Résumé
I.

Quelle réalité sociodémographique?

II.

Quelle réalité électorale?

1.

Les caractéristiques communes aux votes métropolitains

2.

Les enjeux majeurs des élections municipales métropolitaines

3.

Y a-t-il encore un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM?

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Résumé

L’habitant des métropoles nourrit tant de fantasmes politiques qu’on ne sait plus quels traits lui donner. Est-il cet intellectuel de gauche assis à la terrasse du Flore ou ce hipster barbu et vegan qui se rend chaque matin dans son espace de coworking ? Les familles ont-elles réellement déserté les centres urbains ? Qui sont ces Français qui s’accrochent coûte que coûte à l’hypercentre ? Sont-ils unanimement acquis aux valeurs de la gauche et du progressisme au point qu’il convient pour certains partis d’abandonner les villes ? Pour répondre à ces questions, il faut s’extraire des discours idéologiques pour revenir aux données objectives, sociodémographiques et électorales existantes.

Les différentes infographies réalisées à partir de ces données dressent un portrait de l’habitant des métropoles bien différent des caricatures qui ont pu en être faites, notamment d’un point de vue électoral. Si lors des bascules électorales de 2001 et 2008, le Parti socialiste a été vu comme le parti des grandes villes, aujourd’hui c’est LREM qui semble être   le nouveau parti des métropolitains. Dans ce contexte, il convient de se demander s’il existe toujours un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM. Nous verrons que c’est en amplifiant l’opposition ville/périphérie, gagnants/perdants de la mondialisation, progressistes/populistes, que l’UMP puis Les Républicains ont contribué à leur propre affaiblissement.

Nelly Garnier,

Directrice associée chez Havas Paris.

I Partie

Quelle réalité sociodémographique?

Existe-t-il un portrait-robot du métropolitain ? La question mérite d’être posée tant la vie peut sembler différente que l’on habite Paris, Marseille ou Toulouse. La première caractéristique que l’on peut noter en métropole concerne la structure de la population par classe d’âge. La part de jeunes adultes (15-44 ans) est plus importante dans les centres urbains et ce de manière encore plus marquée dans les quartiers gentrifiés du centre : on compte 46% de jeunes adultes à Paris et 51% dans le IXe arrondissement de la capitale, contre 37% à l’échelle nationale. Toulouse, Strasbourg et Grenoble sont des villes jeunes composées pour moitié de jeunes adultes. La part des jeunes croît encore dans les quartiers retenus pour notre étude, avec 55% de jeunes adultes dans le quartier Chorier-Berriat (Grenoble), 64% dans le quartier de la Krutenau (Strasbourg), 68% dans le quartier de Saint-Cyprien (Toulouse). Comme pour l’ensemble des indicateurs retenus, Marseille fait exception dans sa globalité, avec seulement deux points de plus que la moyenne nationale, mais le quartier du Camas se situe dans une moyenne proche des autres quartiers étudiés, avec 47% de jeunes adultes.

Entre 1999 et 2015, la proportion de jeunes adultes dans les grandes villes est restée relativement stable – à l’exception des quartiers Chorier-Berriat, Krutenau et Saint-Cyprien, qui se sont fortement rajeunis avec l’arrivée d’une importante population étudiante –, mais cette stabilité est à mettre en regard avec le vieillissement de la population au niveau national (baisse de 5 points de la part de jeunes adultes entre 1999 et 2015).

 

Évolution de la part des 15-44 ans parmi la population totale de 1999 à 2015

Source : Insee 1999, 2015.

Notes

1.

Jacques Lévy (dir.), Atlas politique de la Les révolutions silencieuses de la société française, Autrement, 2017, p. 25.

+ -

Comme le fait remarquer le géographe Jacques Lévy, « une interprétation classique consisterait à évoquer les “cycles de vie” : les jeunes vivraient dans de petits appartements d’un centre riche en aménités urbaines, puis “fonderaient une famille” et partiraient dans les périphéries pour “avoir de l’espace” et se rapprocheraient du centre après le départ des enfants. Cette interprétation n’est pas totalement fausse, mais très partielle1 ».

 

En effet, comme le note encore le géographe, s’il est vrai qu’il y a peu de ménages d’une personne dans le périurbain français, il existe des familles de centre-ville. Dans les villes et quartiers étudiés, la part des familles avec enfants parmi les ménages est plus faible qu’au niveau national, avec un écart souvent supérieur à 10 points.

Évolution de la part des familles avec enfant(s) parmi les ménages de 1999 à 2015

Source : Insee 1999, 2015.

Cependant, la part des familles avec enfant(s) est en progression depuis quinze ans dans la quasi-totalité des territoires étudiés, alors qu’elle reste stable au niveau national. Parmi ces familles, ce sont les familles monoparentales qui progressent le plus fortement. Elles représentent entre 33 et 37% des familles avec enfant(s) sur les six villes étudiées, contre 27% à l’échelle nationale.

Évolution de la part des familles monoparentales parmi les familles avec enfant(s) de 1999 à 2015

Source : Insee 1999, 2015.

Notes

Outre ces caractéristiques en termes de structure de population, la métropole s’impose comme l’espace du capital culturel. La part de diplômés du supérieur parmi la population âgée de 15 ans et plus y est nettement plus élevée qu’à l’échelle nationale (28%) : 59% à Paris, 49% à Bordeaux, 49% à Toulouse, 46% à Grenoble, 40% à Strasbourg et 30% à Marseille qui, une fois encore, est plus proche des tendances nationales que métropolitaines. La part des cadres et professions intellectuelles supérieures est aussi plus élevée dans les grandes villes : 25,5% à Strasbourg, 29% à Bordeaux, 31% à Toulouse, 33% à Grenoble contre 17% à l’échelle nationale. Toutefois, c’est principalement Paris qui se distingue comme une ville de cadres, avec près de la moitié de sa population active composée de cadres et professions intellectuelles  supérieures.

Enfin, il y a dans les centres urbains beaucoup moins de propriétaires de voitures et de résidences principales, ce que l’on peut considérer comme deux grands marqueurs de la propriété privée chers aux Français. La tendance à l’« abandon » de la voiture est particulièrement marquée à Paris, où seuls 36% des ménages à l’échelle de la commune et 29% à l’échelle du IXe arrondissement possèdent une voiture, contre 81% à l’échelle nationale en 2015. En 2006, les Parisiens étaient 42% à posséder une voiture. À l’échelle des autres villes étudiées, l’écart avec la moyenne nationale est moins prononcé mais tend à s’accentuer dans les quartiers centraux : ainsi, en 2015, 66% des ménages du quartier des Chartrons possédaient une voiture, contre 70% en 2006 ; 52% du quartier du Camas, contre 60% en 2006 ; 58% du quartier Saint-Cyprien contre 63% en 2006 ; 46% du quartier Krutenau contre 50% en 2006 ; et 62% du quartier Chorier-Berriat contre 66% en 2006. À un rythme rapide, la voiture tend à disparaître des villes.

Pour ce qui est du logement, la faible part de personnes propriétaires de leur résidence principale est moins une évolution qu’une constante. Sur les six villes étudiées, on constate un écart allant de 16 à 45 points par rapport à la moyenne nationale. Ainsi, alors que 60,5% des Français sont propriétaires de leur résidence principale, ils ne sont que 28,8% à Strasbourg, 34% à Paris, 36,7% à Toulouse, 36,8% à Bordeaux, 40,2% à Grenoble  et 40,8% à Marseille. La part de personnes locataires du parc social étant très variable selon les villes et les quartiers, les métropolitains sont donc avant tout des locataires du parc privé. Alors que pour un certain nombre de biens, on assiste au développement d’une logique d’usage accompagnée d’offres de partage ou de location, l’achat de la résidence principale conserve « une dimension statutaire et sécuritaire » inégalée. Selon une étude de 2015, l’achat représente pour les jeunes « avant tout une sécurité pour l’avenir » et « 35% des jeunes achèteraient pour avoir toujours un logement (+ 6 points par rapport à 2014) et 36% pour pouvoir constituer un capital et préparer l’avenir2 ». Par conséquent, on peut donc considérer que les métropolitains ne sont pas moins désireux d’être propriétaires de leur logement, mais ils restent locataires soit parce que cela correspond à un cycle de leur vie – les études, l’entrée dans la vie active, la vie en couple sans enfants –, soit parce que l’accès à la propriété privée est plus difficile en ville.

Portrait-robot du métropolitain à l’échelle de la commune et des quartiers gentrifiés

Source :

Insee 2015.

Portrait-robot du métropolitain à l’échelle de la commune et des quartiers gentrifiés (suite)

Source :

Insee 2015.

Notes

3.

David Brooks, Bobos in The New Upper Class and How They Got There, Simon and Schuster, 2000.

+ -

4.

Laure Watrin et Thomas Legrand, La République bobo, Stock, 2014, 135.

+ -

5.

Vincent Froelhy, « La Krutenau et l’Esplanade », fr, 26 janvier 2017.

+ -

6.

« La Plaine/Cours Julien », fr, s.d.

+ -

7.

Stéphanie Vermeersch, Lydie Launay et Éric Charmes, Quitter Paris ? Les classes moyennes entre centres et périphéries, Créaphis, 2019, 96-97.

+ -

8.

Richard Florida, The Rise of the Creative Classe, and How It’s Transforming Work, Leisure, Community And Everyday Life, Basic Books, 2002.

+ -

9.

Jacques Lévy (dir.), Atlas politique de la Les révolutions silencieuses de la société française, Autrement, 2017, p. 54.

+ -

10.

Jacques Lévy, Jean-Nicolas Fauchille et Ana Póvoas, Théorie de la justice Géographie du juste et de l’injuste, Odile Jacob, 2018.

+ -

11.

Cité par Oriane Raffin, in « Jeunes cadres : quitter Paris, oui, mais à quel prix ? », Le Monde, 18 mars 2019.

+ -

Bobos in Paradise, le livre de David Brooks à l’origine de l’expression « bobo », est d’abord une satire des habitudes alimentaires et vestimentaires des élites intellectuelles et économiques de la côte Est américaine3. Déjà, comme de nos jours, le bobo de Brooks se distinguait notamment par sa manière de consommer le café. Au début des années 2000, David Brooks le décrit comme privilégiant l’expresso et le cappuccino à l’americano. Un peu plus tard, il sera décrit comme un adepte du café latte décoré d’une feuille ou d’un cœur, puis des cafés grands crus dont il apprend à apprécier l’acidité. Comme l’expriment justement les journalistes Laure Watrin et Thomas Legrand : « Il n’y a pas de bobos, il n’y a que de la boboïtude4. »

Plus généralement, la boboïsation d’un quartier est avant tout perçue par l’évolution de son tissu commercial – bars, restaurants, magasins de mode, concept stores, barbiers… Dans les guides de voyage, ce tissu commercial, symbole d’une urbanité branchée, devient un objet de visite à part entière. En témoigne par exemple la description du quartier de la Krutenau, à Strasbourg, sur le site Internet du guide de voyage Lonely Planet : « Située à deux pas du campus universitaire, la “Krut” est le repaire des étudiants et des jeunes couples, attirés par son ambiance arty. La vie y suit un cours paisible, à deux pas du centre historique, et, le soir, les animations sont légion. Flânez de place en place, faites du shopping rues Sainte-Madeleine et des Bouchers, allez voir une exposition au CEAAC ou à la Chaufferie et passez la soirée dans un de ses nombreux bistrots. 100% strasbourgeois5. » Un site marseillais nous invite quant à lui à découvrir le « cours Ju », « quartier vivant, ambiance conviviale et shopping 100% marseillais » : « Le cours Julien est “le quartier bobo”, celui qui vous permettra de chiner tout en profitant du calme ! Ce quartier est le plus grand quartier en France dédié au street art. Laissez-vous porter par les rues de ce quartier haut en couleur. C’est un véritable esprit de quartier, une atmosphère que l’on apprécie, très atypique, surtout lorsque l’on tombe sur les fameux marchés du quartier : marché de la plaine, marché paysan, marché des créateurs, marché bio, etc.6 »

Le métropolitain est d’abord défini par son lifestyle, c’est-à-dire son mode de vie. Le lifestyle métropolitain présente trois caractéristiques principales : il constitue d’abord un choix résidentiel centré sur la recherche d’une offre de services la plus riche possible ; il traduit ensuite une forme de sociabilité particulière qui associe, d’une part, désir de brassage et de mixité, et, d’autre part, une forme d’entre-soi ; il répond enfin au souhait d’un positionnement symbolique au centre de l’espace social. La centralité urbaine est d’abord recherchée pour son offre de services et d’équipements. Pour un même niveau de classe moyenne, on constate ainsi que certains ménages font le choix d’avoir tout à proximité, au détriment de la qualité du logement à proprement parler : ce sont les urbains. D’autres font le choix de privilégier leur lieu de résidence avant d’avoir tout à proximité, ce sont les périurbains. C’est le constat fait par certains chercheurs, qui remarquent que, pour les classes moyennes, le choix d’habiter dans le centre ou en périphérie ne résulte pas uniquement d’arbitrages économiques : « Une large majorité des habitants des communes périurbaines, comme la majorité des Français, veut une maison. Certes, beaucoup désirent aussi la centralité et le meilleur moyen d’y accéder reste de résider au centre. La question est celle de l’arbitrage entre ces deux désirs : faut-il résider au centre ou en proche banlieue dans un appartement et se déplacer à pied ou en métro ou bien résider en périphérie plus ou moins proche dans une maison et se déplacer en voiture ou en RER ? Les Parisiens privilégient la première option, mais ce n’est pas sans concession7 ». Ils notent ainsi que Paris compte un tiers de propriétaires, contre près de deux tiers pour la moyenne française. L’hypercentre est la promesse d’avoir tout à portée de main : commerces, offre culturelle, loisirs… Mais, avec l’arrivée d’un enfant, le monde des urbains se réoriente, pouvant les pousser vers la banlieue.

Vivre en centre-ville, c’est aussi rechercher une certaine forme de sociabilité. Au début des années 2000, un professeur d’urbanisme américain, Richard Florida, a défendu la thèse selon laquelle l’innovation économique était portée par une « classe créative » concentrée dans quelques métropoles 8. Si la pertinence économique mais aussi sociologique – la « tolérance » étant l’un des principaux critères attenant à cette catégorie de population – de cette thèse a été remise en cause à de nombreuses reprises, force est de constater qu’il existe bien une concentration de la classe créative en centre urbain. On compte à Paris 11,5% de ménages dont la personne de référence est rattachée à la catégorie 32 de l’Insee (regroupant les catégories 34 et 35 des « classes créatives »). Cette proportion est de 8,1% à Bordeaux, 7,2% à Toulouse, 7,9% à Strasbourg, 7,8% à Grenoble et 4,7% à Marseille, contre 3,9% à l’échelle nationale. Les « cadres créatifs » restent minoritaires par rapport à l’ensemble des actifs métropolitains mais représentent malgré tout souvent près d’un tiers des cadres métropolitains.

Pour le géographe Jacques Lévy, ceux qui font le choix de l’hypercentre ne sont donc pas uniquement guidés par des préoccupations d’ordre professionnel, mais aussi par la recherche d’« un type de vivre ensemble fait de diversité et de multiplication de liens, y compris de liens faibles9 ». Reprenant le vocabulaire d’Henri Lefebvre, le géographe explique que « la ville ne se résume pas à une somme de marchandises et de services, mais qu’elle est surtout porteuse d’un capital symbolique et culturel fort. […] Parce qu’elle multiplie les possibles, elle favorise la sérendipité qui est définie par le fait de trouver dans les environnements des éléments positifs que l’on ne cherchait pas spontanément10 ». Autrement dit, la métropole porte intrinsèquement en elle une promesse d’ouverture des possibles, de par la mobilité, les rencontres et la vie culturelle et intellectuelle intense qu’elle offre. De ce fait, elle attire des types de population qui sont à la recherche de cet environnement pour des raisons personnelles – on monte à la capitale pour réaliser ses rêves – ou professionnelles. Les propos d’un jeune cadre suite à son départ de Paris témoignent bien de cette recherche, tout en soulignant la difficulté des métropoles régionales à offrir le même niveau de mixité : « À Paris, j’ai habité un temps rue du Faubourg-Saint-Denis [une voie commerçante et très métissée du Xe arrondissement] et pratiqué la musique dans un studio de ce quartier, avec des gens d’origines diverses. Le Nord-Est parisien est un lieu de relative mixité socio-économique et de métissage culturel qui manque cruellement dans la grande majorité des centres-villes de province, et particulièrement à Strasbourg11. » Bien évidemment, la mixité est recherchée pour ses aspects positifs et sera décriée, comme vu dans la première partie de cette note, lorsqu’elle devient source de frictions communautaires. En outre, l’ouverture au monde apprécié dans les métropoles n’empêche pas des pratiques d’entre soi mais que l’on retrouve finalement dans tous les territoires.

La France compte 8.529.583 ménages dont la personne de référence est cadre ou de profession intellectuelle supérieure, ce qui correspond à 13,6% de la population française. Parmi ceux-ci, il y a 2.476.234 ménages dont la personne de référence est cadre de la fonction publique ou de profession intellectuelle et artistique. Cela représente 3,9% des ménages français.

Part des ménages de cadres et de cadres dits de la « classe créative » parmi l’ensemble de la population des ménages

Source : Insee 2015.

Part des ménages de cadres et de cadres dits de la « classe créative » parmi l’ensemble de la population des ménages

Source :

Insee 2015.

Notes

12.

Ibid.

+ -

Enfin, l’hypercentre métropolitain offre un positionnement symbolique au centre de l’espace social. Être dans la métropole, c’est être « là où ça se passe » par opposition à la banlieue décrite comme un no man’s land. Pouvoir associer avec une telle proximité des exigences variées et profiter à deux pas de chez soi de toutes les aménités qu’offre la métropole n’est pas seulement fonctionnel, c’est aussi un élément de valorisation, un vecteur de distinction sociale. Un autre jeune cadre ayant quitté Paris exprime bien cette bataille du centre, jugée valorisante bien que, ou parce que, difficile : « J’ai ressenti cette incroyable impression, que j’ai depuis partagée avec d’autres, de ne plus être là où ça se passe. Mais aussi ce sentiment d’avoir quitté une jungle assez rude, une jungle où l’on s’est plu à survivre12. » Le lifestyle sera une manière de se distinguer, par exemple, de ceux qui ne font pas le choix de la centralité urbaine, mais aussi une manière de se rattacher à un groupe, ceux qui font le choix de l’habitat métropolitain, avec une homogénisation des modes de consommation au sein de ce même groupe.

Part des ménages de cadres et de cadres dits de la « classe créative » parmi l’ensemble de la population des ménages

Source :

Insee 2015.

II Partie

Quelle réalité électorale?

1

Les caractéristiques communes aux votes métropolitains

Notes

13.

Laure Watrin et Thomas Legrand, La République bobo, p. 294.

+ -

« Vous vous demandez si vous n’allez pas raser votre barbe de trois jours depuis que Sarkozy fait pousser la sienne » : pour les journalistes Laure Watrin et Thomas Legrand, si vous vous reconnaissez dans cette assertion, c’est bien que vous êtes bobo13. Car voter à gauche ou vert et détester Nicolas Sarkozy sont des traits de « boboïtude » incontestables. Pourtant, c’est bien Nicolas Sarkozy qui arrive en tête au premier et au second tour de l’élection présidentielle de 2007 à Paris, avec respectivement 35,1% et 50,2% des voix contre 31,2% et 53,1% à l’échelle nationale. Les résultats sont très proches dans le IXe arrondissement de Paris, où il obtient 35,3% au premier tour et 50,7% au second tour. À l’élection présidentielle de 2012, François Hollande se place en tête dans la capitale mais Nicolas Sarkozy réalise au premier tour un score plus élevé de 5 points à Paris que dans le pays : 32,2% à Paris et 33,2% dans le IXe arrondissement, contre 27,2% sur toute la France. Dès lors, on peut se poser la question de savoir si est encore juste l’image d’un métropolitain anti-FN, trouvant la droite ringarde, ayant voté PS ou Verts au début des années 2000, puis ayant trouvé dans le macronisme la réconciliation tant attendue entre son libéralisme sur le plan économique et sur le plan des mœurs. Bien qu’elles s’inscrivent fortement dans la tendance nationale, les métropoles présentent néanmoins certaines caractéristiques électorales communes.

 

Une préférence pour les « partis de gouvernement »

La première caractéristique propre au vote métropolitain est de se porter plus fortement sur les forces centrales, ce que l’on appelle communément les « partis de gouvernement ». À l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy réalise au premier tour un score supérieur à la moyenne nationale dans quatre des six villes étudiées, à l’exception de Bordeaux, où le vote en faveur de Nicolas Sarkozy est légèrement inférieur à la moyenne et celui en faveur de François Bayrou légèrement supérieur, et de Grenoble, qui par ailleurs vote à 36,3% pour Ségolène Royal dès le premier tour, contre 25,9% au niveau national. Ségolène Royal obtient également des scores supérieurs à la moyenne nationale dans les six villes étudiées lors du premier tour de l’élection présidentielle du 2007. À l’issue du second tour, Nicolas Sarkozy arrive en tête à Paris (50,2%), Strasbourg (51,1%) et Marseille (55,7%), quand Ségolène Royal se place devant Nicolas Sarkozy à Bordeaux (52,4%), Toulouse (57,6%) et Grenoble (58,1%).

 

Élection présidentielle de 2007 (candidats ayant obtenu un score supérieur ou égal à 5%)

Source : Ministère de l’Intérieur, France.

À l’élection présidentielle de 2012, François Hollande est en tête dans les six villes étudiées, obtenant des scores largement supérieurs au niveau national dans toutes ces villes, sauf à Marseille où il obtient 28,1% des suffrages contre 28,6% au niveau national. S’il arrive deuxième, Nicolas Sarkozy obtient malgré tout de meilleurs scores qu’au niveau national à Paris, Bordeaux  et Strasbourg. Au second tour, François Hollande est premier à Marseille (50,8%), Strasbourg (54,7%), Paris (55,6%), Bordeaux (57,2%), Toulouse (62,5%), et Grenoble (64,3%), avec des scores souvent bien supérieurs à la moyenne nationale (51,6%).

Élection présidentielle de 2012 (candidats ayant obtenu un score supérieur ou égal à 5%)

Source : Ministère de l’Intérieur, France.

À l’élection présidentielle de 2017, Les Républicains et le Parti socialiste décrochent dans toute la France, mais souvent moins fortement en ville. François Fillon obtient ainsi 26,5% des voix à Paris et 21,8% à Bordeaux, contre 20% au niveau national. À Marseille (19,8%) et à Strasbourg (19,8%), il reste proche de la moyenne nationale. De même, alors que le score du candidat PS tombe à 6,4% au national, Benoît Hamon se maintient autour de 10% à Paris, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg et Grenoble.

Élection présidentielle de 2017 (candidats ayant obtenu un score supérieur ou égal à 5%)

 

Source : Ministère de l’Intérieur, France.

L’analyse des résultats aux élections européennes révèle les mêmes tendances : en 2004 et 2009, la liste UMP obtient des scores supérieurs ou égaux à la moyenne nationale à Paris, Bordeaux, Marseille, Toulouse et Strasbourg. En 2014, elle conserve une avance de voix par rapport à la moyenne à Paris, Bordeaux et Marseille. Au cours de ces trois élections, on observe les mêmes tendances côté PS avec une présence forte de la gauche à Toulouse, Strasbourg et Grenoble. Lorsque la dynamique nationale a été en faveur des socialistes, le vote de gauche a été amplifié en ville. La dynamique est moins forte pour la droite mais cette dernière ne conserve pas moins de solides positions en ville, notamment à Paris, Bordeaux et Marseille. Au second tour de l’élection présidentielle de 2017 puis aux élections européennes de 2019, les voix des métropolitains se sont très largement portées sur Emmanuel Macron. Le positionnement particulièrement « central » du parti présidentiel a constitué un atout considérable dans son ancrage dans les métropoles.

Résultats des élections européennes de 2004, 2009, 2014 et 2019

Source : Ministère de l’Intérieur, France.

Un engouement limité pour l’extrême droite 

Une deuxième caractéristique du vote métropolitain, liée à la première,  est la faible pénétration du Front national en ville. Lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017, à l’exception de Marseille où elle obtient 35,6% des voix, Marine Le Pen est ainsi très largement devancée dans les six villes étudiées : Paris (10,3%), Bordeaux (14,1%), Toulouse (17%), Grenoble (17,3%) et Strasbourg (18,8%). Cependant, le vote frontiste n’est pas inexistant en ville, comme le montrent les résultats aux élections européennes de 2014 : Paris (9,3%), Bordeaux (11,5%), Marseille (30,3%), Toulouse (14,1%), Strasbourg (14,6%) et Grenoble (13,3%). Dans plusieurs des villes étudiées, le Front national a été en capacité de se maintenir au second tour des élections municipales de 2014. C’est le cas à Marseille, Strasbourg, Grenoble.

On note généralement une concentration du vote frontiste dans les zones périphériques des grandes villes. À Toulouse, dans les trois bureaux de l’école Lespinasse, dans le quartier central de Saint-Cyprien, le Front national obtient ainsi 11,5% au second tour de l’élection présidentielle de 2017. A contrario, les quatre bureaux de l’école Lalande, situés à l’extrême nord de Toulouse, ont voté à 27,2% pour Marine Le Pen. À Paris, c’est dans les bureaux situés en bordure ou au-delà du périphérique que la candidate frontiste obtient ses meilleurs résultats. Dans le bureau 76 du XVe arrondissement, situé au-delà du périphérique, elle obtient 20,1% des suffrages. Dans les bureaux 56 et 57 du XIVe arrondissement, situés entre le périphérique et le boulevard des Maréchaux, elle dépasse les 25%. Dans le bureau 46 du XIIIe arrondissement, elle obtient 25,7% des voix. À l’inverse, dans le bureau 21 du Ve arrondissement et le bureau 14 du IVe arrondissement, Marine Le Pen obtient des scores inférieurs à 6%. Peu perméable au Front national, le vote métropolitain n’en est pas moins favorable à La France insoumise (LFI). Cela tient à la composition de l’électorat insoumis. En effet, si les électorats de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen se distinguent par leur faible niveau de patrimoine économique au regard des autres électorats, ils se séparent sur le niveau de diplôme, les électeurs de LFI étant en moyenne plus diplômés.

Résultats du second tour des élections municipales de 2001, 2008 et 2014

Source :

Ministère de l’Intérieur, France (interieur.gov.fr).

Notes

14.

Luc Rouban, « Le peuple qui vote Mélenchon est-il le peuple ? », com, 1er octobre 2017.

+ -

15.

Jacques Lévy (dir.), Atlas politique de la Les révolutions silencieuses de la société française, Autrement, 2017, p. 54.

+ -

Comme l’explique le chercheur en sciences politiques Luc Rouban, « le peuple qui vote pour Jean-Luc Mélenchon est donc un peuple diplômé et souvent déclassé, victime de la dévalorisation des diplômes14 ». La description de cette population à fort capital culturel et faible capital économique rejoint le concept de « paubos », les « pauvres-bohèmes », souvent utilisé par le géographe Jacques Lévy pour désigner cette population à fort capital culturel et faible capital économique présente dans les centres métropolitains15.

Une sensibilité accrue aux enjeux écologiques

Enfin, une troisième caractéristique du vote métropolitain se dessine dans l’importance du vote vert, notamment lors des élections municipales, régionales et européennes. À l’exception de Marseille, les villes étudiées accordent aux Verts  des scores nettement supérieurs à la moyenne nationale. En 2009,  la liste des Verts aux élections européennes obtient 29,1% des suffrages à Grenoble, 27,5% à Paris, 22,3% à Bordeaux, 22,1% à Toulouse, 21% à Strasbourg, contre 16,3% au niveau national. Aux élections européennes de 2014, l’ancrage des écologistes se confirme avec 12,8% à Strasbourg, 13,8% à Paris, 15,6% à Bordeaux, 16,9% à Toulouse et 20,4% à Grenoble, contre  9% au niveau national. Aux élections européennes de 2019, la liste des Verts obtient 19,9% des suffrages à Paris, 22,4% à Grenoble, 21,6% à Bordeaux, 21,3% à Toulouse, et 20,7% à Strasbourg. Son score marseillais est proche de la moyenne nationale (13,7% contre 13,5% au niveau national), mais les écologistes obtiennent de bons scores dans les quartiers centraux, comme dans le 5e arrondissement, avec 19,7% des suffrages.

2

Les enjeux majeurs des élections municipales métropolitaines

Notes

16.

Voir Claude Dargent et Henri Rey, « Sociologie des adhérents Rapport d’enquête », Les Cahiers du Cevipof, n° 59, décembre 2014.

+ -

17.

Voir Florence Haegel, « La mobilisation partisane de Les logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP », Revue française de science politique, vol. 59, n° 1, p. 7-27.

+ -

18.

Bruno Cautrès, Marc Lazar, Thierry Pech et Thomas Vitiello, « La République en marche : anatomie d’un mouvement », Terra Nova, octobre 2018, 5.

+ -

19.

Dominique Chapuis, « Paris : Bertrand Delanoë présente son programme pour la mandature », fr, 6 février 2001.

+ -

Lors des bascules électorales de 2001 et 2008, le Parti socialiste a été perçu comme le parti des grandes villes. Une proximité sociologique entre l’électorat métropolitain, composé d’une forte proportion de salariés diplômés, et celle des adhérents socialistes a alors pu être mise en avant. Ainsi, en 2011, 54% des adhérents du Parti socialiste étaient diplômés du supérieur, 38% étaient cadres supérieurs et 11% professeurs. On comptait 70% d’hommes et seulement 23% de moins de 40 ans. Les retraités représentaient 38% des adhérents16. Toutefois, la surreprésentation des diplômés est davantage à rattacher à l’engagement partisan qu’au positionnement politique. Dans le cadre d’une enquête menée lors du congrès de l’UMP du 28 novembre 2004, il apparaissait en effet que 55% des adhérents de l’UMP avaient un diplôme supérieur au bac17. L’étude en question faisait apparaître une structure partisane de l’UMP assez similaire à celle du PS, majoritairement masculine (68% étaient des hommes) mais sensiblement rajeunie (30% de moins de 40 ans), pour des raisons qui peuvent être dues aux conditions d’enquête (à l’occasion d’un congrès). Les différences étaient davantage à chercher du côté du secteur d’activité, avec 62% de salariés du secteur privé parmi les adhérents de l’UMP contre 41% du côté de ceux du PS (enquête 1997), et des pratiques religieuses (35% de catholiques pratiquants du côté de l’UMP contre 12% du côté du PS).

Une étude menée  par  Terra  Nova  sur  la  sociologie  des  adhérents  de  La République en marche fait pour sa part apparaître une proximité particulièrement forte entre les urbains et les adhérents : « Il en ressort que les marcheurs sont avant tout des hommes (68%), sensiblement plus jeunes et plus urbains que la moyenne, avec un niveau de formation particulièrement élevé (80% sont diplômés du supérieur). Les cadres et professions libérales y sont très majoritaires (60%) ainsi que les actifs du secteur privé (71%). Leurs revenus les situent dans la moitié haute de la société française. Au total, ils appartiennent aux classes moyennes urbaines supérieures et doivent d’abord leur sentiment de stabilité et de sécurité économique à leur fort capital culturel, une caractéristique qui résonne avec l’importance majeure qu’ils accordent  à l’éducation, à la méritocratie et à l’effort18. » La République en marche se singularise aussi par la structure d’âge de ses adhérents (seuls 13% ont plus de 65 ans) et sa polarisation sur les grandes aires urbaines : 70,2% des adhérents résident dans les grandes aires urbaines, contre 57,7% de la population. Près d’un adhérent sur six réside à Paris.

Une autre des particularités notables de LREM est d’être un mouvement né des grandes villes, puisque 40,9% de marcheurs résidant dans les grandes aires urbaines de plus de 200.000 habitants ont adhéré au début du mouvement, lors de la période allant du lancement du mouvement, en avril 2016, au discours de la porte de Versailles, en décembre 2016. Au fur et à mesure que l’on progresse dans la vie du mouvement, les adhésions provenant de territoires moins urbains progressent et la structure du mouvement se rééquilibre. Toutefois, l’ADN de LREM est fondamentalement urbain. Cela a été particulièrement perceptible dans la symbolique adoptée par le mouvement dès sa naissance et reprenant les codes de l’entreprise privée : nombreux emprunts au vocabulaire managérial – les militants ont été dénommés helpers pendant la campagne présidentielle et, dans un tweet du 29 mars 2018, Emmanuel Macron a décrit la démocratie comme un système bottom-up –, entretiens d’évaluation annuels des ministres à l’été 2018, référence à la « start-up nation », etc. Si les métropolitains ont avant tout en commun un lifestyle, on peut dire que LREM s’est constitué comme un parti du lifestyle métropolitain.

Être le parti du lifestyle métropolitain constitue un terreau favorable mais est loin d’être suffisant pour la conquête de grandes villes. En effet, les scrutins passés montrent que les municipales se sont souvent jouées autour de deux facteurs : d’abord, la prime au sortant, accentuée par l’abstention croissante aux élections municipales et le poids des personnes âgées dans le vote ; ensuite, la capacité à saisir des problématiques émergentes. Sur ce dernier point, c’est avant tout le positionnement de leaders locaux qui a été déterminant.

Lors des élections 2001-2008, les scrutins se sont cristallisés autour de deux grandes problématiques émergentes, appréhendées, selon les villes, par la droite ou par la gauche : la mutation des mobilités et l’aspiration à davantage de transparence et de démocratie locale.

Mobilité

En 1995, les socialistes font tomber Jacques Dominati, maire UDF du IIIe arrondissement de Paris, qui ambitionnait de raser les vieilles halles du marché des Enfants-Rouges pour y construire un parking et avait dû faire face à une importante fronde des riverains. Cet exemple est symbolique d’une droite parisienne qui, à un moment de son histoire, a montré son décalage avec les aspirations nouvelles de la population métropolitaine en matière de mobilité. Pourtant, il faut rappeler que c’est Jean Tiberi (UMP) qui, en janvier 1996, avait présenté le premier « plan vélo » de la capitale et que c’est lui également qui, en 2000, avait lancé le projet de tramway sur le boulevard des Maréchaux. Ce n’est véritablement qu’après l’élection de Bertrand Delanoë, qui, dans le cadre de son accord d’entre-deux-tours avec les écologistes, adopte des positions très ambitieuses en matière de transformation des mobilités (objectif d’une diminution de moitié de la circulation automobile dans la capitale), que la droite parisienne fera de la critique de la politique anti-voitures de la gauche parisienne un axe fort de son positionnement. À l’inverse, à Bordeaux, Alain Juppé a été précurseur sur la question des mobilités en réussissant à imposer le tramway, alors que son prédécesseur, Jacques Chaban-Delmas, était attaché au projet de métro. Si la première élection d’Alain Juppé était probablement un vote de continuité, la transformation de la ville, permise par le tramway et associée à une réhabilitation d’ampleur des quais de la Garonne, a été un facteur déterminant dans ses réélections : élu avec 50,3% des voix en 1995, puis 50,1% en 2001, il améliore nettement sa performance en 2008 (56,6%) et 2014 (61%). À Strasbourg, le maire PS Roland Ries a également construit son ancrage local sur la question des mobilités. Pressenti à une époque pour être ministre des Transports, il a fait de la transformation des mobilités dans sa ville une priorité, avec le développement du tramway (mis en service en 1994, quand il était adjoint aux transports de Catherine Trautman, puis sa prolongation lors de son mandat), des restrictions d’accès au centre-ville pour certains véhicules ou encore la mise en place d’importants plans piétons et vélos.

Transparence de la gestion publique

La seconde problématique qui aura contribué soit à des bascules, soit à des ancrages locaux dans la première décennie des années 2000, est la prise en compte de l’aspiration d’une nouvelle population métropolitaine et éduquée vers une démocratie plus transparente, plus directe, plus participative. Bertrand Delanoë en fera un élément clé de sa campagne de 2001 : « Parmi ses trois priorités figure la mise en place d’une nouvelle culture démocratique, se “substituant aux pratiques opaques, clientélistes, technocratiques depuis 1977”. Ainsi, la gauche propose de décentraliser plus de pouvoirs vers les maires d’arrondissement, en leur confiant la gestion des équipements de proximité, sans qu’une réforme du statut de Paris ne soit mentionnée. L’opposition sera invitée à siéger dans chaque commission d’appel d’offres de la ville, y compris celle des SEM19. » Traditionnellement, les exécutifs de gauche seront plus en pointe sur cette question : en 2011, le maire de Strasbourg a recours au référendum local sur la question de la réduction de la vitesse automobile en ville ; le programme d’Éric Piolle à Grenoble, en 2014, ne compte pas moins de vingt propositions pour « une démocratie renouvelée ». Toutefois, les grands principes d’une démocratie locale participative sont aujourd’hui étendus à la plupart des grandes villes : mise en place de conseil de quartiers à Bordeaux dès 1995, lancement des conseils citoyens à Marseille en 2015, système de commissions de quartier à Toulouse complété de la mise en place de « maires de quartier » en 2014 pour renforcer le lien entre les élus et les citoyens…

Sécurité

À partir de 2014, émergent de nouvelles problématiques, qui sont à relier avec la notion de malaise urbain évoquée précédemment, notamment avec la thématique sécuritaire. À Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) en fait la priorité de son programme avec la création d’une police de quartier, le développement de la vidéo-protection, l’adoption d’arrêtés anti-mendicité et la création d’un baromètre parisien de la sécurité par arrondissement. En revanche, dans le programme de Françoise de Panafieu (UMP), en 2008, le volet sécurité n’arrivait qu’en troisième position et comportait peu de propositions, la priorité étant donnée au logement et à la propreté.

À Toulouse, Jean-Luc Moudenc (UMP) a également fait de la sécurité l’axe fort de sa campagne de 2014 puis de son mandat, avec l’adoption de mesures très emblématiques : doublement du nombre de policiers municipaux sur le terrain, création d’une plateforme d’appel et d’intervention, signatures d’arrêtés contre les nuisances liées à la prostitution et d’un arrêté anti-alcool… Ce positionnement lui a notamment permis de devancer son adversaire socialiste dans les quartiers les plus excentrés à l’occasion des dernières municipales. Son bilan en matière de sécurité devrait également être un axe fort de sa prochaine campagne : selon un récent sondage, il arriverait largement en tête pour les prochaines municipales avec 36% des voix au premier tour20. Enfin, le fait que la maire de Paris annonce en 2019 la création d’une police municipale, proposition portée par la droite depuis 2001 et jusqu’ici rejetée en bloc par la majorité de gauche, est bien le signe que même les exécutifs de gauche prennent conscience d’une aspiration croissante des métropolitains à davantage de sécurité.

3

Y a-t-il encore un espace pour une droite urbaine indépendante de LREM?

Le choc provoqué par la bascule à gauche de nombreuses grandes villes lors des élections municipales de 2001 et 2008 a interrogé la droite sur sa capacité à s’adresser aux populations urbaines. D’élection en élection, il est en effet apparu que la droite restait forte auprès des populations déclinantes en ville – la bourgeoisie traditionnelle et les classes populaires –, tout en étant faible auprès des populations moteur de la gentrification. Ainsi a-t-elle pu apparaître à contre-courant de la mutation sociologique des métropoles. Cette évolution a été particulièrement perceptible à Paris où la droite est restée solidement ancrée dans les arrondissements bourgeois de l’ouest tout en déclinant dans l’est, où ni les nouvelles populations de gentrifieurs, ni les nouvelles couches populaires ne lui étaient favorables. De la même manière, la solidité de l’implantation de la droite à Marseille a constitué une confirmation « en miroir », puisqu’il s’agit d’une ville qui, sociologiquement, a évolué à contre-courant des autres métropoles françaises.

Résultats des élections législatives de 2012 et 2017 des circonscriptions acquises à la droite en 2012

Source :

Ministère de l’Intérieur, France (interieur.gov.fr).

Notes

21.

Gaëlle Macke, « Comment NKM veut conquérir Paris », fr, 1er novembre 2013.

+ -

Les élections législatives de 2017 ont fait figure de nouveau traumatisme et renforcé la droite dans l’idée que sa place n’était plus dans les métropoles. Alors que les vingt premières villes françaises représentaient un potentiel électoral d’une soixantaine de députés, elles ne comptaient plus, à l’issue de ce scrutin, que dix députés élus sous l’étiquette LR, dont quatre l’ont été sans adversaire En marche ! et trois ont rejoint le groupe Agir à l’Assemblée nationale. À ce jour, il n’y a plus que deux députés LR à Paris, et un député Agir, contre six députés UMP sous la précédente mandature. À Toulouse, la candidate LR, Laurence Arribagé, a perdu la circonscription de Jean-Luc Moudenc.   À Marseille, le député LR de la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône, couvrant les 7e et 8e arrondissements de Marseille, Dominique Tian, a perdu sa circonscription au profit d’En Marche. Et même dans les circonscriptions qui ont finalement été remportées par la droite et qui lui étaient acquises de longue date, les candidats LR ont été mis en ballottage défavorable lors du premier tour : ainsi, dans la très symbolique 14e circonscription de Paris, couvrant le XVIe arrondissement, le député sortant Claude Goasguen, élu en 2012 dès le premier tour avec 58,1% des voix, a été largement devancé au premier tour des législatives de 2017 avec 38% des voix contre 44,2% pour la candidate En marche !

Enfin, le dernier point de décrochage des Républicains (LR) en ville a eu lieu lors des élections européennes de 2019. La République en marche (LREM) a réalisé une percée dans les grandes villes : + 10 points à Paris par rapport à la moyenne nationale ; + 7 points à Bordeaux ; + 5 points à Strasbourg. Le fait qu’un parti de gouvernement réalise des scores jusqu’à 10 points supérieurs en ville n’est en soi pas un événement inédit au regard des élections passées. La surprise vient du report important d’une partie de l’électorat qui votait pour l’UMP-LR sur la liste menée par Nathalie Loiseau, comme en témoignent les scores obtenus par la liste LREM dans les arrondissements de l’Ouest parisien : 46,5% dans le VIIe arrondissement, 47,2% dans le VIIIe arrondissement, 46,1% dans le XVIe arrondissement, 39,9% dans le XVIIe arrondissement. Dans ces mêmes arrondissements, la liste LR réalise elle aussi des scores plus élevés qu’au niveau national : 21,7% dans le VIIe arrondissement, 19,4% dans le VIIIe arrondissement, 24,2% dans le XVIe arrondissement et 15% dans le XVIIe arrondissement. Toutefois, cette liste LR ne bénéficie plus de sa position de « force centrale » lui permettant de rassembler une part majoritaire des voix métropolitaines. À l’exception de Paris, la liste LR arrive derrière celle du Rassemblement national (RN) dans les villes étudiées. À Paris, malgré un score faible de 10,2%, la liste LR se maintient en troisième position. À Bordeaux, elle arrive en quatrième position ; à Strasbourg, en cinquième position ; à Toulouse et à Grenoble, en sixième position. Le plus grand décrochage pour la liste LR est cependant à Marseille où, avec 8,3%, elle obtient moins que la moyenne nationale, alors que l’UMP y avait toujours obtenu des scores supérieurs à la moyenne nationale. Le RN réalise une percée importante à Marseille avec un score de 3 points supérieurs à la moyenne nationale.

Alors qu’après le dernier scrutin européen certains commentateurs ont pu penser que la droite était désormais incarnée par Emmanuel Macron, la question de l’avenir d’une droite métropolitaine indépendante de LREM peut légitimement se poser. Le décrochage de la droite dans les grandes villes est fortement lié à l’évolution de la perception des métropolitains au cours des vingt dernières années. Dans un premier temps, l’idée s’est répandue chez les cadres et élus de la droite républicaine qu’ils étaient en décrochage auprès de l’électorat des métropoles. Les victoires des listes d’union de la gauche lors des municipales de 2001 et 2008 ont en effet contribué à imposer la perception d’une mutation sociologique en métropole favorable aux socialistes. La montée en puissance du concept de « bobo », porté par le discours politique et médiatique, est venue accentuer cette perception. Dès lors, une des préoccupations de la droite urbaine à l’occasion des scrutins locaux a été de se « boboïser » et de se « dédroitiser ». Lors de la campagne des municipales à Paris, l’une des principales qualités attribuées à la candidate de l’UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, était son « profil bobo-compatible21 ». Elle-même a toujours pris ses distances avec le terme de « droite », se présentant d’abord comme la « candidate de l’alternance » et s’efforçant de donner des gages au centre : « J’ai fait un choix, au printemps dernier,  je l’ai  dit aux Parisiennes et aux Parisiens au moment de la primaire lors de laquelle ils m’ont choisie comme candidate de l’alternance : je veux le renouvellement et l’unité dès le premier tour avec les centristes. Je veux des listes qui aillent au-delà des frontières des partis politiques22. »

Résultats de la primaire de la droite et du centre en 2016

Source :

LCI.fr et ministère de l’Intérieur, France (interieur.gov.fr).

Notes

23.

Voir Grégoire Biseau, « Le livre de gauche qui inspire la droite », fr, 30 mars 2012.

+ -

24.

Guillaume Peltier, « Nos provinces, une chance pour la France ! », Le Figaro, 8 novembre 2017.

+ -

Se sentant à la fois décrocher en milieu métropolitain, au profit du Parti socialiste, et dans les territoires ruraux et périurbains, au profit du Front national, l’UMP a cherché une nouvelle grille de lecture lui permettant de se repositionner dans le paysage politique. C’est ainsi qu’au cours de la campagne présidentielle de 2012, les travaux de Christophe Guilluy sont devenus déterminants dans la réorientation idéologique de l’UMP23. Ils ont contribué à imposer l’idée d’une fracture irrémédiable entre les villes et les territoires ruraux et périphériques, et achevé de convaincre la droite qu’il fallait choisir : être forte dans les métropoles ou dans la France périphérique ; reconquérir l’électorat parti au centre gauche ou celui parti au Front national.

Considérant que les métropoles lui devenaient défavorables, alors même que l’analyse des résultats électoraux fait état d’une situation plus nuancée, l’UMP puis LR ont commencé à réorienter leur discours en direction des populations rurales et périurbaines. Sans doute, le volet très libéral du programme de François Fillon lors de la primaire de 2016 a donné des gages suffisants à l’électorat urbain. Cependant, à la suite des défaites de 2017, LR a accentué sa logique de partition territoriale. À l’automne 2017, le député LR Guillaume Peltier a ainsi publié une tribune s’inspirant fortement d’expressions de Christophe Guilluy : « Les enfants gâtés de l’ultralibéralisme, pour leur part, tentent d’imposer leur vision du monde : un modèle individualiste, ultraconsumériste, négateur de notre histoire et de notre exception culturelle, vénérant San Francisco mais ne sachant pas situer Châteauroux ou Montauban, prônant l’ouverture mais érigeant des ghettos aux remparts invisibles, symboliques ou financiers ; un modèle de la métropole mondialisée ressuscitant des petites féodalités24. » Par la suite, le mécontentement autour de la baisse de la limitation de la vitesse automobile de 90 à 80 km/h sur les routes nationales, d’abord, puis autour de la hausse du carburant, ensuite, a poussé LR à accentuer ce positionnement. Ainsi, en avril 2018, le président de LR, Laurent Wauquiez, voyait dans l’instauration de la limitation de vitesse à 80 km/h une mesure « symbolique de l’approche du gouvernement et d’Emmanuel Macron, technocratiques et parisiens », ajoutant : « On a l’impression qu’ils pensent que tout le monde va travailler en métro et que nos enfants vont à l’école en Uber25. »

Le problème de la réorientation du discours de l’UMP puis de LR est, d’une part, qu’elle s’appuie sur une vision d’opposition sociale et territoriale contestable – la première partie de cette note s’efforce de le montrer – et, d’autre part, que cette vision est portée par une logique marxiste. La défense des populations rurales et périurbaines, « dominées », n’a pu se faire qu’au prix d’une dénonciation des populations métropolitaines, « dominantes ». Analyser la gentrification comme un phénomène qui existe et tend à modifier la composition sociologique des métropoles est totalement légitime, mais considérer que les gentrifieurs sont des dominants qui imposent leur violence de classe est contestable. Sur la même période, une partie du Parti socialiste a adopté le même discours dans un objectif de reconquête de l’électorat ouvrier. Ainsi, les métropolitains, désignés sous l’appellation floue et péjorative de « bobos », sont devenus la cible privilégiée des deux partis qui se partageaient le pouvoir. Par conséquent, dès lors qu’une nouvelle offre politique est apparue et a tendu les bras aux métropolitains, le transfert électoral s’est fait naturellement et extrêmement rapidement. En accentuant l’opposition ville versus périphérie, gagnants versus perdants de la mondialisation, progressistes versus populistes, l’UMP puis LR ont contribué eux-mêmes à leur affaiblissement. LREM et le RN se construisent l’un et l’autre sur cette partition et se renforcent mutuellement de cette opposition sociale et géographique. À l’inverse, Les Républicains ont perdu leur ancrage dans les villes et les territoires dynamiques économiquement en croyant pouvoir conquérir une France périphérique qu’ils n’ont pas su convaincre. En adoptant cette vision binaire de la société française, Les Républicains ont contribué à renforcer une bipartition du paysage politique au sein de laquelle il leur est très difficile de trouver leur place.

L’analyse du « malaise métropolitain » montre les limites de l’opposition entre des métropoles gagnantes et des territoires relégués, devenue un lieu commun du discours médiatique et politique et qui sous-tend idéologiquement l’affrontement électoral entre LREM et le RN. En réalité, si les grandes villes bénéficient d’un fort dynamisme économique, elles n’en restent pas moins traversées par de nombreuses failles. Depuis 2001, la population métropolitaine a considérablement évolué. Son sentiment d’insécurité et son sentiment de déclassement sont allés croissants. À force de ne voir dans les métropoles que des territoires gagnants de la mondialisation, on a trop vite considéré qu’elles ne méritaient pas d’action politique. La gauche plurielle qui pouvait paraître davantage en phase avec les aspirations des métropolitains au début des années 2000 – en matière de mobilité, de démocratie participative, d’offre culturelle – est aujourd’hui en décalage sur un certain nombre de thématiques, en témoigne sa tentative de se positionner sur des thématiques sécuritaires. La droite, qui souffrait principalement de son décalage sociologique croissant avec les nouvelles populations des grandes villes, redevient audible sur de grandes problématiques émergentes : le sentiment de déclassement, le besoin de sécurité, le besoin de fermeté face à la montée des communautarismes, le besoin de retrouver des limites et des repères, le besoin d’accompagner des familles qui se sentent fragilisées. Quant aux marcheurs, au-delà de leur proximité sociologique avec l’électorat métropolitain, ils ne sont pas encore identifiés sur des axes programmatiques, surtout au niveau local.

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