Après le Covid-19, le transport aérien en Europe : le temps de la décision
Analyses et recommandations en dix points
Lexique des principaux termes utilisés
Les géants du low cost vont renforcer leur avance à l’issue de la crise
Les compagnies low cost n’ont pas fini de conquérir l’Europe
Une base de clients toujours plus large
La nouvelle frontière des grandes compagnies low cost : le connecting
Les grandes compagnies historiques vont devoir relever des défis structurels sur le moyen-courrier
Le difficile chemin du low cost
Quel périmètre pour le low cost ?
Devenir des compagnies low cost paneuropéennes
Conclusion générale
Résumé
La crise du Covid-19 va jouer le rôle d’accélérateur dans les mutations structurelles que connaît le transport aérien en Europe depuis vingt ans sur les vols intra-européens, marquées par la montée en puissance des acteurs low cost. En dépit d’un contexte durable d’attrition du marché, les low cost vont mettre à profit la crise pour opérer une croissance géographique et ainsi mieux mailler le continent européen. Cette expansion se fera notamment par des opérations de croissance externe, par reprise des actifs d’entreprises en faillite ou qui réduisent la voilure. Il faut également s’attendre à un renforcement de leur investissement sur le segment business, au travers de l’augmentation des fréquences sur de grandes lignes.
De même, il est probable que les low cost vont poursuivre leur stratégie de densification du réseau, en développant une stratégie de connecting à la fois au niveau intra et extra-européen.
De leur côté, les grands opérateurs historiques seront certes sauvés par leurs États mais risquent toutefois d’être marginalisés demain s’ils n’accélèrent pas la transformation de leur modèle économique sur le moyen-courrier.
Il y a une opportunité unique pour les compagnies historiques, et les premières annonces d’Air France-KLM, de British Airways et de Lufthansa démontrent leur prise de conscience. Il leur faudra un soutien de toutes les parties prenantes pour qu’elles parviennent à une mise en œuvre effective de ces transformations.
Cette étude a été publiée en mai 2020 et actualisée en décembre 2020. |
Emmanuel Combe,
Professeur des universités, professeur à la Skema Business School, vice-président de l’Autorité de la concurrence.
Didier Bréchemier,
Senior Partner, en charge du secteur transport et travel au cabinet Roland Berger.
Avant le Covid-19, le transport aérien en Europe : un secteur déjà fragilisé
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Les vertus de la concurrence
Analyses et recommandations en dix points
1. Le transport aérien apparaît moins concentré en Europe qu’aux États-Unis et dégage une profitabilité inférieure. Cette situation provient à la fois de la plus faible part de marché des quatre leaders du secteur, mais aussi de l’existence d’un très grand nombre d’acteurs de petite taille. Dans un tel contexte de marché, la crise du Covid-19 risque d’enclencher un mouvement de consolidation du transport aérien en Europe, que ce soit par attrition de certains acteurs, par faillite ou par rachat.
2. Certaines compagnies européennes historiques, au premier rang desquelles figurent Air France-KLM et Lufthansa, ne pourront passer la crise du Covid-19 sans une aide publique massive. Si cette intervention publique est justifiée par l’urgence de la situation et la crise de liquidités que connaissent ces compagnies, elle peut également avoir des effets de distorsion de concurrence, notamment vis-à-vis d’acteurs qui n’en bénéficient pas. Ces aides publiques devraient être conditionnées à la poursuite de réformes structurelles, alors même que ces compagnies historiques souffrent d’un déficit de compétitivité sur le court-moyen-courrier. Une remise à plat des politiques publiques en matière de taxation de l’aérien fait également partie de la solution, notamment afin de réduire les écarts de compétitivité entre pays européens.
3. Certaines grandes compagnies low cost disposent d’une forte rentabilité qui va leur permettre de surmonter la crise de liquidité. Ce constat est particulièrement vrai pour l’ultra low cost, incarné par Ryanair et Wizz Air, qui disposent d’une large trésorerie et d’une grande flexibilité organisationnelle. Dans une moindre mesure, un opérateur middle cost comme easyJet parviendra à survivre à la crise. Il est probable que ces compagnies low cost joueront un rôle majeur dans la consolidation du marché européen post-Covid-2019.
4. Au-delà du flight shame, il n’existe aucun frein à la croissance des grandes compagnies low cost en Europe (en particulier en cannibalisant les legacies et en induisant du volume de trafic), même si elles représentent déjà plus de 40% du marché.
5. Les opérateurs low cost n’ont pas terminé leur maillage fin du territoire européen, en particulier dans des pays comme l’Allemagne ou la France, où ils sont moins présents qu’ailleurs. Sur les lignes au départ de la province et à destination de l’Europe, les low cost peuvent encore gagner des parts de marché dans ces deux pays. On ne peut exclure non plus que Ryanair, à la faveur de la fragilité d’un opérateur, vienne s’attaquer à Paris, après avoir repris pied en France en 2019 et ouvert des bases à Bordeaux, Marseille et Toulouse, en particulier si les redevances aéroportuaires parisiennes devenaient plus compétitives à l’issue de la crise.
6. Il est probable que les grandes compagnies low cost continuent à croître en interne et en externe, notamment en rachetant les actifs des compagnies en difficulté pour mettre la main sur les précieux créneaux de décollage dans les grands aéroports. Le principal obstacle à cette stratégie de croissance externe sera surtout réglementaire, avec un contrôle des opérations de concentration qui peut bloquer des fusions qui porteraient atteinte à la concurrence sur le marché.
7. Il est probable que les compagnies low cost continuent à développer leur ciblage de la clientèle affaires en allant sur des aéroports principaux, en concurrence frontale avec les opérateurs historiques. Elles vont également poursuivre leur stratégie de connecting, consistant à développer les vols indirects, sans supporter pour autant les contraintes d’un modèle de hub et de correspondances. Au-delà même de l’Europe, les compagnies low cost commencent à nouer des partenariats avec des compagnies long-courrier, ce qui constitue une menace directe pour les hubs des compagnies historiques.
8. Si les grands opérateurs historiques ont pris le virage du low cost sur le moyen-courrier, force est de constater que les résultats ne sont pas encore à la hauteur de leurs espérances, sauf pour le groupe IAG. « On naît low cost, on ne le devient pas ». La difficulté à développer un modèle low cost s’explique en partie par le manque d’agilité, les craintes de cannibalisation de l’activité et la coexistence au sein d’un même groupe de deux entités aux logiques et cultures différentes.
9. Les grands opérateurs historiques ont fait le choix jusqu’ici de cantonner le low cost aux vols de point à point, à l’exclusion des vols à destination de leur hub (à l’exception de KLM). S’ils veulent affronter demain les géants du low cost à armes égales, ils devront transférer l’ensemble de leur activité moyen-courrier à leur filiale low cost.
10. Les grands acteurs historiques ont conçu leur filiale low cost comme un instrument avant tout défensif, sans se projeter à l’extérieur de leur pays d’origine, en ouvrant des bases en Europe. S’ils entendent rivaliser demain avec les leaders low cost, les opérateurs historiques seront fortement incités à devenir des acteurs paneuropéens et à développer le connecting.
Lexique des principaux termes utilisés
Les auteurs de cette étude en deux volumes remercient Alexandre Charpentier, manager chez Roland Berger, pour son travail en tant que rédacteur. Les auteurs restent seul responsable de son contenu qui n’engage pas les institutions et organisations pour lesquelles ils travaillent.
À l’issue de la crise du Covid-19, il est probable que de nombreuses compagnies, low cost ou non, fassent faillite en Europe ou soient en forte attrition (à l’image d’Alitalia), laissant ainsi le champ libre aux survivants. Un mouvement de concentration va se mettre en marche, accentué par la reprise « molle » du trafic aérien et la réduction des capacités : la consolidation des parts de marché n’est en effet pas antinomique avec une forte contraction globale du volume du marché du transport aérien en Europe. Dans la première partie de cette note 1, nous avons constaté que les low cost disposaient à cet égard de moyens financiers importants qui leur permettront de participer à la consolidation du ciel européen. Dans cette seconde partie, nous verrons qu’ils ont une forte incitation à le faire, notamment en opérant une croissance géographique pour mieux mailler tout le territoire européen. Cette expansion se fera par des opérations de croissance externe, notamment par reprise d’actifs d’entreprises en faillite ou par du développement organique dans des aéroports, face à des compagnies aériennes historiques fragilisées et en attrition. Il faut également s’attendre à un renforcement de leur investissement sur le segment business, au travers de l’augmentation des fréquences sur de grandes lignes, tout particulièrement pour Ryanair. De même, il est probable que les low cost poursuivent leur stratégie de densification du réseau en développant une stratégie de connecting à la fois au niveau intra- et extra-européen.
Activité point à point : activité consistant à transporter des passagers d’un point A à un point B, sans aucune correspondance.
Base : aéroport sur lequel opère une compagnie qui y stationne des avions et des équipages, permettant, entre autres, un programme de vols avec des départs tôt le matin et des retours tard en soirée.
CSKO (coût unitaire au siège-kilomètre offert) : indicateur qui mesure le coût unitaire d’un siège sur un kilomètre en avion. Ce coût décroît avec la distance parcourue.
Connecting : système qui permet simplement à un passager de passer d’un vol à l’autre sur un même aéroport, sans aucune garantie de continuité, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une correspondance.
Correspondance : système qui permet à un passager sur un même aéroport de passer d’un vol à l’autre en assurant le transfert de ses bagages et en lui garantissant la continuité de service entre les deux vols (prise en charge en cas de retard, par exemple).
Hub : aéroport central qui joue le rôle d’une plaque tournante, mettant en relation des vols entre eux au travers de correspondances. Un passager se rendant d’un point A à un point C fera un stop sur un hub B, qui permet de relier le vol AB avec le vol BC.
Long-courrier : vols dont la durée est supérieure à 4 heures.
Middle cost : compagnie aérienne dont le CSKO est compris entre 3 et 6 centimes du kilomètre (hors fuel).
Moyen-courrier : vols dont la durée est comprise entre 1 et 4 heures.
RSKO (recette unitaire au siège-kilomètre offert) : indicateur qui mesure le revenu généré par un siège sur un kilomètre en avion.
Slot : droit d’utiliser un créneau de décollage sur un aéroport, pour un horaire donné.
Ultra low cost : compagnie aérienne dont le CSKO est inférieur à 3 centimes du kilomètre (hors fuel).
Les géants du low cost vont renforcer leur avance à l’issue de la crise
Les compagnies low cost n’ont pas fini de conquérir l’Europe
Avec près de 40% de part de marché en 2019, on pourrait considérer que le low cost a atteint en Europe une sorte de palier naturel et que le marché va se stabiliser autour d’un nouvel équilibre 50/50 entre low cost et compagnies historiques. Pour faire simple : aux low cost la clientèle touristique, ethnique et des city breaks, les aéroports secondaires avec de faibles fréquences de vol, l’offre dépouillée et spartiate, le marché du point à point ; aux compagnies majors la clientèle business, l’offre de services enrichie, les bonnes fréquences et les bons slots sur les grands hubs, avec des correspondances vers le long-courrier. Bref, une sorte de partition du marché, chacun faisant son métier, avec ses atouts propres. Mais cette vision nous semble à la fois naïve, erronée et dépassée.
Parts de marché des low cost en Europe (en %)
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger, OAG.
Pas de freins structurels à leur croissance
Il est parfois avancé que les low cost, qui ont désormais plus de vingt ans d’existence (et même trente ans pour Ryanair), vont lentement mais sûrement voir leur modèle de coût dériver vers le high cost. Comme de leur côté les compagnies historiques font des efforts de productivité pour réduire leurs coûts sur le moyen-courrier, on pourrait penser qu’un processus de convergence des deux modèles va s’opérer. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis, où les compagnies majors affichent aujourd’hui un modeste écart de CSKO de 20% avec des compagnies low cost comme Southwest Airlines qui se sont « embourgeoisées ». Cependant, l’Europe n’est pas les États-Unis et, pour l’heure, comme nous l’avons vu dans la première partie de cette note, aucun signe de dérive des coûts n’est perceptible, notamment chez les ultra low cost comme Ryanair : non seulement les coûts unitaires sont très bas, mais ils le restent.
Il est également affirmé que le modèle low cost, notamment dans sa version ultra low cost, va voir son développement contrarié en Europe, dans la mesure où il reposerait sur un artifice consistant à ne pas respecter les règles de droit. Il est vrai que Ryanair connaît depuis longtemps des déboires avec la justice européenne, que ce soit en matière de droit du travail ou d’aides aéroportuaires, mais il est pourtant peu probable que ces obstacles remettent fondamentalement en cause la pérennité de son modèle tant que l’Europe n’aura pas harmonisé ses règles sociales et fiscales, ce qui n’est pas à l’ordre du jour.
Sur le front du droit du travail, rappelons que le modèle de Ryanair repose sur l’externalisation des contrats de travail, conclus sous droit irlandais, moins protecteur que dans d’autres pays d’Europe. La situation a connu une évolution récente à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de septembre 2017, qui a reconnu le droit du personnel de cabine de la compagnie irlandaise basé à l’aéroport de Charleroi de se voir appliquer le droit du travail belge, plus protecteur que le droit irlandais. Pour autant, cette inflexion n’a pas suscité pour le moment une requalification des contrats de travail sur la base du lieu de travail habituel du personnel. De même, du côté du droit à se syndiquer, la pénurie de navigants en 2018 a conduit Ryanair, à la suite d’importants mouvements de grève, à le reconnaître dans plusieurs pays d’Europe où elle possède des bases et à augmenter fortement les salaires des pilotes. Mais si Ryanair a dû lâcher du lest – en consentant en 2018 et 2019 des hausses de salaire significatives, allant jusqu’à 20% –, le coût des personnels navigants (technique et commercial) représente en moyenne 11% du coût total de la compagnie, loin derrière le fuel (43%). Il est donc peu probable qu’un choc sur le coût du travail remette en cause la pérennité de son modèle, et ce d’autant que la crise du Covid-19 a permis à Ryanair de retrouver de fortes marges de flexibilité sur les salaires (voir infra).
Quant aux subventions aéroportuaires perçues par Ryanair (officiellement des aides marketing commerciales), elles alimentent certes un abondant contentieux depuis vingt ans mais celui-ci n’a pas donné pour le moment de résultats très probants. Ainsi, à titre d’exemple, Air France a porté plainte en 2009 auprès de la Commission européenne, accusant Ryanair d’avoir bénéficié de 35 millions d’euros d’aides illégales en France et de 600 millions d’euros au niveau européen. Ces subventions constitueraient des aides d’État illégales, contraires aux articles 107 et 108 du TFUE. Mais les choses ne paraissent pas si claires en droit : par exemple, la Commission européenne peut autoriser des aides au démarrage de lignes pour autant que ces aides restent proportionnées et limitées dans le temps. De même, lorsqu’une compagnie aérienne bénéficie de redevances aéroportuaires favorables, la Commission européenne vérifie si cet avantage contribue à la rentabilité additionnelle de l’aéroport. Ainsi, les accords conclus entre Ryanair et l’aéroport de Francfort-Hahn en 1999, 2002 et 2005 n’ont pas été considérés par la Commission européenne comme des aides d’État dans la mesure où ces accords ont généré des bénéfices supplémentaires pour l’aéroport au moment de leur conclusion. Bref, l’abondant contentieux sur les subventions, s’il conduit parfois à des remboursements d’aides publiques, n’est pas de nature à remettre fondamentalement en cause la logique du modèle de Ryanair. On peut même considérer que la crise du Covid-19 et les subventions massives aux compagnies historiques ont conduit à un retournement paradoxal de situation dans le contentieux sur les aides d’État : une compagnie comme Ryanair n’a d’ailleurs pas hésité à porter plainte en juin 2020 devant la Cour de justice de l’Union européenne pour dénoncer ces aides publiques, qui pourraient conduire les compagnies historiques à « se livrer à des ventes à des prix inférieurs aux coûts pour les années à venir ».
Un modèle réactif face à la crise
Face à la chute durable du trafic aérien en Europe, les low cost ont rapidement procédé à des ajustements de taille et de rémunérations, qui leur ont permis de réduire leur base de coût fixe et variable.
Principaux ajustements des compagnies low cost en termes de taille et de rémunérations
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
Ainsi, à titre d’exemple, l’ultra low cost Ryanair a adapté fortement sa structure et son niveau de coût à la crise du Covid-19 au travers de plusieurs mesures :
– une suppression de 3.000 emplois sur 19.000 (soit 15% des effectifs) ;
– une renégociation avec les fournisseurs d’avions pour réduire le taux de location et le prix d’achat ;
– des diminutions de salaire des personnels navigants, en contrepartie du maintien d’une partie de l’emploi sur une base. Ces négociations, menées sur chaque base de Ryanair, ont permis dans la plupart des cas de parvenir à une baisse des salaires de 20% pendant 5 ans pour les pilotes et de 5 à 10% pour les hôtesses et stewards. Ainsi, dans le cas du Royaume-Uni, la baisse des salaires de 20% a permis de sauver 260 emplois sur les 330 menacés. Lorsque la négociation avec les syndicats n’a pas pu aboutir, Ryanair a fait le choix de fermer la base, à l’image de ce qui s’est passé à Francfort-Hahn, Stuttgart et Düsseldorf ;
– une flexibilisation du travail, que ce soit en termes de jours de travail et de congés annuels ou d’amélioration de la productivité ;
– une diminution des coûts de structure, avec la suppression de 250 emplois administratifs dans ses bureaux de Dublin, Londres, Madrid et Wrocław ;
– une renégociation à la baisse des taxes et des services aéroportuaires, sous la menace d’une fermeture de la base.
Du côté des revenus, la crise du Covid-19 a moins affecté le segment du moyen-courrier et de la clientèle loisir, comparativement au long courrier et à la clientèle affaires. Or, contrairement aux grandes compagnies historiques, les low cost sont positionnées exclusivement (à l’exception de Norwegian) sur les vols intra-Europe et ciblent d’abord une clientèle loisirs. Ils vont donc être relativement moins pénalisés par la reprise progressive du trafic.
Cette flexibilité des coûts et ce positionnement de pure player ont permis aux compagnies low cost, tout particulièrement aux ultra low cost, de limiter les pertes durant la crise sanitaire : ainsi, pour Ryanair, elles ont été de 185 millions d’euros sur la période allant de janvier à juin, contre une perte attendue de 232 millions d’euros. Wizz Air anticipe même un bénéfice net en 2020.
Compte tenu de cette agilité face à la crise, il est probable que les grandes compagnies low cost vont repartir à l’offensive sur le marché européen lorsque les conditions de marché s’éclairciront : il leur reste encore la moitié du marché point à point à conquérir, notamment au départ des métropoles françaises.
Cette stratégie va passer à court terme par une politique tarifaire agressive afin de stimuler la demande de la clientèle loisirs, qui sera la première à repartir. À titre d’exemple, Ryanair a annoncé le lancement d’une offre « un acheté un gratuit » sur 1 600 lignes de son réseau : un billet acheté donne droit à un billet offert au bénéfice d’un tiers, pour tout voyage réalisé entre octobre et décembre 2020.
À plus long terme, les low cost vont ouvrir des bases pour mieux mailler le continent européen.
4. Au-delà du flight shame, il n’existe aucun frein à la croissance des grandes compagnies low cost en Europe (en particulier en cannibalisant les legacies et en induisant du volume de trafic), même si elles représentent déjà plus de 40% du marché. |
La conquête des territoires n’est pas terminée, notamment en France
Les grandes compagnies low cost ont pour ambition d’opérer un maillage très fin du territoire européen, dans le but de multiplier les connexions possibles entre régions. EasyJet le fait au travers de son implantation dans de grands aéroports, qui relient entre elles des capitales nationales et régionales. On peut véritablement parler de compagnie paneuropéenne. L’enjeu pour cette compagnie est alors d’augmenter ses fréquences sur les lignes plutôt que d’ouvrir de nouvelles lignes.
De leur côté, Ryanair ou Wizz Air ciblent plutôt les petits aéroports régionaux. Il leur reste donc à compléter leur réseau par l’implantation dans des aéroports de plus grande taille, comme Ryanair l’a fait à Madrid et à Rome. Du côté de Vueling et de Wizz Air, leur réseau reste marqué par une orientation géographique très forte. Vueling est plutôt implantée dans le sud de l’Europe, notamment en Espagne et en Italie, tandis que Wizz Air opère pour l’essentiel des lignes en lien direct avec l’Europe de l’Est. Si elles veulent devenir des acteurs globaux, ces deux compagnies devront sortir de leur périmètre géographique pour ouvrir des bases dans d’autres parties de l’Europe. Bien que sur des modèles différents, ces deux compagnies pourraient d’ailleurs générer de réelles synergies commerciales en travaillant ensemble.
Cette croissance géographique est rendue possible par le fait que l’implantation du low cost n’est pas uniforme selon les pays. De manière schématique, on peut distinguer plusieurs cas de figure. Il existe tout d’abord des pays dans lesquels le low cost a conquis une forte part de marché (supérieure à 40%) et où les opérateurs fragiles sont aujourd’hui peu nombreux car l’essentiel de la consolidation a déjà eu lieu. Il s’agit du Royaume-Uni et de l’Espagne. La marge de progression des compagnies low cost y est donc assez limitée. Dans le cas du Royaume-Uni, si le marché domestique est aujourd’hui en duopole entre easyJet et British Airways à la suite de la faillite de Flybe, le marché à destination de l’Europe est assez concurrentiel et met aux prises trois acteurs, dont deux low cost : Ryanair est le leader, avec une part de marché de 21%, devant easyJet et British Airways. Le marché espagnol voit également s’affronter la filiale de IAG Vueling, Ryanair et easyJet.
Potentiel de développement du low cost par pays
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
Il existe ensuite des pays dans lesquels le low cost a conquis une forte part de marché mais où un opérateur important pourrait rapidement faire faillite ou être en forte attrition. Il s’agit de l’Italie, de la Norvège, du Portugal et des pays de l’Est. Dans ce cas, le low cost pourrait mettre à profit ces défaillances pour se renforcer encore. En Italie, l’attrition d’Alitalia permettrait de mettre la main sur des créneaux à Milan et Rome. Ryanair, déjà premier opérateur en Italie, pourrait ainsi renforcer son emprise sur la Péninsule. De son côté, Wizzair pourrait également profiter de la situation en Italie pour venir s’y implanter (et, plus généralement, dans le sud de l’Europe) : elle est passée à l’offensive en septembre 2020, en annonçant l’ouverture de 10 bases, notamment en Italie (Milan, Catane), en concurrence frontale avec Ryanair. Il faut donc s’attendre dans ce pays à une forte guerre des prix entre les deux ultra low cost. Pour la Norvège, la probable faillite de Norwegian permettra d’acquérir des parts de marché au départ d’Oslo, de Stockholm, de Copenhague mais aussi de Londres-Gatwick. Dans le cas du Portugal, la situation délicate de TAP Air peut permettre à easyJet et à Ryanair de récupérer des parts de marché sur Lisbonne et Porto, sans compter quelques slots à Paris-Orly. Enfin, dans les pays d’Europe de l’Est, de nombreux opérateurs nationaux sont en difficulté (Air Baltic, Air Moldova, Air Serbia, LOT, Tarom) et la consolidation pourrait profiter à des opérateurs low cost comme Wizz Air et Ryanair, qui sont les deux low cost les plus présentes. EasyJet n’est a priori pas partie prenante sur cette zone de l’Europe.
Top 3 des compagnies low cost dans les pays d’Europe de l’Est en 2019
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger, Innovata.
Enfin, nous trouvons des pays comme l’Allemagne et la France, où le low cost représente une part de marché encore limitée – inférieure à 30% – mais où existent des possibilités de croissance. En Allemagne, le marché domestique est verrouillé par le groupe Lufthansa, qui dispose d’une part de marché de 87%. Sur le marché des vols vers l’Europe, la part de Lufthansa est plus faible, de l’ordre de 37%, mais il n’existe pas pour l’heure de grand concurrent. Ryanair dispose d’une part de marché de 10% et easyJet de 6%. Il existe donc une marge de progression pour les acteurs low cost sur le segment Allemagne-Europe, notamment compte tenu du fait que de nombreux petits acteurs sont encore présents.
Dans le cas de la France, la situation concurrentielle ressemble de prime abord à celle de l’Allemagne, avec un opérateur historique dominant sur son marché domestique et aucun concurrent low cost sous pavillon national. Mais, à la différence de l’Allemagne, Air France fait déjà face à un concurrent de taille, easyJet, qui dispose d’une part de marché de 15 à 20%. Les marges de progression du low cost existent toutefois en France mais elles sont différenciées selon les segments de marché :
– sur l’axe Paris-province, il est peu probable que les low cost puissent significativement augmenter leur présence au départ d’Orly, faute de créneaux disponibles. En effet, le groupe Air France reste dominant, avec une part de marché de 78%, grâce à la maîtrise des slots et à la mise en place d’un outil d’une redoutable efficacité, La Navette, qui assure une forte fréquence de vols sur des routes principales comme Paris-Toulouse. On notera que Vueling, qui disposait déjà de créneaux à Orly, a décidé de se lancer sur le réseau domestique français, en ouvrant quatre destinations à compter d’octobre 2020 : il faut sans doute y voir une manière d’anticiper la future montée en puissance de Transavia sur le réseau domestique (voir infra). Sur Roissy-Charles-de-Gaulle, en revanche, le jeu est plus ouvert et easyJet peut encore monter en puissance en rajoutant de la fréquence sur les grandes lignes. Par ailleurs, sur cet axe, la présence d’un réseau ferroviaire grande vitesse constitue un frein à l’essor de l’aérien, ce qui limite également les parts de marché des low cost ;
– sur l’axe province-province, les aéroports régionaux sont peu congestionnés, à l’exception de Nice et Lyon, et aucun obstacle n’empêche donc les low cost de continuer à monter en puissance. Air France a d’ailleurs subi en quelques années une très forte dégradation de sa part de marché, passant en dix ans de 82 à 52%. Cette chute s’est faite pour l’essentiel au profit d’easyJet, mais l’arrivée de Ryanair sur les aéroports régionaux pourrait accélérer ce processus ;
– sur les vols province-Europe, les low cost sont déjà fortement majoritaires avec près de 40% du marché pour easyJet et Ryanair. Au départ de Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes et Toulouse, Volotea a également réussi en quelques années à créer un trafic de loisirs à destination de métropoles régionales du sud de l’Europe. Les parts de marché additionnelles se feront au détriment d’acteurs historiques comme Lufthansa (lignes avec Lyon ou Toulouse) ou British Airways (lignes avec Lyon ou Nice), mais aussi Air France (qui existe surtout sur ce marché avec Transavia et Hop !) ou avec l’ouverture de nouvelles lignes sur des aéroports peu congestionnés ;
– sur les vols Paris-Europe, Air France est encore le premier acteur avec plus de 30% du marché, nettement devant EasyJet, Vueling et Transavia, pesant chacun près de 10%. Ce marché est à n’en pas douter un marché ciblé par les opérateurs low cost, même si la faible disponibilité de slots à Paris limite leur développement pour le moment.
Il est donc probable que les compagnies low cost continuent à pousser leurs pions en France sur les lignes transversales, à la fois domestiques et vers l’Europe. À cet égard, l’ouverture de bases par Ryanair en France depuis 2019 marque une évolution importante dans le paysage aérien français. En effet, à la suite d’un contentieux sur le droit du travail, Ryanair avait fermé sa seule base de Marseille en 2011. Depuis cette date, les vols vers la France étaient opérés par des avions basés dans d’autres pays. À la suite de la décision de Ryanair d’appliquer le droit du travail français sur le territoire français, la compagnie irlandaise a décidé en 2019 de revenir sur le sol français et a ouvert trois bases, à Bordeaux, Marseille et Toulouse (cette dernière base étant fermée momentanément, pendant la saison hiver 2020/2021). Pour l’heure, le retour se fait avec mesure : trois avions basés sur chaque aéroport et le lancement d’une cinquantaine de nouvelles lignes, principalement sur des destinations loisirs ou vers de grandes métropoles régionales d’Europe.
Mais l’impact concurrentiel de Ryanair sur le marché français pourrait bien se révéler redoutable à l’avenir. En effet, la compagnie low cost commence à se positionner sur plusieurs liaisons domestiques transversales, à l’image de Bordeaux-Marseille, ce qui aura un impact sur les concurrents, notamment sur Air France. Une fois installée et la ligne testée, rien ne s’oppose à ce que Ryanair augmente ses fréquences, notamment pour cibler la clientèle business et pour détourner des clients du hub d’Air France à Roissy, au profit d’autres hubs européens. Ryanair pourrait aussi s’attaquer demain aux hubs régionaux, comme Lyon, ou prendre pied sur Nantes, en venant concurrencer directement Transavia, easyJet et Volotea.
Quant à la forteresse de Paris, aucun projet de Ryanair n’est pour l’instant annoncé. La low cost reste centrée sur Beauvais, qui est situé à plus de 1 h 30 de Paris mais attire une clientèle de la Région parisienne, très sensible au prix. On notera à cet égard qu’en pleine crise du Covid-19, Ryanair a décidé de consolider son ancrage à Beauvais, en y ouvrant une base à compter de décembre 2020 : deux avions y seront stationnés en permanence. Beauvais constitue un aéroport important de trafic pour Ryanair : elle y opère pas moins de 32 liaisons à destination de 13 pays d’Europe et réalise plus de 100 vols hebdomadaires, dont certains sont à destination de capitales nationales ou régionales (Lisbonne, Madrid, Milan, Dublin…).
Le niveau des redevances et les contraintes de créneaux dissuadent pour le moment la compagnie irlandaise de défier frontalement Air France et easyJet sur les deux aéroports parisiens de Roissy et Orly. Toutefois, le modèle de l’aéroport de Beauvais fonctionne avec une marge générée par les bus Paris-Beauvais qui permettent de financer l’aide aux compagnies aériennes, notamment à Ryanair. Si ce modèle venait à changer, à la suite, par exemple, du développement des « bus Macron » sur Paris- Beauvais, les aides pourraient être réduites et la compagnie aérienne Ryanair pourrait souhaiter venir s’installer à Paris-Charles-de-Gaulle. Avec Ryanair, tout peut devenir possible, dans un délai très rapide, si un acteur venait à libérer des créneaux. Les Italiens l’ont appris à leurs dépens : à la faveur des difficultés d’Alitalia, Ryanair est devenue la première compagnie aérienne de la Péninsule.
Lignes et bases ouvertes par Ryanair en 2019-2020
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger, données compagnies.
5. Les opérateurs low cost n’ont pas terminé leur maillage fin du territoire européen, en particulier dans des pays comme l’Allemagne ou la France, où ils sont moins présents qu’ailleurs. Sur les lignes au départ de la province et à destination de l’Europe, les low cost peuvent encore gagner des parts de marché dans ces deux pays. On ne peut exclure non plus que Ryanair, à la faveur de la fragilité d’un opérateur, vienne s’attaquer à Paris, après avoir repris pied en France en 2019 et ouvert des bases à Bordeaux, Marseille et Toulouse, en particulier si les redevances aéroportuaires parisiennes devenaient plus compétitives à l’issue de la crise. |
L’expansion géographique des compagnies low cost passera par une croissance interne et externe
La stratégie d’expansion géographique des compagnies low cost en Europe peut prendre deux formes principales :
- une croissance interne, par ouverture de nouvelles lignes et implantation sur de nouveaux aéroports, notamment pour profiter de l’attrition de certains acteurs historiques ;
- une croissance externe, au moyen d’une fusion-acquisition ou de l’acquisition de créneaux à la suite d’une faillite.
Si les opérateurs low cost ont en règle générale opéré leur croissance par un développement interne, on ne peut exclure qu’après la crise du Covid-19 ils recourent davantage à la croissance externe, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les opportunités de rachat de compagnies risquent de se multiplier, compte tenu de la baisse de leur valeur de marché. Les compagnies qui sont cotées en Bourse ont ainsi connu une chute de leur valeur boursière comprise entre 30 et 60% (Norwegian a même vu sa valeur diminuer de 80% en l’espace d’un mois).
Par ailleurs, compte tenu de l’incertitude sur la reprise du trafic dans l’aérien, une croissance externe présente l’avantage de ne pas accroître les capacités en sièges, ce qui contribuerait à une diminution du prix du billet. Face au risque de surcapacités en Europe, le rachat d’opérateurs existants est moins risqué qu’une croissance interne.
La croissance externe permet également de bénéficier des compétences d’une autre compagnie, que ce soit en termes de connaissance des marchés géographiques ou de notoriété locale (comme Wizz Air en Europe de l’Est), ou encore de transfert de modèle économique (si l’on rachète par exemple une compagnie low cost).
L’extrême fragmentation du marché européen, avec l’existence de compagnies dans une situation financière fragile, peut aussi conduire les entreprises à se concentrer dans le but de réduire la concurrence et d’augmenter ainsi le prix moyen des billets.
En dernier lieu et à titre principal, la croissance externe permet de mettre la main sur une ressource rare, à savoir les portefeuilles de créneaux dans les grands aéroports congestionnés, ce que ne permet pas par définition la croissance interne. Rappelons en effet que pour opérer une ligne entre un point A et un point B, une compagnie aérienne doit disposer au préalable d’un créneau (slot), c’est-à-dire d’une autorisation de décoller ou d’atterrir à l’intérieur d’une plage horaire donnée (en général de 10 minutes), un jour donné, sur la piste d’un aéroport donné. Le créneau horaire, accordé gratuitement par la puissance publique, confère un droit d’usage à celui qui le détient mais il ne constitue pas en tant que tel un droit de propriété sur la ressource. Sur les aéroports dits secondaires, de nombreux créneaux sont disponibles tout au long de la journée et l’ouverture d’une nouvelle ligne par une compagnie low cost ne pose aucune difficulté. En revanche, au départ de grands aéroports tels que Roissy-Charles-de-Gaulle ou Heathrow, le nombre de créneaux offerts par l’aéroport est une ressource rare, en quantité insuffisante par rapport au nombre de slots demandés par les compagnies, notamment sur les plages de décollage-atterrissage les plus attractives, celles du matin et du soir. Sur ces aéroports saturés, l’attribution des créneaux horaires obéit à des règles qui favorisent en pratique les compagnies déjà installées. En particulier, la règle du « droit du grand-père », énonce qu’un transporteur qui a déjà exploité un créneau horaire peut prétendre à ce même créneau pour la saison suivante. Il en résulte que sur les aéroports congestionnés, la part des slots historiques dans le total des slots est comprise entre 80 et 90%, et atteint même 99% dans le cas de Heathrow.
L’accès aux slots constitue donc une véritable barrière réglementaire qui permet aux opérateurs historiques de limiter le développement de leurs concurrents low cost, sauf si ces derniers rachètent une compagnie déjà implantée dans un aéroport congestionné ou achètent, comme c’est déjà le cas sur Heathrow, des créneaux de décollage sur le marché secondaire. Il en résulte que la véritable valeur d’un actif dans l’aérien n’est pas représentée par les avions mais par les créneaux de décollage dans les aéroports congestionnés. Par définition, ces créneaux ont peu de chance de pouvoir être acquis par croissance interne. En effet, comme leur nombre est limité, il est rare que des créneaux se libèrent dans un grand aéroport. Il n’y a donc pas d’autre choix pour croître que de procéder au rachat d’une entreprise déjà présente dans l’aéroport ou de participer à l’attribution de ses créneaux lorsqu’elle a fait faillite. C’est exactement ce qui s’est passé à Orly, à la suite de la faillite d’Aigle Azur. De même, lors de la faillite d’Air Berlin, easyJet a bénéficié de précieux créneaux sur Berlin Tegel, à la suite de la reprise d’Air Berlin par Lufthansa : comme le leader allemand se retrouvait en position dominante sur l’aéroport, des créneaux ont été cédés à easyJet. Dans un passé récent, easyJet a mis également à profit la faillite de compagnies comme Thomas Cook et Monarch sur le sol anglais pour récupérer des créneaux.
Bien entendu, cette croissance externe trouvera un frein dans le contrôle des opérations de fusion-acquisition opéré par les autorités de concurrence. Si elle conduit à l’émergence de positions dominantes sur certains aéroports ou sur certaines lignes, une fusion-acquisition ne peut pas être acceptée telle quelle et peut même être bloquée. Par le passé déjà, la Commission européenne a interdit des projets de rachat dans l’aérien, à l’image d’Aer Lingus-Ryanair ou d’Aegean-Olympic Airways.
6. Il est probable que les grandes compagnies low cost continuent à croître en interne et en externe, notamment en rachetant les actifs des compagnies en difficulté pour mettre la main sur les précieux créneaux de décollage dans les grands aéroports. Le principal obstacle à cette stratégie de croissance externe sera surtout réglementaire, avec un contrôle des opérations de concentration qui peut bloquer des fusions qui porteraient atteinte à la concurrence sur le marché. |
Une base de clients toujours plus large
Pour l’effet d’induction, voir l’analyse menée sur l’aéroport de Lyon in Emmanuel Combe, Les vertus cachées du low cost aérien, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2010.
Les limites d’une stratégie orientée vers la clientèle de loisirs
Le modèle low cost est né il y a vingt ans à partir de l’idée de «faire voyager ceux qui ne voyagent pas», c’est-à-dire pour l’essentiel une clientèle de loisirs, ethnique, de jeunes ou de «visiting friends or relatives» (les city breaks). Le low cost a donc prospéré sur le phénomène de l’induction de trafic, lié à un prix moyen du billet très bas 2. Selon une étude de 2004 de l’European Low Fares Airline Association (ELFAA), initiée au moment même où le low cost commençait sa croissance en Europe, 59% des clients du low cost aérien étaient de nouveaux clients. Parmi ceux-ci, 71% disaient qu’ils n’auraient pas voyagé en l’absence de low cost.
Provenance des clients du low cost aérien (en %)
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
ELFAA 2004.
On peut toutefois objecter que l’élasticité-prix des passagers business risque d’évoluer post-Covid-19 avec une sensibilité plus forte au prix, compte tenu de l’utilisation plus répandue des visioconférences. Personne n’est aujourd’hui capable de prédire précisément cet impact.
Cet effet d’induction a permis aux compagnies low cost de stimuler le trafic aérien en Europe en misant sur l’envie de voyager des personnes. Mais cette stratégie de volume présente deux risques.
Le premier risque est que cette stratégie dépend fortement de la capacité à pratiquer durablement des prix bas. Ce type de clientèle est fortement élastique au prix : une hausse du prix de 10% peut conduire à une diminution très forte de la demande, de l’ordre de 15% selon certaines estimations. Qui plus est, il existe un « prix psychologique » au-dessus duquel les clients ne voyagent plus en avion et privilégient d’autres moyens de transport, voire renoncent à voyager. Dans la mesure où le modèle low cost est rentable grâce à de forts coefficients de remplissage, une dérive des prix à la hausse peut remettre en cause la viabilité du modèle. On nous objectera qu’il suffit que les compagnies low cost restent très performantes sur leur base de coût pour éviter une telle dérive. Mais c’est oublier qu’un choc exogène peut conduire à augmenter le prix du billet. Songeons, par exemple, à une hausse durable de prix du pétrole, même si ce scénario semble peu probable dans les années à venir : dans la mesure où le kérosène représente plus de 40 % des coûts variables d’une compagnie comme Ryanair, une hausse durable de son prix ne peut que se traduire à terme par une augmentation du prix du billet une fois que les instruments de couverture ont été épuisés.
Le second risque est que, dans un contexte de flight shaming (« honte de prendre l’avion »), on ne peut exclure un changement structurel de comportement des jeunes générations qui les conduiront à moins voyager « pour le plaisir ». S’il est difficile à ce jour de quantifier la réalité de cette menace, elle n’en demeure pas moins potentielle.
Dans cette perspective, une réorientation progressive du trafic vers une clientèle business, qui voyage par obligation, permet de limiter ce risque. Selon différents travaux, l’élasticité au prix de la demande de voyages d’affaires sur le moyen-courrier serait seulement de – 0,7 3. De même, la clientèle des VFR (visiting friends and relatives) présente une élasticité au prix plus faible que la clientèle de loisirs pure dans la mesure où les vols sont récurrents et vers la même destination. Cette stratégie se déploiera sans doute dans un second temps, lorsque le trafic business reprendra en Europe, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour.
Les compagnies low cost ont déjà pris le chemin de la clientèle business
À vrai dire, les compagnies low cost – tout particulièrement les opérateurs middle cost comme easyJet ou Vueling – ont depuis longtemps déjà développé un portefeuille de clientèle mixte, incluant une part business. On observe d’ailleurs, en termes de produits offerts à la clientèle, une certaine forme de convergence entre l’offre des compagnies historiques, qui s’optionalise, et celle des grandes compagnies low cost, fondée sur la vente d’options à forte valeur ajoutée.
Ainsi, dans le cas d’easyJet, les clients business représenteraient plus de 25% du total de ses passagers. Ce chiffre n’est guère surprenant, dans la mesure où easyJet opère pour l’essentiel au départ de grands aéroports, avec des coûts opérationnels élevés, compte tenu du poids des charges aéroportuaires. Il est donc nécessaire d’attirer une clientèle à haute contribution. L’enjeu principal pour easyJet est alors moins d’ouvrir de nouvelles lignes que de développer les fréquences sur une ligne pour permettre aux hommes et femmes d’affaires de partir à tout moment et de faire un aller-retour journée. Cette orientation business se traduit par une offre de services assez large chez easyJet : choix du siège, billets modifiables sans frais, carte de fidélité Flight Club, speedy boarding, salon d’attente, etc. De même, dans le processus de réservation, easyJet est présente sur les Global Distribution Service (GDS), afin de permettre une gestion des réservations plus simple et automatisée.
De même, contrairement à une idée répandue, Ryanair dispose déjà d’une solide base de clients affaires, constitué principalement de membres de petites et moyennes entreprises localisées dans des métropoles régionales. Comme easyJet, la compagnie irlandaise revendique 25% de clients affaires. Ryanair a d’ailleurs lancé dès 2014 une offre Business Plus, avec un fast track, un billet flexible et des sièges Premium. Ryanair est également présente dans le GDS. Il ne faut donc pas réduire le marché de Ryanair à la clientèle de loisirs, ethnique et city break. La nouveauté pour Ryanair consiste plutôt à partir à la conquête d’une clientèle affaires sur de grandes plateformes, qui imposent des coûts opérationnels plus élevés. On notera, par exemple, que la compagnie augmente le nombre de fréquences lorsqu’elle parvient à prendre pied dans de grands aéroports, comme à Rome où elle opère des vols quotidiens sur des lignes principales.
On peut même imaginer que, demain, les low cost noueront des partenariats avec d’autres opérateurs de transport dans le but d’augmenter leur fréquence et de mieux répondre ainsi aux attentes de la clientèle affaires. En particulier en Europe, où le transport ferroviaire doit se libéraliser sur les marchés nationaux à partir de 2021, nous pouvons envisager que de nouveaux entrants ou des opérateurs ferroviaires historiques tissent des alliances avec des compagnies aériennes, afin d’augmenter le nombre de fréquences sur une destination donnée (par exemple Marseille-Paris) ou de jouir de la puissance commerciale du partenaire aérien (contrats avec les entreprises, notoriété de la marque, coûts de distribution sur une plateforme comme easyJet Worldwide, les sites des compagnies aériennes historiques ou tous les acteurs de la distribution en ligne).
La nouvelle frontière des grandes compagnies low cost : le connecting
Les grandes compagnies low cost ne vont pas seulement continuer à s’étendre en ouvrant de nouvelles bases et lignes en Europe et en diversifiant leur clientèle vers le marché business. Elles vont également densifier leur maillage territorial en développant les vols en connexion, en Europe et hors d’Europe, au travers de partenariats avec d’autres compagnies aériennes. Cette nouvelle offensive vient fragiliser un peu plus les compagnies historiques en s’attaquant au cœur même de l’organisation de leur réseau, fondé sur le hub et les vols en correspondances.
Le connecting, ce n’est pas la correspondance
Pour bien comprendre la nouveauté introduite par les low cost avec le connecting, il est nécessaire de revenir sur le modèle des grandes compagnies historiques, fondé sur la maîtrise d’un hub.
Un hub est une grande plateforme aéroportuaire mettant en relation différents vols : des vols d’apport viennent alimenter de grandes lignes à très fort trafic. Le hub permet, par exemple, d’offrir aux passagers résidents à Pau d’aller à New York en faisant un stop à Paris-Charles-de-Gaulle. Ce faisant, le passager qui habite à Pau se voit offrir, moyennant un stop, un large portefeuille de destinations dans le monde, qui ne peuvent pas être offertes directement depuis Pau. Certains hubs, comme celui d’Air France à Paris-Charles-de-Gaulle ou celui de Lufthansa à Francfort, font majoritairement la jonction entre vols court ou moyen-courrier et vols long-courrier. D’autres hubs, comme celui d’Orly ou de Lyon Saint-Exupéry pour Air France, mettent en relation des vols domestiques entre eux ou vers l’Europe. Il existe aussi, à l’image d’Emirates à Dubaï ou de Turkish Airlines à Istanbul, des hubs entre vols long-courrier. Mais quelle que soit sa configuration, le hub est construit sur le principe de la correspondance, lequel garantit aux passagers :
– un seul processus de réservation de billet ;
– une prise en charge en cas de perturbations de l’un des vols (annulation, retard, etc.) ;
– un temps d’attente minimisé entre les deux vols ;
– un transit facilité, avec le transfert automatique des bagages.
Ce modèle de correspondance est très coûteux et complexe à gérer pour une compagnie puisqu’il faut coordonner la logistique et les vols entre eux : par exemple, en cas de retard, il faut proposer aux passagers une solution alternative, telle que le report sur un vol ultérieur. Tous ces coûts se retrouvent in fine dans le prix du billet. Le modèle du hub avec des correspondances organisées convient parfaitement à une clientèle business, qui veut minimiser les temps d’attente entre deux vols, quitte à payer plus cher le billet.
Le connecting : de nouvelles destinations, sans les contraintes
Prenant le contre-pied des opérateurs historiques, les grandes compagnies low cost développent depuis peu un système d’organisation de leur réseau beaucoup moins contraignant que la correspondance : le connecting. Il s’agit pour une compagnie qui dispose d’un grand nombre de vols sur un même aéroport – songeons à Vueling sur Barcelone – d’offrir simplement aux passagers la possibilité de prendre un second vol, mais en limitant la coordination au strict minimum. Le connecting repose sur une intuition assez simple : s’il y a suffisamment de trafic sur un aéroport et un large éventail de destinations offertes, les connexions se feront toutes seules, sans qu’il soit vraiment besoin de les organiser. Le connecting, c’est en quelque sorte de la correspondance auto-organisée par le client, sans que la compagnie s’engage sur la continuité de la prestation entre les vols.
Du côté du client, qui voyage pour un motif de loisirs ou qui dispose d’une forte contrainte budgétaire, le connecting est intéressant dès lors que les inconvénients d’une autocorrespondance, notamment les temps d’attente, sont compensés par un prix du billet plus attractif. Du côté des opérateurs low cost, le connecting leur permet de capter des clients supplémentaires et d’augmenter ainsi leur taux de remplissage, sans désoptimiser leurs plans de vol et leurs cadences. Pas question d’attendre les clients du vol précédent en différant le décollage d’un vol. Bref, le connecting permet de tirer parti des avantages de la taille critique d’un aéroport, sans subir les contraintes, coûts et responsabilités inhérentes du système de la correspondance. Easyjet, Vueling et Ryanair ont aujourd’hui atteint une taille critique suffisante pour proposer aux passagers des connexions vers de nombreuses destinations. Ainsi, le programme Worldwide by easyJet offre des vols en connecting sur pas moins de 170 aéroports en Europe.
Le connecting peut se faire entre vols de la même compagnie (Vueling-Vueling, par exemple, sur Barcelone), avec une autre compagnie du groupe (Vueling- Level, sur Barcelone) ou encore avec une autre compagnie low cost. On peut également observer du connecting entre vols moyen-courrier mais également entre une compagnie moyen-courrier et une compagnie long-courrier. Ainsi l’offre Worldwide by easyJet propose-t-elle aux clients de plusieurs aéroports des connexions vers des vols long-courrier opérées par des partenaires comme Corsair, Norwegian, Virgin Atlantic ou Westjet sur plusieurs destinations phares d’Amérique du Nord. Ce positionnement de distributeur est également au cœur d’une stratégie commerciale de « plateformisation » de la part d’easyJet. Elle pourra venir concurrencer demain les grands distributeurs par Internet OTA (Online Travel Agency), en positionnant son offre puis celle de plus petits concurrents-partenaires.
Le connecting, une menace pour les opérateurs historiques
Le connecting constitue une véritable menace pour les grandes compagnies historiques, en réduisant l’attractivité de leur hub. En effet, la multiplication des vols en connecting accroît la concurrence entre les plateformes pour attirer le trafic des passagers en transit : la concurrence n’est plus seulement entre les grands hubs de Francfort, Paris-Charles-de-Gaulle ou Heathrow, elle concerne également des aéroports plus secondaires (en termes de trafic), comme Barcelone ou Milan. Certes, le connecting n’a pas pour cible première la clientèle business, mais il est certain qu’il va contribuer à fragiliser les taux de remplissage en classe économique, notamment sur les vols long-courriers. Plus encore, les compagnies low cost n’hésitent plus à faire du connecting sur les grands aéroports et les vols long-courrier, en concurrence directe avec les correspondances des opérateurs historiques.
En avril 2020, quelle est la situation des grands opérateurs low cost sur la question du connecting ? Vueling a développé sur son hub naturel de Barcelone et de Rome une large activité de connecting depuis plusieurs années, que ce soit entre ses propres vols et ceux du groupe IAG (notamment Iberia), mais aussi avec des compagnies long-courrier tierces. Sur l’aéroport de Barcelone, pas moins de 140 destinations sont offertes, et 55 depuis Rome, via des vols directs ou indirects. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat avec American Airlines, les passagers de la compagnie américaine peuvent poursuivre leur voyage en Europe en prenant un vol Vueling à Barcelone.
Mais c’est sans doute easyJet qui dispose aujourd’hui du plus large réseau de connecting intra-Europe et se positionne également, avec des partenaires, sur des lignes long-courrier. Ainsi, easyJet propose sur Paris-Orly des connexions avec La Compagnie sur New York et avec Corsair à destination des Caraïbes. De même, au départ de Londres Gatwick, easyJet offre de nombreux vols vers l’Amérique du Nord grâce à des partenariats noués avec Norwegian, Virgin Atlantic et WestJet.
Pour l’heure, Ryanair propose un « self connecting » à l’intérieur de son réseau, en fixant un temps d’attente entre deux vols au maximum de 6 heures. Mais son programme est moins attractif que celui d’easyJet dans la mesure où Ryanair a un modèle reposant sur la multiplication de bases en Europe – on en dénombre pas moins de 87 – et ne dispose pas véritablement de grand hub naturel avec un nombre suffisant de vols quotidiens pour offrir un portefeuille de connections attractives. On notera toutefois que sur certains aéroports, tels Londres Stanted ou Madrid, Ryanair dispose d’un réseau de lignes suffisamment dense pour développer un véritable connecting attractif, sans trop de délais d’attente et avec un large portefeuille de destinations. Plus Ryanair ira sur de grands aéroports et développera les fréquences des vols sur un même aéroport, plus le connecting deviendra pour elle un relais de croissance.
7. Il est probable que les compagnies low cost continuent à développer leur ciblage de la clientèle affaires en allant sur des aéroports principaux, en concurrence frontale avec les opérateurs historiques. Elles vont également poursuivre leur stratégie de connecting, consistant à développer les vols indirects, sans supporter pour autant les contraintes d’un modèle de hub et de correspondances. Au-delà même de l’Europe, les compagnies low cost commencent à nouer des partenariats avec des compagnies long-courrier, ce qui constitue une menace directe pour les hubs des compagnies historiques. |
Les grandes compagnies historiques vont devoir relever des défis structurels sur le moyen-courrier
Sur le segment du court-moyen-courrier en Europe, les trois grands opérateurs historiques (Air France-KLM, IAG et Lufthansa) subissent depuis vingt ans la concurrence redoutable des compagnies low cost, qui ont conquis presque la moitié du marché du point à point en Europe. Face à cette menace, les trois opérateurs ont réagi depuis dix ans en lançant eux-mêmes une activité low cost, au travers d’une filiale dédiée. Cette stratégie a pris la forme d’un dédoublement : une partie de l’activité a été transférée à une filiale low cost – le plus souvent les vols en point à point sur le marché du moyen-courrier –, tandis que le reste de l’activité, surtout les vols long-courrier et d’alimentation du hub, est effectué sur la base classique d’un modèle classique, opéré par la maison mère.
Les filiales low cost des trois opérateurs historiques
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
Pour autant, dans un premier temps, nous allons voir qu’il est particulièrement difficile pour un opérateur historique de se lancer avec succès dans le low cost. Dans un second temps, nous prendrons la mesure du transfert d’activité qui a été opéré en direction de la filiale low cost : alors que les groupes IAG et Lufthansa ont procédé au transfert intégral de leur activité point à point vers leur filiale low cost, il n’en va pas de même du groupe Air France-KLM. Nous poserons également la question du périmètre d’action de la filiale low cost : ne doit-elle pas absorber à terme l’ensemble du court-moyen-courrier d’un opérateur historique ? Enfin, au-delà du transfert d’activité, nous analyserons les leviers de croissance de la filiale low cost, qui passe prioritairement par une projection en dehors du territoire domestique, avec l’ouverture de bases à l’étranger, comme ont déjà commencé à le faire les groupes IAG et Lufthansa.
Le difficile chemin du low cost
On notera toutefois certaines évolutions récentes. Lufthansa est ainsi en train de vendre LSG Skychief, entreprise qui s’occupe d’activités de catering aérien en Europe continentale, tandis qu’Air France a partiellement vendu Servair. De même, certaines compagnies aériennes ont vendu la structure de gestion de leur programme de fidélité.
Au tournant des années 2010, le développement d’une activité low cost au sein des opérateurs historiques s’est imposé comme une nécessité, compte tenu de l’ampleur de l’écart de coût unitaire (CSKO) qui existait avec les concurrents pure player low cost. En effet, sur une distance de 1 200 kilomètres, le CSKO unitaire d’un opérateur historique était en 2012 d’au moins 12 centimes (fuel inclus), soit 50% de plus qu’un opérateur middle cost et 75 % de plus qu’un ultra low cost. Les grandes compagnies historiques n’avaient donc pas d’autre choix à l’époque que de se lancer elles-mêmes dans le low cost.
Aujourd’hui, les trois grands opérateurs historiques disposent tous d’une activité low cost qui présente plusieurs caractéristiques :
– elle est développée au sein d’une filiale qui dispose d’une certaine autonomie par rapport à la maison mère ;
– elle ne couvre pas la totalité de leur activité court-moyen-courrier : l’alimentation de leur hub est toujours confiée à la maison mère, au motif d’une meilleure coordination avec l’activité long-courrier et d’une certaine continuité dans l’expérience client ;
– elle prend la forme d’un modèle middle cost et non ultra low cost. Ceci s’explique logiquement par le fait que les acteurs opèrent au départ de grands aéroports, avec des charges aéroportuaires plus élevées. De même, pour des raisons de cohésion sociale au sein du groupe, il n’est pas envisageable de développer une activité ultra low cost, qui serait en contradiction frontale avec le mieux-disant social qui prévaut dans les grandes compagnies historiques.
Pour autant, les filiales low cost des trois opérateurs ne présentent pas les mêmes performances. Alors que Vueling dispose d’une structure de coûts qui est en ligne avec celle d’un middle cost et est durablement profitable, il n’en va pas de même d’Eurowings, la filiale de Lufthansa. En effet, Eurowings affiche un CSKO (hors fuel) de 6,6 centimes en 2018, soit plus que le niveau d’easyJet avec fuel (5,8 centimes). En revanche, le revenu au siège-kilomètre ne couvre pas le CSKO, ce qui explique les pertes d’Eurowings en 2018 (231 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 4,2 milliards). La différence avec la compagnie Vueling s’explique notamment par le fait que celle-ci dispose d’une grande autonomie au sein du groupe IAG et, surtout, qu’elle est née low cost : IAG a en effet pris le contrôle en 2013 d’une compagnie espagnole pure player du low cost.
En réalité, les difficultés d’Eurowings montrent à quel point il est difficile de développer un véritable modèle low cost lorsque l’on est d’abord un opérateur historique high cost, et ce pour deux raisons principales :
– il est socialement difficile de faire coexister deux modèles très différents au sein d’un même groupe. Les personnels de la filiale historique considèrent la filiale low cost comme une remise en cause de leur statut et de leurs avantages. Pour que la filiale low cost puisse prospérer et soit en adéquation avec l’ADN et l’agilité du modèle low cost, il est nécessaire de mettre en place une entité suffisamment étanche et autonome par rapport à la maison mère ;
– les opérateurs historiques, même lorsqu’ils se dédoublent, se retrouvent dans une situation asymétrique avec les low cost. Ces derniers sont de pure players, nés avec le modèle low cost lui-même. Ils n’ont donc pas à apprendre les rouages du modèle et à gérer les coûts de transition entre deux modèles ; ils n’ont pas non plus à se préoccuper des risques de cannibalisation et de cohérence tarifaire et organisationnelle entre une offre low cost et une offre high cost.
Pour que la filiale low cost d’un opérateur historique trouve la voie de la rentabilité, trois conditions doivent être impérativement respectées :
– une grande autonomie de décision par rapport à la maison mère afin de bénéficier d’une agilité organisationnelle. La force du low cost réside dans sa capacité à lancer régulièrement de nouvelles lignes en mode test and learn, à ajuster très vite les capacités et les destinations en fonction des évolutions de la demande et, le cas échéant, à sortir très vite des lignes dont les résultats s’avèrent décevants. Leur management, fondé sur une chaîne de décisions courte et sur des coûts administratifs allégés, leur permet d’être très réactif, à la fois pour lancer de nouveaux produits sur le marché, pour s’adapter aux changements de l’environnement et pour contrer les initiatives des concurrents low cost ;
– une orientation du réseau vers une clientèle de loisirs mais aussi une clientèle business, compte tenu de la structure des coûts qui rapprochent les filiales d’un modèle middle cost. À cet égard, on peut s’interroger sur la pertinence du réseau de Transavia France, qui opère pour l’essentiel des lignes de loisirs. Compte tenu du fait que Transavia France opère au départ de grands aéroports comme Paris-Orly, il est opportun de développer Transavia sur des lignes mixtes loisirs-business ;
– être centrée sur le seul moyen-courrier, à l’exclusion de toute activité long- courrier. Il s’agit d’un principe classique en management, consistant à se spécialiser sur un seul métier afin d’éviter toute complexité résultant de la gestion de deux modèles économiques aux leviers différenciés. À l’heure où Air France a mis fin à l’expérience Joon, il est souhaitable que Transavia continue de se focaliser sur le seul marché du moyen-courrier, ce qui n’exclut pas du connecting vers du long-courrier opéré par Air France au départ d’Orly (comme les Antilles ou New York).
De surcroît, le fonctionnement de la filiale low cost ne peut être complètement isolé de l’organisation globale du groupe, qui doit bien souvent gérer des activités qui ne sont pas au cœur même du métier de transporteur aérien. Tel est le cas en particulier des services au sol d’enregistrement et d’embarquement, des prestations de nourriture à bord des avions, de maintenance des avions ou des escales. Les opérateurs historiques ne peuvent donc bénéficier des économies d’échelle et de flexibilité que procure l’externalisation de ces tâches 4. Par effet de ricochet, les filiales low cost sont négativement impactées. Il en va de même des contrats de travail, qui présentent une certaine uniformité entre la maison mère et la filiale low cost. En particulier, il est socialement délicat de créer des parcours salariaux différents pour les nouveaux personnels. Un système dit de « B scale » est par exemple impossible dans le droit social français, alors même qu’il a permis à plusieurs compagnies aériennes dans le monde de faire évoluer les contrats de travail.
8. Si les grands opérateurs historiques ont pris le virage du low cost sur le moyen-courrier, force est de constater que les résultats ne sont pas encore à la hauteur de leurs espérances, sauf pour le groupe IAG. « On naît low cost, on ne le devient pas ». La difficulté à développer un modèle low cost s’explique en partie par le manque d’agilité, les craintes de cannibalisation de l’activité et la coexistence au sein d’un même groupe de deux entités aux logiques et cultures différentes. |
Quel périmètre pour le low cost ?
À l’exception de Transavia NL, qui assure des vols d’Amsterdam vers l’Europe et opère des connexions vers KLM.
Une fois effectué le choix d’une filiale low cost, les compagnies historiques doivent se poser la question du périmètre de son champ d’intervention. À cet égard, IAG et Lufthansa ont fait résolument le choix de confier l’ensemble de leur activité point à point à une filiale middle cost. Tel n’est pas le cas d’Air France-KLM, qui a été pendant longtemps fortement contraint dans le développement de sa filiale low cost. En effet, Transavia France a vu sa taille limitée à 40 appareils jusqu’en octobre 2019, date à laquelle les pilotes d’Air France ont accepté un « déplafonnement ». De plus, Transavia France ne pouvait opérer de vols domestiques avant le mois d’août 2020, qui a vu la conclusion d’un accord avec les pilotes pour un transfert partiel d’activité à la filiale low cost.
Cela signifie que, de 2007 à 2020, Transavia a opéré des lignes à destination de l’Europe au départ de Lyon, de Montpellier, de Nantes et d’Orly, mais n’a jamais été présente :
– sur les lignes radiales domestiques, notamment La Navette, que ce soit sur Orly ou Roissy ;
– sur les lignes transversales domestiques ;
– sur les lignes vers l’Europe, qui sont déjà opérées par Air France, notamment à partir des anciennes bases en France ;
– au départ d’aéroports en dehors de France pour desservir des villes en France ou en dehors.
Un premier pas décisif a été franchi durant la crise du Covid-19, avec le transfert progressif de lignes du réseau domestique de Hop! vers Transavia. En effet, dans le cadre de la restructuration du réseau d’Air France, cinq premières lignes Hop! sont transférées à Transavia à compter de novembre 2020, depuis les bases d’Orly (Orly/Biarritz) et de Nantes. Il est clair que la croissance de Transavia imposera tôt ou tard à Air France-KLM de passer progressivement la quasi-totalité de son court et moyen-courrier en point à point sur sa filiale Transavia. Ce transfert de ligne pourrait se faire de manière progressive, par étapes :
– transfert de toutes les lignes transversales domestiques, y compris à destination du hub régional de Lyon ;
– transfert de toutes les lignes européennes opérées par Air France ;
– transfert de toutes lignes radiales, notamment de La Navette ;
– développement des bases en Europe : se posera alors la question d’une éventuelle acquisition pour assurer rapidement ce déploiement hors de France.
Au-delà du cas d’Air France, on peut s’interroger sur l’opportunité pour les trois acteurs historiques d’aller plus loin dans la montée en puissance de leur filiale low cost en confiant l’alimentation de leur hub à leur filiale low cost. Pour l’heure, ni Air France-KLM, ni IAG, ni Lufthansa n’envisagent cette possibilité, au motif que l’alimentation du hub long-courrier justifie une continuité dans l’expérience client et que les contraintes spécifiques du hub sont difficilement compatibles avec un modèle low cost 5.
Enfin, on peut se demander quelle taille critique devrait avoir la filiale low cost d’un opérateur historique si elle opérait l’ensemble des vols court-moyen- courrier, que ce soit en point à point ou à destination du hub. Il apparaît que la marge de croissance est très élevée, comprise selon les compagnies entre 180 et 375%.
Taille des filiales low cost des compagnies historiques européennes
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
9. Les grands opérateurs historiques ont fait le choix jusqu’ici de cantonner le low cost aux vols de point à point, à l’exclusion des vols à destination de leur hub (à l’exception de KLM). S’ils veulent affronter demain les géants du low cost à armes égales, ils devront transférer l’ensemble de leur activité moyen-courrier à leur filiale low cost. |
Devenir des compagnies low cost paneuropéennes
Au-delà du transfert de lignes à l’intérieur du groupe, les trois opérateurs historiques peuvent également faire de leur filiale low cost un instrument de reconquête de parts de marché en Europe, y compris dans un contexte d’attrition globale du marché.
Cette stratégie passera nécessairement par une implantation de leur filiale low cost hors de leur marché domestique, en ouvrant des bases à l’étranger. L’une des forces des low cost, notamment de Ryanair et d’easyJet, réside comme nous l’avons vu dans leur capacité à mailler le territoire européen en multipliant les bases locales.
A contrario, les filiales des trois opérateurs ont été d’abord pensées comme des instruments défensifs, opérant pour l’essentiel au départ du pays d’origine. Cette caractéristique s’applique moins à Vueling, qui s’est projetée d’emblée dans le sud de l’Europe, avec des bases importantes à Barcelone, Madrid ou Rome. Ce n’est pas le cas pour Transavia, qui ne dispose d’aucune base en dehors des bases locales en France et aux Pays-Bas. La seule base de Transavia en Europe hors du pays d’origine était à Munich, mais elle a été fermée en 2017. Pour devenir un véritable acteur paneuropéen, il est nécessaire d’être présent sur l’ensemble du continent, au travers de bases locales, pour stimuler le trafic d’export et d’import.
Nombre de bases des compagnies low cost
Copyright :
Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
En complément de cette projection de leur compagnie low cost en Europe, les opérateurs historiques ont intérêt à développer le connecting sur leurs bases, soit entre les vols de la filiale low cost, soit avec des vols de la maison mère. C’est déjà ce que fait Vueling sur Barcelone et Rome, où elle propose un connecting Vueling-Vueling ou vers des filiales du groupe IAG. Concernant Transavia, si elle opère des vols en connexion sur Amsterdam Schiphol avec le réseau KLM, il n’en va pas de même en France, où Transavia France n’a pas mis en place de système de connecting. Compte tenu de l’ampleur des positions d’Air France sur Orly – et même sur Lyon, véritable hub régional –, il pourrait être opportun d’étudier l’essor d’un « smart connecting », permettant au client de réserver sur l’ensemble des sites d’Air France des vols en connexion sur Orly et Lyon, dès lors que les temps de connexion sont raisonnables. Par exemple, un client se rendant de Brest à Faro devrait pouvoir réserver sur le site de Transavia un vol en connexion via Orly : le premier tronçon serait effectué par Air France, avec un temps d’attente de l’ordre de 2 heures sur Orly, avant de prendre un vol Transavia pour Faro. Le connecting permet d’améliorer le taux de remplissage des appareils sans imposer de contraintes opérationnelles supplémentaires. Face à la menace croissante du connecting proposé par les pure players du low cost, la meilleure réponse des filiales low cost des opérateurs historiques est de se lancer également dans le connecting.
Place du connecting chez les low cost (pure players et filiales de groupe)
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Fondation pour l’innovation politique – 2020
Source :
Roland Berger.
10. Les grands acteurs historiques ont conçu leur filiale low cost comme un instrument avant tout défensif, sans se projeter à l’extérieur de leur pays d’origine, en ouvrant des bases en Europe. S’ils entendent rivaliser demain avec les leaders low cost, les opérateurs historiques seront fortement incités à devenir des acteurs paneuropéens et à développer le connecting. |
Conclusion générale
Voir Emmanuel Combe, Vers des prix personnalisés à l’heure du numérique ?, Fondation pour l’innovation politique, octobre 2019
La crise du Covid-19 risque de jouer le rôle d’accélérateur dans les mutations structurelles que connaît le transport aérien en Europe depuis vingt ans, avec la montée en puissance des acteurs low cost et la fragilisation des grands opérateurs historiques.
La question posée est alors de savoir qui sortira gagnant de cette crise d’une exceptionnelle ampleur. Notre thèse est que si les grands opérateurs historiques vont être sauvés par leurs États, ils risquent toutefois d’être marginalisés, faute de moyens financiers suffisants et s’ils n’accélèrent pas la réforme de leur modèle économique sur le moyen-courrier. En effet, si les compagnies historiques veulent demain lutter à armes égales avec les compagnies low cost sur le moyen-courrier, elles doivent impérativement poursuivre la mutation de leur modèle, comme l’a fait par exemple le groupe IAG. À cet égard, la crise du Covid-19 pourrait être l’occasion d’accélérer les transformations en cours chez les opérateurs historiques, d’autant plus qu’ils vont bénéficier d’une aide publique massive. Un plan de réformes clair et séquencé – visant à indiquer la place du low cost au sein de leur groupe et à accélérer le retour à la rentabilité sur le réseau point à point – pourrait ainsi être discuté avec les opérateurs historiques, en y associant étroitement les partenaires sociaux. Ce sujet est bien sur l’agenda de certaines compagnies « legacy » comme Air France-KLM, qui transforme tout son modèle court-courrier avec une stratégie de très fort développement de Transavia démarrée cet été. Ce développement devrait être massif dès la reprise post-Covid19.
Le principal risque pour les compagnies historiques est que l’aide publique serve pour l’essentiel à permettre la survie des entreprises plutôt que leur nécessaire mutation structurelle. La crise n’aura pas alors été mise à profit pour repenser leur modèle. Dans ces conditions, au sortir de la crise, il est possible que le mouvement de consolidation, sous la forme de faillites ou d’attrition de nombreuses compagnies, profite d’abord aux grandes compagnies low cost, en bonne situation financière. Elles pourraient renforcer leurs positions en Europe au détriment des opérateurs historiques, tout en continuant à mailler finement le territoire, à monter en puissance sur la clientèle business et à développer le connecting. L’exemple de l’Italie, avec un opérateur historique qui n’est plus que l’ombre de lui-même et des compagnies low cost qui se sont emparées du marché, constitue à cet égard un cas d’école. Dans le cas de la France, qui reste encore une terre de conquête pour les low cost, on peut redouter un fort développement du low cost si la compagnie nationale ne se transforme pas assez rapidement, notamment de la part de Ryanair, qui est revenu sur notre territoire depuis 2019.
Accélérer la transformation digitale
En complément des sujets d’offre et de positionnement, toutes les compagnies aériennes vont aussi devoir s’emparer du sujet de la transformation digitale, qui affecte tous les secteurs de l’économie. Des progrès majeurs ont déjà été réalisés ces dix dernières années par les compagnies mais il reste encore beaucoup à faire dans trois domaines clés :
– la digitalisation de la distribution ;
– la digitalisation de l’ensemble de la relation client ;
– l’utilisation d’outils d’optimisation opérationnelle du réseau et des opérations.
Tout d’abord, la distribution va se digitaliser encore davantage, ce qui permettra à la fois une plus grande simplicité et une plus grande rapidité des transactions, comme pour le e-commerce classique, ainsi qu’une reprise en main de la relation avec le client par les compagnies aériennes et une baisse des coûts de distribution, les compagnies recourant moins aux ventes par des tiers, notamment des GDS. Les géants du low cost ont déjà une longueur d’avance sur ces sujets : depuis leur lancement, ils ont privilégié la distribution en direct pour limiter les coûts de distribution.
Ensuite, la relation client va connaître de fortes améliorations, tant dans son volet digital que physique (dans les aéroports et les avions), notamment sur deux points :
– une meilleure intégration des nombreuses informations clients qui ne sont pas encore suffisamment utilisées par les compagnies aériennes. Ces données peuvent servir à prédire les besoins de clients ou de « tribus » de clients, pour toujours mieux communiquer avec le passager – horaires, ponctualité, localisation des bagages, sujets sanitaires –, pour faire du pricing dynamique, voire du prix personnalisé 6, mais aussi pour valoriser la connaissance fine des clients auprès de leurs partenaires directs, tels que les aéroports, les commerces en aéroport ou les autres modes de transport ;
–une gestion « sans couture », sans friction au sol, de l’arrivée à l’aéroport jusqu’à l’embarquement et au débarquement. Cela passe par des programmes d’utilisation intensive des systèmes de « self » : self checking, self boarding, etc. Aujourd’hui, avec les systèmes de biométrie ou de reconnaissance vidéo, tout le processus pourrait être simplifié. Les processus de contrôles de sécurité doivent maintenant s’adapter dans de nombreux pays afin de permettre la mise en œuvre efficace de ces nouveaux processus digitalisés. Il nous semble que le Covid-19 va accélérer ces digitalisations afin de réduire le nombre de contacts avec les agents dans les aéroports et de supprimer les processus générant des files d’attente qui facilitent la proximité et limitent la distanciation.
Aperçu d’une expérience client digitale : point de vue passager
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Fondation pour l’innovation politique – 2020
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Roland Berger.
Enfin, l’optimisation opérationnelle est également un sujet clé pour permettre d’optimiser l’utilisation des avions, leur maintenance, la gestion des plannings des personnels navigants et au sol. Cela passe notamment par la digitalisation complète du centre de contrôle des opérations (CCO), dont la mission essentielle doit être la satisfaction du client. La crise du Covid-19, qui a entraîné de multiples annulations et replanifications de vols, en est un parfait exemple.
Pour l’ensemble de ces trois domaines, il existe des programmes déjà lancés qui pourraient être accélérés. Les compagnies aériennes ont la chance de posséder avec leur écosystème de très nombreuses informations sur leurs clients, sur leurs caractéristiques et sur leurs comportements, ce qui facilite la mise en œuvre effective des outils digitaux, notamment d’intelligence artificielle.
Intégrer pleinement l’enjeu environnemental et sanitaire
Au-delà de la transformation digitale et du positionnement sur le low cost, le troisième enjeu majeur pour les compagnies aériennes de l’ère post-Covid-19 consiste à s’inscrire dans une démarche responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé des passagers. Dans un premier temps, il est nécessaire d’intégrer dans les stratégies le risque de flight shaming. Pour cela, les compagnies aériennes investissent pour compenser leurs émissions de CO2 mais elles travaillent également depuis longtemps à la réduction de la consommation de carburant. Cette baisse de la consommation passe par une implication de tous les acteurs présents sur la chaîne de valeur, notamment sur trois points :
– les travaux de recherche et développement sur lesquels des constructeurs, Airbus et Boeing en tête, se sont concentrés afin de construire des avions moins polluants ;
– une optimisation des routes aériennes, afin de permettre aux avions de consommer le moins de carburant possible (notamment en fonction des conditions climatiques) ;
– l’utilisation de carburant « plus propre », tels les biocarburants, ou, à terme, d’avions hybrides avec, par exemple, des systèmes électriques ou des moteurs carburant-hydrogène.
Les politiques publiques pourraient favoriser, grâce notamment à des incitations fiscales, l’investissement dans de nouveaux avions moins consommateurs de carburant et donc plus propres, ou permettre aux avionneurs comme Airbus et Boeing et aux constructeurs de moteur (Safran, PW, GE) d’accélérer les programmes d’innovation sur la motorisation des avions. À ce titre, Airbus a dévoilé fin septembre 2020 sa feuille de route sur l’avion zéro carbone (projet ZEROe) qu’il espère voir aboutir en 2035. Trois concepts d’avion 100% hydrogène sont à l’étude : un turboréacteur de 120 à 200 passagers, un turbopropulseur de 100 passagers maximum et un projet d’aile volante de 200 passagers maximum. Après une première phase de maturation technologique de cinq ans, Airbus souhaite lancer un programme de développement sur le concept retenu à partir de 2028. Ces travaux sur l’avion du futur vont confronter les industriels à de nombreux challenges technologiques (stockage de l’hydrogène à bord des avions, accès à une production d’hydrogène vert et à des réseaux de distribution efficaces au niveau des aéroports, usage de batteries, refonte du design des avions…). Des solutions sont attendues entre 2030 et 2040 pour toutes les catégories d’aéronef.
Au-delà des aspects environnementaux, la crise du Covid-19 a également fortement bouleversé la perception des transports d’un point de vue sanitaire. Être enfermé dans un endroit confiné à une faible distance d’autres voyageurs peut désormais faire peur à nombre de passagers. De même, se rendre dans les aéroports, zones de fort passage, sera peut-être perçu dorénavant comme anxiogène par beaucoup d’entre eux. Dès lors, dans le monde post Covid-19, les transporteurs aériens et l’ensemble des acteurs vont devoir rassurer tant les clients que les salariés sur leurs capacités à garantir un transport « aseptisé » : distanciation dans l’avion, nettoyage renforcé des aéroports et des cabines, climatisation renforcée permettant de détruire les virus durant les vols, tests ultrarapides des passagers à l’embarquement et au débarquement, etc. Le parcours client digitalisé évoqué précédemment est une première réponse, mais l’enjeu reste de taille et les compagnies aériennes vont devoir mener des actions concrètes pour relever ce défi sanitaire.
À l’heure de la crise, il existe une fenêtre historique pour que les compagnies traditionnelles se réinventent et s’emparent des nouveaux sujets. Elles se trouvent aujourd’hui, comme le disent les Anglais, dans une situation de « burning platform », qui justifie comme jamais auparavant l’accélération des évolutions profondes de leur modèle de production sur le moyen-courrier.
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