I.

Introduction

II.

Le prolongement de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités

III.

Les enjeux du décret

IV.

Une réforme pour quoi faire ?

V.

Angoissante liberté

VI.

Calendrier et étapes de la réforme

VII.

Le cadre de réforme en matière de gestion des ressources humaines fixé par la loi LRU

VIII.

La France et le monde : le «statut» des universitaires en Allemagne et aux Etats-Unis

IX.

Discussion entre David Bonneau et Bruno Bensasson

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Notes

1.

Validé en conseil d’état le 21 avril 2009 et adopté en conseil des ministres le 2 avril 2009 ; décret n° 2009- 460 du 23 avril 2009 modifiant le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences et portant diverses dispositions relatives aux enseignants-chercheurs.

+ -

2.

Discours prononcé le 22 janvier 2009 devant les présidents d’université et les directeurs de grandes écoles et d’organismes de recherche, réunis au palais de l’élysée à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation (snri). dans ce discours, le chef de l’état a également et très clairement mis en avant la faiblesse du financement de la recherche par le secteur privé.

+ -

La réforme du statut des enseignants-chercheurs, issu d’un décret du 6 juin 1984, a provoqué, au début de l’année 2009, un mouvement de protestation qui a menacé d’emporter avec lui un ensemble de réformes du monde universitaire mises en œuvre depuis 2007 et qui avaient recueilli une très large approbation, y compris au sein de la communauté scientifique.

La présente note se propose d’analyser ce conflit.

Au-delà des conditions de présentation du projet de décret1 réformant le statut des enseignants-chercheurs et des déclarations du président de la République2, éléments qui  –  sans  conteste  –  ont  joué  un  rôle  dans  la protestation, cette note cherche à mettre en lumière ce qui apparaît comme une forte déconnexion entre les objectifs affichés par tous les détracteurs de la réforme et la réalité de leurs revendications et de leurs actions.

Cette analyse vise ainsi à montrer comment des évolutions faisant l’objet d’un large consensus au sein de la communauté nationale peuvent être remises en cause durablement – au risque de l’immobilisme et d’un effritement du positionnement international de notre pays –, pour des motifs étrangers à la réalité de l’action entreprise.

II Partie

Le prolongement de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités

Notes

3.

Les mouvements dans les universités n’ont d’ailleurs pas été suivis d’une réelle remise en question des positions des partis politiques sur ce dans sa lettre ouverte « université et l’enseignement supérieur :

le choix de l’émancipation », datée du 18 mars 2009, martine aubry plaide pour une « réduction du service d’enseignement » qui doit, selon elle, permettre, « périodiquement », aux « universitaires [de] se consacrer pleinement à la recherche ». Quoiqu’exprimé autrement, ce principe n’est rien d’autre que celui de la modula- tion que se propose de mettre en œuvre le projet de décret statutaire. ségolène royal et françois Bayrou ne remettent pas non plus ouvertement en cause ce principe ni d’ailleurs ceux qui sont mis en œuvre dans les réformes en cours. en témoignent les prises de position de ségolène royal mettant en avant la nécessité d’une

« autonomie véritable et [d’]un système d’évaluation collective » et estimant que la « liberté [pour les univer- sités] de choisir leurs enseignants » est une condition nécessaire « pour assurer de bonnes performances universitaires » (Libération, tribune libre, 3 avril 2009). en témoignent également les propos de françois Bayrou, qui se contente de rappeler son attachement aux principes d’évaluation nationale et de recrutement par concours (Le Monde, 5 avril 2009), principes qui eux non plus ne sont aucunement remis en cause par les réformes actuelles.

+ -

4.

M.Bouvard (UMP) et A.Claeys (ps), « rapport d’information déposé en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle (mec) sur la gouvernance des universités dans le contexte de la LoLf », n° 3160, proposition n° 13, 14 juin 2006.

+ -

5.

Id., ibid., proposition n° 13

+ -

6.

Ce « consensus » débordait même le terrain politique pour gagner le terrain social, comme en témoigne cet extrait du rapport de Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’assemblée nationale, sur le projet de loi de programme pour la recherche (février 2006) : « prenant acte de la spécificité de l’activité de recherche, la cfdt, rompant avec le sacrosaint principe de l’uniformité et de l’ancienneté, souhaite que les carrières valorisent mieux les compétences individuelles […]. À raison, la cfdt estime qu’une gestion fine des ressources humaines ne peut se faire qu’auprès des personnels concernés, établissement par établissement, et non dans le cadre d’une vaste politique nationale, génératrice de lourdeurs et dont l’expérience démontre que, même à effectifs constants, elle entrave toute forme de redéploiement » (J.-m. dubernard, « rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi, adopté par le sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche », n° 2888, assemblée nationale, 22 février 2006).

+ -

Non seulement ces principes figurent sans ambiguïté dans la loi, mais, surtout, ils n’ont pas fait l’objet de contestation lors de leur adoption.

L’étude des travaux des assemblées montre très clairement qu’à l’exception des parlementaires communistes et verts aucun groupe politique n’a souhaité revenir sur le principe de la modulation de service prévu par le projet de loi initial3 .

Ce principe – qui permet à un enseignant-chercheur de se consacrer davantage à la recherche ou davantage à l’enseignement selon ses priorités, ses compétences ou les « temps » de sa carrière, là où ce partage est aujourd’hui fixé de façon rigide par le statut – n’a d’ailleurs pas fait l’objet de discussions. Dans les faits, celles-ci se sont concentrées sur la possibilité offerte aux présidents d’université de recruter des enseignants contractuels – ce qu’au demeurant ils pouvaient déjà faire, sous certaines conditions – et d’attribuer des primes à leurs personnels selon des règles générales définies par le conseil d’administration de l’établissement.

La « contestation universitaire »,  et c’est à signaler, n’a donc pas, sur ce thème-là du moins, été précédée d’une revendication politique ni n’a véritablement trouvé de relais parlementaire avant d’entrer dans sa phase active. La raison en est simple. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, les trois principaux candidats en lice, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, avaient placé l’autonomie des universités au centre de leurs préoccupations.

Avant même la tenue du scrutin, l’Assemblée nationale, dans un rapport de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de sa commission  des finances4 – et dont les conclusions avaient fait l’objet d’un consensus entre majorité et opposition –, avait réclamé une réforme de l’enseignement supérieur, fondée sur le principe d’une plus grande autonomie des établissements. Selon les auteurs du rapport, cette autonomie devait nécessairement se traduire par une gestion décentralisée des personnels, laquelle prendrait la forme d’un « contrat de service pluriannuel entre l’université et chaque enseignant-chercheur », ce contrat « prévoyant la répartition [du temps de travail de ce dernier] entre [l’]enseignement, [la] recherche et [ses] autres tâches5  » – proposition qui, dans les faits, reprenait assez largement celle qui a été formulée par le « Rapport des états généraux de la recherche » de novembre 2004, qui mettait l’accent sur le couple modulation-évaluation : « Des mécanismes de réduction modulée du service pédagogique, propres aux universités, ou de détachement des enseignants-chercheurs dans les organismes, permettront [d’améliorer significativement les conditions permettant aux enseignants-chercheurs de faire de la recherche].  Pour  cela,  sera  prise  en  compte  l’évaluation de l’activité de recherche […]. Par ailleurs, les enseignants-chercheurs doivent bénéficier au cours de leur carrière de la possibilité de rééquilibrer leurs diverses missions (enseignement, recherche, encadrement pédagogique, administration). […] L’évaluation doit intégrer l’ensemble des activités des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Elle est systématique, approfondie et suivie de conséquences exécutives » (p. 7).

Autant dire que la nécessité de la réforme de même que ses grandes orientations ne souffrent guère de discussions au sein de la classe politique et, au premier chef, parmi les formations politiques de gouvernement6.

En revanche, chacun mesure les risques politiques que cette réforme comporte et continue de comporter, y compris depuis que la loi a été votée. Le risque pour le gouvernement était en effet d’autant plus grand que la voie  était  étroite  pour  l’élaboration  du  décret,  limitée  de  part  et d’autre par une loi précise dans les principes qu’elle fixe et par des garanties constitutionnelles très strictes.

Sauf à renoncer purement et simplement à réformer le statut des enseignants-chercheurs, ce qui revenait à amputer le projet d’autonomie des universités porté par la loi LRU d’une grande partie de sa portée – quelle autonomie sans levier d’action sur la gestion des ressources humaines ? –, le gouvernement disposait de peu de marge de manœuvre.

III Partie

Les enjeux du décret

Notes

7.

Loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur.

+ -

8.

conseil constitutionnel, décision n° 83-165 dc du 20 janvier 1984 : « … en ce qui concerne les professeurs, auxquels l’article 55 de la loi confie des responsabilités particulières, la garantie de l’indépendance résulte en outre d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république, et notamment par les dispositions relatives à la réglementation des incompatibilités entre le mandat parlementaire et les fonctions publiques […]. »

+ -

9.

décret n° 2008-333 du 10 avril 2008 relatif aux comités de sélection des enseignants-chercheurs, pris pour l’application des dispositions de la loi Lru réformant les procédures de recrutement des À l’occasion des concertations menées sur le projet de décret, certains avaient dénoncé le risque d’une mise en cause du principe d’indépendance des professeurs d’université ; le conseil d’état a considéré que le projet de décret qui lui était présenté par le gouvernement était conforme à ce principe.

+ -

10.

Les propos d’axel Kahn, président de l’université paris-V, apportent une réponse éclairante à la prétendue « toute-puissance » accordée aux présidents d’université par la loi Lru, en mettant en perspective le texte de la loi et la pratique qui en résulte ; après avoir précisé l’organisation retenue par son université pour évaluer ses personnels, il déclare : « on est loin du schéma du président d’université tout-puissant. Vous m’imaginez réa- lisant le profil de carrière de mes 1 900 enseignants-chercheurs ? » (propos recueillis par a. fleury, « Kahn : “Je suis prêt à démissionner !” », Le Journal du Dimanche, 15 février 2009.)

+ -

Ainsi, la question de l’indépendance des enseignants-chercheurs, soulevée par une partie de la communauté universitaire et qui a animé une partie des débats, est en réalité une fausse question, dépourvue de tout enjeu pratique.

Un gouvernement, quel qu’il soit, qui serait tenté de la mettre en cause – ce qui n’est pas le cas présentement – ne serait de toute façon pas en mesure de le faire puisqu’il s’exposerait au risque de l’inconstitutionnalité. Dans une décision parmi ses plus célèbres,  consécutive au vote de la loi dite « Savary »7 et connue de tous les universitaires, le Conseil constitutionnel a en effet consacré l’indépendance des professeurs des universités comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République8 » – principe que le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler, pour considérer qu’il n’y était fait aucune entorse, lorsqu’il a eu à examiner le projet de décret réformant la procédure de sélection des enseignants-chercheurs consécutif, lui aussi, à l’adoption de la loi LRU9. De la même manière, les prérogatives attribuées, en matière de gestion des personnels, au président de l’université – qui, il n’est jamais inutile de le rappeler, tient son élection du choix démocratique de l’ensemble de la communauté universitaire – découlent très strictement de la loi LRU. Celle-ci donne au conseil d’administration de l’établissement compétence pour définir les principes généraux de la modulation, mais laisse au président, qui a autorité sur les personnels – aux termes de dispositions du Code de l’éducation reprises mot pour mot de la loi de 1984 –, le soin de la mettre en œuvre individuellement10.

En réalité, la seule latitude laissée au pouvoir  réglementaire  portait sur la modulation du service des enseignants-chercheurs – quelle sera son ampleur ; sur quelle base le service sera-t-il modulé ? – et, dans le cadre de l’autonomie nouvellement acquise des établissements, sur la gestion des promotions au cours des carrières universitaires.

Ces questions sont assurément loin d’être anodines, car elles renvoient notamment à la question de l’évaluation. Mais force est de constater que, sur ces points, le projet de décret, dans sa rédaction issue des dernières négociations, apporte de nombreuses garanties (pour ne pas dire toutes) :

  • transparence de la procédure de modulation avec la mise en place d’une charte nationale élaborée par le ministère  en  concertation  avec les représentants des enseignants-chercheurs et la Conférence des présidents d’université (CPU), qui fixera au niveau national les équivalences et les modalités pratiques de décompte des différentes fonctions des enseignants-chercheurs;
  • paiement d’heures complémentaires au-delà du service de référence;
  • évaluation des enseignants-chercheurs réalisée par leurs pairs, sur la base d’un rapport produit par les intéressés eux-mêmes;
  • respect de l’organisation disciplinaire des universités avec l’avis des « facultés » préalable à toute décision concernant l’activité de leurs enseignants-chercheurs;
  • équilibre des pouvoirs locaux et nationaux dans le choix des promotions, qui seront décidées à parité par l’établissement et par le Conseil national des universités (CNU);
  • mise en place d’une instance de recours pour les enseignants-chercheurs en cas de désaccord sur les décisions relatives à l’organisation de leur temps de travail;
  • caractère pluriannuel de la modulation pour offrir davantage de visibilité aux personnels concernés.

Dans ces conditions, on s’interroge sur les raisons qui ont pu motiver une telle fronde. Pour les discerner, il convient de revenir à une question fondamentale qui a, semble-t-il, été un peu perdue de vue au cours du mouvement : pourquoi réformer le statut d’enseignant-chercheur ?

IV Partie

Une réforme pour quoi faire ?

Notes

11.

Voir P. Dulbecco, « universités : l’autonomie peau de chagrin ? », Le Monde, 11 mars 2009.

+ -

Que le décret de réforme du statut des enseignants-chercheurs fête cette année ses 25 ans dans un secteur marqué au premier chef par les mutations profondes du monde n’est à l’évidence pas une raison suffisante ; se limiter à affirmer que cette réforme est la résultante de l’autonomie conférée aux établissements par la loi de 2007 n’est guère plus satisfaisant, sauf à s’interroger sur le bien-fondé de cette autonomie.

Or, qu’est-ce que l’autonomie en matière de gestion des ressources humaines ? Pour les établissements, il s’agit ni plus ni moins de pouvoir mettre en adéquation leurs moyens humains et la politique scientifique et pédagogique qu’ils souhaitent mettre en œuvre dans le cadre de leur gouvernance rénovée ; symétriquement, pour les universitaires, il s’agit, grâce à la modulation de service, d’envisager un équilibre personnalisé entre leurs différentes missions (enseignement, recherche, administration), en fonction de leurs aspirations et du déroulement de leur carrière. Pour faire simple, il s’agit, dans la logique initiée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, de mettre en place un système « gagnant-gagnant » : aux universités, une gestion plus souple des effectifs destinée à mieux répondre aux besoins des établissements ; aux universitaires, le droit reconnu, dans la limite des nécessités du service, de faire évoluer leur carrière au rythme de leurs aspirations, tout en valorisant leurs initiatives et le développement de nouvelles missions (tutorat ; formation continue ; nouvelles méthodes pédagogiques telles que l’enseignement à distance par visio-conférence ; insertion professionnelle ; valorisation de la recherche ; coopération internationale…).

Autrement dit, et pour reprendre la formule du président de l’université d’Auvergne, Philippe Dulbecco, il ne s’agit de rien d’autre que de « passer d’un système administré à un système consacrant la liberté des choix et des actions », un projet libéral au sens philosophique du terme11.

V Partie

Angoissante liberté

Et c’est en revenant à l’essence même de cette réforme, au projet qui la sous-tend, que se pose la question des motivations réelles des mouvements qu’elle a pu susciter. Comment en effet comprendre l’opposition d’une partie de la communauté universitaire, par ailleurs tellement – et à raison – attachée à son indépendance devant une réforme dont l’objectif principal, sinon unique, est de lui offrir davantage de liberté dans la gestion de ses activités ?

Au-delà des modalités pratiques de la réforme, sur lesquelles il est possible de disserter à l’infini, il y a une contradiction évidente à refuser plus de liberté au nom de l’indépendance, à refuser l’autonomie au profit du maintien d’une gestion centralisée et largement bureaucratique.

Car il ne faut pas se tromper de débat. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas le prétendu démantèlement d’un statut au sens des garanties et des protections nécessaires qu’il doit offrir à une institution et à ses acteurs pour leur permettre de poursuivre leurs missions, c’est le libre progrès de la connaissance et la diffusion la plus large des savoirs.

Sauf à considérer que seule la France offre aujourd’hui les conditions d’un enseignement et d’une recherche libres, les exemples étrangers montrent qu’une université indépendante des pressions qui peuvent s’exercer sur elle peut se développer par d’autres moyens.

La lecture du conflit prend dès lors une tournure différente et se présente comme symptomatique d’une communauté qui revendique l’autonomie, mais qui craint de l’assumer ; d’une communauté anxieuse et en manque de confiance, qui semble parfois préférer des instances bureaucratiques, dont elle connaît et dénonce pourtant  les  limites – mais  qui lui permettent d’afficher une solidarité de façade dans une dénonciation commune de la gestion étatique –, à une autorégulation inévitablement synonyme d’inconnu et de rapports de force douloureux au sein de la communauté.

Le problème de l’évaluation est l’illustration de ce phénomène. Il existe sans doute peu de milieux  professionnels où l’évaluation  est, dans les faits, autant présente ; qu’est-ce en effet qu’un grand chercheur, sinon une personnalité reconnue par ses pairs, dont les travaux ont été consacrés par des prix internationaux ultra-sélectifs ? Sans aller si loin, il suffit de discuter avec les universitaires pour qu’aussitôt ils distribuent les bons et les mauvais points, sachant très exactement quels sont ceux qui comptent dans leur discipline, ceux qui ont su la renouveler ou lui apporter une contribution significative, par l’enseignement ou par la recherche. Et pourtant, poser la question de l’évaluation et prétendre s’appuyer sur l’évaluation pour la gestion des évolutions de carrière, c’est immanquablement s’exposer aux plus vives critiques.

De ce point de vue, il est clair qu’il y a plus de cohérence du côté de ceux qui considèraient que le retrait du projet de décret était la première étape avant l’abrogation de la loi LRU que de celui de ceux qui prétendaient que l’on pouvait maintenir le statut des enseignants-chercheurs en l’état, sans pour autant entamer le projet d’autonomie porté par la loi LRU ; l’un et l’autre sont indissociables et forment un tout : quelle autonomie en effet pour une université qui ne serait pas en mesure d’organiser ses ressources humaines en fonction de ses besoins scientifiques et pédagogiques ? Quelle autonomie pour une université  qui  ne  serait pas en mesure de développer et d’offrir des perspectives à ses propres talents ?

Les universitaires sont d’ailleurs les premiers à dénoncer les limites de l’organisation actuelle, inapte à répondre à un enjeu aussi majeur que la lutte contre le localisme et qui, par son excessive rigidité, contraint les jeunes recrues à mettre entre parenthèses leurs travaux de recherche au moment où ils sont le plus féconds pour préparer les cours qu’ils sont, statutairement, dans l’obligation de dispenser.

De question, il n’y en a qu’une seule : quelle organisation élaborer afin de permettre le meilleur développement des connaissances, le meilleur enseignement et la meilleure façon de valoriser les talents de chacun ? Il existe heureusement des femmes et des hommes de bonne volonté pour ne pas perdre de vue que là est le véritable enjeu, et nulle part ailleurs.

VI Partie

Calendrier et étapes de la réforme

6 mai 2007 : Élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

18 mai 2007 : Nomination de Valérie Pécresse au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

4 juillet 2007 : Examen du projet de loi relatif aux libertés des universités par le Conseil des ministres.

1er août 2007 : Adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités par le Parlement.

18 décembre 2007 : Lancement par Valérie Pécresse du chantier sur les carrières des personnels de l’université et installation de la commission de réflexion sur l’avenir des personnels de l’enseignement supérieur, présidée par Rémy Schwartz, conseiller d’État.

12 avril 2008 : Publication du décret n° 2008-333 du 10 avril 2008 relatif aux comités de sélection des enseignants-chercheurs.

27 juin 2008 : Publication du décret n° 2008-607 du 26 juin 2008 modifiant le décret n° 90-51 du 12 janvier 1990 instituant une prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR) attribuée à certains personnels de l’enseignement supérieur.

9 juillet 2008 : Remise du rapport de la commission présidée par Rémy Schwartz à Valérie Pécresse12.

17 novembre 2008 : Présentation du nouveau décret sur le statut des enseignants-chercheurs.

24 novembre 2008 : Adoption du décret statutaire par le comité technique paritaire des personnels enseignants titulaires et stagiaires de statut universitaire (CTPU).

28 novembre 2008 : Adoption du décret statutaire par le Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat (CSFPE).

1er janvier 2009 : Passage à l’autonomie des dix-huit premières universités13.

15 janvier 2009 : Intervention de Valérie Pécresse devant la conférence permanente du Conseil national des universités (CPCNU).

9 février 2009 : Claire Bazy-Malaurie, présidente de chambre à la Cour des comptes et présidente du comité de suivi de la loi LRU, est nommée médiatrice sur le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs.

Février-mars 2009 : Nouveau cycle de négociations avec les organisations syndicales représentatives.

24 mars 2009 : Adoption du nouveau projet de décret par le CTPU.

21 avril 2009 : Le Conseil d’État valide le projet de décret.

22 avril 2009 : Le Conseil des ministres adopte le projet de décret.

25 avril 2009 : Publication du décret au Journal officiel.

VII Partie

Le cadre de réforme en matière de gestion des ressources humaines fixé par la loi LRU

Notes

14.

dix-huit universités, sur quatre-vingt-cinq, sont d’ores et déjà devenues « autonomes » depuis le 1er janvier 2009 : cergy-pontoise ; marne-la-Vallée ; troyes ; nancy-i ; mulhouse ; strasbourg (issue de la fusion des trois universités, supra) ; La rochelle ; Limoges ; clermont-ferrand-i ; Lyon-i ; saint- étienne ; toulouse-i ; montpellier-i ; aix-marseille-ii ; corte ; paris-V, paris-Vi et paris-Vii.

+ -

15.

décret n° 2008-618 du 27 juin 2008 relatif au budget et au régime financier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (epscp) bénéficiant des responsabilités et compétences élargies ; décret n° 2008-620 du 27 juin 2008 modifiant le décret n° 2000-1264 du 26 décembre 2000 fixant les conditions dans lesquelles les epscp peuvent prendre des participations et créer des filiales.

+ -

16.

Voir en particulier le décret n° 2008-607 du 26 juin 2008 modifiant le décret n° 90-51 du 12 janvier 1990 instituant une prime d’encadrement doctoral et de recherche (pedr) attribuée à certains personnels de l’enseignement supérieur.

+ -

17.

Cette compétence était déjà reconnue par le code de l’éducation aux directeurs des instituts universitaires de technologie (iut).

+ -

18.

Pratique qui consiste, pour un établissement, à recruter comme enseignants ses propres étudiants plutôt que les pour lutter contre cette pratique, la loi Lru a également prévu une mesure incitative avec l’obligation pour les établissements de présenter, dans le cadre des contrats pluriannuels qui les lient avec l’état, les objectifs qu’ils se fixent en matière d’enseignants-chercheurs non issus de leurs rangs.

+ -

19.

Décret n° 2008-333 du 10 avril 2008 relatif aux comités de sélection des enseignants-chercheurs (voir supra).

+ -

Le projet de réforme des universités tel qu’il a été conçu par le gouvernement puis modifié par le Parlement pour devenir la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités comporte essentiellement deux volets.

  • Un volet « organisation » visant à rénover la gouvernance des universités pour confier un rôle stratégique à l’équipe dirigeante, constituée du président de l’établissement (dont la légitimité et les compétences sont renforcées) et du conseil d’administration restreint, dont il émane (ce dernier étant élu par l’ensemble de la communauté universitaire : personnels enseignant, de recherche, administratif et technique, et étudiants).
  • Un volet « compétences », envisagé comme inséparable du premier et comme sa résultante, qui vise à conférer une réelle « autonomie » aux établissements.

Cette autonomie se traduit par l’acquisition pour tous les établissements d’ici à 201214 de « responsabilités et compétences élargies en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines ». Les universités autonomes disposeront dans ce cadre d’un budget dit « global », c’est-à-dire intégrant la masse salariale – qui jusqu’alors n’y figurait pas –, et répondant à de nouvelles règles budgétaires et comptables15.

En matière de gestion des ressources humaines, la loi autorise le principe de modulation entre les différentes activités statutaires des enseignants-chercheurs et confie au conseil d’administration des universités autonomes le soin de fixer les principes généraux de la répartition.Les présidents de ces « nouvelles » universités sont quant à eux responsables des primes attribuées aux personnels selon des règles générales définies par le conseil d’administration (qui dispose également de la faculté de créer de nouveaux dispositifs d’intéressement)16.

Troisième élément, la loi LRU assouplit les conditions de recours aux personnels contractuels, tout en prévoyant que le contrat pluriannuel qui, désormais, lie obligatoirement l’établissement à l’État détermine le pourcentage maximal de la masse salariale que l’établissement pourra consacrer au recrutement de cette catégorie de personnel.

Enfin, dernier volet de l’autonomie, la loi offre aux universités qui le souhaitent la possibilité de disposer, à leur demande, du transfert de la pleine propriété des biens immobiliers qui leur sont affectés ou qui sont mis à leur disposition.

À ces mesures qui concernent les universités autonomes, la loi en ajoute d’autres, applicables à tous les établissements. Il en est ainsi de la possibilité désormais reconnue au président de l’université de s’opposer, par un avis défavorable motivé, à toute affectation dans son établissement17.

Il en est de même de la mise en œuvre d’une nouvelle procédure de recrutement des enseignants-chercheurs avec la création d’un « comité de sélection » en lieu et place des « commissions de spécialistes ». Cette réforme vise à permettre une gestion plus réactive des emplois scientifiques, mieux adaptée à la mobilité nécessaire au monde universitaire, en réduisant le délai qui sépare le moment où un poste est déclaré vacant et le moment où il est pourvu.

La mise en place de cette nouvelle procédure, qui vise en particulier  à limiter la pratique du localisme18 en ouvrant davantage les organes   de sélection aux personnalités extérieures à l’établissement recruteur, a d’ailleurs été l’occasion de modifier, une première fois, le décret statutaire des enseignants-chercheurs de 198419. Pour la rédaction de ce décret, le gouvernement s’est, mutatis mutandis, trouvé confronté au même problème que celui qu’il dût affronter en avril 2009. En raison des garanties constitutionnelles attachées au statut des enseignants-chercheurs, la loi entrait très avant dans le détail de la nouvelle procédure de recrutement et ne laissait donc qu’une marge très étroite au pouvoir réglementaire.En l’espèce, le décret s’est pour l’essentiel limité à rappeler dans le règlement les dispositions de la loi en précisant la qualité des membres dits « extérieurs » et les règles de quorum à respecter pour valider les décisions du comité.

La seule réelle innovation apportée par le texte du décret, mais elle est d’importance, est la possibilité offerte aux membres des comités et aux candidats de participer aux réunions du comité par tous les moyens de télécommunication permettant leur identification et garantissant leur participation effective. Cette disposition a pour objectif de permettre la constitution de jurys faisant appel à des personnalités scientifiques de renom n’ayant pas toujours la possibilité ou le temps de se déplacer ; symétriquement, et dans le but de renforcer le principe d’égalité, elle offre aux candidats, où qu’ils soient, et en particulier aux étudiants ultramarins, la possibilité de postuler à tous les postes ouverts les intéressant sans être aucunement limités par l’éloignement de leur domicile.

VIII Partie

La France et le monde : le «statut» des universitaires en Allemagne et aux Etats-Unis

Notes

20.

J-M. Dubernard, « rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi, adopté par le sénat après déclaration d’urgence, de programme pour la recherche », op. cit.

+ -

21.

À l’étranger, si la moyenne d’âge pour obtenir une position permanente est globalement plus élevée, les jeunes peuvent également être consacrés très tôt, dès lors qu’ils manifestent des qualités exceptionnelles- en allemagne, les meilleurs chercheurs peuvent ainsi atteindre le grade c4, le plus élevé, dès 35 ans. aux états-unis, certains chercheurs d’exception ont été nommés tenured professor (professeur titulaire) à l’âge de 21 ans (voir infra).

+ -

22.

Id, ibid.

 

+ -

23.

M. Herbillon, « rapport d’information déposé par la délégation de l’assemblée nationale pour l’union européenne sur l’enseignement supérieur en europe », n° 1927, assemblée nationale, 17 novembre 2004.

+ -

24.

L’autre grande différence avec la France est l’absence de la pratique du localisme, les enseignants n’étant pas recrutés dans leur université d’origine.

+ -

Contrairement à une idée assez largement répandue, la singularité du « modèle français » ne repose pas sur le fait que les universitaires détiennent ce qu’il est convenu d’appeler des « positions permanentes » et des garanties d’indépendance attachées à cette pérennité.

Tous les systèmes universitaires des grandes nations scientifiques du monde, sans exception, reposent sur de telles positions.

Les différences sont ailleurs. D’une part, à l’étranger, dans la plu- part des cas, position permanente ne rime pas avec statut de fonctionnaire unifié au plan national. D’autre part, comme le précise le rapport Dubernard20, l’acquisition d’une position permanente n’est pas soumise au même strict et rigide cursus honorum.

La France se distingue ici essentiellement par le fait que la position permanente est acquise très tôt dans la carrière, à l’âge moyen de 31 ans, quand la moyenne internationale se situe plutôt autour de 40 ans. Cette précocité, qui peut être jugée positive, engendre toutefois un système qui agit souvent comme un couperet pour ceux qui n’ont pas été en mesure d’obtenir une telle position au terme de deux ou trois stages postdoctoraux21.

Avant le cycle de réformes qui a été engagé, pareille rigidité se retrouvait dans l’évolution de carrière. Sauf leur volonté de bien faire et leur exigence personnelle (et les faits démontrent que ces qualités, bien que peu valorisées, étaient néanmoins très présentes), comme l’indique le rapport Dubernard22, les enseignants-chercheurs n’avaient en vérité que peu d’intérêt à se signaler comme les meilleurs tant leur avancement et les financements auxquels ils pouvaient prétendre pour mener leurs recherches étaient peu en lien avec leur engagement professionnel et la qualité de leurs travaux.

L’exemple des états-unis

Il convient tout d’abord d’observer que les États-Unis reposent sur  un système fédéral avec une forte implication d’acteurs privés et une forte tradition d’autonomie. Dans ce cadre, comme l’indique le  rapport Herbillon23, chaque université, publique ou privée, recrute ses propres enseignants-chercheurs par appels d’offres au niveau national ou international (la mobilité des enseignants est en effet encouragée et il est sinon impossible, du moins peu apprécié, d’accomplir l’intégralité de sa carrière dans la même université). Les enseignants des universités américaines sont titulaires ou contractuels et se répartissent selon quatre grandes catégories de grade :

  • Les lecturers (« lecteurs ») enseignent mais font peu, ou pas, de recherche et ne sont en général pas éligibles à la titularisation. Toutefois, les universités renouvellent régulièrement leurs contrats, les considérant ainsi de facto comme des permanents.
  • Les assistant professors (« professeurs assistants ») constituent le premier grade à proprement parler du corps enseignant universitaire. Ils sont recrutés pour trois ans renouvelables une fois, soit directement après obtention du doctorat, soit après un ou plusieurs Au cours de la sixième année, les professeurs assistants sont évalués en vue de leur titularisation et de leur promotion au grade de professeur associé (associate professor), selon le principe up or out : « promu ou renvoyé ».
  • Les associate professors (« professeurs associés ») forment le deuxième grade du corps enseignant L’accession à celui-ci s’accompagne le plus souvent de la tenure (« titularisation »), mais il se peut qu’un universitaire expérimenté soit engagé comme associate professor sans pour autant être titularisé.
  • Les professors ou full professors (« professeurs ») constituent le grade suprême de la hiérarchie universitaire. Très qualifiés dans leur domaine de compétences (la procédure pour passer de associate professor à full professor est plus exigeante que celle qui permet de passer d’assistant professor à associate professor), ils sont, en règle générale, titulaires, y compris lorsqu’ils sont directement nommés à ce

Comme l’université française, l’université américaine repose  donc sur des positions permanentes de  professeurs.  Mais,  à  la  différence  de ce qui se passe dans notre pays, la procédure de titularisation est longue, puisqu’il n’existe pas, ou si peu, de titularisation à la suite d’une embauche, à l’exception des associate professors ou des full professors. Cette procédure commence généralement au cours de la sixième année d’emploi à l’université par une évaluation du candidat sur la qualité de son enseignement et de sa recherche, mais aussi sur son service, c’est-à-dire sa disponibilité auprès des étudiants et son activité au sein de son département universitaire. Des lettres de recommandation de trois à six membres de la communauté universitaire, émanant de personnalités extérieures à l’université, sont également requises, permettant d’évaluer l’impact de la recherche de l’enseignant et la pertinence de sa candidature à la titularisation.

Une fois titularisé, le tenured faculty member, selon l’expression consacrée, devient un enseignant titulaire à vie sous les réserves d’usage (faute grave, incompétence, délits). Mais, contrairement à son homologue français, son poste peut aussi être remis en cause dans le cas de la fermeture d’un département de recherche.

L’exemple de l’Allemagne

Le personnel enseignant des universités allemandes se compose de deux grandes catégories.

  • D’une part, un ensemble hétérogène, en termes de statut et de missions, de personnel de rang non professoral, appelé « Mittelbau », dont la très grande majorité dispose d’un contrat à durée déterminée (CDD).
  • D’autre part, les professeurs, fonctionnaires d’État et, pour la très grande majorité, sous contrat à durée indéterminée (CDI).

Au-delà de cette dualité et de ses conséquences statutaires sur la nature du contrat, deux grandes différences sont à noter par rapport au système français.

Bien que les professeurs disposent d’un statut de fonctionnaire, le principe d’égalité de traitement entre pairs d’un même niveau statutaire est beaucoup moins marqué en Allemagne qu’en France. La différence se fait d’ailleurs moins au niveau de la rémunération stricto sensu qu’au niveau des conditions de travail offertes d’un établissement à l’autre. Cette différence tient pour une grande part à la structure fédérale de l’État allemand et au fait que les compétences en matière d’enseignement supérieur relèvent prioritairement des Länder. Ainsi, bien que les professeurs soient des fonctionnaires fédéraux, il n’existe aucune instance centralisée de gestion des carrières, les postes étant ouverts soit par les universités, soit par les Länder, qui interviennent parfois très directement dans les choix de recrutement.

Comme il a été dit plus haut, les positions permanentes, correspondant au rang de professeur, sont tardives. Elles interviennent après l’âge de 42 ans en moyenne24. Auparavant, les enseignants relèvent du Mittelbau et sont choisis de manière totalement discrétionnaire par les professeurs. Il existe en effet une dichotomie très nette entre ces deux catégories de personnel (bien plus nette que la séparation qu’il peut y avoir en France entre le corps des professeurs et celui des maîtres de conférences) : les enseignants travaillent, pour partie du moins, directement au service des professeurs, dont ils sont en quelque sorte les « assistants ».

Cette situation de dépendance tend cependant à évoluer avec la mise en place de réformes qui visent, en particulier, à créer des postes de Juniorprofessoren, sur des contrats de trois ans, renouvelables une fois, sur le modèle de ce qui se pratique aux États-Unis (voir supra). À l’issue de cette période, les Juniorprofessoren peuvent accéder au professorat si la qualité de leur travail et le nombre de postes ouverts au recrutement le permettent.

Enfin, les réformes engagées se traduisent également par la mise en place d’un nouveau système de rémunération fondé, pour partie, sur le mérite et calculé en fonction d’objectifs à atteindre, fixés à l’occasion du recrutement. Les universitaires sont également évalués selon la qualité de leurs publications et selon les Drittmittel (« moyens tiers ») qu’ils sont parvenus à obtenir de la part des agences publiques, des fondations, des programmes européens ou de l’industrie pour financer leurs projets de recherche.

IX Partie

Discussion entre David Bonneau et Bruno Bensasson

David Bonneau est ancien conseiller juridique (2007-2008) de Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Bruno Bensasson est directeur économie, prix et marchés à la direction de la stratégie et du développement durable de gdf suez, membre du conseil scientifique et d’évaluation de la fondation pour l’innovation politique.

Les propos tenus au cours de cette discussion n’engagent que leurs auteurs ; en particulier, les propos tenus par Bruno Bensasson n’engagent aucunement gdf suez.

Notes

1.

Au moment de la parution de cette note, début 2009, les enseignants-chercheurs sont engagés dans un vaste mouvement de protestation contre la réforme de leur statut, voulue par le gouvernement.

+ -

Bruno Bensasson

Ce sujet de la protestation contre la réforme du statut des enseignants-chercheurs est un exemple qui illustre la complexité de la question de l’autorité au sein de la fonction publique, exemple qui n’est pas unique, qui s’ajoute à d’autres, d’actualité ou non. Il y a ainsi une partie du corps médical qui est un peu dans cette ligne-là, soit pour des raisons – me semble-t-il sincères – du type : « Je suis le mieux placé pour dire ce que c’est que le bon service public de mon domaine », soit pour des raisons – peut-être moins avouables – du type : « Je préfère vivre indépendant et sans rendre de compte à personne parce que la vie est plus simple comme ça. »

Il n’en reste pas moins que sous ces différents motifs, il y a une contestation de l’autorité – de l’autorité hiérarchique tout court ou de l’autorité politique.

Dans le cas du milieu médical, on retrouve à peu près le même schéma que sur la réforme du statut des enseignants-chercheurs : ce n’est pas simplement une contestation de l’autorité politique, c’est même la contestation du fait qu’il pourrait y avoir un directeur qui aurait  des  idées sur la conduite du service public. Je dirais que ça ne serait pas gênant si on avait des moyens infinis, parce qu’avec des moyens publics infinis, on serait assez tenté de dire que les médecins sont les plus à même de dire ce que c’est qu’une bonne offre de soins, et que le système de recherche peut librement déterminer ce qu’il a envie de chercher. Mais on n’a pas ces moyens infinis, donc il faut faire des choix.

On vit sous contrainte budgétaire, ce qui n’est pas un gros mot, c’est juste une traduction du rapport « qualité-prix » que les citoyens ou les contribuables sont en droit d’attendre du service public. Sous cette contrainte budgétaire, comment chaque service public de la recherche, de la santé, de la justice, de l’enseignement primaire et secondaire s’organise-t-il, ou peut-il être organisé, et quel rôle les pouvoirs exécutif ou législatif ont-il encore le droit d’avoir ? C’est l’une des questions que la lecture de votre texte m’a inspirée.

David Bonneau

La question de la légitimité du pouvoir public à intervenir dans la sphère de la recherche ou, inversement, la question de la légitimité des scientifiques à s’auto-administrer – en clair, l’articulation du politique et du scientifique – est une problématique tout à fait centrale. Elle se pose d’ailleurs tant au niveau des individus, comme on le voit avec la polémique sur le statut des enseignants-chercheurs, qu’au niveau du « système », quand il s’agit soit de modifier la gouvernance des universités, soit, comme avec la loi de programme pour la recherche de 2006, de proposer une nouvelle organisation du système de recherche.

Il est vrai qu’on assiste souvent, au sein de la communauté universitaire, à une forme de contestation de tout ce qui peut apparaître comme l’intervention, dans sa sphère d’activité, d’un pouvoir extérieur, en particulier lorsqu’il s’agit du pouvoir politique.

Le seul problème, comme vous le dites, est que l’on vit sous contrainte budgétaire, ce qui ne signifie pas qu’il y ait moins d’argent puisque, en l’espèce, un effort financier considérable et sans précédent a été fait depuis 2007 en faveur de l’enseignement supérieur. Mais une « contrainte » existe puisque le budget de l’État n’est pas un puits sans fond ; un budget, même en progression, reste un budget limité, au sens « fini ». Et comme les moyens à mettre en œuvre sont parfois très élevés, selon les domaines d’activité, le gouvernement, même en faisant de la recherche une vraie priorité, est tenu de faire des choix. Et puis, il ne faut pas oublier que l’on parle ici d’argent public et qu’en démocratie c’est naturellement au Parlement légitimement élu qu’il revient de définir l’allocation des ressources issues de la contribution des citoyens.

Bruno Bensasson

Je suis tout à fait d’accord avec la façon dont vous présentez les choses sur la légitimité scientifique versus la légitimité politique, mais, d’une certaine façon, dans la science comme ailleurs – comme dans la justice, comme dans la santé, etc. –, il y a – et c’est là  que le choix politique au sens le plus noble du terme doit intervenir – des choses qui ne relèvent pas que de la science, ou que de la  santé. Le choix d’investir plus ou moins dans un système de santé, c’est un choix terrible, qui n’est pas facile à faire mais qui est fait  inévitablement, explicitement ou implicitement. La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût…  Ça, c’est un choix politique, et de même, dans les questions de recherche, très loin de moi l’idée de penser que c’est au seul pouvoir politique et, pire, à une somme d’intérêts privés de définir les programmes de recherche publique, mais entre ça et le fait que pour éviter ça, on laisse le système s’autogérer – et quand on dit « le système », jusqu’à quel niveau est-ce ? jusqu’à l’individu ? –, il y a un pas.

Quand vous dites, par exemple, qu’il est normal que le pouvoir politique, responsable constitutionnellement de la gestion des fonds publics, décide de tel budget pour telle activité, jusqu’à quel niveau de détails descend-on ? Est-ce qu’on dit juste : c’est pour l’enseignement supérieur et la recherche, ou est-ce qu’on se permet de commencer à descendre dans le détail de grandes masses, par exemple pour le CNRS, le CEA, l’université. Concernant l’université, fait-on un choix entre les grands domaines de recherche ou non ? Est-ce que ce non-choix, c’est le meilleur des choix, ou non ? Étant de formation scientifique, je sais bien que dans  la recherche, si on savait déjà ce qu’on veut trouver, on ne chercherait pas… C’est un premier argument pour ne pas trop l’orienter, et souvent, on trouve des choses qu’on n’attendait pas du tout, et aujourd’hui, l’excellence est telle – nous ne sommes plus au temps des Lumières – que plus personne n’est à même de saisir l’ensemble des sujets.

Il n’en reste pas moins qu’il y a un sujet d’orientation : quel est le poids respectif qu’on donne à telle ou telle discipline ? Comment est-il déterminé en France, à l’étranger ? Quelle est la gouvernance qui permet de faire les choix entre des sujets aussi louables, mais aussi dispersés, que les technologies de la santé, les technologies de l’information et de la communication, les technologies de l’énergie, les sciences humaines et sociales, dont l’actualité démontre, s’il en était besoin, à quel point elles peuvent être « utiles », y compris au sens ordinaire du terme !

En tout cas, mon sentiment, c’est qu’il y a une tentation, compte tenu du fait que c’est compliqué et des techniques administratives que j’ai pu observer lorsque je travaillais pour l’État, de faire comme avant ; s’il y a un problème ou une augmentation budgétaire, on fait comme avant et puis on coupe ou on augmente de façon proportionnelle. C’est-à-dire, à peu de choses près, des non-choix.

Il y a bien un lien entre le nombre d’étudiants qui entrent dans une filière et le nombre d’enseignants qu’il faut pour les recevoir et les instruire, autrement dit d’enseignants-chercheurs, ce qui a un certain sens en termes d’attentes de la société. Mais est-ce uniquement ainsi qu’est « choisi » le volume de recherche dans un domaine donné, et donc les orientations de la recherche nationale publique ?

David Bonneau

Il est vrai que notre système a longtemps souffert de son inertie et de non-choix qui, en réalité et comme vous le dites très bien, étaient finalement des choix, mais les pires de tous car non discutés et non assumés. C’était tout le sens du discours du président Nicolas Sarkozy à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI), qui n’a pas craint de revendiquer l’existence et la mise en œuvre d’une véritable politique scientifique. C’est pourquoi aussi Valérie Pécresse a décidé d’installer un comité de pilotage de cette SNRI, présidé par la sociologue Danièle Hervieu-Léger, chargé d’identifier les grands enjeux  socio-économiques auxquels la recherche française doit pouvoir répondre. Il existe également d’autres instances, comme l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui sont en mesure d’éclairer le politique sur les enjeux scientifiques. L’important est en effet qu’il revient au pouvoir politique, issu d’élections démocratiques et donc légitime, de décider des grandes orientations qui engagent la nation tout entière et qui ne relèvent donc pas seulement de compétences scientifiques, mais aussi de choix de société.

Après, une fois ces choix définis, il faut laisser la liberté à la recherche. Vous êtes un scientifique, je le suis moins, mais je perçois bien cette nécessité qui est aussi une condition de la performance ; c’est l’anecdote célèbre : on n’a pas inventé l’ampoule électrique en essayant d’améliorer la bougie. Il y a un moment où, pour faire vraiment progresser la science, il faut provoquer des ruptures scientifiques, technologiques, qui interviennent souvent dans des domaines de recherche en marge de ceux sur lesquels on a pris l’habitude de travailler. Il faut donc aussi que le système permette à un certain nombre d’idées, d’idées folles, d’idées libres, d’émerger. C’est une critique que l’on entend souvent contre le système qui a été développé depuis quelques années, avec la mise en place des agences de moyens : la recherche serait trop guidée, trop dirigée, limitée à un trop petit nombre de thématiques et de projets. En réalité, cette critique ne tient pas : 20% des crédits de l’Agence nationale de la recherche (ANR) – l’agence de moyens de la recherche française – sont consacrés au financement de projets dits « blancs », c’est-à-dire de projets qui sont laissés à l’initiative des chercheurs ; avec 164,8 millions d’euros de crédits en 2008, les projets « blancs » constituent même le premier « programme » de financement de l’ANR.

En fait, tout est question d’équilibres. Il faut à la fois des orientations définies à l’avance et une partie plus libre qui laisse émerger de nouvelles idées. Il faut aussi faire avec l’existant car le système fonctionne également avec des établissements et des personnels qui ne peuvent être sans cesse remis en cause, d’une année sur l’autre.

Si on regarde les exemples étrangers, notamment aux États-Unis, qui sont très performants dans le domaine de la recherche, on constate que le système est plus décentralisé et s’organise, à son sommet, autour d’agences de moyens et de départements ministériels (défense, énergie…). Il n’y a pas de ministre de la recherche en tant que tel. Les grandes orientations sont proposées au président des États-Unis par l’Office of Science and Technology Policy (OSTP). Une fois les budgets fédéraux votés par le Congrès, ils sont alloués directement aux  équipes de recherche par les agences, comme la National Science Foundation (NSF), qui sont à la fois financeurs et évaluateurs, et qui sélectionnent elles-mêmes les projets qu’elles décident de soutenir.

Bruno Bensasson

Pour revenir à l’exemple des États-Unis que vous citiez, quel est l’équivalent des programmes « blancs » ? Si on répartit les choses entre des budgets ministériels auxquels des grands thèmes sont, par construction, déjà attribués, à quel niveau précise-t-on les choses ? Si je comprends bien, aux États-Unis, le ministère de l’Énergie, ou de l’Environnement, ou de la Défense, ou de la Santé, aurait son budget de recherche. Alors, le politique a déjà fait le choix. Il a déjà pondéré. Ensuite, le politique dit, par exemple, au ministère de l’Énergie : vous vous débrouillez des sujets de l’énergie, vous appréciez s’il faut faire davantage de recherches fondamentales, davantage d’innovations appliquées, voire davantage de subventions aux technologies existantes, etc., mais sur les grandes thématiques, c’est-à-dire sur le fond politique, il a déjà pris parti.

À ce stade, le politique ne va pas dire qu’il faut développer la recherche sur les économies d’énergie, sur le charbon propre, sur les énergies renouvelables, sur le nucléaire, mais il a déjà dit « sur l’énergie, j’alloue tel budget » parce que c’est le sujet : jusqu’à quel point se disperse-t-on, ou pas ? Un des inconvénients des systèmes purement bottom-up, c’est qu’ils conduisent vraisemblablement à disperser les efforts, alors que dans le domaine de la recherche, parfois, c’est l’effet de masse qui peut être utile. Ainsi, tel pays, un peu à l’est, a pu se concentrer sur la santé, d’autres pays plus au nord se sont concentrés sur les nouvelles technologies de l’information et cela a constitué un avantage pour eux.

David Bonneau

C’est une réalité. Vu le niveau d’exigence scientifique à atteindre et les moyens financiers et humains à mettre en œuvre pour être performant dans certains secteurs de recherche, il est évident qu’il faut définir des priorités. On ne peut plus faire de la recherche tous azimuts en prétendant à l’excellence tous azimuts. Étant donné la taille de notre pays, le nombre de secteurs dans lesquels la recherche française est présente et active – je pense en particulier au domaine spatial, qui coûte très cher – est déjà assez remarquable.

Pour revenir à l’exemple des États-Unis, il est évident que lorsqu’on attribue tant de moyens au ministère de l’Énergie plutôt qu’à un autre ministère ou à une autre structure, on a déjà fait un choix, comme en France : attribuer tant de moyens à tel organisme plutôt qu’à tel autre révèle un choix, une priorité scientifique. Là-bas aussi, les programmes véritablement « blancs », au sens où ils sont ouverts à tout le monde et à toutes les idées, se situent au niveau des agences et tout particulièrement de la NSF.

Sur cette question de la liberté de la recherche, il est d’ailleurs intéressant de se tourner un peu vers le passé. Des périodes qui sont considérées comme des périodes de recherche très actives et très stimulantes par les chercheurs eux-mêmes, comme les années de Gaulle et Pompidou, sont quand même des années où l’État avait défini un certain nombre de priorités tout à fait claires, des domaines dans lesquels la France est d’ailleurs encore très performante aujourd’hui. Si on prend le nucléaire, si on prend le TGV, tous ces grands projets qui ont abouti dans les années 1970 ou au début des années 1980, ils répondent à des enjeux scientifiques et industriels, mais ils traduisent avant tout un choix politique fort ; cela exprime bien toute l’ambiguïté qu’il y a dans la relation que la communauté scientifique entretient avec l’État.

Bruno Bensasson

Est-ce qu’aujourd’hui on pourrait encore faire de tels choix ? Est-ce que cela appartiendrait au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, par exemple à l’OPECST, ou à une autre instance de gouvernance ? Et après quelle immersion du politique dans les questions scientifiques ? Comment sont faits ces arbitrages ? Que penser de domaines sans conteste importants  au plan mondial, mais dans lesquels la France accuserait un  certain  retard ? Est-ce qu’il faut accélérer, ou au contraire y renoncer pour se concentrer sur nos points forts ? Ce qui voudrait dire sortir d’un certain nombre de sujets. À quelle hauteur développer les recherches qui sont les plus fondamentales comme les mathématiques, qui personnellement me passionnent mais qui n’ont pas d’application immédiate, qui ne vous emmènent pas comme un TGV d’un point A à un point B, mais qui nourrissent bien d’autres domaines plus appliqués, ou encore les recherches qui sont plus « molles » – sans que cela soit péjoratif –, mais dont on a aussi, individuellement et collectivement, grand besoin, comme la philosophie, la sociologie, l’histoire, l’économie, etc. ? Quelle est l’instance politique qui en est chargée, quel est le processus pour aboutir à ces choix-là, qui ne sont pas seulement scientifiques ?

Je suis en même temps convaincu que les orientations sur la recherche et l’innovation doivent inclure des besoins plus immédiats de la société, des entreprises – si on a fait du nucléaire, si on a fait des TGV, c’est parce qu’il y avait des besoins très concrets et légitimes à satisfaire –, mais elles doivent aussi inclure tout autre chose, les besoins à plus long terme ou des aspirations plus profondes des individus.

David Bonneau

C’est là où le travail de prospective lancé par le président de la République dans le cadre de la SNRI et les travaux du comité de pilotage mis en place par Valérie Pécresse prennent toute leur importance pour appuyer la légitimité des choix d’orientation portés par le gouvernement et actuellement réalisés, sous l’autorité de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du Premier ministre, par la direction générale pour la recherche et l’innovation (DGRI). C’est aussi le rôle du Parlement de fournir des études qui viennent nourrir la réflexion du gouvernement et l’aider à se projeter dans l’avenir.

Bruno Bensasson

Vous soulignez là, au passage, l’importance de l’articulation entre les différents pouvoirs politiques, qui me paraît très générale : ce n’est pas parce que des pouvoirs ou des autorités sont, en vertu des principes fondamentaux de notre République, « séparés » qu’à mon sens ils ne doivent pas se parler. Ainsi, je suis parfois étonné d’entendre les mêmes magistrats du siège reprocher aux pouvoirs politiques de commenter le fonctionnement de la justice et ne pas hésiter à commenter, et c’est tant mieux, les projets ou propositions de loi. Sans parler de certains magistrats du parquet qui peuvent réagir de la même façon alors qu’ils sont, à ma connaissance, pourtant sous l’autorité de la garde des Sceaux. C’est cette même question de l’autorité qu’on retrouve dans les domaines de la santé, de la recherche ou de l’enseignement, non ?

David Bonneau

On retrouve cette problématique au niveau des enseignants-chercheurs, qui sont effectivement des fonctionnaires soumis comme tels à l’autorité administrative et au principe hiérarchique, mais qui disposent dans le même temps d’une indépendance qui leur est reconnue par le Conseil constitutionnel, en vertu d’une longue tradition des libertés universitaires liées à la nature spécifique de leur activité.

Le diable est dans les détails, dans l’équilibre à trouver entre cette liberté d’un côté et, de l’autre, le fait qu’ils restent, malgré tout,  des  agents publics soumis comme tels à des obligations de service public. Cette coexistence d’un principe d’autorité et d’un principe d’indépendance explique les difficultés que peuvent avoir certains enseignants-chercheurs dans leurs rapports avec l’administration centrale et, maintenant que la loi d’autonomie a été adoptée, avec le président de leur université qui a autorité sur les personnels. Sur ce dernier point, il n’est toutefois pas inutile de rappeler que le président de l’université appartient à la communauté universitaire dont il émane très directement puisqu’il est élu par tous les professeurs, les maîtres de conférences, les personnels techniques et administratifs et les étudiants selon un système à double degré : la communauté élit d’abord le conseil d’administration  de l’université qui, à son tour, désigne le président de l’établissement.

Bruno Bensasson

Le Conseil constitutionnel, dans une décision datant de 1984, a reconnu l’indépendance des professeurs d’université. Comment interpréter cette décision en regard de cet autre article de notre Constitution qui, en une phrase, prévoit que le gouvernement dispose de l’administration ?

David Bonneau

Oui, c’est juste, c’est l’article 20, ce qui signifie, comme je le disais, que le gouvernement, c’est-à-dire le ministre, a autorité sur l’administration et ses personnels. Mais ça ne préjuge pas du principe d’indépendance qui est reconnu dans le même temps aux professeurs des universités.

Bruno Bensasson

Mais que signifie cette autorité et qui la détient ? Le président d’université n’a pas autorité, par exemple, pour nommer les enseignants, si ?

David Bonneau

Non, c’est le ministre qui nomme les maîtres de conférences, et le président de la République qui nomme les professeurs des universités.

Bruno Bensasson

Mais pas le président de l’université. Je prends l’exemple de la gestion du temps, de la façon dont les collaborateurs gèrent leur temps. C’est une prérogative assez ordinaire du management. J’ai cru comprendre que dans ce débat1  sur les enseignants-chercheurs et l’évolution éventuelle de leur statut, la question de savoir si on pouvait parler de la gestion de leur temps – entre leur temps d’enseignement et leur temps de recherche – était quand même en débat…

David Bonneau

C’est effectivement la question centrale du débat, celle de la modulation de service.

Bruno Bensasson

Est-ce que l’autorité va jusqu’à pouvoir disposer du temps des personnes ?

David Bonneau

Effectivement, c’était véritablement le cœur du débat. Le statut des enseignants-chercheurs, celui de 1984, prévoit un certain nombre d’obligations et définit les activités de ces personnels, qui sont de trois sortes : une activité d’enseignement, une activité de recherche et des tâches administratives. Parmi ces trois catégories d’activités, une seule est définie en termes d’horaires : l’activité d’enseignement, qui est déterminée par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours,  ou 192 heures de travaux dirigés, ou 288 heures de travaux pratiques, ou toute combinaison équivalente.

Ce qu’introduit la loi de 2007, c’est un principe de modulation entre ces activités. L’idée étant – c’était d’ailleurs une revendication assez forte de la communauté qui avait été reprise par les principaux partis politiques – que ce statut était excessivement rigide et ne répondait pas à certains problèmes importants auxquels l’université était confrontée. Par exemple, ce statut était inadapté pour les jeunes chercheurs qui viennent d’obtenir leur poste et qui se retrouvent face à une charge d’enseignement d’autant plus lourde qu’ils doivent créer leurs cours à partir de zéro, ce qui prend énormément de temps, au moment même où ils sont pourtant les plus performants en matière de recherche puisqu’ils sont encore complètement immergés dans les travaux de leur thèse.

Pour assouplir le dispositif, la loi a introduit un principe de modulation entre les différentes activités statutaires, ce qui, par ricochet, a amené à se poser la question de la définition de chaque activité et des obligations qu’elle comporte, en particulier en termes de volume horaire. Globalement, les enseignants-chercheurs, en tant qu’agents publics, ont l’obligation d’effectuer 1.607 heures annuelles. Mais, à l’intérieur de cette « enveloppe », seules les heures d’enseignement sont précisées. Le reste, notamment la préparation des cours ou les travaux de recherche, n’est pas précisé. Ce sont des activités qui, effectivement, sont difficilement quantifiables : un chercheur qui écrit un article pour une revue scientifique peut le faire le soir, chez lui ; il n’est pas obligé de l’écrire à son bureau. En permettant la modulation, on ouvre donc nécessairement le débat sur la définition des horaires et sur l’évaluation puisqu’il faut pouvoir d’un côté définir et quantifier précisément les différentes activités des enseignants-chercheurs et, de l’autre, évaluer les résultats de chacun pour mettre en place une modulation qui soit équitable et juste pour tous. C’est un débat aussi difficile que nécessaire.

Bruno Bensasson

OK, c’est compliqué. Il faut évidemment que ce soit souple parce qu’en ce domaine autant que dans de nombreux autres, il faut de la flexibilité, etc., j’en suis intimement convaincu. OK pour tout ça. Mais sur le principe selon lequel l’autorité hiérarchique ou politique peut déterminer la gestion du temps et considérer que l’on peut faire plus d’enseignement, plus de recherche pour telle personne dans tel département sur telle spécialité : ça, c’est contesté ou c’est accepté ?

David Bonneau

C’est là toute la difficulté. En fait, les protestataires, dans leur majorité, ne contestent pas directement la modulation, le principe même de la modulation, parce que c’est difficile à contester devant l’opinion publique. Donc ils en contestent les modalités même si en réalité ils voudraient pouvoir revenir sur le principe lui-même. Mais la définition des modalités ne relève pas directement du pouvoir politique, qui se borne à définir le cadre, le statut. Ensuite, dans le cadre de l’autonomie, il revient au conseil d’administration de l’établissement, c’est-à-dire à la communauté universitaire elle-même, de définir les principes généraux de répartition des obligations de service qu’il souhaite mettre en œuvre, puis au président de l’université, qui a autorité sur les personnels, de veiller à ce que le statut soit appliqué. N’oublions pas que la modulation qui est mise en place est facultative ; c’est à chaque université de décider de profiter ou non de cette possibilité qui lui est offerte par la  loi. J’ajoute que dans la dernière version du décret qui a été examiné en Conseil des ministres et publié, la mise en place de la modulation ne peut se faire qu’avec l’accord de la personne intéressée. On est quand même très loin d’une décision imposée d’en haut comme c’est parfois – et trop souvent – présenté.

Bruno Bensasson

Et on retrouve un argument qu’on entend dans d’autres domaines et sur d’autres sujets quant à l’incompétence ou à l’arbitraire de l’autorité hiérarchique. Par exemple, quand il s’agit d’évaluer, tout de suite, on s’imagine qu’on tombe sous le coup d’une  hiérarchie  incompétente et qui va abuser de son autorité pour mal noter les collaborateurs. Alors, comme toute évaluation serait non pas subjective, mais arbitraire – les mots ont là leur importance –, il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas d’évaluation. Si bien qu’il y a cette espèce de mythe du concours d’entrée dans la fonction publique où là, on admet qu’il faut une évaluation, par un concours réputé égalitaire, comme si les gens qui sont chargés de la notation n’avaient pas eux aussi leur part de subjectivité. Une fois qu’on a dépassé cela, alors là, on admet tout à fait qu’il y a un concours, qu’on fait le tri, qu’il y aurait des bons et des pas bons…

David Bonneau

C’est très juste, même si parfois on critique aussi les modalités du concours.

Bruno Bensasson

Mais une fois qu’on est dans les heureux élus, il semblerait qu’il n’y ait plus moyen de faire aucune évaluation, aucun tri ; là, tout le monde se vaut, c’est vraiment binaire. On est dedans ou on n’y est pas. On  ne conteste pas qu’il y ait plusieurs catégories, qu’il y a ceux qui n’en sont pas, ceux qui n’ont pas passé le concours, qui n’ont pas réussi. Mais, une fois qu’on est dedans, il n’y a pas moyen de faire un choix ou une évaluation ou de mettre en place une hiérarchie, sinon on violerait le principe d’égalité. Ce qui n’est pas tout à fait exact, puisqu’en fait l’égalité, ça consiste à traiter de la même façon des situations elles aussi identiques. Or ce n’est pas parce que tous les gens sont égaux qu’ils sont tous identiques, si ?

David Bonneau

La même problématique s’était posée avec les magistrats : en règle générale, l’argument définitif pour refuser l’évaluation, c’est de dire oui à l’évaluation sur le principe, mais d’affirmer aussitôt que son activité est tout à fait spéciale et qu’en conséquence elle ne peut pas être évaluée. Cet argument est d’autant moins recevable que les personnes concernées ont toutes été évaluées avant de devenir fonctionnaires, au moins pour obtenir leur poste.

En réalité, la seule question est celle des procédures et des critères d’évaluation ; il y a toujours un parti pris et toujours un moyen de les améliorer. Mais l’important est d’avoir un système qui globalement fonctionne. Rien n’est jamais parfait. La question de l’évaluation, c’est une problématique très lourde. Il y a toujours la peur de l’arbitraire, même si on est dans un système qui est un système très évalué, quoi qu’il arrive. Un chercheur qui prétend à l’excellence dans son domaine d’activité est nécessairement quelqu’un de très évalué. Pour prétendre à ce statut, il doit écrire des articles, les publier et donc se confronter à des comités de lecture rigoureux. Cette évaluation est d’autant plus forte qu’elle est internationale. L’évaluation est donc permanente et existe déjà dans les faits pour les meilleurs. Ensuite, il faut bien constater qu’il y a une véritable ambivalence dans l’attitude de la communauté universitaire : d’un côté elle ne cesse de réclamer une évaluation par les pairs – qui ne lui est d’ailleurs pas du tout contestée, puisque c’est le mode normal de fonctionnement de l’évaluation scientifique en France et au niveau international –, de l’autre, et dans le même temps, elle ne cesse de voir dans l’évaluation ainsi conduite la menace de l’arbitraire, dès lors que, les membres de la communauté s’évaluant entre eux, risquent de ressurgir des conflits de chapelles et une certaine forme d’endogamie.

Bruno Bensasson

Seul un regard extérieur permet de vérifier en dernier recours que le système ne vit pas dans une certaine endogamie, en dehors de l’excellence. Si tout le monde se coopte et se co-évalue ou se co-relit et ensuite se co-cite, on n’est pas à l’abri de dérives… Car il y a quelques biais parfois dans les méthodes d’évaluation : vous lisez une publication, il y a des fois où vous ne percevez pas immédiatement sa nouveauté. Tout système de notation, d’évaluation a ainsi ses biais, c’est vrai aussi dans l’entreprise. Mais il ne fait pas de doute que dans une très large mesure les scientifiques sont les mieux placés, chacun dans leur discipline, pour apprécier l’intérêt, la performance et l’excellence des travaux. Mais  c’est vrai que ça, c’est la part scientifique de la science, donc ce n’est pas la plus « compliquée » en termes de gouvernance.

La part la plus compliquée, c’est la part non scientifique de la science. En termes de gouvernance, elle suppose que les deux mondes se rencontrent – ou les trois mondes, si vous voulez y mettre l’entreprise. Les questions d’orientation des travaux sont quand même des questions primordiales, au sens étymologique. D’abord, on oriente, ensuite on réalise, ensuite on peut évaluer éventuellement, mais il est vrai que l’évaluation, c’est plus une boucle d’optimisation, de réaction, ce n’est pas une fin en soi. Alors qu’orienter, donner des caps, donner des objectifs, c’est un  point important, quelle que soit la façon de le faire. C’est primordial et ça n’est pas purement scientifique parce que savoir s’il faut faire de la recherche plutôt sur l’énergie, ou sur les technologies de l’information, voire, si on passe à un cran inférieur, savoir si on veut de la recherche sur l’énergie nucléaire, les énergies renouvelables ou les économies d’énergie, ce sont des choix qui renvoient aux besoins de la société… Il y a des choix qui sont plus politiques parce  qu’ils  renvoient  à  la Cité. Les entreprises peuvent dire un mot sur l’économie, mais ce n’est  pas à elles qu’il revient de dire le reste. Sur des sujets plus précis comme l’énergie, là aussi, les entreprises n’ont assurément pas à avoir le dernier mot s’agissant de la recherche publique, mais il y a quand même intérêt à ce que les entreprises et l’État interagissent pour orienter la recherche,  y compris publique, sur de tels domaines.

David Bonneau

La question fondamentale est : pourquoi soutenir le développement des sciences ? pourquoi mener des recherches ? Même si le dire comme cela est un peu abrupt, je crois que la vocation de la science n’est pas d’être au service des scientifiques. La vocation, le but de la science, et tout particulièrement de la recherche  publique, c’est d’être au service de la société, de la communauté nationale dans son ensemble, de poursuivre l’intérêt général dans l’intérêt des personnes. Prenons l’exemple de la médecine : le but ultime de la recherche médicale, c’est de soigner, d’apaiser les souffrances, de prolonger la vie ; ce n’est pas de produire des médicaments, de déposer des brevets, qui ne sont que des moyens de parvenir au but ; ce n’est pas non plus de satisfaire les intérêts des médecins, bien que leur rôle soit très important et qu’ils sont éminemment nécessaires ; le but, c’est de soigner et d’améliorer les conditions de vie. Je crois qu’il ne faut jamais perdre de vue ces besoins-là, ces besoins ultimes. La difficulté, c’est qu’entre le point de départ et le point d’arrivée, il y a toute une chaîne qui se met en place et qui est effectivement longue et plus ou moins évidente à construire parce qu’il y a des sujets dont on voit moins la traduction immédiate, le « bénéfice », au sens large et pas seulement économique, qu’elle peut procurer aux hommes et aux femmes.

Bruno Bensasson

Mais il y a la question des fins, de la finalité des sciences et on peut vite verser dans la polémique… Alors, il y a le soupçon de l’utilitarisme ; si on laisse les entreprises parler, ou pire, si on ne laisse que les entreprises parler, là, on va être dans le court terme, l’utilitarisme et les intérêts économiques, ou pire, les intérêts privés, financiers… des « gros mots »,  même si quand on parle d’épargnants, ça va un  peu  mieux  alors  que c’est la même chose… Non ! L’utilité, le privé, ce ne sont pas des gros mots : les entreprises privées satisfont de vrais besoins de vrais gens, des besoins légitimes, sauf à considérer qu’un bien privé acheté aurait moins de « vraie » valeur qu’un bien public, « gratuit » ou non, que les vrais gens se tromperaient dans leurs libres choix – au nom de quoi ?

Il faut éviter cette vision étriquée, utilitariste, de la recherche comme de l’enseignement ; l’enseignement, ça ne vise pas qu’à faire que des travailleurs. La science, ça ne vise pas qu’à faire des brevets pour l’industrie. Mais au motif ou sous prétexte qu’il y a cette peur – qui peut aussi être fondée par certains aspects –, on rejetterait tout.

On rejetterait ainsi l’idée que les étudiants doivent intégrer la question des débouchés ou au moins qu’ils sont en droit d’en être informés ? Est-ce qu’ils vont avoir un travail ? Dans combien de temps ? Est-ce que ça va ressembler à peu près à ce qu’ils attendaient ? Est-ce qu’ils vont être à peu près payés tout au long de leur carrière ? De même pour la question de la finalité de la recherche… Entre les sujets qui ont pour but le progrès général des connaissances, l’émancipation de l’humanité, et les sujets consistant à obtenir des applications très pratiques, il y a toute une gamme. On ne peut donc pas regarder la finalité de chacun, il faut avoir une vision d’ensemble et sans doute discipline par discipline, ce doit être faisable.

David Bonneau

Tout à fait, mais je crois que là aussi, il y a comme un biais entre les discours qui sont tenus par certains et les acteurs du système eux-mêmes. Prenons la question des étudiants et de la finalité de leurs études. La finalité de l’université, ce n’est pas uniquement de leur offrir un emploi à l’issue de leurs études. Elle est plus vaste. Il n’en demeure pas moins que c’est un élément très important, qui est pris en compte par les responsables politiques, de tous bords d’ailleurs, mais plus encore, et ce n’est sans doute pas assez dit, par les étudiants eux-mêmes – sans oublier leurs parents –, qui réclament des débouchés au terme de leurs études. On le voit très clairement au travers du nouveau système de préinscription mis en place par la loi LRU, dans lequel les étudiants dressent, par ordre de priorité, la liste des  établissements  dans  lesquels ils souhaiteraient aller étudier. Et quelles sont les filières qui arrivent en tête ? Ce sont les filières qui offrent le plus de débouchés : les BTS, les DUT. C’est là qu’on voit très bien que les étudiants sont très sensés et ont une vision juste et débarrassée de tout ce qu’il peut y avoir comme idéologie dans notre système d’enseignement supérieur.

Bruno Bensasson

Ce n’est pas toujours ce qu’on entend en tête des manifestations…

David Bonneau

Ce n’est peut-être pas ce qu’on entend en tête des manifestations, mais c’est quand même la réalité pour la très grande majorité des étudiants, comme les chiffres le montrent, et pour la très grande majorité de la population.

Bruno Bensasson

Oui, et je pense qu’entreprises et universités ont à gagner dans les relations établies entre elles, parce que la recherche publique y trouve  des financements et y rencontre une certaine « réalité ». Et l’entreprise privée, elle, gagne en compétences. Et si à travers le monde et en France,  la recherche publique a tant d’importance au sein de la recherche en général, c’est tout simplement parce que c’est un domaine où on voit le plus d’externalités positives. Le fait que la recherche de l’un va servir à tous est évident. Une entreprise privée va investir sur une découverte, une innovation qu’elle va savoir breveter, utiliser, alors que quelque chose qui va éclairer ou servir à tout le monde relève davantage de la fonction de la recherche publique ; dans la structure de la recherche, il y  a quand même beaucoup de cela.

Je ne sais pas si le « chiffre magique » de 1% pour le public, 2% pour le privé dans tous les secteurs, indépendamment de la structure économique, pour aboutir aux 3% de la stratégie de Lisbonne, est parfaitement avisé, mais l’idée qu’il y a besoin d’une part publique et d’une part privée me paraît très bonne. La part respective, c’est 3%, et je pense que ça dépend beaucoup du tissu industriel et économique. Je pense que l’analyse des structures industrielles est intéressante. On ne peut pas attendre le même volume de recherche d’un secteur comme l’informatique, d’un secteur comme la santé, d’un secteur comme l’agriculture ou d’un secteur comme le tourisme.

Donc, chaque pays, en fonction de son organisation et de sa structure économique et industrielle, n’a pas vocation à avoir le même volume de recherche et, de la même façon, la répartition un tiers-deux tiers, je n’en  ai pas encore vu le fondement exact. Et pour les mêmes raisons que précédemment, j’ai cru comprendre que cela dépend de la nature technique, de la réalité technique des sujets. Il y a des sujets qui se prêtent plus à de la recherche publique parce qu’ils présentent sans doute plus d’externalités, et il y a des sujets qui peuvent plus se prêter à de la recherche privée parce qu’il y a de l’application. Mais là aussi, ça dépend quand même beaucoup de la nature technique de l’objet dont on parle.

David Bonneau

Je crois qu’il faut également voir qu’il y a certains domaines dans les- quels, de toute façon, si le public n’investit pas, le privé n’investira jamais. Plus l’incertitude augmente quant aux résultats attendus, moins l’entreprise a d’intérêts à mener des recherches. L’entreprise n’a pas vocation à assumer le développement des connaissances fondamentales de telle ou telle science. L’objet de l’entreprise, ça reste quand même de développer des applications sous forme de produits qu’elle puisse vendre.

En revanche, il faut absolument que l’entreprise soit en mesure de se saisir des avancées qui ont été réalisées par la recherche publique pour les traduire en produits ou en services utilisables et bénéfiques à nos concitoyens. Cette interaction est indispensable car elle est la condition pour que les recherches menées atteignent leur finalité. Mais elle doit se faire dans un rapport équitable avec une juste rétribution du public.

Bruno Bensasson

Je pense qu’il n’y a vraiment presque que des avantages à ces collaborations. Donc la seule difficulté, c’est de dépasser le stade de la diabolisation du rôle du secteur privé, qu’on entend encore parfois, de moins en moins je crois ; il faut juste un respect mutuel.

David Bonneau

Oui, il est important que l’intervention de l’entreprise soit considérée comme bénéfique, comme un élément nécessaire du processus pour valoriser les résultats de la recherche publique. Mon expérience montre que, notamment grâce aux outils mis en place par la loi LRU, tels que les fondations, les mentalités évoluent dans le bon sens et que les personnes de bonne volonté sont plus nombreuses qu’on le croit. Mais la diabolisation persiste chez certains et ralentit les avancées. Pourtant, quand on regarde les chiffres, il y a une telle prédominance du financement public sur le financement privé que le danger d’une mainmise du privé sur la recherche menée par les opérateurs publics, comme sur l’université, est vraiment de l’ordre du fantasme.

 

Bruno Bensasson

C’est là qu’on revient à des sujets politiques. Le fantasme privé versus public vu de l’entreprise, vous me demandez ce que j’en pense : cela relève tellement du fantasme, de la diabolisation ou de la caricature que ça n’appelle aucune véritable réaction de ma  part. De même pour les caricatures qu’on pourrait faire de la recherche publique qui ne serait pas efficace, qui ne se concentrerait pas sur les bons sujets, etc. Heureusement, dans la vraie vie, dans les échanges que nous avons avec la recherche publique, nous ne pouvons que nous féliciter de la qualité des équipes avec lesquelles nous travaillons ; si les figures mythiques sont encore très présentes dans certaines postures politiques, on peut se réjouir que les choses évoluent dans le bon sens dans la réalité concrète : il y a assurément de quoi être optimiste !

Paris, le 27 avril 2009

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