Où en est la droite? La Slovaquie
Introduction
Le temps de la construction et des contraintes
Le temps des recompositions (1998-2002)
La réorganisation des droites slovaques (1998-2002)
Les programmes des droites slovaques et leurs équilibres
L’importance des think tanks dans la droite slovaque
La structuration selon un axe droite-gauche et ses limites (2002-2010)
Un gouvernement réformateur de centre droit
Le bilan mitigé de 2006
Les législatives de 2006 : contexte et programmes des droites slovaques
Le retour au pouvoir des droites slovaques
Les programmes des droites slovaques
Les élections de 2010
Le programme de gouvernement de 2010
L’électorat des droites slovaques en 2010
Résumé
Avant la division de la République tchécoslovaque, en 1938, le paysage politique slovaque se construisait principalement autour des différences d’approche de la relation tchéco-slovaque, et non sur un axe gauche- droite. Après la chute du régime communiste, en 1989, il fallut près de deux décennies pour que ce clivage classique réussisse à progressivement s’imposer. En effet, la Slovaquie était un pays où les partis de droite étaient très divers et dont les racines historiques partisanes étaient faibles ou même quasiment inexistantes.
Pendant une première période (1990-1998), la politique slovaque a connu une phase transitoire, de construction et de sortie du clivage opposant communistes et anticommunistes. Cette phase fut marquée par la domination du parti populaire de Vladimír Mečiar, le HZDS (Hnutie za demokratické Slovensko, «Mouvement pour une Slovaquie démocratique»). La droite slovaque, alors dominée par le parti conservateur KDH (Kresťanskodemokratické hnutie, «Mouvement démocrate-chrétien»), s’est servie des excès de ce gouvernement pour se construire. En effet, en vue de structurer l’opposition à Vladimír Mečiar, le KDH créa une coalition électorale, la SDK (Slovenska Demokraticka Koalicia, «Coalition démocratique slovaque»), avec la DÚ (Demokratická Únia Slovenska, «Union démocratique») et le DS (Demokratická Strana, «Parti démocratique»). En 1998, lors des élections législatives, ce parti de coalition fut victorieux et forma un nouveau gouvernement, en s’associant également avec le parti magyar et deux formations de gauche. À partir de ce moment et jusqu’en 2002, la Slovaquie connut une période de consolidation du pouvoir et d’apparition progressive du clivage gauche-droite. En effet, la coalition au pouvoir dut faire face à deux nouveaux partis : le Smer («Direction»), qui se veut une alternativede gauche, et l’ANO (Aliancia Nového Občana, «Alliance du nouveau citoyen»), une alternative libérale. Pour y faire face, la coalition dut se réorganiser. Ainsi, la SDK (au pouvoir) devint la SDKÚ (Slovenská Demokratická a Krestanská Únia, «Union démocratique et chrétienne slovaque») en absorbant la DÚ.
De cette union naquit un véritable programme politique.
Cependant, la SDKÚ ne parvint pas à créer un véritable bloc de centre droit : lors des élections de 2002, SDKÚ et KDH se présentèrent séparément, avec un KDH qui renforça sa dimension conservatrice. Pour la première fois, les différents partis utilisèrent les idées fournies par les différents think tanks de droite pour construire leurs programmes. Ces think tanks, politiques (IVO, IK) ou économiques (MESA10, Ineko), se sont structurés dans la seconde moitié des années 1990, en réaction aux tensions provoquées par le gouvernement Mečiar. Le programme gouvernemental de 2002 de la coalition victorieuse, toujours dominée par la SDKÚ, affirmait clairement une nouvelle priorité : les réformes. Et la période 2002-2006 fut en effet marquée par des changements structurels importants (retraites, impôts, système de santé…), même si le bilan qu’en ont fait les think tanks à la veille des élections de 2006 fut mitigé. Cette législature fut aussi marquée par quelques recompositions des partis, la principale étant l’absorption du DS par la SDKÚ, qui devint la SDKÚ-DS.
La campagne de 2006 vit les diverses formations reprendre le thème de la réforme. Elle fut surtout, pour la première fois, le théâtre d’un affrontement gauche-droite pleinement assumé, surtout entre la SDKÚ-DS, à droite, et le Smer-SD (Smer-Sociálna demokracia, « Direction-Social- démocratie»), à gauche. Après les élections, le gouvernement fut formé par une coalition regroupant le Smer-SD, le L’S-HZDS (Ľudová strana
– Hnutie za demokratické Slovensko, « Parti populaire – Mouvement pour une Slovaquie démocratique », parti de Vladimír Mečiar) et le SNS (Slovenská národná strana, « Parti national slovaque »).
La droite est finalement revenue au pouvoir en 2010, dotée d’un programme très libéral, fondé sur la réduction de l’intervention de l’État, le développement de l’emploi et l’amélioration de l’environnement entrepreneurial.
Etienne Boisserie,
Maître de conférences en histoire de l'Europe centrale, histoire slovaque et tchèque (Inalco, Institut national des langues et civilisations orientales).
Où en est la droite? La Bulgarie
Où en est la droite? La Grande-Bretagne
Où en est la droite? La Pologne
Les Droites en Europe
Où en est la droite? La Suède et le Danemark
Où en est la droite? Les Pays-Bas
Où en est la droite? L’Espagne
Où en est la droite? L’Allemagne
Où en est la droite? L’Autriche
Introduction
Jusqu’à la création de la Tchécoslovaquie, le territoire slovaque appartenait à la partie hongroise de l’Autriche-Hongrie, soumis à des règles électorales qui interdisaient l’émergence d’un espace politique diversifié et limitait l’expression politique slovaque à quelques exigences de nature essentiellement culturelle1. Le mode de scrutin, censitaire, ne permettait pas la diversification des courants. C’est donc au cours de la Première république tchécoslovaque que le paysage politique prit forme. Il comptait trois grandes catégories de partis, qui ne se distinguaient pas prioritairement sur un axe droite-gauche mais selon leur approche de l’État et de la relation tchéco-slovaque. Cette organisation partisane fut profondément bouleversée à partir des accords de Munich et de l’autonomie slovaque à l’automne 1938, premier pas vers le système partisan simplifié connu par la Slovaquie entre mars 1939 et avril 1945. En 1945, l’espace politique slovaque se recomposa en tenant compte de ces expériences de la période 1938-1945. Le système partisan simplifié fut conservé, associant le Parti communiste de Slovaquie (Komunistická strana Slovenska, KSS) et le Parti démocratique (Demokratická Strana, DS) dans le Front national. Formellement, le système de front national survécut au Coup de Prague de février 1948 et subsista jusqu’au changement de régime de l’hiver 1989.
Après 1989, l’espace politique slovaque retrouva deux caractéristiques qui le façonnèrent pendant plus d’une décennie : une personnalisation excessive de la vie politique et une insuffisante consolidation d’une conception nationale débarrassée des hypothèques successives que constituent les héritages hongrois et tchécoslovaque.
En deux décennies, le paysage politique slovaque s’est recomposé par épuisement de la mobilisation sur la seule base nationale. Le clivage droite-gauche s’est progressivement imposé. Les formations de droite, diverses et aux racines historiques partisanes faibles sinon inexistantes, se sont réorganisées autour de deux grandes forces : l’une, la SDKÚ-DS (Slovenská Demokratická a Krestanská Únia- Demokratická Strana, «Union démocratique et chrétienne slovaque-Parti démocratique»), dont le profil libéral s’est progressivement imposé ; l’autre, le KDH (Kresťanskodemokratické hnutie, «Mouvement démocrate-chrétien»), qui a renforcé sa dimension conservatrice dans les années 2000. Autour de ces deux formations, dès la fin des années 1990, le SMK (Strana maďarskej koalície-Magyar Koalíció Pártja, «Parti magyar») a été un partenaire dans la majorité comme dans l’opposition, et des formations libérales ont été associées à des majorités homogènes entre 2002 et 2006, puis de nouveau depuis juin 2010. Toutes sont membres du Parti Populaire européen2 et font l’objet de cette note, qui n’aborde pas le cas particulier du Slovenská národná strana (SNS, «Parti national slovaque») ou des petites formations de la droite nationale radicale extraparlementaire.
Nous privilégions ici l’approche chronologique et l’étude successive de la construction sous contrainte des droites slovaques (I), la première période de consolidation et d’exercice du pouvoir (II), la période de renforcement doctrinal dans le contexte de l’alternance politique (2002- 2010) (III), et enfin le retour des droites slovaques au pouvoir lors des élections de juin 2010 (IV).
Le temps de la construction et des contraintes
La Charte 77 est le manifeste des dissidents tchécoslovaques qui marque la fondation de la dissidence Voir La Nouvelle alternative (vol. 22, n° 72-73, mars-juin 2007), «origines et héritages de la Charte 77», actes du colloque organisé au Ceri le 25 janvier 2007.
Immédiatement après le changement de régime de 1989, le conflit porta essentiellement sur la forme du régime. Deux formations, Public contre la violence (Verejnost proti nasiliu, VPN) et le Mouvement démocrate-chrétien (KDH), construits sur une forte dimension anticommuniste mais que divise le clivage confessionnel, s’unirent pour former un gouvernement au lendemain des élections de juin 1990. L’hétérogénéité politique du VPN et la montée en puissance du thème «national» dans le débat public provoquèrent une scission d’où naquit le HZDS (Hnutie za demokratické Slovensko, «Mouvement pour une Slovaquie démocratique»), dirigé par Vladimír Mečiar. Difficilement classable, le HZDS maniait aussi bien la thématique identitaire slovaque que le discours social-démocrate ou les valeurs chrétiennes. Il triompha aux élections de 1992. Cette victoire marqua la disparition du clivage initial communisme-anticommunisme. Le succès de Mečiar et l’impact de la dynamique qu’il avait créée avant même les élections de juin 1992 provoquèrent un glissement des clivages politiques slovaques qui marquèrent les premières années d’indépendance. En 1992, les formations civiques de droite et de centre droit, incapables de s’unir, n’avaient pas franchi le seuil de 5% des suffrages exprimés et avaient quitté le Parlement : outre le VPN, il s’agissait du Parti civique magyar (MOS, ex-MNI), de l’ODU, du Parti démocratique (DS) et du mouvement Demokrati’92, au potentiel électoral de près de 10%. Cet espace civique de droite ne se reconstruisit qu’en 1993-1994, à partir des scissions des deux grands partis vainqueurs des élections de 1992 : le HZDS et le SNS.
À cette époque, les démocrates-chrétiens de Jan Čarnogurský, figure de la dissidence slovaque, signataire de la Charte 773, malgré plusieurs scissions et soubresauts internes, dominaient la droite slovaque. En 1992, le KDH avait obtenu 8,8% des voix. Historiquement marqué par sa dimension anticommuniste et son hostilité au libéralisme, entendu au sens économique plus que politique, il a toujours défendu un discours patriotique et souligné l’importance des valeurs «slovaques». Après le départ du cercle le plus nationaliste en son sein, le KDH s’affirma comme un parti libéral-conservateur favorable à l’intégration européenne. Entre mars et octobre 1994, le KDH participa au gouvernement formé par Jozef Moravčík. Lors des élections de 1994, il obtint 10,2% des voix. Entre 1994 et 1998, il conserva une position intransigeante contre les pratiques autoritaires du troisième gouvernement Mečiar. Au cours de cette période, une nouvelle génération émergea, moins marquée par l’héritage de la dissidence, qui essaya d’ouvrir le Mouvement au-delà de l’électorat catholique traditionnel. C’est de ce groupe qu’émergèrent les figures de proue de la SDK (Slovenska Demokraticka Koalicia, «Coalition démocratique slovaque») en 1998. Autre formation de droite de la période 1994-1998, l’Union démocratique (Demokratická unia Slovenska, couramment désignée par l’acronyme DÚ), formation créée en en avril 1994 de la fusion de deux formations dissidentes du HZDS et du SNS, participa au gouvernement Moravčík et obtint 8,6% des voix lors des élections d’octobre 1994.
La droite slovaque trouva dans les excès du gouvernement Mečiar un allié de poids pour sa construction. Le référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct et sur l’entrée dans l’Otan, organisé dans la plus grande confusion en 1997, fut le point de départ d’une réorganisation de l’espace politique slovaque en général, et des différents courants de la droite en particulier.
À la fin de l’année 1996, la crise institutionnelle slovaque approchait de son acmé. Les relations entre le président et le Premier ministre étaient marquées par des conflits permanents depuis octobre 1994, le mandat du président Kováč s’achevait en mars 1998 et l’arithmétique parlementaire interdisait de penser qu’un successeur pût être désigné, d’autant que la Constitution prévoyait qu’en cas de vacance présidentielle, les compétences présidentielles devaient être partagées entre Premier ministre et président du Parlement. Le 17 décembre 1996, six partis d’opposition, trois slovaques (KDH, DS et DÚ) et trois magyars (Coexistence, MKDH et MOS), déposèrent un projet de loi constitutionnelle pour permettre l’élection du président au suffrage universel. Au terme d’un semestre de manœuvres politiques et juridiques, le référendum des 23 et 24 mai 1997, qui fut manipulé pour inclure trois questions relatives à l’entrée dans l’Otan, fut invalidé.
Cet épisode fut déterminant dans la reconstruction de l’opposition à Vladimír Mečiar. Début juillet 1997, les cinq formations non magyares impliquées dans le comité pétitionnaire (KDH, DÚ, DS, et deux petites formations de gauche, le Parti des verts en Slovaquie – SZS – et le Parti social-démocrate slovaque – SDSS) créèrent une coalition électorale appelée Coalition démocratique slovaque (SDK), dont le porte-parole était Mikuláš Dzurinda, vice-président du KDH. Au printemps 1998, le changement de règles électorales imposé par le gouvernement Mečiar reposa le problème de la structuration de l’opposition à quelques mois des élections législatives. Après de longs débats internes, les dirigeants du KDH et de la DÚ optèrent pour la création d’un «parti électoral» (SDK) qui regroupait les candidats issus des cinq formations d’origine. Ce «parti» était dirigé par M. Dzurinda.
Les élections de 1998 permirent à la SDK, arrivée en deuxième position derrière le HZDS, de former un gouvernement de coalition avec le parti magyar unifié au printemps 1998 (SMK) et deux formations de gauche et de centre gauche, le SDĽ, parti communiste réformé, et le Parti de l’entente civique (SOP), de création récente, dirigé par le maire de Košice et futur président de la République Rudolf Schuster. Dans cet espace politique très marqué par les thématiques imposées par le HZDS, le clivage droite-gauche ne s’était pas encore imposé. A posteriori, la période 1991-1998 peut être lue comme une période transitoire et le «phénomène» Mečiar comme une phase intermédiaire d’épuisement du combat pour la reconnaissance institutionnelle de la Slovaquie. L’existence des traditions ou courants qu’il parvint à incarner a sans doute contribué à ralentir le processus de construction d’un espace droite-gauche, mais il ne l’a pas empêché et, in fine, il l’a même favorisé en contraignant la droite slovaque à se structurer.
Le temps des recompositions (1998-2002)
En 1998, le gouvernement Dzurinda fit du retour à une vie institutionnelle normale, de l’intégration de la Slovaquie à l’Otan et à l’Union européenne ses priorités. Les réformes sociales et économiques, sans être négligeables, se heurtèrent aux difficultés des jeux d’équilibre entre les différentes composantes de la majorité parlementaire. Par ailleurs, tout au long de la législature, une formation de gauche extraparlementaire, le Smer de Róbert Fico, créé en 1999 et entrant en concurrence directe avec les formations de gauche du gouvernement, utilisa habilement l’espace laissé libre pour critiquer les choix gouvernementaux. Cela lui permit de récupérer les sympathisants du SDĽ dont il était issu, mais aussi du SOP et du HZDS. Il se positionna en alternative de gauche à un gouvernement hétérogène. Un parti libéral créé en 2001, l’Alliance du nouveau citoyen (Aliancia nového občana, ANO), contribua à l’émergence d’un débat structuré selon un axe droite-gauche. Lorsque l’ANO se présenta comme un partenaire potentiel d’une majorité emmenée par la SDK de Mikuláš Dzurinda, réformiste de droite, une opportunité s’ouvrit pour une marginalisation durable de Vladimír Mečiar et la constitution d’un bloc de droite et de centre droit potentiellement majoritaire.
À la veille des élections de 2002, le clivage imposé par le phénomène Mečiar avait perdu de son importance. La question des choix sociaux, sociétaux et économiques dominait, tandis que celle de la nature du régime était passée au second plan.
La réorganisation des droites slovaques (1998-2002)
À bien des égards, la législature 1998-2002 peut être considérée comme une période transitoire, au cours de laquelle le paysage de la droite slovaque s’affina et où le clivage gauche-droite apparut progressivement. D’une part, en effet, en 2000, une partie des députés KDH de la SDK quitta le groupe parlementaire pour former un groupe parlementaire propre. Formellement, le KDH devenait le cinquième membre de la coalition. D’autre part, la SDK se transforma en SDKÚ, formation unique par absorption directe de la DÚ et des forces vives du DS.
C’est la réorganisation de la SDK qui domina l’agenda politique gouvernemental. Le problème initial de la SDK concernait les relations entre ses différentes composantes qui avaient conservé leur personnalité juridique. Cette situation donnait un caractère relatif à son rôle de première formation gouvernementale et l’affaiblissait, en particulier vis-à-vis du SDĽ. Dès lors, la volonté de renforcement était motivée par celle de consolider un centre droit qui devait devancer le Smer en 2002 et constituer la principale formation d’une majorité alternative au retour de Vladimír Mečiar.
En janvier 2000, au terme d’un conflit de plusieurs mois, onze dirigeants de la SDK annoncèrent la création de la SDKÚ, parti successeur de la SDK. Le parti comprenait deux plates-formes : l’une démocrate-chrétienne, l’autre libérale. La moitié des députés comme des ministres SDK du gouvernement rejoignirent ce parti. La création de la SDKÚ clôt une étape du développement des démocrates-chrétiens. Autour de Dzurinda, on retrouvait l’ancien cercle dit «pragmatique» du KDH, ainsi que la majorité des représentants de la plate-forme libérale DÚ, favorable à la fusion des formations de droite et de centre droit. Cette nouvelle SDKÚ absorba d’ailleurs facilement la DÚ. Après d’habiles manœuvres d’appareil, Ľubomír Harach, élu à la tête de la DÚ en mai 1999 sur un programme de maintien de l’identité de l’Union, la réorganisa pour la faire basculer vers la SDKÚ. En mai 2000, un congrès extraordinaire entérina ce choix.
Dans les mois qui suivirent, les deux autres formations de droite (KDH et DS) dépensèrent beaucoup d’énergie pour conserver leur identité. Elles sortirent différemment de cette épreuve. Le KDH renforça son identité conservatrice et survécut aux élections de 2002. Pour le DS, la législature fut difficile : le départ de plusieurs dirigeants pour fonder un nouveau parti – l’OKS, qui échoua aux élections de 2002 – provoqua un rapprochement avec la SDKÚ peu avant les législatives de 2002.
Ainsi, dans un premier temps, la tentative de constituer un bloc de centre droit fut-elle un demi-succès. À la veille des élections législatives de 2002, la tentative d’une nouvelle coalition préélectorale échoua et les quatre formations de droite et de centre droit – SDKÚ, KDH, ANO et SMK – se présentèrent séparément.
Ces élections permirent à Mikuláš Dzurinda de former un nouveau gouvernement, plus homogène que le précédent. Issue surprenante dans la mesure où, malgré des succès indéniables en politique étrangère, le bilan du gouvernement sortant, et de la SDKÚ en particulier, était entaché d’échecs et de difficultés (réformes partielles et contestées, taux de chômage élevé, scandales de corruption, etc.).
L’expérience 1998-2002 a fait apparaître des équilibres que la décennie 2000-2010 confirma. L’essentiel de la doctrine économique et réformatrice était porté par la SDKÚ, cependant que le KDH se consacrait au renforcement de son programme conservateur, avant de s’aligner sur les options économiques de son partenaire.
Les programmes des droites slovaques et leurs équilibres
Voir eduard Žitňanský in Grigorij Mesežnikov (dir.), Voľby 1998. analýza volebných programov politických strán a hnutí [Élections de 1998. analyse des programmes électoraux des partis et mouvements politiques], Bratislava, iVo, 1998, p. 101
Voir Lubomír Kopeček, « Demokratická unie Vznik, geneze a příčiny její “klinické smrti” » [L’Union démocratique de slovaquie. Création, genèse et causes de sa « mort clinique »], středoevropské politické študie, Číslo 3, ročník ii, léto 2000, p. 00-00.
Voir Pavel Dufek, « Demokratická strana a její studie márginální politické strany, která vládla slovensku » [Le Ds et son programme. Étude d’un parti politique marginal qui a gouverné la slovaquie], středoevropské politické studie, č. 4, roč. iV, automne 2002.
À partir de 2000, les démocrates-chrétiens renforcèrent la dimension conservatrice de leur programme reposant sur le triptyque famille-religion-morale. Ce positionnement provoqua des conflits très importants avec la fraction libérale de la coalition. La proposition d’interdiction de l’IVG, le refus du «partenariat homosexuel», le renforcement des liens entre la Slovaquie et le Saint-Siège, et l’augmentation du financement public des écoles confessionnelles furent des sujets récurrents de conflits entre les différents partenaires de la coalition. Par ailleurs, sans qu’il faille y voir des motivations tactiques, le KDH prit, sur des questions de politique étrangère, des positions discordantes. Le thème de la défense de la souveraineté ou des intérêts de la nation slovaque fut abondamment utilisé pour critiquer certains choix de politique étrangère, notamment lors des négociations d’adhésion à l’Union européenne, dans les relations avec les États-Unis, et particulièrement lors du bombardement de la Serbie par l’Otan en 1999.
La SDKÚ, née explicitement comme élément intégrateur de la droite et du centre droit slovaque, recherchait des positions médianes entre partenaires de la coalition et les compromis permettant sa stabilité. Entre 1998 et 2002, sa composition mixte – anciens KDH et libéraux – lui donna une coloration de formation démocrate-chrétienne modérée qui évolua rapidement.
En 1998, le programme économique de la SDK était très ambitieux, au point que même les analystes peu suspects d’hostilité jugeaient improbable sa mise en œuvre complète, préférant parier sur une inflexion suffisante pour être durable4. C’était le cas en particulier pour la réforme du système de retraite, objectif prioritaire dès 1998, avec l’introduction d’un système mixte, l’État devant assurer un revenu minimum. D’une manière générale, le programme économique et social de la SDK, fortement influencé par la composante DÚ, avait pour objectif de limiter l’intervention de l’État. Dès son origine, la DÚ avait prôné l’importance de la construction d’une société civile, du développement des libertés individuelles et de la défense de la propriété privée. En outre, le programme de la DÚ comportait un important volet économique, d’inspiration libérale, combinant les mesures d’allégement des contraintes administratives sur les entreprises, la protection et le développement des mécanismes du marché, et la limitation des interventions de l’État dans l’économie. La DÚ soutenait notamment la diminution de la pression fiscale et avait fait des baisses d’impôt, ainsi que de la diminution des prélèvements destinés aux systèmes d’assurance sociale et à la sécurité sociale, une priorité5. Elle soutenait enfin un ambitieux programme de réforme du système de santé, s’appuyant la privatisation des établissements de santé et le maintien d’une structure sanitaire et hospitalière publique minimale, ainsi que sur une participation directe et plus importante des patients au coût des soins.
L’autre évolution marquante de la SDK fut l’influence croissante sur son programme et son action des hommes venus du DS. La SDKÚ parvint en effet à en attirer les principaux dirigeants. Au début des années 2000, avant le départ de ces hommes, le DS avait établi de nouvelles priorités programmatiques. Elles visaient à achever la privatisation des entreprises d’État, la restructuration du secteur bancaire et à affirmer le soutien aux PME. Par ailleurs, le DS avait élaboré une réforme de l’administration d’État, de décentralisation dans les domaines sanitaire, scolaire, des transports et de l’agriculture, ainsi qu’une réforme du système de retraite et de diminution globale de la charge fiscale pesant sur les particuliers et sur les entreprises. Ce programme s’avéra très important pour les futures orientations de la SDKÚ6. Entre 1998 et 2002, deux ministres comptant pour beaucoup dans la stratégie de réforme du gouvernement Dzurinda étaient issus du DS : le ministre de l’Économie, Ivan Mikloš, et le plénipotentiaire pour la réforme de l’administration publique, Viktor Nižňanský. Tous deux et quelques autres étaient issus des think tanks économiques structurés à la fin des années 1990. Début 2001, cinq dirigeants historiques du DS – Ján Langoš, qui fut longtemps son président, Peter Zajac, son vice-président, l’«architecte» de son programme, Ivan Mikloš, Viktor Nižňanský et František Šebej –, tous très impliqués dans la politique gouvernementale, quittèrent le parti pour rejoindre la SDKÚ. Cet affaiblissement fut fatal au DS, qui renonça à présenter une liste aux législatives en 2002, et renforça la crédibilité de la SDKÚ.
L’importance acquise par les anciens DS désormais actifs au sien de la SDKÚ témoignait du rôle joué par les think tanks dans l’irrigation de la droite libérale.
L’importance des think tanks dans la droite slovaque
Martin Bútora, oľga Gyárfášová et al., Nurturing atlanticists in Central europe: Case of slovakia and Poland, Bratislava, iVo, 2008, p. 35.
Grigorij Mesežnikov, «role of Think Tanks in economic Transition in slovakia», in supporting Change – Proceedings. Prague, 2007, p. 85-89.
Parmi les plus importants, signalons, le ministre des Finances (ivan Mikloš), ceux de la santé (Peter Zajac), du Travail et des affaires sociales (iveta radičová) et son secrétaire d’État, le ministre plénipotentiaire pour l’administration publique et la réforme sociale (Viktor Nižňanský), mais aussi le directeur du Bureau de la politique économique du ministère de l’economie ou le vice-président du Bureau anti-monopole.
http://www.mesa10.sk/index.php?action=module&id=mod_content&content_id=181&rand=18
Parti créé en 2009, voir infra
- Formation essentiellement magyare, formée à partir d’une scission interne du sMK, dirigé par Béla Bugar, associée à l’oKs à l’occasion des élections de juin 2010 qui lui permirent d’entrer au Parlement
La structuration initiale du paysage des ONG proches des droites slovaques date de la seconde moitié des années 1990. Elle fut accélérée par l’augmentation des tensions provoquées par le troisième gouvernement Mečiar (1994-1998). Le réseau d’organisations non gouvernementales des droites gouvernementales slovaques était étendu et cohérent, composé de plusieurs dizaines d’associations. Certaines, plus anciennes, en ont constitué les matrices et continuent à jouer un rôle très important dans le dispositif intellectuel des droites slovaques.
Le premier, chronologiquement, très important dans la structuration et la diffusion des programmes de la droite slovaque, a été l’Inštitut pre verejné otázky (IVO, «Institut pour les questions publiques»), créé en février 1997. Son centre d’études eut rapidement une activité éditoriale. Dès l’alternance de 1998, ses analystes bénéficièrent d’une visibilité dans tous les médias électroniques importants et du monopole de l’analyse politique. L’influence des organisations et des think tanks américains sur l’IVO fut importante. Plusieurs projets et publications furent conduits avec le German Marshall Fund, avec le National Endowment of Democracy ou l’Institut républicain international (IRI).
Moins directement lié aux formations de la droite slovaque, mais appui constant des politiques européennes et atlantiques des gouvernements de droite, la Slovak Foreign Policy Association (SFPA) fut le premier think tank d’envergure sur les questions de politique étrangère. Créé en 1993, il affichait comme objectif d’arrimer la Slovaquie aux États démocratiques européens. Actrice, ancienne ambassadrice tchécoslovaque en Autriche (1990-1992), Magda Vášáryová fut la présidente de son conseil d’administration de sa création à 2000, avant de reprendre une carrière diplomatique (ambassadrice en Pologne de 2000 à 2005) puis politique dans la SDKÚ (secrétaire d’État aux Affaires étrangères après 2005, candidate à la présidence de la république en 2004, secrétaire d’État aux Affaires étrangères après 2005, puis candidate à la mairie de la capitale en novembre 2010). Dès 1995, la SFPA s’était dotée d’un centre de recherche puis, en 1999, d’un réseau de clubs de débats (Junior Debating Clubs), actif dans plusieurs villes de Slovaquie.
Plus proche du KDH et du DS, l’Institut conservateur M.R. Štefánik (IK), créé en 1999, combinait une vision conservatrice de la société avec une approche libérale en matière économique. Il entretenait des liens étroits avec l’IVO. Comme l’écrivent Bútora et Gyárfášová dans une publication de l’IVO, «alors que la plupart des auteurs et experts de l’Institut conservateur sont plutôt sceptiques ou critiques à l’égard de l’approfondissement de l’intégration à l’intérieur de l’Union européenne, à l’égard de son modèle obsolète d’État-providence, de ses structures bureaucratiques et de son incapacité et/ou de son manque de volonté à partager le fardeau des dépenses militaires, etc., ils [les membres de l’IK] sont, à l’instar d’autres autorités conservatrices en Amérique et ailleurs, de fervents partisans du concept américain de liberté, des droits individuels et du libre marché7», qu’ils opposent fréquemment aux «tendances paternalistes et socialistes» de l’Europe.
D’autres ONG d’orientation libérale développent un discours plus militant. Leur influence se concentre sur les jeunes et les étudiants. C’est le cas de Pravé Spektrum, dont le credo est explicite : «Bien que le socialisme et le communisme aient échoué parce que la réalité les a submergés, leurs dérivés soft continuent d’exister : politiquement correct, discrimination positive, libéralisme de gauche, féminisme, environnementalisme, corporatisme, antiaméricanisme, antisémitisme, sécularisme intolérant, pacifisme, droit-de-l’hommisme, antiglobalisation, européisme. Alors que le commu- nisme voulait détruire la famille, la religion et la propriété directement et rapidement, les “ismes” en question le font lentement et subtilement. […] Pravé Spektrum veut combattre contre les artilleurs du relativisme moral et réveiller les bonnes et éprouvées valeurs conservatrices. La prospérité de la Slovaquie ne peut se construire que sur le fondement d’une économie de marché sans adjectif, le patriotisme civique et la conscience que la véritable liberté est avant tout la force de caractère. Ce n’est que sur cette base que l’on peut choisir ce qui est moralement juste8.»
Parmi les autres groupes et associations les plus libérales et conservatrices, à défaut d’être significatives, l’Institut pour une société libre (www.isloboda.sk), ouvertement friedmanienne, ou le Ronald Reagan Conservative Club entretiennent des liens avec certaines composantes de la SDKÚ-DS ou du KDH.
Outre les think tanks politiques, indispensables viviers de la droite slovaque en construction, les think tanks économiques jouèrent aussi un rôle de premier plan dans la structuration et le renforcement de la droite slovaque, en particulier de son aile la plus libérale. L’analyste d’IVO Grigorij Mesežnikov estime qu’ils furent décisifs dans le maintien des possibilités de réforme dont ils se firent les avocats, «persuadant l’opinion que les mesures de réformes étaient nécessaires9». Leur autre succès fut d’être associés aux décisions prises et d’être invités à les mettre en œuvre. D’abord contrepoids au gouvernement Mečiar, ils intégrèrent en effet les ministères et les administrations, prudemment jusqu’en 2002, puis plus rapidement au cours de la législature suivante. Entre 1998 et 2006, plusieurs ministres et secrétaires d’État en étaient directement issus 10. Après les élections de juin 2010, certains revinrent au gouvernement ; d’autres, formés au début des années 2000 et très impliqués dans les réflexions économiques entre 2006 et 2010, firent leur entrée à plusieurs postes stratégiques.
Dans le domaine économique, la première structure, durable et influente fut le MESA10. Créé en 1992 et transformé en association en 1997, il comptait parmi ses membres fondateurs, outre Mikuláš Dzurinda, Ivan Mikloš, František Šebej, Viktor Nižňanský ou Ján Langoš, tous futurs ministres. Les analyses et matériaux fournis par MESA10 constituèrent une ressource importante pour les réformes structurelles menées par les gouvernements slovaques entre 1998 et 2006. Au cours de la période 2006-2010, l’association se positionna en protectrice des réformes, justifia leur «pertinence » et leur « caractère indispensable». L’association considère désormais «indispensable de protéger la nature des réformes et les succès qu’elles ont connus en participant activement aux améliorations systémiques et en les protégeant des velléités de régulation venant de l’Union européenne11».
L’Ineko (Inštitút pre ekonomické a sociálne reformy, « Institut pour les réformes économiques et sociales»), créé en octobre 1999, joua également un rôle important. Cette fondation promeut les réformes systémiques, la réduction de la sphère d’intervention de l’État et est favorable à une plus grande dérégulation des secteurs sanitaire et scolaire. Elle évalue les programmes des différents partis à l’occasion des élections législatives. Ces évaluations valorisent les programmes économiques et sociaux de la SDKÚ-DS (et du SaS12 en 2010), qualifiés de «programmes les plus acceptables» pour le développement économique slovaque. À l’instar du MESA10, l’Ineko est proche de la SDKÚ-DS, proximité revendiquée et qui s’est traduite en juin 2010 par la candidature d’Eugen Jurzyca, son directeur jusqu’en septembre 2009, sur les listes SDKÚ-DS. L’Ineko fut à l’origine d’une plate-forme appelée «Évaluation des mesures économiques et sociales», efficace en termes de lobbying et de formatage du discours public. Son objectif est de «promouvoir la transformation économique et sociale, [d’]influencer la conscience de l’opinion et [d’]augmenter son acceptation des mesures et politiques». Cette plate-forme associe économistes, journalistes, chercheurs et entrepreneurs qui partagent cet objectif. L’Ineko a également participé, en octobre 2001, à la création d’une autre structure, l’Institut pour une bonne gouvernance (litt. «pour une société bien administrée», Inštitút pre dobre spravovanú spoločnosť), d’inspiration libérale, essentiellement consacrée à la réforme de l’administration publique et au soutien aux processus de réformes des allocations de ressources aux services publics.
L’un des derniers think tanks, créé en janvier 2006, est l’Iness (Institut of Economics and Socials Studies). Il analyse le fonctionnement et le financement du secteur public, évalue les effets des modifications législatives sur l’économie et la société. Ses statuts affirment que son but est d’«accroître la conscience du public à l’égard des principes de fonctionnement des mécanismes de marché, des effets des interventions d’État et de leur impact sur la vie de tous les jours». L’Iness agit essentiellement comme un pourfendeur des interventions de l’État. Ainsi, le projet «Le Coût de l’État», lancé en décembre 2006, réunit-il sur un site l’ensemble des dépenses publiques. Pendant de cette opération, une affiche actualisée annuellement intitulée «L’Univers des dépenses publiques», est distribuée dans tous les établissements d’enseignement supérieur et accompagnée d’un cédérom (voir www.cenastatu.sk).
Parmi les autres fondations discrètes mais efficaces, la Fondation F.A. Hayek, créée en 1991 pour diffuser la réflexion libérale en Slovaquie, a vu son influence croître au milieu des années 2000. Le passage de ses principaux animateurs vers les responsabilités politiques est plus récent : son dernier secrétaire, Martin Chren, était sixième sur les listes de SaS en juin 2010. L’ancien président de son conseil d’administration, Ivan Švejna, est actuellement vice-président du parti Most-Híd13. Son actuel président, Jan Oravec, avait pour sa part été candidat du SaS lors des élections européennes de 2009.
La structuration selon un axe droite-gauche et ses limites (2002-2010)
Andrej Salner, « ekonomika », in Grigorij Mesežnikov, oľga Gyárfášová, Miroslav Kollár (dir.), slovenské voľby Výsledky, dôsledky, súvislosti, Bratislava, iVo, 2003, p. 225-238.
En 2002, les programmes des formations de droite prévoyaient dérégulation des prix, allègement du système de protection sociale et participation plus importante des citoyens au financement des services publics (santé, école…). Le discours préélectoral des formations de droite fit l’impasse, sauf exceptions, sur les conséquences sociales de ces réformes, même si certains s’aventurèrent à prévoir une baisse provisoire du niveau de vie général de la population14. Le thème des réformes (très présent quatre ans plus tard) ne fit pas l’objet d’un large débat. Certains dossiers importants furent peu discutés (la flat tax, notamment). Les formations de droite avaient plus à gagner à utiliser le risque d’une mise à l’écart sur le thème «euro-Atlantique». La victoire de 2002 se joua bien plus sur le risque d’un retour de la Slovaquie au «trou noir» de 1997-1998 que sur les transformations économiques et sociales.
Un gouvernement réformateur de centre droit
siTa, 8 octobre
Le programme gouvernemental de 2002 traduisait la plus grande homogénéité et la priorité réformatrice de la nouvelle coalition. Les postes fondamentaux étaient détenus par sa fraction la plus libérale : le ministre de l’Économie et des Finances (réunifié) était Ivan Mikloš, le ministre du Travail et des Affaires sociales, Ľudovít Kaník (à l’époque président du DS), tandis que le ministère des Postes et Télécommunications était attribué à Pavol Prokopovič et celui de la Santé à Rudolf Zajac. Les quatre formations gouvernementales de 2002 s’accordèrent sur un programme de réformes dont les principes étaient les suivants15: un «État amaigri, peu coûteux et efficace», «débureaucratisé» après un «audit de toutes les administrations, partant de la présomption d’inutilité». Ils entendaient poursuivre les réformes, et notamment achever la décentralisation, préparer la réforme des collectivités locales, diminuer le déficit des finances publiques pour entrer dans les critères du pacte de stabilité en fin de législature, achever les réformes de structure du système social, de l’école, de la santé, de l’agriculture et de la justice, diminuer les entraves administratives sur les entreprises, soutenir la libéralisation et le développement d’un environnement concurrentiel par branche d’activité, créer les conditions favorables au développement des PME, développer une stratégie économique prioritairement sur les régions plutôt que sur les branches, déréglementer les secteurs des postes, transports et télécommunications.
Outre les réformes structurelles, la législature 2002-2006 fut marquée par des difficultés croissantes entre partenaires de la coalition, l’opposition entre une vision très confessionnalisée de la société slovaque et une position plus sécularisée. Entre 2002 et 2006, ce clivage parcourut la coalition dont la SDKÚ était le point d’équilibre. Un conflit permanent exista entre le KDH et l’ANO. Il portait sur la question de l’IVG qu’un projet de l’ANO entendait libéraliser, et également autour de l’introduction d’un partenariat proche du modèle du Pacs français – soutenu par l’ANO et rejeté par le KDH – ou sur les questions relatives au divorce.
La législature fut également marquée par la poursuite des transformations (moins radicales) de l’espace politique de la droite slovaque, avec scissions et tentatives de tirer profit des difficultés de la SDKÚ empêtrée dans des affaires de corruption. L’ANO, qui s’était construit sur la dénonciation de la corruption et de l’affairisme, fut broyé par son manque patent d’indépendance autant que par la personnalité incontrôlable de son président, Pavol Rusko, et disparut en 2005. Deux autres partis créés dans l’espace de centre droit, le Forum libre (Slobodné Forum, SF), à partir d’une scission de la SDKÚ, et Nádej (Espoir), créé par d’anciens membres de l’ANO, ne parvinrent pas à entrer au Parlement lors des élections de 2006. Enfin, en 2005, la SDKÚ absorba le DS et devint SDKÚ-DS.
Le bilan mitigé de 2006
Dušan Zachar (dir.), reformy na slovensku 2004-2005. Hodnotenie ekonomických a sociálnych opatrení [Les réformes en slovaquie 2004-2005. Évaluation des mesures économiques et sociales], Bratislava, ineko, 2005
Dušan Zachar (dir.), op, cit., p. 18.
Po štyroch rokoch. analýza plnenia programových zámerov politických strán v rokoch 2002-2006 v ekonomickej, sociálnej a politickej oblati [après quatre ans. analyse de l’accomplissement des objectifs pro- grammatiques des partis politiques au cours des années 2002-2006 dans les domaines économique, social et politique], Bratislava, Fondation F. a. Hayek, 2006, p. 13.
Po štyroch rokoch, op. cit., p. 13.
Ibid, p. 17
Ibid, p. 22
Ibid
Voir aussi Miroslav Kollár, Martin Bútora (dir.), Predsavzatia a skutočnosť ii, Bratislava, iVo, 2006.
source : slovensko pred voľbami, iVo, avril 2006
Daniel Bútora, « Čo boli témy volieb » [quels étaient les thèmes des élections], .týžde, no 23/2010 (6 juin 2010).
Du point de vue des think tanks qui avaient servi à armer politiquement la SDKÚ en 2002, les résultats obtenus par le second gouvernement Dzurinda (2002-2006) étaient mitigés. Certes, comme le soulignait Ineko dans sa volumineuse évaluation des réformes de 2005, «au cours de la période, la Slovaquie a obtenu le label de pays réformateur. De nombreuses institutions internationales et médias étrangers affirment que la Slovaquie est devenue “le tigre des réformes”, “le paradis des investisseurs”, “le pays le plus réformateur de la région”. Le plus souvent, les experts approuvent la réforme fiscale, la réforme des retraites, la réforme du marché du travail et celle des finances publiques16». Dans le même temps, le rapport soulignait qu’«il est naturellement encore trop tôt pour juger des retombées des réformes économiques sur la qualité de vie des citoyens17», mais surtout que les difficultés politiques connues à partir de 2004 – fragilisation de la majorité – avaient empêché la réalisation complète de certaines réformes prévues. C’est la raison pour laquelle, le bilan du gouvernement Dzurinda 2002-2006 établi par Ineko ou par la Fondation Hayek n’était pas exempt de critiques.
Les think tanks estimaient que les objectifs du gouvernement avaient été atteints en matière de finances publiques : baisse de la dette, réduction des déficits, amélioration de la notation et mise en œuvre de changements systémiques dans la direction des finances publiques. Ce constat positif n’empêchait pas la Fondation Hayek de critiquer le manque d’ambition gouvernementale. La critique était moins vive en matière fiscale. L’introduction de la flat tax était qualifiée de «plus grand succès de la politique économique du gouvernement18», même si des manques et des améliorations étaient encore possibles, notamment par nouvelle simplification de l’imposition directe. Restait la critique partagée de l’absence de réforme du système de charges. Sur ce point, la Fondation Hayek en appelait à une «réforme radical 19».
Le bilan était plus mitigé sur d’autres points. Les mesures destinées à favoriser l’environnement entrepreuneurial étaient jugées insuffisantes. Tout juste le rapport de la Fondation Hayek concédait-il que l’ambiance était désormais plus favorable à l’entreprise privée. Mais il soulignait que les investisseurs étrangers avaient été beaucoup trop soutenus, au détriment de l’amélioration du cadre législatif des entrepreneurs slovaques, ainsi que le besoin d’«écarter la trop importante bureaucratie et la régulation20». La frilosité gouvernementale concernait également la réforme du système de retraite. Si l’introduction du troisième pilier – assurance privée obligatoire – était qualifiée de «plus grand succès du gouvernement», plusieurs mesures relatives au système de retraite garanti par l’État étaient jugées « pas très heureuses21». Il s’agissait en particulier du rôle de l’État dans le premier pilier, critiqué pour être trop éloigné de celui qui était prévu initialement, à savoir «une solidarité minimale22». Le rapport de la Fondation Hayek se félicitait néanmoins de l’accroissement de la possibilité d’utiliser des produits financiers pour assurer individuellement la retraite. Des critiques du même ordre étaient exprimées quant à la réforme du système de santé.
Deux domaines faisaient l’objet de critiques plus appuyées. Tout d’abord, celui de l’aide sociale et du chômage. L’introduction de nouveaux mécanismes de protection sociale y était très critiquée. Même si la Fondation Hayek se félicitait de la distinction opérée entre chômeurs «passifs» et «actifs», elle jugeait que la législature finissante n’avait en rien réglé les problèmes liés au financement du système d’aide sociale. D’autre part, la réforme de l’administration publique, si elle était jugée satisfaisante dans son volet transfert de compétences de l’État vers les régions, n’avait pas mis fin au problème de la trop grande bureaucratie régionale et à celui de l’augmentation du nombre d’employés dans ces administrations – qui avaient vu leur périmètre d’intervention augmenter de façon substantielle.
Une grande partie des critiques portées par la Fondation Hayek ou par Ineko fut prise en compte dans les programmes de 2006 de la SDKÚ-DS, et plus encore dans ceux de 2010 (SDKÚ-DS et SaS, notamment), et intégrée dans le programme de gouvernement d’août 2010 (voir infra).
Si les think tanks accompagnant les réformes jugeaient le bilan du gouvernement Dzurinda mitigé ou hésitaient entre satisfécits décernés pour la vigueur du rythme, déception devant l’absence d’ambition de certaines, et incitations à aller plus loin dans la transformation du cadre législatif23, les études de l’IVO montraient que la population slovaque portait une appréciation très largement négative sur la plupart des réformes clés de la législature. Ces études indiquaient un rejet très fort, dépassant tous les clivages partisans, de la réforme du système de santé, une adhésion fort limitée aux réformes, dont l’impact immédiat ou à terme sur le niveau de vie était perçu comme négatif (retraites, régime de prestations sociales), et un accueil mitigé des réformes de structures (décentralisation) ou même d’une réforme considérée comme le pilier de la politique économique, celle de la fiscalité24.
Avec quatre années de recul, l’éditorialiste de l’hebdomadaire de centre droit .týžde pouvait écrire que «le gouvernement Fico n’est arrivé au pouvoir en 2006 qu’à cause de la fatigue à l’égard du gouvernement réformateur de Dzurinda (mais aussi de la corruption), mais également parce que l’un des thèmes de campagne fut la “question sociale”25».
Les législatives de 2006 : contexte et programmes des droites slovaques
Vladimír Pčolinský, antónia Štensová, « slovak Parliamentary elections 2006 », středoevropské politické studie, roč.9, č. 2-3, 102-113.
source : <http://www.sdku-ds.sk/content/volebny-program-2006>. Pour une analyse de ce programme, voir notamment Juraj Marušiak, « slovenská demokratická a kresťanská únia – Demokratická strana – analýza volebného programu », 6 juin 2006
[www.kdh.sk]. Pour une analyse détaillée du programme, voir Juraj Marušiak, « KDH – analýza voleb- ného programu », 21 mai 2006
Andrej Hlinka (1864-1938), prêtre et homme politique, figure historique controversée de l’autonomisme slovaque
En 2005 la sDKÚ a absorbé le Ds et changé son nom en sDKÚ-Ds (voir infra,p. 00).
Alors que le thème des réformes avait été en partie masqué en 2002, au profit du débat sur la suite des processus d’intégration et en raison du bilan très mitigé du gouvernement sortant, il fut donc au cœur de la campagne de 2006, la première au cours de laquelle le clivage droite-gauche fut assumé comme tel par les grandes formations parlementaires. Le clivage se fit entre les deux principales formations appelées à former un gouvernement, SDKÚ-DS, à droite, et Smer-SD, à gauche. Le premier défendait ses réformes et les bénéfices internationaux que la Slovaquie en avait tirés26; tandis que le second avait beau jeu d’utiliser le thème de leur impact social, de la corruption et des scandales qui avaient éclaboussé le gouvernement.
Malgré les critiques, la SDKÚ-DS pouvait à certains égards se targuer de «succès» qui constituèrent le cœur de sa campagne 2006. L’invocation de ces «succès» renvoyait en même temps à 1989 et à l’après-1998. Tout en défendant fermement le bilan des réformes menées, il inscrivait SDKÚ-DS dans l’histoire de la Slovaquie postcommuniste, soulignait le besoin de continuité et promettait les succès à venir. Au-delà du bilan, il en appelait à l’achèvement des réformes. Plus encore qu’en 2002, la SDKÚ-DS insista sur une «expertise», une crédibilité et un professionnalisme dont attestait le volume de son programme (près de soixante-quinze pages27). En 2006, la SDKÚ-DS avait opéré un glissement par rapport à 2002. La dimension libérale et dérégulatrice dominait. Elle pouvait tirer profit de l’absence de formations sur ce segment électoral après l’effondrement de l’ANO et se démarquer plus clairement du KDH. Cette évolution reposait également sur son évolution interne et sa plus grande cohérence après ses différentes recompositions.
En 2006, comme en 2010, les priorités étaient économiques et portaient sur l’amélioration de l’environnement entrepreneurial, l’investissement dans les hommes et l’éducation, le soutien à l’innovation, à la science et à la recherche, et le développement de la société de l’information. Une politique fiscale définie comme simple, efficace et neutre devait appuyer le développement de ces secteurs. La SDKÚ-DS entendait également moderniser l’administration d’État par le renforcement de l’outil électronique et prévoyait la disparition ou le regroupement de plusieurs agences publiques, «l’objectif des changements proposés [étant] la diminution de la bureaucratie».
En matière familiale, le programme de la SDKÚ-DS restait très général. Il se prévalait du soutien à l’activité et à l’emploi plutôt qu’aux dispositifs de soutien aux personnes exclues du marché du travail, et considérait qu’il fallait s’abstenir d’une «régulation disproportionnée des relations sociales». Dans l’ensemble, il accordait peu d’importance au problème de l’emploi et à la politique sociale. Cette place marginale s’explique par la croyance, exprimée à plusieurs reprises, que le libre développement de l’activité économique est, per se, un gage de prospérité. Dans le domaine de la santé, le programme 2006 souhaitait augmenter l’efficacité du système de soins par une meilleure affectation des ressources publiques et reprenait plusieurs recommandations des think tanks en proposant une combinaison des principes de solidarité et de «responsabilité individuelle à l’égard de sa propre santé». Détaillé dans plusieurs domaines, le programme 2006 du SDKÚ-DS découlait de l’agenda du gouvernement sortant, adapté aux critiques exprimées par les think tanks. L’ensemble de ces éléments se retrouva en 2010.
De son côté, pour la première fois en 2006, dans son programme «Pour une vie digne en Slovaquie28», le KDH insistait sur sa dimension historique et se réclamait d’un double héritage politique : celui de Ján Čarnogurský et celui d’Andrej Hlinka29, manière de se revendiquer d’un triple héritage patriotique, catholique et démocratique. Il soulignait la stabilité du KDH et se réclamait des combats pour la liberté et des changements politiques de 1989. En 2006, le programme du KDH se caractérisait par sa forte proximité avec celui de la SDKÚ sur les questions économiques et sociales. La partie économique, moins développée qu’en 2002, se limitait à l’énonciation de certains principes et priorités : poursuite de la politique de diminution du déficit budgétaire, maintien du taux unique pour les impôts directs et unification du taux de TVA, refus catégorique d’une unification fiscale européenne – il envisageait de faire voter une «déclaration sur la souveraineté fiscale de la SR».
Les points forts au cœur du programme démocrate-chrétien se trouvaient dans d’autres secteurs. En premier lieu dans la défense de l’État de droit et de la sécurité intérieure (traités ensemble), éléments récurrents du discours du KDH, renforcés par la crédibilité acquise avec les fonctions occupées au ministère de la Justice et de l’Intérieur depuis 1998, et appuyés par un slogan durable du parti : «Droit et ordre ». En outre, la défense de la famille conçue comme la «communauté naturelle» conservait une place de choix dans un programme qui renvoyait à plusieurs reprises à la responsabilité individuelle et familiale, ainsi qu’à la solidarité intergénérationnelle. Le KDH envisageait également l’adoption d’une loi constitutionnelle pour prémunir les droits de la famille slovaques contre «les attaques des organisations internationales». Cette défense de la famille justifiait toute une série de mesures financières d’inspiration natalistes.
La configuration parlementaire issue des élections législatives de 2006 et les hypothèses de formation de coalition montrèrent que le clivage droite-gauche n’était pas encore clair. En effet, les deux principales forces de gauche (Smer-SD) et de droite parlementaire (SDKÚ-DS30) purent envisager des coalitions le dépassant. Le Smer-SD, avec le KDH et la SMK, deux formations au gouvernement depuis 1998 ; la SDKÚ-DS, avec ses partenaires classiques (KDH et SMK), auxquels se serait joint le ĽS-HZDS de Vladimír Mečiar. C’est le refus du KDH de former une coalition de ce type, le refus de coopérer avec le ĽS-HZDS, qui provoqua la formation du gouvernement Smer-SD – ĽS-HZDS – SNS de Róbert Fico et le passage dans l’opposition de toutes les formations de la coalition sortante.
Le retour au pouvoir des droites slovaques
source : iVo, slovensko pred voľbami, 12 mars 2010, p. 11
À la veille des élections de 2010, l’appréciation portée sur les perspectives de développement de la Slovaquie était plus favorable que quatre ans auparavant. Les clivages entre formations gouvernementales et d’opposition étaient forts, même s’ils étaient moins marqués que dans les années 1990 ou dans la première moitié des années 2000. D’autre part, malgré les affaires qui marquèrent la législature Smer-SD – ĽS-HZDS – SNS, la confiance à l’égard des principales institutions du pays s’était renforcée au cours de cette période.
L’étude sur les inquiétudes des Slovaques face aux difficultés sociales et économiques laissait apparaître une perception d’amélioration de la situation personnelle et générale du pays jusqu’en 2008, et une brusque dégradation de celles-ci à partir de cette date. En 2010, par suite des effets de la crise économique, l’amélioration sensible de la perception des possibilités d’emploi, de fonctionnement du système de soins, de la baisse de la criminalité et de la corruption, de la justice sociale et de la sécurité des citoyens s’était dégradée par rapport à 2008, même si elle restait plus positive qu’à la fin de la législature précédente31.
Parmi les thèmes de campagne importants qui traduisaient et reflétaient la structuration de l’axe droite-gauche figuraient la situation de la zone euro après la crise grecque, la situation des finances publiques et les solutions adéquates pour y faire face. Autre sujet important, la question de la sécurité sociale, en particulier des anticipations de vieillissement de population, ne fut pas traitée dans toute sa complexité avant comme après 2006. Autrement dit, la question des finances publiques et des mesures destinées à relancer l’activité était au centre des préoccupations. Les formations de droite proposaient des solutions puisées dans les analyses et critiques des principaux think tanks.
Les programmes des droites slovaques
Pre silnejšiu strednú vrstvu, pre moderné slovensko [Pour une classe moyenne plus forte, pour une slovaquie moderne], Programme de la sDKÚ-Ds 2010, 44p
sur ces points, voir Grigorij Mesežnikov, «analýza volebných programov (sociálne otázky): Čo navrhujú opozičné strany» [analyse des programmes électoraux (questions sociales) : que proposent les partis d’opposition], 11 mai 2010
Cesta pre slovensko [Une voie pour la slovaquie], programme du KDH 2010, 66p
120 nápadov pre lepší život na slovensku [120 idées pour une vie meilleure en slovaquie
iNess známkoval volebné programy, Priloha, Bratislava, 2010, 7 p.
ibid., p. 3.
ibid., p. 4-5.
Dans l’introduction de son programme, la SDKÚ-DS 32 se rattachait à la conception de «l’État moderne comme État de services sociaux et publics de qualité». Même comparée à 2006, l’évolution de son contenu était sensible : sur le fond, les mesures préconisées postulaient une très importante réduction du périmètre d’intervention de l’État, les services assurés voyant leur qualité reposer sur l’introduction d’opérateurs privés mieux à même de les assurer 33. L’invocation de la souplesse et de la «soutenabilité» du développement de l’économie slovaque accompagnait un discours libéral qui empruntait aux thèses du SaS, tout en les amortissant par des propositions en matière sociale et de solidarité «qui ne condui[sen]t pas à la dépendance et aux abus, mais [sont] fondée[s] sur une aide suffisante pour ceux qui sont objectivement désavantagés et ne peuvent s’aider seuls». La SDKÚ-DS confirmait sa fonction de point de rencontre ou d’équilibre entre les thèmes sociaux et familiaux des démocrates-chrétiens, et le tropisme libéral d’une partie de son électorat le plus urbain et éduqué qui voit dans l’intervention de l’État un anachronisme et un frein au développement de l’activité.
Dans son programme, le KDH34 consacrait une large place à la politique économique et à l’amélioration de l’emploi aux fins de croissance économique par l’amélioration de l’environnement entrepreneurial, l’«adoucissement» du code du travail, la baisse des charges sociales, le développement des services sociaux différenciés pour les différents groupes de population, l’augmentation de l’incitation au retour à l’emploi des chômeurs de longue durée et la révision des règles relatives à la retraite anticipée et l’amélioration du système de retraite à trois piliers – sur ce point, le KDH penchait plus vers la solidarité que vers le «mérite» et proposait de soutenir une «juste valorisation des retraites». Il consacrait par ailleurs une place importante à la politique familiale et proposait plusieurs séries de mesures : défiscalisation des «investissements dans l’avenir» (éducation, épargne) réalisés par les familles, un bonus fiscal de 100% jusqu’à la sixième année de chaque enfant, la défiscalisation complète des revenus des nouveaux mariés, le congé paternité, ainsi que le départ à la retraite modulé en fonction du nombre d’enfants.
Le programme du KDH, fondé sur les principes de solidarité mais mis en œuvre de manière à répondre aux impératifs d’extension de l’espace concerné par les mécanismes du marché, rejoignait celui de Most-Híd, qui accordait par ailleurs une large place à la thématique du chômage, très aiguë dans les régions mixtes du sud de la Slovaquie. Pour sa résolution, Most-Híd, à l’instar de ses partenaires, proposait une baisse des charges et l’«adoucissement» du code du travail.
Le programme électoral du SaS, ses «120 idées35», confirmait quant à lui son adhésion aux thèses libertariennes, son hostilité radicale à l’égard de toute intervention de l’État et sa croyance en la supériorité des règles du marché. Il était budgété en fonction des coûts ou des gains qu’il impliquait pour les finances publiques. On retrouva dans la déclaration programme d’août 2010 un grand nombre des propositions économiques du SaS (voir infra).
Les programmes des quatre formations de droite et de centre droit présentaient des points d’accord sur les priorités et sur certains grands thèmes de la politique économique et sociale, en particulier sur la consolidation du deuxième pilier du système de retraite, la pluralité du système de services sociaux, l’«adoucissement» du droit du travail, la diminution des charges, l’amélioration de l’environnement entrepreneurial comme condition de la baisse du chômage ou la solidarité avec les groupes défavorisés. Mais alors que la SDKÚ-DS – et à moindre degré le KDH – s’étaient appropriés nombre des critiques sur les insuffisances des réformes menées entre 2002 et 2006, un autre think tank, l’Iness, entreprit de «noter» les programmes des différents partis pour les élections de 201036. L’approche est rigoureusement friedmanienne et les critiques sévères pour certains partis de droite (SDKÚ-DS et KDH), autant que le satisfecit général envers le SaS.
L’Iness considérait que les mesures proposées par le KDH allaient à l’encontre de l’objectif de réduction des déficits publics. Des critiques sévères étaient portées contre les propositions destinées à améliorer l’environnement entrepreneurial. L’Iness soulignait notamment que le choix « de soutenir de manière différenciée certains secteurs – tourisme, laiteries… – déformait les relations de marché » et rendait ces secteurs «artificiellement inefficaces». Le programme de réduction des déficits publics de la SDKÚ-DS ne convainquait pas plus l’Iness, qui critiquait aussi le soutien à l’environnement entrepreuneurial dans certains de ses aspects : «Il soutient la déformation de l’environnement de marché par le renouveau des stimuli à l’investissement pour les investisseurs dans les régions à chômage élevé37.» En revanche, l’Iness se réjouissait des mesures de flexibilité, de diminution du rôle des syndicats, de la diminution et de l’harmonisation des taux des charges sociales. Le seul parti qui trouvait grâce aux yeux de l’Iness pour les secteurs analysés était le SaS. Les mesures qu’il proposait étaient jugées «adéquates38». Beaucoup d’entre elles furent effectivement intégrées dans le programme gouvernemental d’août 2010.
Les élections de 2010
Les élections de 2010 furent les plus indécises de l’histoire de la République et se conclurent par un apparent paradoxe : le Smer-SD continuait sa progression en voix, mais ne put former un gouvernement, charge qui revint à la SDKÚ-DS en dépit de son revers en termes de suffrages. Les raisons de cette situation sont à trouver dans la poursuite de l’évolution de l’espace politique slovaque et dans la disparition du principal parti des années 1990, le ĽS-HZDS, qui passa sous le seuil des 5%. Privé d’un de ses partenaires potentiels, le Smer-SD ne pouvait s’assurer une majorité face à des formations de droite qui progressaient peu en voix, mais bénéficiaient de la nouvelle configuration du Parlement et de leur complémentarité programmatique. Trois des quatre formations de droite restaient à leur niveau traditionnel, mais étaient rejointes par une nouvelle formation, le SaS, qui recueillit plus de 12% des suffrages et s’imposa comme la deuxième formation de droite. Ces élections furent donc l’occasion de certaines recompositions dans l’électorat des droites slovaques, dont il se confirme qu’il est durablement traversé par un clivage qui oppose libéraux et conservateurs sur les questions de société tout autant qu’il est homogène sur les grands choix économiques.
Outre les deux formations désormais stabilisées, SDKÚ-DS et KDH, ces élections permirent à deux nouvelles formations de faire leur entrée au Parlement et de participer au gouvernement formé par Iveta Radičová : Liberté et Solidarité (SaS) et Most-Híd. Toutes deux de création récente, elles occupent des espaces politiques identifiés de longue date : SaS s’adresse à la fraction libérale de l’électorat slovaque, qui avait pu voter pour la SDKÚ ou l’ANO en 2002 et qui s’était divisée sur des petites formations en 2006 ; Most-Híd, groupé autour de Béla Bugar, l’ancien président de la SMK, personnalité très respectée de la vie politique slovaque, entendait capter l’électorat magyar et le dépasser en s’associant aux conservateurs de l’OKS.
Le programme de gouvernement de 2010
Texte complet consultable sur : www.vlada.gov.sk/22864/programove-vyhlasenie-vlady-sr.php
Le nouveau gouvernement s’est placé dans une perspective de développement de l’emploi, de réduction du déficit des finances publiques et d’amélioration de l’environnement entrepreneurial. La déclaration gouvernementale de 2010 affirme : «La politique économique sera basée sur les principes de la liberté économique, de la concurrence et de l’égalité des chances, mais aussi sur une solidarité qui ne conduit pas à la dépendance et aux abus, mais est fondée sur une aide ciblée et efficace à ceux qui sont objectivement désavantagés et ne peuvent s’aider eux-mêmes39.» Le programme établit un lien entre «accroissement de la qualité de la vie» et «État amaigri et moderne qui fournit aux gens des services de qualité». Il annonce la poursuite de la «mise en ordre de l’administration publique».
La réduction du déficit des finances publiques est présentée comme le prérequis d’un développement durable de l’économie slovaque. L’objectif est de passer sous les 3% de déficit des finances publiques en 2013, grâce à des mesures de stabilisation des recettes et de diminution des dépenses. Le gouvernement prévoit par ailleurs la création d’une «institution indépendante légère qui contrôlera les finances publiques et informera régulièrement l’opinion publique». Elle sera dirigée par des «experts indépendants qui ne seront pas soumis à la pression d’un gouvernement, même populaire». Au niveau européen, le gouvernement slovaque se prononce pour l’adoption d’un mécanisme sur la banqueroute pour les États «qui poursuivraient des politiques budgétaires irresponsables». Enfin, le gouvernement entend préciser les règles fiscales pour les collectivités territoriales, notamment celles relatives à leur endettement, afin de sanctionner les «collectivités locales irresponsables». Il envisage enfin une refonte totale du système fiscal, avec une unification des administrations et des différents impôts, tout en conservant le principe de la «neutralité fiscale», et confirme son refus de toute harmonisation des politiques fiscales européennes.
Le programme gouvernemental rappelle par ailleurs que les «succès» avaient été salués par la Banque mondiale en 2005, qu’il souhaite faire revenir la Slovaquie aux premières places des pays accueillants pour les entreprises et annonce que les lois seraient désormais évaluées en fonction de leur efficacité pour l’entreprise et l’emploi, et que les «normes dont l’objet est de réguler le marché et d’influer sur les résultats des accords volontaires, comme la loi sur les entreprises stratégiques, le Code du commerce, etc.», seront abrogées. Reprenant les grands axes du programme de SaS, il présente l’administration, dans sa fonction de contrôle, comme un obstacle à l’activité économique. Il annonce son intention de modifier le code du travail pour permettre des « relations de travail plus souples et motiver les employeurs ». Dans ce domaine, la déclaration de gouvernement affirme : «Le gouvernement considère que les privilèges des syndicats sont injustifiés et, pour cette raison, étendra la possibilité de conclure des accords mutuels entre employeurs et employés afin de résoudre les changements opérationnels des conditions de travail.» Enfin, il reprend le programme du SaS quant aux accords de branches qui ne pourraient plus être appliqués aux entreprises «qu’avec l’accord de l’employeur», ainsi que la proposition du même SaS de «conditions assouplies d’exercice de la médecine du travail», le gouvernement devant faire en sorte de privilégier les accords individuels employeur-employé en la matière. Le programme gouvernemental affirme par ailleurs que le maintien et la création d’emploi sont freinés par deux facteurs – charges élevées et manque de souplesse du marché du travail – qui doivent faire l’objet de mesures qui ne sont pas précisées. Le programme gouvernemental consacre aussi une large place à la politique familiale, largement inspirée par le KDH et concentrée sur certains moments – naissance, mariage – ou situations familiales – meilleure harmonisation de la vie familiale et de la vie professionnelle avec dotations spécifiques aux services à la famille, adoption. Il insiste enfin sur l’urgence à trouver des solutions pour inciter au retour au travail des groupes marginalisés et garantir une meilleure intégration des handicapés. Il considère que le système d’aide aux plus démunis est démotivant et propose un système d’incitation – proche du RSA français –, appelé medzitrh práca («travail inter-marché»). Pour inciter à un retour au travail, le gouvernement annonce des baisses des charges pour l’emploi de chômeurs de longue durée et prévoit l’introduction de la concurrence dans les services de retour à l’emploi.
L’électorat des droites slovaques en 2010
Source : oľga Gyárfášová, Vladimír Krivý, Zora Bútorová, Výskum voličského správania na slovensku [Étude du comportement électoral en slovaquie], Bratislava, sociologický ústav saV et iVo, juillet 2010.
Par rapport à 2006, le noyau SDKÚ-DS et KDH apparaît stabilisé, malgré des gains très faibles sur les autres formations. Le SaS possède une base électorale assez large et est parvenu à attirer des électeurs de l’opposition comme de la majorité sortante. Ces élections ont confirmé des tendances antérieures : le KDH a un électorat significativement plus féminin, et la SDKÚ-DS confirme sa position dominante dans l’électorat diplômé du supérieur – en 2010, plus d’un cinquième de son électorat est diplômé du supérieur. Le SaS présente des caractéristiques proches – électorat jeune, urbain et diplômé. En 2010, le KDH a réussi une percée significative dans l’électorat diplômé – sans doute grâce à la personnalité de son nouveau président, Ján Figeľ –, mais il reste marqué par la dimension confessionnelle. Most-Híd, pour sa part, dispose d’un électorat très majoritairement magyar, mais 30% de ses électeurs ne sont pas magyars, ce qui constitue un résultat marquant. Les nouveaux électeurs ont été proportionnellement plus séduits par le SaS que par d’autres partis. Enfin, ces élections ont montré l’implantation du clivage gauche-droite. Une majorité d’électeurs de Most-Híd (53%) comme de la SDKÚ-DS (51%) se qualifie «de droite», pourcentage plus faible chez les démocrates-chrétiens (48%) et le SaS (45%).
L’examen des proximités partisanes confirme la position centrale de la SDKÚ-DS dans la droite slovaque et le lien privilégié entre la SDKÚ-DS et le SaS. Reste que l’appréciation mutuelle portée par les sympathisants de chaque formation à l’égard des autres partenaires laisse apparaître des frictions possibles, en particulier entre le KDH et le SaS. Ces éléments sont confirmés par les enquêtes réalisées pour évaluer l’attitude de chaque électorat sur des questions économiques, sociales et sociétales40. Sur le plan des principes de l’intervention de l’État ou de la responsabilité individuelle de chacun sur son niveau de vie, il existe une sépa- ration très nette entre deux blocs de la coalition. Les plus réticents à la «responsabilité de l’État» dans la garantie du niveau de vie sont les électeurs de SaS et de la SDKÚ-DS. Les électeurs de la SDKÚ-DS sont trois fois plus nombreux que les électeurs de Most-Híd à invoquer la responsabilité individuelle sur ce sujet. Sur le thème électoral majeur de l’«amélioration de l’environnement entrepreneurial», les positions sont plus homogènes, mais indiquent une forte réticence au sein de chacun des électorats (à l’exception de celui de SaS) à l’égard de l’affirmation selon laquelle «les employeurs devraient avoir les mains plus libres pour décider des conditions de travail et pour licencier leurs employés ». Ils sont entre 7% (KDH) et 17% (Sas) à approuver cette affirmation, et entre 28% (Most-Híd) et 39% (KDH) à affirmer que «les droits des employés doivent être renforcés».
Les différences sont plus spectaculaires sur les questions de société. C’est notamment le cas pour l’IVG : alors que les électeurs du SaS (66%) et de la SDKÚ-DS (63%) sont très favorables au «droit de la femme à décider si elle poursuit ou non sa grossesse», ceux du KDH sont 58% à considérer que « l’IVG ne doit être autorisé en aucune circonstance ». Les différences d’approche sont à peine moins marquées sur les «droits des homosexuels» : une majorité relative d’électeurs du KDH (48%) considère que «les homosexuels et lesbiennes feraient mieux de se taire et de ne pas exiger leurs droits» (opinion partagée par 19% des électeurs SaS et 17% des SDKÚ-DS), alors qu’entre un tiers et un quart des électeurs SDKÚ-DS et SaS considèrent comme «normal» que les homosexuels affirment leur orientation et exigent les droits y afférents. L’ensemble de l’étude établit la persistance de sujets de conflits potentiels au sein de la coalition. Ils portent sur des éléments fondamentaux de la doctrine de chacun des partenaires et peuvent avoir, à terme, des conséquences sur la solidité de la coalition.
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