retient est un rassurant 40 % relatif à la part du bâtiment dans la consommation d’énergie. Mais l’objectif devrait être relatif aux émissions de carbone pour lesquelles, grâce à l’électricité nucléaire, sa part en France n’est que de 23 %48. D’après nos calculs, supposant un renouvellement du parc de 1 % par an, le Bepos pour tout nouveau logement français ralentira le réchauffement de trois jours entre 2020 et 205049. Quant à l’efficacité de la production électrique à petite échelle, le même pays qui a regroupé toutes ses maternités en un petit nombre de plateformes pour en contrôler les coûts et en garantir la sécurité se prépare à faire de chaque foyer un producteur d’électricité. Serait-ce que les lois de l’économie vont changer, abolissant les économies d’échelle ? Pourquoi alors limiter la démarche dite « citoyenne » à la seule production d’énergie et ne pas l’appliquer à d’autres dimensions de la vie économique et sociale ?

Avant même le Bepos pour tous, l’expérience en cours avec la rénovation thermique des bâtiments autour de la RT 201250 alerte déjà aux risques  de gaspillage induits par des programmes aux « ambitions » démesurées.

« L’UFC-Que choisir a cherché à établir les raisons de l’échec de la politique de rénovation énergétique menée en France, alors même que des fonds publics et privés sont très largement mobilisés », déclarait Alain Bazot, son président, après que l’UFC-Que choisir ait évalué en avril 2014 le travail des diagnostiqueurs partenaires de GDF-Suez et EDF et des entreprises indépendantes  labellisées  Reconnu  Grenelle  Environnement  (RGE)51. La formation et le contrôle de la distinction RGE se révèlent clairement insuffisants ; les diagnostics et le type de travaux réalisés sont loin, en général, de correspondre aux critères exigés par la loi. La plupart des prestataires indiquent des rénovations uniquement en lien avec leur corps de métier et semblent se limiter au niveau de performance minimum éligible aux aides et crédits. En fait, c’est tout un corps d’« architectes énergéticiens » capables de coordonner les travaux et d’accompagner le consommateur tout au long de sa démarche de rénovation énergétique qui serait nécessaire, affirme l’association. Tout ceci suggère que l’isolation de 500 000 logements par an, objectif démesuré par rapport aux capacités des corps de métier que révèle l’enquête, risque de revêtir une dimension soviétique : tout à l’effet d’annonce du programme, les administrations s’efforceront d’atteindre les chiffres annoncés sans grand souci ni de résultat effectif, ni de maîtrise des coûts.

Une approche plus sélective, se concentrant sur les réductions de carbone réalisables à des coûts raisonnables, semblerait plus adaptée tant pour les bâtiments nouveaux que pour les rénovations en cours dont la qualité a déjà du mal à être assurée alors que l’on isole moins du tiers des 500 000 logements annoncés52. Encourager la construction performante par un soutien à la recherche et des incitations calibrées à sa diffusion reste un objectif valable ; imposer une strate bureaucratique supplémentaire dans le pays aux 400 000 normes qu’est la France pour aboutir, au mieux, à trois jours de ralentissement du réchauffement climatique d’ici à 2050 (et, soyons généreux, à deux ou trois semaines supplémentaires d’ici à 2100), c’est gaspiller du pouvoir d’achat et réduire la liberté de chacun au nom d’une version citoyenne du culte de la performance qu’illustra jadis le programme Concorde.

1

les faux calculs d’une division par deux de la consommation d’énergie française

Notes

53.

Pour une analyse des fortes tensions entre ces deux directives, réputées compatibles, voir notre note Fondation pour l’innovation politique de juillet 2013, op.cit., p. 30.

+ -

Le Bepos pour tous n’est qu’une illustration parmi d’autres d’une confusion entre « économie » et « productivité ». Économie d’énergie ou productivité de nos usages de l’énergie ? Seule la seconde notion est enracinée dans une analyse économique dynamique. Que la France devienne plus productive dans ses usages de l’énergie (tout comme de son travail et de son capital), voilà un objectif qui rejoint celui des emplois que l’on veut créer. Le terme « économie d’énergie » est pourtant celui qui parle à notre « fond paysan »; il rejoint le discours sur le « pic » des ressources, discours que nous n’avons pas  la  place  d’analyser  dans  ce  rapport  mais  sur  lequel  nous  reviendrons dans  un  prochain  travail  pour  la  Fondation  pour  l’innovation  politique. Il renvoie  aussi  à  la  vision  mercantiliste  des  échanges, doctrine  de  pointe  au xviiie  siècle, dont la gloire est aujourd’hui quelque peu ternie.

La promesse européenne qui justifie la transition énergétique pour le grand public est celle d’une énergie à la fois moins chère et moins carbonée. Tel est clairement l’objectif affiché à travers la conjugaison du troisième paquet de directives de 2009 (libéralisation des marchés) et de la directive Énergie- Climat de 200853. Au diapason des ambitions de climat, de niveau de vie et d’emploi, l’objectif est alors d’aider les acteurs français à disposer, à cet horizon 2050, de moyens de production, d’infrastructures et de mode de consommation qui soient les plus productifs possibles sur le double front de l’énergie et du carbone. Alors la production française croîtra à travers des parts de marché plus fortes. Et notre consommation d’énergie sera ce qu’elle sera. Une consommation plus forte sera signe que l’emploi français progresse. Mais elle sera aussi bonne pour la planète, car cette énergie française de qualité sera présente dans une part plus grande de la production mondiale. Et elle déplacera de l’énergie chinoise qui sera encore hypercharbonnière à cette époque, et de l’énergie allemande qui sera forcément, après la sortie folklorique du nucléaire à laquelle on assiste, une énergie beaucoup plus carbonée.

Un président animé d’une grande ambition pour la France inviterait donc à des progrès de productivité sur tous les facteurs de production avec, comme objectif, une hausse du niveau de vie et de l’emploi. Une consommation d’énergie plus élevée que prévu serait un signe éclatant de réussite française au sein de cette économie ouverte.

V Partie

Pour une politique énergie-climat efficace : marché, démocratie, intérêt national

Afin de bâtir une politique énergie-climat efficace, les trois principes que la France et l’Europe gagneraient à épouser sont ceux :

  • du marché et de la rigueur de l’analyse économique, engageant ainsi le passage de politiques dites « ambitieuses » à des politiques rationnelles au plan de la relation coûts-résultats ;
  • du contrôle démocratique sur des dépenses d’intérêt collectif qui sont pour l’instant inscrites de force dans les factures électriques des consommateurs ;
  • et enfin, on hésite presque à prononcer le mot devant l’ampleur des bonnes intentions planétaires, celui de l’intérêt Faire perdre la France ne permet en rien de faire gagner la planète.
1

Un marché efficace incluant le carbone

Notes

54.

Laurence Fontaine, Le Marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Gallimard, 2014.

+ -

55.

Les quatre premières mesures sont l’application sans faille des directives EED et EPBD, des mesures régle- mentaires pour accélérer la rénovation du parc bâti existant, la promotion des technologies de soutien aux services environnementaux et de gestion de la demande, et l’accélération des mesures décidées au niveau SECu ENER, p. 7-8.

+ -

Laurence Fontaine, dans une perspective historique, montre comment le marché est l’instrument qui met fin à la misère et au patriarcat54, cela en établissant un lien entre, d’une part, la liberté et l’égalité des individus et, d’autre part, la substitution de transactions à prix négocié au don et au privilège. Les Français ont beau être parmi les utilisateurs les plus résolus du marché global, quand il s’agit de faire leurs courses – au point que leur concept d’hypermarché s’exporte dans le monde entier – ils restent, au plan de la doctrine, des adversaires implacables de ce même marché comme principe organisateur. C’est avec des chaussures fabriquées en Chine et des tee-shirts sri-lankais que l’on défile contre la mondialisation avant d’aller prendre son vol low cost pour Bangkok. On entend ou l’on devine la thèse selon laquelle le risque climatique et l’énergie devraient ressortir de l’État et non du marché, lequel ne devrait s’occuper que du court terme. Il est temps d’interroger la validité de la doctrine selon laquelle seule la planification et l’effort étatique sont de nature à imprimer une dimension de long terme. Par tâtonnements, par trial and error et par « création destructrice » schum- petérienne, le marché et les entrepreneurs sont parfaitement capables de piloter une transformation profonde sur le long terme.

Le calcul économique ne consiste pas en une « sordide comptabilité » qui mépriserait les valeurs que doivent servir ces politiques. Au contraire, par la relation qu’elle rend visible entre moyens engagés et résultats, la logique économique est le meilleur allié des trois objectifs fondateurs de lutte contre le changement climatique, de sécurité et de compétitivité. Le calcul économique protège les plus démunis de la création de rentes solaires dont ils ne peuvent payer leur part qu’à travers une nouvelle strate d’assistanat. À l’inverse, au-delà d’un effet initial de mobilisation des énergies, l’affichage d’« ambitions » politiques risque fort, comme nous l’avons montré, de privilégier le symbole sur le résultat et de laisser dans l’ombre des pans entiers de la réalité que l’on prétend influencer, comme cela est le cas du charbon allemand qui prospère dans l’ombre de l’essor des ENR. Après une phase d’expérimentation brouillonne à laquelle on doit, nous le reconnaissons bien volontiers, d’avoir pu sensibiliser l’opinion et tester diverses approches, le moment est donc venu de tirer les leçons du décalage entre ambitions  et résultats et de remettre le marché – au sens plein du terme, c’est-à-dire avec le cadre réglementaire nécessaire et au sein d’un ensemble cohérent et complet de marchés – au centre de la politique énergétique et climatique.

C’est par la Commission et sa DG COMP qu’il faut commencer ce travail de remise en place d’un cadre analytique redonnant tout son rôle au marché. La Commission n’a opposé qu’une bien faible résistance au discours allemand qui justifie par une phrase passe-partout sur la sécurité énergétique le recours au charbon et l’extension des mines à ciel ouvert de lignite, source d’énergie des plus néfastes tant pour le climat qu’en termes de pollution et de cancer du poumon. Ainsi, dans son rapport de mai 2014 sur la sécurité énergétique, la Commission continue à présenter les économies d’énergie comme un objectif en soi. Certes, les cinq mesures proposées55 se concluent par l’allusion rituelle au rôle du marché carbone SCEQE (plus connu par  le sigle anglais EU ETS), mais ceci après un soutien appuyé aux directives qui imposent certaines solutions comme le Bepos sans véritable analyse économique. Les économistes de la Commission se gardent d’ailleurs soigneusement d’utiliser le terme anglais efficiency, lui préférant celui d’effective : l’objectif semble être de réaliser le plus d’économies d’énergie possible, sans égard pour les coûts. Le marché EU ETS est relégué dans le rôle de ce que CDC-Climat décrivait comme celui de source de réduction d’émissions résiduelles, voire dans le rôle d’une simple feuille de vigne pour une politique qui a tous les défauts d’une politique industrielle sans en assumer l’intention et sans en avoir les résultats. Fermant les yeux sur les contradictions flagrantes entre la directive de 2009, qui prétend créer un marché de l’énergie européen, et la directive Énergie-Climat de 2008, qui donne un pouvoir considérable aux gouvernements nationaux pour décider du bouquet énergétique, la Commission a contribué à une renationalisation du secteur électrique européen. C’est ce qu’observe, parmi bien d’autres, Ignacio Galan, le PDG d’Iberdrola, pourtant l’un des champions des ENR en Europe56, et c’est ce qui ressort des décisions allemandes de municipaliser la production électrique. Dans ce contexte de concurrence biaisée qui donne la préférence aux électrons de leurs concurrents ENR et alors que ces derniers sont dégagés de tout souci de financement via les tarifs garantis, les grands électriciens comme ceux du groupe Magritte en sont réduits à rechercher la nationalisation des pertes.

Le défi pour l’Europe comporte alors trois composantes :

  • redonner tout son rôle au marché dans la fixation des prix des ENR et le choix de celles des sources ENR à déployer à grande échelle ;
  • s’attaquer aux distorsions considérables du soi-disant marché européen de l’énergie ;
  • donner au marché carbone SCEQE/EU ETS, qui a le grand mérite d’exister, le rôle central qu’il était censé avoir dans les directives de
2

développer les enr compétitifs, favoriser l’autoconsommation et rendre son rôle au marché

Notes

57.

« President obama Speaks on American Energy », 9 mai 2014. Pour un aperçu critique, voir aussi « Hundreds Protest obama’s Energy Speech at Walmart », Common Dreams, 9 mai 201.

+ -

58.

Rapport de l’AIE, The Power of Transformation, cit. p. 144. Comme l’observe ce rapport, « optimal ope- rations from a system perspective need not coincide with the interest of the individual consumer, depending on electricity tariff design ». Le chiffre de 45 % d’autoconsommation suppose un stockage de 3 kWh avec une capacité de pointe de 1,5 kW.

+ -

59.

Ibid., p.6.

+ -

60.

Syndicat des énergies renouvelables, Le Livre blanc des énergies renouvelables. Des choix qui fondent notre avenir, 2012, p.13.

+ -

En prélude aux décisions annoncées par l’EPA un mois plus tard, le président Obama a choisi un Walmart de Californie pour lancer son appel du 9 mai 2014 à redoubler d’efforts contre le changement climatique.57 Pourquoi Walmart ? Parce que le système américain, qui n’est pas parfait, respecte néanmoins la fixation d’un tarif par négociation entre acheteur et vendeur – un prix de marché. Aux États-Unis, pas de feed in tariff créateurs de rentes sans commune mesure avec la valeur de l’électricité sur le marché. Des acteurs clés du solaire sont les propriétaires de grandes toitures (les centres commerciaux notamment) qui disposent d’une demande importante et stable, y compris en période d’inactivité (comme le fut le dimanche 11 mai en Allemagne) pour la climatisation et la chaîne du froid de leurs magasins. Leur usage du solaire rencontre une vraie autodemande et reflète un calcul économique sans complaisance, même si, en amont, les power purchase agreements (PPA) bénéficient des exemptions fiscales accordées aux investisseurs. Walmart, par exemple, produit 25 % de sa consommation depuis ses toitures, et achète le reste. Par contraste, une famille allemande productrice d’énergie solaire ne consomme en moyenne que 30 % de sa production (45 % si elle dispose d’une capacité de stockage de deux heures)58. L’essentiel de la production est vendu au réseau à des prix rémunérateurs pour cette famille mais spoliateurs pour les voisins moins fortunés ou moins opportunistes.

L’Europe devrait donc rompre avec ces tarifs qui enrichissent les mieux toiturés et provoquent des dégâts sociaux. Elle devrait adopter une approche qui soit au moins aussi bonne que celles, améliorables, en vigueur dans divers États américains. Cela conduirait à limiter une dispersion de l’outil de production que l’on proclame « décentralisé » et même « citoyen », alors que son financement repose sur un système hypercentralisé de transfert des plus pauvres vers les plus riches ou les plus habiles. Comme le notent les économistes de l’université Paris-Dauphine : « La localisation de 10 MW de photovoltaïque dispersés sur des toits individuels en rural coûte au réseau de distribution beaucoup plus cher que si ces 10 MW sont localisés sur un même site (toits de centre commercial, etc.) en milieu suburbain. Ces questions des coûts et d’équité sociale se posent avec urgence dans  un marché dénué de repères59. » Il reste tout à fait possible et souhaitable d’encourager l’autoconsommation par des incitations fiscales ou des aides forfaitaires, tout particulièrement pour ceux dont la motivation est un mode de vie plus écologique. Quiconque souhaite être moins dépendant du réseau– voire s’en affranchir en investissant dans le stockage – en conserverait la possibilité mais, comme l’ont fait les Espagnols, on mettrait fin aux flux de revenus indus, ces revenus que l’on baptise « revenus EDF » pour dissimuler qu’il s’agit en fait de l’autorisation donnée à Pierre de se servir dans la poche de Paul.

En s’assurant que la concurrence est informée par un prix du carbone sérieux et que la décision revient ensuite au consommateur, on rejoindrait la voie à suivre que décrit la Fédération française des énergies renouvelables lorsqu’elle note avec sagesse que « pour les industriels des filières renouvelables, confrontés à des marchés très  concurrentiels, il  n’existe de perspectives de développement à long terme que s’ils parviennent à ramener les coûts de production de l’énergie à des niveaux concurrentiels avec les énergies conventionnelles. […] Certaines d’entre elles sont, dès à présent, compétitives (hydroélectricité, chaleur issue de la biomasse, éolien terrestre)60 ». Les aides doivent être réservées à la R&D et à des actions pilotes ; pour le reste, c’est un ensemble de marchés, dont un marché carbone proprement régulé, qui permettra qu’émergent des solutions respectueuses de la rareté des ressources financières européennes aussi bien que des contraintes environnementales. Ce faisant, rejoignant le vœu de leur fédération, on permettra le développement d’entreprises ENR véritablement compétitives et non pas dopées aux subventions.

 

3

redonner le goût de l’analyse économique non biaisée à une dg comP encore sous hypnose

L’Europe est censée avoir achevé la déréglementation des marchés de l’électricité par trois séries de directives en 1992, 2003 et surtout 2009   (« troisième paquet »). À en croire la doctrine officielle, le prix de l’électricité reflète le libre jeu de l’offre et de la demande dans un contexte concurrentiel qui doit permettre l’élimination des rentes de situation et offrir au consommateur les prix le plus bas possible. Pourtant, le soi-disant marché européen de l’énergie se limite à un marché de gros dont le fonctionnement porte la marque d’un financement hors marché des ENR et qui est donc incapable de fournir les repères nécessaires à l’investissement à long terme. Il conduit à des résultats paradoxaux comme une baisse des prix de gros du fait de la gratuité des électrons éoliens et solaires (gratuité qui néglige le fait que leur coût en capital n’apparaît sur aucun marché), baisse qui, à son tour, augmente les besoins de subventions. L’analyse  économique des fonctionnaires de Bruxelles doit redevenir libre de cette couche de politiquement correcte qui obscurcit sa vision et justifie les écarts à ses propres règles.

4

donner une gouvernance digne de lui au marché carbone qui a le mérite d’exister

Notes

61.

Cour des comptes, op.cit., p. 11.

+ -

62.

Émilie Alberola et olivier Gloaguen, « La politique climat-énergie de l’uE : un rôle majeur dans la réduction des émissions de Co2 des secteurs de l’énergie et de l’industrie », Tendances carbone, no 84, octobre 2013, p.1.

+ -

63.

CDC-Climat, « Réforme de l’Eu EtS : donnez-lui du travail ! », Point Climat, no 28, février 2013, p.3.

+ -

Le rapport de la Cour des comptes que nous évoquions déplore que le marché carbone et la capture du carbone aient vu « [leur] mise en œuvre, pourtant présentés comme essentiel[le] mise en échec par l’absence d’un prix significatif du carbone. Sa faiblesse actuelle constitue un frein majeur à l’investissement dans la “décarbonation” de l’industrie61 ». Toutefois, ce marché carbone a le mérite d’exister et il a fait la preuve de son efficacité avant qu’un surplus de quotas et une perte de confiance dans son rôle à venir conduisent à un effondrement des prix. Analysant son impact sur la période 2005-2012, Émilie Alberola et Olivier Gloaguen, de CDC-Climat, montrent que, contrairement à l’affirmation de ceux qui attribuent toutes les baisses d’émissions européennes à la crise, celle-ci n’intervient que pour 20 % à 30 % environ et le marché carbone pour 10 % à 20 %62. Mais ce marché, auquel le pouvoir politique n’a pas fixé d’objectifs forts, a été cantonné au rôle de « source de réduction d’émissions résiduelle63 ». C’est le déploiement des ENR qui a assumé le rôle d’outil principal (40 à 50 % des réductions), tandis que l’efficacité énergétique jouait un rôle équivalent à celui du marché (10-20 %). La forte baisse des prix impulsée par l’attribution d’un nombre excessif de quotas a évidemment réduit ce rôle résiduel à la portion congrue. Le moment est venu de dire clairement que cette inversion des rôles a un coût considérable. Comme le montrent les analyses CDC-Climat, le marché carbone a permis des réductions d’émissions à un coût bien moindre que celles obtenues par le déploiement des énergies renouvelables : de 5 à 60 fois moins chères que les réductions d’émissions de CO2 issues de l’éolien ou du solaire. Face au risque bien réel de réchauffement, le moment est venu de faire passer les résultats et la bonne utilisation des moyens disponibles avant le politiquement correct et la satisfaction des ego.

5

Epouser la démocratie : vers des décisions informées librement consenties

le hors-bilan de la transition énergétique

Dans une démocratie, le peuple souverain détermine le niveau des prélèvements publics et leur affectation, généralement par la voie parlementaire. La transition énergétique échappe à cette contrainte. La facture électrique est devenue une annexe de la feuille d’impôts. Si l’on dénonce l’usage par les banques du « hors-bilan » pour échapper à la surveillance des autorités  de tutelle, il faut dire qu’une part considérable de la politique énergétique- climatique se développe hors bilan.

L’énergie est un thème politique redoutable car tout à la fois fondamental pour l’économie et la société, et néanmoins gérable par une petite poignée de décideurs. À une époque où il n’est plus possible de proposer de « changer la vie », le thème de la transition énergétique est bienvenu pour offrir un semblant de contenu consensuel au discours politique. Le corps politique y trouve une occasion d’engager une réforme qui illustre son souci du bien de la planète à un moment où les succès se font rares sur le plan de l’emploi, de la compétitivité ou de l’éducation.

6

l’intérêt national français

Notes

64.

Cour des comptes, op.cit. p. 10.

+ -

65.

Dieter Helm, The Carbon Crunch. How We’re Getting Climate Change Wrong – and How to Fix It, Yale university Press,

+ -

66.

« L’Allemagne est la plus couramment utilisée pour faire ressortir l’avantage supposé de la France […]. Cette comparaison n’apparaît significativement à l’avantage de la France que par le petit bout de la […] on émet en moyenne environ 4,5 fois plus de Co2 par kWh produit en Allemagne qu’en France, l’écart est moindre si l’on considère l’ensemble du Co2 lié à la consommation d’énergie[…], à 5,8 tCo2/hab. en France contre 9,7 tCo2/hab. en Allemagne pour 2007 […]. Le Co2 représente 75 % des émissions françaises mais 88 % des émissions allemandes […]; enfin, si l’on considère les émissions liées à la demande nationale plutôt que les émissions sur le périmètre national, l’écart se resserre encore. Le seul chiffre disponible pour une com- paraison directe est celui du projet Carbon Footprint (université des sciences et technologies de Norvège) qui estime pour l’année 2001 l’empreinte par habitant à 13,1 teqCo2/hab en France et 15,1 teqCo2/hab en Allemagne […]. L’Allemagne a, contrairement à la France, engagé une action en profondeur sur les émissions sur son périmètre national […]. Elle a connu une baisse avant la crise, entre 1990 et 2007, de 16 % de ses émissions de Co2 liées à l’énergie contre une augmentation de 4,9 % en France » (Yves Marignac, « Évolution des émissions françaises de gaz à effet de serre : une baisse en trompe l’œil », octobre 2010, note rédigée pour Greenpeace France).

+ -

67.

Pour DE, branche allemande de BASF, et pour la fédération VCI de l’industrie chimique, il s’agit d’un « signal désastreux » qui « jette le doute sur l’Allemagne comme pays d’accueil de l’investissement », Reuters, 25 juin 2014.

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68.

HIS CERA, mars 2014.

+ -

69.

L’objectif de baisse de 20 % des émissions françaises de GES à l’horizon 2020 est inscrit dans la loi de pro- grammation issue du Grenelle de l’environnement qui fixe aussi des objectifs pour le bâtiment et les Confirmant l’engagement de la loi Pope, la loi Grenelle fixe un objectif de réduction de 75 % des émissions de GES en 2050 par rapport à 1990 (soit une baisse de 3 % par an pour 2005-2050). Pour les avocats de cette approche, l’objectif de division par quatre, ou « facteur 4 », correspond à un niveau d’émissions par habitant qu’ils considèrent comme équitable dans le cadre d’une division par deux des émissions au niveau mondial.

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70.

une illustration spectaculaire a été fournie par les réactions unanimes contre le projet européen de soumettre les vols internationaux transitant par l’Europe aux obligations du marché Eu Réunis en février 2013 à Moscou, une vingtaine de pays, dont la Chine, la Russie, l’Arabie saoudite et les États-unis du président obama, se sont mis d’accord sur neuf types de sanctions légitimes pour rappeler à l’Europe que la souveraineté nationale prime sur toute autre considération. Les sanctions chinoises ont inclus l’annulation de 43 commandes d’avions Airbus pour une valeur de 10 milliards d’euros environ. Ces sanctions ont été levées, discrètement, lors de la visite du dirigeant chinois en France en mars 2014 après que l’Europe a en pratique renoncé à ce tout petit pas vers la gouvernance climatique mondiale dont elle se réclame pourtant pour s’imposer le « facteur 4 » et des transferts financiers de grande ampleur. Voir notre note Fondation pour l’innovation politique, op. cit., p. 20.

+ -

71.

En trente-cinq ans, de 1980 à 2014, la concentration de carbone dans l’atmosphère est passée de 340 à 400 Si les efforts mondiaux permettent de rester « sur la même droite » (ce qui suppose une décélération graduelle de l’accroissement pour l’instant exponentiel), cette concentration atteindra 460 ppm en 2050. Sur cette période les émissions globales vont doubler (il suffit d’une croissance de 2 % par an pour cela, ce qui paraît logique dans un monde ou la classe moyenne va croître de 3 milliards d’êtres humains).

+ -

72.

« Merkel said that the shift to renewable energy would remain a “Herculean task” even after the renewable law has been passed » (article « Merkel to push back against Eu if green energy support questioned », com, édition u.S., art. cit.).

+ -

L’électricité française aujourd’hui est plus décarbonée que celle dont l’Allemagne espère disposer au terme de son étonnante Energiewende vers le milieu du siècle. Les voitures françaises sont plus petites, moins gourmandes que les allemandes et, en France, on s’interdit de rouler à 200 km/h sur les autoroutes. La réticence française à tirer parti de l’un des rares avantages compétitifs que recensait le rapport Gallois, par exemple en s’imposant comme cela avait été initialement agréé une simple stabilisation de ses émissions pendant que les pays plus pollueurs diviseraient les leurs, est un mystère politique qu’explique sans doute le désir de bien faire. A-t-on vu l’Allemagne répondre à la crise des pays méditerranéens par un partage égal des efforts d’ajustement ? Notre situation est-elle tellement meilleure que celle de notre puissant voisin qu’il serait immoral de jouer les mêmes cartes que lui ? En bons kantiens, nous nous comportons comme nous pensons que chacun devrait le faire, cela dans un monde où l’immense majorité se comporte de la manière qui maximise leur avantage.

Examinons tout d’abord les chiffres, en donnant aussi la parole à Greenpeace qui conteste que la France fasse beaucoup mieux que l’Allemagne. Puis nous porterons un regard lucide sur ce « facteur 4 » que le pays s’impose à la quasi-unanimité, comme s’il était un passage obligé. Nous calculerons alors ce que va apporter le facteur 4 français à la planète. Ne convient-il pas de se demander quelle différence cela ferait si la France, tout en restant fidèle à son souci de contribuer à ralentir le changement climatique, péril véritable et imminent, accordait un peu d’attention à son intérêt national ?

un avantage français que relativise greenpeace

Dans le rapport de janvier 2014 que nous analysions, la Cour des comptes évalue ainsi la performance française en termes d’émissions : « Avec 227 tCO2 émises par M€ de PIB en 2009 et, selon des données encore provisoires, moins de 210 tCO2 aujourd’hui, la France est l’une des économies parmi les moins carbonées en Europe, la deuxième après la Suède. Rapportées au PIB, les émissions françaises représentent ainsi moins des 2/3 de la moyenne de l’Union européenne ou des émissions de l’Allemagne, à peine plus de la moitié de celles des Pays-Bas. Cette spécificité est essentiellement due à une production électrique qui est aux trois quarts issue du nucléaire et pour 1/6 de sources renouvelables. Au total, l’électricité est ainsi, en France, produite à plus de 90 % à partir de sources non-émettrices de CO2. Avec 79 g CO2 par kWh produit, la France émet de ce fait entre cinq et six fois moins que l’Allemagne ou les Pays-Bas pour sa production électrique64. »

Comme nous l’avons fait ci-dessus (et avant nous Dieter Helm65), Greenpeace estime que l’empreinte carbone d’un pays qui tient compte des importations est la seule qui compte à l’échelle de la planète : sur ce point nous nous plaçons dans le camp de Greenpeace. Mais lorsqu’elle note l’importance du déficit français avec l’Allemagne, l’organisation, militante déterminée de la sortie du nucléaire, oublie de dire que ce qui ternit ainsi l’empreinte carbone de la France, c’est précisément le haut contenu en carbone des importations en provenance tout particulièrement d’Allemagne, premier partenaire commercial de la France et de la Chine66. Greenpeace a raison : la vertu française est moins nette si l’on tient compte des fermetures d’usines que viennent compenser des importations de produits allemands, polonais, chinois ou américains. Pour Greenpeace, ces corrections montrent que la politique énergétique française ne produit pas les bénéfices climatiques annoncés et que l’on ne perdrait pas grand-chose à engager la sortie du nucléaire. Les chiffres qu’utilise l’organisation disent pourtant l’inverse. En copiant l’Energiewende, la France détériorerait son impact climatique doublement : une première fois en remplaçant une énergie nucléaire zéro- carbone par un mélange ENR-hydrocarbures à l’allemande et une seconde fois par le surcroît d’importations en provenance d’Allemagne, de Chine  et autres pays carbonés qu’entraînerait la perte de compétitivité liée à l’adoption d’une Energiewende à la française. Il n’est pas très rigoureux de la part de Greenpeace de rajouter au bilan français la part de carbone importée d’Allemagne pour dire que, finalement, la France n’est pas tellement plus vertueuse que l’Allemagne…

Le souci de marquer leur attachement au discours écologiste conduit les responsables français à fermer les yeux sur l’un des derniers grands avantages compétitifs de la France. On compte aujourd’hui 70 GW intermittents en Allemagne contre seulement 7 GW en France : il s’agit là non pas d’un retard mais d’un avantage français. Lorsqu’un pays passe, comme l’Allemagne, le cap des 25 ou 30 % d’intermittents, il doit affronter un ensemble d’effets systémiques qui exige la refonte de son système électrique. Cela d’autant plus que la liste des bons sites éoliens et des régions à fort ensoleillement dans un pays donné n’est pas indéfiniment extensible. Comme cela est maintenant reconnu assez largement, y compris en Allemagne, le bilan économique de l’Energiewende est négatif. L’industrie chimique allemande qui investissait précédemment en priorité dans son pays explique qu’elle fera 9,7 de ses 12,3 milliards d’euros d’investissement à venir hors d’Allemagne en raison du surcoût énergétique. Elle s’indigne en outre du projet de loi, pourtant timide, qui en juin 2014 prévoyait d’assujettir les entreprises à 30 % puis 40 % de la surcharge ENR pour l’électricité qu’elles produisent elles-mêmes67. L’étude  IHS de mars 2014 que nous évoquions évalue à   52 milliards d’euros les pertes d’exportation sur la période 2008-2013 du fait du surcoût de l’énergie pour les entreprises (PME principalement) non dispensées de la surcharge68. Dans ces conditions, une France qui défendrait ses intérêts soutiendrait la Commission lorsque cette dernière s’efforce de rappeler l’Allemagne à la discipline du marché. Au lieu de débats stériles franco-français sur la possibilité de fermer une centrale pour des raisons de préférence politique plutôt que sur décision techniquement justifiée  de l’Agence de sûreté nucléaire (ASN), la France, tous partis confondus, s’efforcerait de préserver l’un des derniers atouts dont elle dispose encore face à l’Allemagne. Elle en tirerait plus de profit, et sans doute plus d’estime, de la part de son essentiel partenaire que lorsqu’elle lance des appels à créer un « Airbus de l’énergie », dont on a ensuite quelque mal à imaginer les contours.

un « facteur 4 » français dont l’impact climatique ne sera que de quelques jours par siècle…

Au terme de cette analyse du grand décalage entre l’ambition de la transition et ses coûts et effets réels, comment pourrions-nous ne pas nous interroger sur la clé de voûte de la politique française, le « facteur 4 », c’est-à-dire l’objectif d’une division par quatre de ses émissions que la France souhaite s’imposer d’ici à 205069. La justification initiale était une vision, déjà obsolète, du partage du fardeau à l’échelle de la planète sur laquelle nous reviendrons dans une prochaine note70. Il est facile de proclamer que le facteur 4 placera la France à l’avant-garde d’une nouvelle industrie, mais l’exemple des panneaux solaires chinois est là pour mettre en garde contre cette vision naïve de la concurrence industrielle internationale. Une analyse plus sobre s’impose, qui respecte l’intention de contribuer à la lutte contre le réchauffement mais qui évalue sans tabou les effets climatiques réels et les coûts, cela en tenant compte de la désindustrialisation que la France accélère chaque fois qu’elle détériore sa compétitivité.

Pour évaluer les bénéfices du facteur 4,  il  faut  évaluer  sa  contribution au ralentissement des émissions de carbone. Sans autre  prétention  ici que d’évaluer les ordres de grandeur, nous nous limiterons à un cadrage arithmétique que ceux qui en ont les moyens peuvent affiner autant que de besoin à l’aide de modèles.

 

La France émet 1 % du carbone mondial en 2014. Sans politique nouvelle et à émissions constantes, sachant que les émissions du reste du monde vont à peu près doubler d’ici à 2050, elle émettrait 0,5 % du carbone de 2050. En moyenne, sur 2015-2050, elle serait donc responsable de 0,75 % environ des nouvelles émissions (c’est-à-dire d’un accroissement de 0,45 ppm71 sur les 60 ppm attendus). Plaçons-nous maintenant dans le scénario officiel, celui du facteur 4. Dans ce scénario, les émissions françaises de 2050 ne représenteraient plus que le quart seulement de leur niveau actuel, donc 0,125 % du total mondial 2050 au lieu de 0,50 %. En moyenne (supposant les évolutions linéaires), la France aura alors émis 0,5625 % (la moyenne de 1 % et 0,125 %) des émissions de la période et non plus 0,75 %. Le facteur 4 retirerait donc moins de 0,2 % des émissions mondiales attendues sur les 35 ans à venir, soit moins de 0,12 ppm, ce qui correspond, en analyse économique statique, à 26 jours de réchauffement. En analyse d’équilibre général, l’impact du facteur 4 sera plutôt d’une douzaine de jours car, achetant moins de pétrole et de gaz, nous provoquerions une légère baisse de leur prix et en favoriserions la consommation dans le reste du monde.

Retarder le ralentissement climatique d’une douzaine de jours d’ici à 2050 n’est pas la grande victoire sur le dérèglement climatique que le discours militant laisse entendre. Il n’est donc pas iconoclaste de chercher à limiter le coût que devront payer les Français pour pouvoir, au prix d’un effort herculéen (le mot est de la chancelière Merkel72) retarder le changement climatique d’une douzaine de jours par demi-siècle.

Sachant que la France maintiendra de toute façon un effort conséquent,    il n’est pas indécent de comparer la politique actuelle (facteur 4) à une politique deux fois moins contraignante d’ici à 2050, celle du « facteur 2 ». Notons d’ailleurs que si la France visait au facteur 2 en 2050 et continuait au même rythme, elle atteindrait néanmoins le facteur 4 avant la fin du siècle. Les mêmes calculs que ci-dessus montrent que, s’imposant seulement le facteur 2, la France émettrait 0, 625 % du total des émissions 2015-2050 au lieu des 0,563 % en s’imposant le facteur 4. La différence est de 0,062 % des émissions mondiales (soit 0,0372 ppm de carbone atmosphérique). Elle vaut une accélération du réchauffement d’environ 8 jours d’ici à 2050 en analyse statique et donc environ 4 jours en tenant compte des effets systémiques.

Alors qu’ils réfléchissent aux moyens à consacrer à la lutte contre la pauvreté, à l’aide au développement, au système de santé, au financement de la dépendance, à l’éducation et à la défense nationale par temps troublés, les responsables intellectuels, associatifs et politiques français pourraient prendre note de ce que, optant pour le facteur 2 en 2050 au lieu du facteur 4, la France n’aurait « ralenti le ralentissement » du réchauffement que de quatre jours environ. Ce qui, par ailleurs, n’empêcherait nullement ceux qui le souhaitent de faire plus, à leur initiative et sans que le législateur ait besoin de leur tenir la main ou de leur tordre le bras. Le bénéfice d’une politique moins autoritaire, qui ferait confiance aux « citoyens » au lieu de les traiter en petits écoliers et ne se bercerait pas d’illusions, serait considérable pour la compétitivité, notamment face à l’Allemagne, et pour le pouvoir d’achat des ménages. Le réchauffement climatique induit par la division par deux des « ambitions » serait de quatre jours par demi-siècle. Seuls souffriraient, comme lorsque l’on abandonna le programme Concorde, les ego politiques et les bénéficiaires des budgets de ces efforts surdimensionnés. À nouveau, il ne s’agit pas de renoncer à faire ce que l’on peut mais de limiter les contraintes et obligations en tous genres qui sont à la fois extraordinairement coûteuses, sans impact réel et qui polluent le débat politique en créant la fausse impression que l’on est en train de changer sinon la vie du moins « le modèle ». Changer de « modèle » énergétique n’a aucun intérêt en soi. L’énergie n’est qu’un moyen, un input, une ressource. Ce qui compte c’est de changer le rythme de progression du réchauffement (l’unité de pertinence s’exprimant non pas en jours mais en années par siècle) tout en évitant d’éteindre la France. Oui à la productivité énergétique, à la productivité carbone, à la productivité de l’ensemble des facteurs de production. Oui aux ENR compétitives déployées dans des conditions respectueuses de la logique du marché. Oui à un effort de recherche et développement de nature à changer la donne.

la ligne maginot climatique

C’est par la qualité de nos calculs que nous pourrons ralentir le réchauffement climatique. Ce n’est pas trahir l’idéal de lutte contre le changement climatique, bien au contraire, que de demander que les moyens considérables qu’on lui consacre soient mis en œuvre sous le signe de l’efficacité coûts-résultats. Une utilisation plus rationnelle de moyens plus limités conduira à des résultats certes modestes mais supérieurs à ceux auxquels conduit la stratégie actuelle. Elle laissera en outre davantage de moyens disponibles pour ces autres objectifs tout aussi importants que sont la lutte contre la pauvreté, la hausse des niveaux de vie, la création d’emplois non aidés et, sous peu, l’énorme travail d’adaptation que le très réel péril climatique va appeler sur nos côtes, dans nos forêts, au cœur de nos infrastructures.

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