Le nouveau Parlement : la révision du 23 juillet 2008
Introduction
Le sens d’une réforme constitutionnelle
L’esprit libéral de la révision de 2008
Du parlementarisme rationalisé au parlementarisme responsabilisé
L’importance de la pratique
Mieux légiférer, organiser davantage
Ordre du jour partagé ou négocié ?
Quel champ pour l’initiative législative parlementaire ?
Contre la « dictature de l’urgence », les vertus du temps parlementaire
Gouvernement et Parlement à armes égales, des commissions renforcées
Conserver au gouvernement la capacité de légiférer
Mieux organiser la délibération : la réforme du temps législatif programmé
Le retour aux résolutions parlementaires
Les nouveaux pouvoir de contrôle du Parlement
Un faire-savoir à améliorer
Du « domaine réservé » au domaine partagé
L’examen des nominations
Un Parlement plus en prise avec les décisions européennes
Un champ d’application privilégié pour les droits de l’opposition
Des droits de l’opposition désormais effectifs
De nouveaux chantiers en perspectives
Résumé
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, issue des travaux du comité Balladur, visait à revaloriser la place du Parlement au sein des institutions de la Ve République. D’esprit libéral, cette révision a desserré le carcan du parlementarisme rationalisé en donnant davantage de prérogatives aux assemblées elles-mêmes, aussi bien dans la procédure législative que pour l’évaluation et le contrôle.
Désormais, les assemblées bénéficient de nouveaux pouvoirs en matière de fixation de leur ordre du jour, de délais pour l’examen des textes, de prise en compte des travaux des commissions permanentes, d’organisation de la délibération en séance publique ou d’adoption de résolutions, mais aussi pour contrôler l’exécutif aussi bien dans ce qu’il était convenu d’appeler le « domaine réservé » que pour les nominations décidées par l’exécutif.
La révision de 2008 a également inscrit parmi les missions du Parlement l’évaluation des politiques publiques pour laquelle une nouvelle culture parlementaire se met progressivement en place à l’instar de ce qui existe dans les parlements anglo-saxons.
Par ailleurs, l’évaluation et le contrôle constituent un champ privilégié pour la mise en œuvre des droits spécifiques de l’opposition dont le principe figure désormais dans la Constitution et dont le contenu est déterminé par les règlements des assemblées.
Tous ces nouveaux pouvoirs et droits ont été progressivement mis en œuvre, contribuant ainsi à un véritable renouveau du Parlement dans la Ve République.
Jean-Félix Bujadoux,
Conseiller auprès du président de l’Assemblée nationale*
* Les propos contenus dans cette note n’engagent que son auteur et sont exprimés à titre personnel.
Introduction
Nicolas Sarkozy, « Une démocratie irréprochable », Le Monde, 9 mars 2007.
« Nous devons accorder davantage d’autonomie au Parlement dans la conduite de son activité législative et de contrôle de l’action du gouvernement », ibid.
Frédéric Rouvillois, Une nouvelle VeRépublique. Réflexions sur les suites du rapport du comité Balladur, note pour la Fondapol, juin 2008.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été voulue par le président de la République, après qu’il en a annoncé les principaux axes pendant la campagne électorale2. La revalorisation du rôle du Parlement figurait au premier rang des objectifs fixés3. Cette révision, le chef de l’État l’a portée jusqu’à son terme, en convoquant le Congrès à Versailles alors que le résultat final était incertain. De fait, le 21 juillet 2008, la révision n’a été adoptée qu’avec deux voix d’avance sur la majorité qualifiée requise.
Pour conduire ce grand chantier institutionnel, le chef de l’État avait d’abord mis en place un Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dont la présidence avait été confiée à Édouard Balladur.
Tracée dans son architecture globale par le comité Balladur4, présentée dans le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République déposé le 23 avril et discuté longuement dans les deux chambres, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est la plus importante depuis celle de 1962.
Le bloc normatif qui en est issu est considérable. Trente-neuf articles ont été modifiés et neuf articles ajoutés dans la Constitution. Neuf lois organiques en découlant ont été adoptées. Les règlements des assemblées ont été profondément réformés. Ainsi la résolution du 27 mai 2009 a modifié pas moins de cent six articles du règlement de l’Assemblée nationale, en a créé vingt-neuf nouveaux et supprimé neuf sur un total initial de cent soixante-quatre dans l’ancien règlement.
Le sens d’une réforme constitutionnelle
Une révision de la Constitution aussi importante que celle de 2008, ce sont, pour paraphraser le général de Gaulle, « un esprit, des institutions, une pratique ».
L’esprit libéral de la révision de 2008
L’esprit de la révision de 2008, « c’est d’abord l’idée d’équilibre qui l’inspire », selon Édouard Balladur. Une idée profondément libérale dans son essence. Les institutions de la Ve République sont le fruit de la synthèse de deux cultures constitutionnelles ancrées dans notre histoire. Un constitutionnalisme gaullo-consulaire qui met l’accent sur le lien direct entre le peuple et son représentant suprême, que ce soit l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État ou sa faculté de pouvoir en appeler au peuple par le plébiscite, le référendum et la dissolution de la Chambre basse. Un constitutionnalisme libéral : celui du XIXe siècle d’abord, héritier de Montesquieu et théorisé par Benjamin Constant, notamment. Il repose sur la séparation et la collaboration entre les pouvoirs, sur le bicamérisme et l’importance donnée aux droits parlementaires, sur la protection des libertés et droits fondamentaux. Celui, néolibéral, des « révisionnistes » des années 1930, tel Tardieu, ensuite, soucieux de restaurer le pouvoir exécutif mis à mal par la dégénérescence de la IIIe République en régime d’assemblée.
Depuis 1791, les régimes politiques, fondés sur l’un ou l’autre, ont alterné en France. Pour la première fois, les institutions de la Ve République concilient, au sein d’un même texte constitutionnel, ces deux cultures incarnées par le général de Gaulle, authentique « monarque républicain », et Michel Debré, véritable « légiste néolibéral ». La souplesse de cette combinaison garantit la stabilité et la pérennité des institutions de la Ve République et renforce leur capacité à surmonter les crises et les changements politiques majeurs que la France a connus depuis 1958.
Depuis cinquante ans, les révisions constitutionnelles successives semblent se répondre les unes aux autres afin de garantir l’équilibre entre ces deux cultures constitutionnelles. Les réformes de l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962, de l’élargissement du champ du référendum en 1995, du quinquennat en 2000, complétées par la loi organique de 2001 sur la prééminence calendaire de l’élection présidentielle sur les élections législatives, ont renforcé la logique présidentialiste des institutions. Les révisions relatives au droit de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou sénateurs en 1974, à la session unique et de droits accrus pour les parlementaires en 1995, au vote et au contrôle du « budget social » de la nation par le Parlement en 1996 ont infléchi le fonctionnement des institutions dans un sens parlementaire.
La réforme de 2008 s’inscrit, sans conteste, parmi les révisions inspirées par le constitutionnalisme libéral, puisqu’il s’agissait « non pas d’affaiblir le pouvoir exécutif mais de mieux le contrôler et de réaffirmer les droits du Parlement et des citoyens5 ». Cette recherche « d’un nouvel équilibre entre l’exécutif et le législatif », cette volonté d’« établir des contrepoids au pouvoir présidentiel6 » renvoient à une conception mécaniste des institutions chère à Montesquieu, toujours attentif à « combiner», à « tempérer» et à « régler» le jeu entre les différents pouvoirs.
Du parlementarisme rationalisé au parlementarisme responsabilisé
Bernard Accoyer : « Parlement renforcé, Ve République confortée », Commentaire, vol. 33, n°131, automne 2010, p. 605-612.
Anne Levade, « Les nouveaux équilibres de la VeRépublique », Revue française de droit constitutionnel, n°82, avril 2010, p. 227-256.
Céline Vintzel, Les Armes du gouvernement dans la procédure législative, Dalloz-Sirey, Paris, 2011.
Nicolas Roussellier, « Gouvernement et Parlement dans l’entre-deux-guerres », in Marc Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, La Découverte, Paris, 2000, p. 111-126.
Avec le Conseil constitutionnel, le Parlement figure au premier rang des institutions renforcées7 par la révision de 2008.
Il aura fallu quatre-vingt-trois ans à la République pour prendre « figure de gouvernement », selon la formule de Jules Ferry, pour bâtir cet équilibre durable entre l’exécutif et le législatif réclamé en leur temps par Gambetta, Tardieu ou Blum, tous hostiles au régime d’assemblée. Il revenait à Michel Debré, héritier de ces « républicains de gouvernement », de donner à l’exécutif les moyens de gouverner sans subir la « tyrannie de la séance ».
L’arsenal du parlementarisme rationalisé constitué en 1958 visait à permettre au gouvernement de faire adopter au Parlement, dans des délais raisonnables et sans qu’ils soient dénaturés, ses projets de loi, traduction directe des grandes orientations validées par les électeurs. Il devait également empêcher que la responsabilité du gouvernement puisse être constamment mise en cause en dehors des procédures constitutionnelles prévues à cet effet. Maîtrise de l’ordre du jour des assemblées, procédure d’examen des textes en urgence, discussion en séance publique des projets de loi initiaux déposés par le gouvernement, vote bloqué et article 49-3, autant d’armes au service du gouvernement destinées, avant tout, à l’origine, à pallier l’absence de majorité stable, disciplinée et homogène à l’Assemblée nationale.
L’émergence imprévue du fait majoritaire en 1962, sa confirmation au fil des alternances successives, combinées avec cet arsenal gouvernemental, sont venues bouleverser l’équilibre voulu par les constituants de 1958 entre le gouvernement et le Parlement. La réforme du quinquennat en 2000, complétée par la loi organique de 2001 sur la prééminence calendaire de l’élection présidentielle, a conforté les conditions propres à l’affirmation du fait majoritaire dans son expression la plus aboutie, celle de la majorité présidentielle.
Pour rétablir l’équilibre entre l’exécutif et le législatif, la révision constitutionnelle de 2008 a choisi de rénover le parlementarisme rationalisé, en transférant la maîtrise d’une partie de ces instruments du gouvernement aux assemblées elles-mêmes.
Il ne s’agit pas de renoncer au parlementarisme rationalisé, mais de « rationaliser autrement8 ». Ce choix n’est ni surprenant ni singulier. Dans toutes les grandes démocraties européennes9, le gouvernement dispose des « moyens procéduraux » nécessaires pour faire adopter ses projets de loi. Dans la « variante classique » du parlementarisme rationalisé, c’est le gouvernement en propre qui possède les armes afférentes ; dans la « variante moderne », les « assemblées elles-mêmes, pour le compte des gouvernements, sont les surveillantes générales du travail législatif ». Jusqu’en 2008, la France se rattachait au premier modèle. Elle constitue, depuis lors, comme le Royaume-Uni, un « cas intermédiaire », tandis que l’Allemagne et l’Italie se rattachent à la seconde variante.
La révision de 2008 a donné ou rendu nombre de pouvoirs au Parlement dans le domaine de la maîtrise de son ordre du jour, de l’initiative législative, du rôle des commissions dans l’élaboration de la loi, de la possibilité d’adopter des résolutions ou de l’accroissement de ses pouvoirs d’évaluation et de contrôle.
« Rationaliser autrement » sous la Ve République, c’est, par une ruse de l’histoire, renouer en partie avec les tentatives engagées à la Chambre des députés à la fin de la IIIe République pour organiser et rationaliser la délibération parlementaire. Plusieurs réformes successives du règlement de la Chambre des députés, intervenues en 1915, 1926, 1932 et 1935, ont, en effet, porté aussi bien sur le travail des commissions, sur l’organisation des débats, sur la répartition du temps de parole, sur l’expression des groupes parlementaires que sur l’affirmation du rôle de la conférence des présidents10.
L’importance de la pratique
Pierre Avril, « Enchantements et désenchantements constitutionnels sous la Ve République », Pouvoirs, « La Ve République », no 126, septembre 2008, p. 5-16.
Jean Gicquel, « La reparlementarisation : une perspective d’évolution », ibid., p. 47-60.
Bernard Accoyer, « Il n’y a pas de Ve République bis », Le Monde, 30 mai 2009.
Jean-François Copé, « Vers le régime présidentiel. Pour un Parlement rénové », Commentaire, vol. 33, n°129, printemps 2010, p. 51-62.
Une Constitution ne se réduit pas uniquement à sa lettre. La pratique des différents acteurs constitutionnels et politiques, leur interprétation des textes, fondée sur l’idée qu’ils se font des institutions, sont essentielles. La mise en place de nouvelles institutions est tributaire des circonstances et des hommes, comme du contexte politique et de la force des habitudes11. La pratique, la force des précédents forgés par les acteurs de la mise en œuvre de la révision de 2008 contribueront à lui donner pleine- ment son sens ou à en détourner l’esprit.
Au niveau du pouvoir exécutif, d’abord. Dès le 22 octobre 2008, recevant les parlementaires de la majorité, François Fillon a précisé son interprétation de la révision constitutionnelle : « Nous n’avons pas changé de République. Le Parlement doit être beaucoup plus associé en amont, mais, dans notre système politique, c’est encore le gouvernement qui, sur les sujets essentiels, présente ses projets de loi et engage le débat avec le Parlement. » Autre interrogation, celle portant sur une nouvelle répartition des rôles au sein du couple exécutif dans les rapports avec la majorité parlementaire. Le président de la République a, dans un premier temps, paru assurer directement la conduite de la majorité parlementaire. En témoignent aussi bien le transfert de Matignon à l’Élysée du lieu du petit déjeuner hebdomadaire des chefs de la majorité que l’invitation régulière des parlementaires de la majorité rue du Faubourg-Saint-Honoré, à l’Élysée, pour de véritables échanges avec le président, là où ses prédécesseurs se limitaient à une réception protocolaire annuelle.
Au fil du quinquennat, le fonctionnement du couple exécutif, un des plus durables de la Ve République, est revenu à une articulation des rôles plus traditionnelle. Le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire, a conservé tout son poids dans le jeu des institutions après la révision de 2008. C’était le souhait des parlementaires eux-mêmes, qui ont supprimé d’un projet de révision constitutionnelle déjà en retrait sur ce point par rapport aux recommandations du comité Balladur, toutes les dispositions modifiant la répartition des attributions entre le président et le Premier ministre. Dans les équilibres au sein du pouvoir exécutif, la « reparlementarisation12 » du régime bénéficie au Premier ministre, à condition qu’il puisse s’appuyer sur des groupes parlementaires solides, cohérents et fidèles.
Quant à la faculté désormais donnée au chef de l’État de s’exprimer devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, la mise en œuvre, le 22 juin 2009, de cette disposition controversée lors de son adoption, a démontré qu’elle permettait surtout de moderniser la pratique désuète du message aux assemblées, lu devant des parlementaires debout et silencieux. Que le président de la République s’adresse au pays sur les grandes orientations à venir à travers ses représentants plutôt qu’à la télévision marque l’importance du Parlement au sein des institutions. Au sein du Parlement, ensuite. Le président de l’Assemblée nationale, attentif à ce que les assemblées mettent pleinement en œuvre leurs nouvelles attributions, reste attaché à une lecture traditionnelle des institutions13. Pour la quatrième fois seulement depuis 1958, un groupe détient à lui seul la majorité absolue. Après la révision de 2008, son président considérait que la Ve République « se transform[ait] en profondeur » et se « rapproch[ait] d’un régime présidentiel, caractérisé par deux pouvoirs forts qui sont obligés de travailler ensemble ». Dans ce contexte, « l’enjeu est de faire émerger en face de l’hyperprésident, l’hyperparlement14 ». Le Sénat, où le fait majoritaire s’impose moins nettement, apparaît décidé à faire valoir ses traditions d’autonomie et d’indépendance et à poursuivre la marche vers un bicamérisme de plus en plus égalitaire dans la pratique, à défaut de l’être dans les textes.
Mieux légiférer, organiser davantage
Jean-Pierre Camby et Pierre Servent, Le Travail parlementaire sous la Cinquième République, 5e éd., Montchrestien, Paris, 2010
Depuis 1958, le Parlement a souvent été caricaturé en chambre d’enregistrement, simple greffier des volontés gouvernementales, à la part réduite à peau de chagrin dans le processus de décision publique15. Il a aussi été amené à légiférer trop et trop vite, sans évaluer l’application de la législation antérieure ou les conséquences des dispositions proposées, sans suffisamment prendre en compte le travail des députés. Le résultat de la révision de 2008, c’est un Parlement qui retrouve l’initiative sur son propre travail pour légiférer mieux, de manière plus approfondie et mieux organisée.
Ordre du jour partagé ou négocié ?
Jean-François Copé, op. cit.
Changement majeur avec la situation antérieure, la révision de 2008 a fixé le principe de l’ordre du jour dit « partagé ».
Dans chaque assemblée, deux semaines mensuelles sont réservées par priorité à l’ordre du jour fixé par le gouvernement. L’ordre du jour des deux autres semaines, dont l’une réservée par priorité au contrôle de l’action du gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, est fixé par les assemblées elles-mêmes. Il revient, en pratique, aux conférences des présidents de l’Assemblée et du Sénat de le déterminer.
La conférence des présidents réunit autour du président de l’institution, ses vice-présidents, les présidents des groupes parlementaires et des commissions permanentes, le rapporteur général du Budget et le président de la commission des Affaires européennes, ainsi que le ministre chargé des Relations avec le Parlement. Cependant, le fait majoritaire, entré à l’Assemblée nationale depuis 1962, s’impose de fait en conférence des présidents. En donnant à l’Assemblée la maîtrise d’une partie de son ordre du jour, la révision constitutionnelle a nourri les pouvoirs de la majorité parlementaire.
Dans l’esprit de la réforme proposée par le comité Balladur, comme dans celui du gouvernement et du président de l’Assemblée nationale, l’ordre du jour partagé devait surtout être en pratique un ordre du jour négocié. La concertation entre le gouvernement et sa majorité doit porter sur les textes à appeler en discussion en priorité, qu’ils soient issus d’une initiative parlementaire ou gouvernementale. À l’inverse, le président du groupe majoritaire a insisté, lors de l’entrée en vigueur de la réforme, sur l’importance de nourrir les semaines d’initiative parlementaire par l’examen de propositions de loi et la nécessité pour les députés de « porter des propositions structurantes, notamment dans des domaines où l’exécutif reste en retrait16 ».
La pratique dans les deux assemblées est venue préciser les choses. À l’Assemblée nationale, en dehors de la journée réservée à l’opposition, le contenu des semaines d’initiative législative y varie entre semaines consacrées pour l’essentiel à la discussion d’un projet de loi jugé prioritaire, semaines réservées entièrement à l’examen de propositions de loi et semaines mixtes, cumulant l’examen de textes de nature différente. En pratique, c’est la conception de l’ordre du jour négocié qui semble s’imposer. À l’inverse, au Sénat, où le fait majoritaire est atténué, la répartition des séances de la semaine d’initiative parlementaire s’effectue quasi exclusivement entre les cinq groupes parlementaires. Le gouvernement ne peut obtenir l’examen de projets de loi qu’au cours des séances attribuées au groupe majoritaire. La conception d’un ordre du jour strictement partagé prévaut très largement.
La mise en œuvre de l’ordre du jour partagé a accru la place donnée à l’initiative parlementaire. La part des propositions de loi sur l’ensemble des textes adoptés, qui s’établissait à 25 % pour les deux premières sessions de la législature, atteint 35 % depuis la mise en œuvre de la réforme. Cependant, une bonne part de ses propositions est souvent préparée avec, voire sous l’impulsion du gouvernement. Quoi qu’il en soit, les rapports de force entre l’exécutif et les assemblées ont évolué, contraignant le gouvernement à davantage négocier avec sa majorité législative et avec la majorité sénatoriale.
Quel champ pour l’initiative législative parlementaire ?
Rapport public 2010 du Conseil d’État.
Samuel Le Goff, «Le Conseil d’État et le Parlement».
Philippe Séguin, Itinéraire dans la France d’en haut, d’en bas et d’ailleurs, Seuil, Paris, 2003.
Bénéficiant d’une place accrue dans l’ordre du jour, l’initiative parlementaire a-t-elle pour autant gagné dans son champ matériel ? Elle bénéficie d’abord de nouvelles dispositions constitutionnelles destinées à la sécuriser sur le plan juridique. Les présidents des assemblées peuvent, avec l’accord de leurs auteurs, solliciter l’avis du Conseil d’État sur les propositions de loi. Cette faculté a été mise en œuvre à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale, en particulier pour la proposition de loi Warsmann sur la simplification du droit17 ou sur celle concernant l’indemnisation des accidents de la route18.
À l’instar du droit applicable aux projets de loi depuis la loi dite Larcher du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social, les assemblées se sont dotées de protocoles organisant une consultation préalable avec les partenaires sociaux pour les propositions de loi à caractère social relevant du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle. Le Sénat a mis en œuvre ce dispositif à plusieurs reprises depuis novembre 2010 et l’Assemblée vient de le faire sur une proposition de loi sur le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels.
Dans son contenu, la législation d’initiative parlementaire apparaît d’abord comme une législation de « proximité », souvent nourrie par les contacts quotidiens entre les parlementaires et les Français, ou d’initiatives portant sur des débats qui traversent les courants politiques. La loi dite Carrez du 18 décembre 1996 relative à la protection des acquéreurs de lots en copropriété, la loi dite Léonetti du 22 avril 2005 sur les droits des malades et à la fin de vie ou la loi du 9 juillet 2010 sur le renforcement de la protection des victimes, de la prévention et de la répression des violences faites aux femmes, issue des travaux d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, en sont l’exemple.
Les propositions de loi initiées depuis 2009 par le groupe majoritaire à l’Assemblée et définitivement adoptées ont porté sur des sujets importants, mais dont le champ reste restreint : l’indemnisation des victimes d’accidents de la route, la simplification et l’amélioration de la qualité du droit, l’accès des PME au crédit, la parité dans les conseils d’administration, la lutte contre l’inceste ou l’équipement numérique des salles de cinéma.
On touche aux limites rappelées par l’ancien président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin : « Le Parlement n’a strictement rien à gagner à chercher à concurrencer le gouvernement sur le terrain de l’action législative. […] En fait, quel que soit le domaine considéré, la mise au point d’une législation exige aujourd’hui des moyens de recherche, d’investigation, de comparaison, d’expérimentation, d’expertise, de vérification et d’évaluation, dont ne dispose pas un parlement19. »
En ce qui concerne l’initiative législative de l’opposition, cette dernière bénéficie à l’Assemblée nationale de trois fois plus de séances qu’auparavant. Néanmoins, elle reste confrontée au fait majoritaire. Hormis quelques textes consensuels ou de nature technique, ceux déposés par l’opposition ont vocation à être rejetés. Ce qui l’a conduit à privilégier une utilisation tribunitienne de ses séances pour faire examiner des textes emblématiques : propositions relatives au droit de vote des étrangers, à l’interdiction du cumul des mandats ou au pluralisme dans les médias.
Contre la « dictature de l’urgence », les vertus du temps parlementaire
Gilles Finchelstein, La Dictature de l’urgence, Fayard, Paris, 2011.
Soucieux d’éviter l’enlisement au Parlement qui a marqué la discussion de quelques grandes réformes – il aura fallu pas moins de sept années pour faire voter le projet Caillaux de création de l’impôt sur le revenu en 1914 – ou paralysé l’action gouvernementale dans des moments impor- tants, le constituant de 1958 a donné au gouvernement la faculté de pouvoir faire examiner ses textes selon une procédure d’urgence limi- tant leur discussion dans chaque assemblée à une seule lecture, dans des délais pouvant être très courts.
Limité dans les débuts de la Ve République, le recours à l’urgence s’est généralisé progressivement sous la pression de l’accélération du temps médiatique et, par conséquent, politique. Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin a engagé l’urgence sur 40% de ses projets de loi, les gouvernements Raffarin et Villepin pour 38% de leurs projets de loi entre 2002 et 2007. Dans un pays où sa force symbolique reste entière, l’adoption rapide d’une loi est considérée comme la marque d’un gouvernement en action : « Aujourd’hui, ce n’est plus la loi qui fait l’événement, mais l’événement qui fait la loi20. »
Régulièrement dénoncée par le Conseil d’État, cette précipitation, souvent injustifiée, nuit à la qualité du droit. Le respect du temps parlementaire conditionne la qualité de la loi. Les délibérations successives, les navettes entre les deux assemblées participent à l’amélioration des textes examinés. À l’inverse, le recours à la procédure d’urgence débouche souvent sur des textes mal ficelés, sans entraîner pour autant une publication plus rapide des décrets d’application. Bien au contraire, l’écriture de la loi ayant été bâclée, le pouvoir réglementaire est embarrassé pour la rédaction des textes d’application.
En outre, dans la nouvelle procédure législative issue de la révision de 2008, le recours à la procédure accélérée, en limitant l’examen du texte à une seule lecture dans chaque assemblée, remet en cause les équilibres du bicamérisme. Dans les faits, c’est la seconde assemblée saisie, souvent le Sénat et, plus précisément, la commission saisie au fond, qui dispose du temps nécessaire pour effectuer un travail approfondi. Ainsi, le texte adopté au final, fruit d’un compromis entre l’Assemblée et le Sénat, est proche de celui voté par la dernière assemblée saisie.
La révision de 2008 a voulu redonner au Parlement plus de temps pour l’élaboration de la loi. Des délais incompressibles de six semaines entre le dépôt d’un texte et son examen en séance, puis de quatre semaines avant sa discussion par l’autre assemblée, s’imposent. En outre, les conférences des présidents des deux assemblées peuvent s’opposer conjointement à la mise en œuvre de l’urgence rebaptisée « procédure accélérée ».
Les présidents des assemblées ont su faire de cette disposition une véritable arme de dissuasion. Si, en droit, elle n’a pas été utilisée, la perspective de sa mise en œuvre a conduit le gouvernement à renoncer à la procédure accélérée pour plusieurs textes importants. Le président Accoyer a établi une véritable doctrine visant à ce que la procédure accélérée ne soit plus engagée sur les textes touchant aux libertés publiques. Ainsi, au cours des derniers mois, les projets de loi relatifs à la sécurité intérieure, à l’immigration, à la réforme de la garde à vue ou à celle de l’hospitalisation d’office ont été examinés selon la procédure normale.
Désormais, après un usage massif pour les textes déposés avant l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, par crainte d’un saut dans l’inconnu, le gouvernement est revenu à un usage de la procédure accélérée plus conforme à son esprit initial. Le nombre de textes examinés en procédure accélérée a diminué de moitié en deux années.
L’assemblée, et plus particulièrement ses commissions, dispose ainsi du temps nécessaire pour examiner les textes et les amendements apportés par l’autre chambre. C’est le gage d’une meilleure qualité de la norme commune et de la décision démocratique retenue.
Gouvernement et Parlement à armes égales, des commissions renforcées
Cité par Joël Genard, in « Réforme constitutionnelle de 2008 : nécessaire mais pas suffisante », L’Hémicycle, n°410, 25 mai 2011, p. 11.
Le constituant de 1958, méfiant vis-à-vis des commissions parlementaires permanentes a sévèrement encadré leur nombre et leurs pouvoirs. La révision de 2008 a voulu rendre à ces organes, composés de députés spécialisés dans un domaine, une partie de leurs prérogatives dans le travail législatif.
Le nombre de commissions permanentes dans chaque assemblée peut être désormais porté de six à huit. L’Assemblée nationale a choisi d’en créer deux nouvelles, une commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, et, dans le prolongement du Grenelle de l’environnement, une commission de l’Aménagement du territoire et du Développement durable.
En plus de délais accrus pour travailler les textes, les commissions disposent désormais, en application de la loi organique du 15 avril 2009, d’études d’impact sur les conséquences économiques, sociales, environnementales des projets de loi et l’évaluation de la législation antérieure. La pratique a démontré la nécessité de telles études d’impact pour l’initiative législative parlementaire, notamment lorsqu’elle porte sur des domaines techniques. Sous l’impulsion du président Accoyer, l’Assemblée nationale cherche à se doter d’un dispositif adéquat.
Changement majeur apporté par la révision de 2008, la discussion dans l’hémicycle s’engage sur le texte adopté par la commission et non plus sur le projet de loi initial du gouvernement. Cette réforme, qui s’applique à tous les projets de loi, hormis les projets de loi de finances, de financement de la Sécurité sociale et de révision constitutionnelle, a considérablement renforcé le poids des commissions permanentes et de leurs présidents dans l’élaboration de la loi. Comme le souligne Jean Gicquel, « la commission, qui était par le passé un organe préparatoire, devient un organe décisionnel21 ». L’apport des députés, davantage assidus en commission, est mieux valorisé. On ne refait plus en séance le travail déjà réalisé en commission sur les amendements techniques ou rédactionnels. Le débat y est recentré sur les enjeux essentiels du texte examiné.
Cette réforme modifie le rapport de force entre le gouvernement et les parlementaires. La « charge de la preuve » est inversée. En séance, c’est désormais au ministre de convaincre les députés de la pertinence d’en revenir à certains articles du texte initial. Des projets de loi importants ont ainsi été considérablement réécrits par les commissions, telles la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II, ou la loi du 15 avril 2011 relative à la garde à vue. La loi est désormais écrite par le Parlement.
Plusieurs garde-fous ont été introduits en vue d’éviter un retour aux commissions toutes-puissantes de jadis. L’article 40 de la Constitution encadrant la recevabilité financière des amendements est dorénavant strictement appliqué dès le stade de la commission. Le gouvernement peut y être présent à toutes les étapes de l’examen du projet de loi et des amendements déposés. Enfin, contrairement aux républiques précédentes, le gouvernement peut déposer des amendements en séance, notamment pour rétablir son texte initial dans les dispositions qu’il juge essentielles.
Le gouvernement et les députés sont à présent à armes égales dans la procédure législative, sans que l’on en soit revenu aux déséquilibres antérieurs. Reste une réforme à conduire, en cours à l’Assemblée nationale, celle de la publicité audiovisuelle des séances des commissions. Elle s’avère indispensable puisqu’y sont désormais écrits de larges pans de la loi. Elle donnerait aux citoyens une autre vision du travail parlementaire.
Conserver au gouvernement la capacité de légiférer
Au XXe siècle, la fonction législative s’est profondément transformée par rapport aux canons du parlementarisme classique. Sous la Ve République, gouverner, c’est légiférer, en particulier grâce au parlementarisme rationalisé de 1958, tandis qu’« il revient au Parlement de contrôler l’action législative du gouvernement. Par l’amendement, par l’adoption ou par le rejet22 ».
Or, depuis trente ans, la pratique de l’obstruction, cette véritable « pathologie parlementaire23 » s’est développée dans l’hémicycle. Pratiquée à tour de rôle sur tous les bancs, à coup de « murs» de milliers d’amendements ouvrant droit à un temps de parole utilisé à répéter inlassablement les mêmes arguments, voire à parler de tout sauf du texte en discussion, l’obstruction a atteint son paroxysme avec les 137.449 amendements déposés en 2006 sur le projet de loi relatif au secteur de l’énergie. Cette « bataille du temps », ces longs et paralysants marathons parlementaires de plusieurs semaines, émaillés de multiples incidents de séance, n’avaient pour seul but que de faire sortir le débat du Parlement de sorte que ce soit la rue qui décide du devenir d’un projet gouvernemental.
En outre, avec l’ordre du jour partagé, le gouvernement dispose de moitié moins de temps pour faire examiner ses projets de loi, sur lesquels il peut moins facilement engager la procédure accélérée. De plus, l’article 49-3, employé à mauvais escient mais efficacement contre l’obstruction de l’opposition, ne pourra être utilisé qu’une seule fois par session.
Par conséquent, les nouvelles dispositions appelaient une réforme de la procédure législative à l’Assemblée pour garantir l’adoption des projets gouvernementaux dans des délais raisonnables. Proposée par le président Accoyer lors de son audition par le comité Balladur, la réforme du temps législatif programmé, qu’il a conduite dans des circonstances difficiles, face à une opposition déterminée à conserver, par tous les moyens, la maîtrise de fait de la durée des débats, était indispensable. Sans cette réforme, tout gouvernement, quel qu’il soit, aurait risqué de se trouver privé des moyens de faire adopter, dans des délais raisonnables, son programme législatif.
Mieux organiser la délibération : la réforme du temps législatif programmé
Le temps législatif programmé trouve sa source dans le parlementarisme rationalisé de la IIIe République. À l’instigation de Léon Blum, en particulier, le règlement de la Chambre des députés avait donné, en 1935, à la conférence des présidents la faculté de programmer la durée des débats sur un texte de loi. Conservé et étoffé sous la IVe République à l’initiative des députés socialistes pour combattre l’obstruction des communistes, ce dispositif était demeuré dans le règlement de l’Assemblée nationale jusqu’en 1969, puis supprimé, l’obstruction ayant disparu. C’est ce dispositif, enrichi par des garanties pour l’opposition, qui a été repris dans la réforme du règlement de l’Assemblée nationale du 27 mai 2009.
Désormais, la conférence des présidents peut décider de programmer la durée maximale de l’examen de texte, à l’instar de ce qui existe dans tous les grands parlements du monde. À cette fin, elle fixe un crédit temps réparti à 60/40 entre l’opposition et la majorité, puis entre les groupes. Chaque groupe peut fixer sa stratégie de discussion d’un texte utilisant, comme il le souhaite, son temps au cours des différentes étapes de la discussion du texte : motions de procédure, discussion générale, discussion des articles et des amendements. Simplement, comme cela était déjà le cas entre 1935 et 1969, quand un groupe a épuisé son temps, ses amendements sont directement mis aux voix. L’opposition dispose de garanties sur la durée totale des débats. Chaque groupe peut obtenir de droit que le crédit temps réparti entre les groupes soit porté à 30 heures et, une fois par session, à 50 heures.
Le temps législatif programmé tend à devenir la procédure habituelle pour l’examen des textes les plus importants. La durée constatée des débats est comparable à celles observées au cours des dernières législatures sur les grandes réformes en l’absence d’obstruction caractérisée. Le droit d’amendement a été restauré dans son objet initial, qui est d’améliorer le texte. Le nombre d’amendements déposés en séance a baissé de moitié depuis la révision de 2008. Les projets de loi les plus emblématiques font dorénavant l’objet de quatre cents à cinq cents amendements, dont le contenu est réellement débattu. Les incidents de séance sont devenus rares, alors qu’ils pouvaient auparavant dépasser la centaine sur certains textes.
À présent, le temps n’est plus un enjeu et la « bataille du temps », qui dénaturait le travail législatif depuis trente ans, semble terminée. Loin de se restreindre à un cadre contraignant, le temps programmé permet d’apporter plus de souplesse dans la discussion de textes porteurs d’enjeux complexes. Ainsi les auteurs d’amendements au projet de révision des lois bioéthiques ont-ils pu disposer du temps nécessaire pour présenter leurs amendements, au lieu des deux minutes réglementaires de la procédure législative courante. Enfin, la programmation préalable des débats permet de faire respecter l’esprit de la session unique, adoptée en 1995, en permettant de fixer le nombre de séances nécessaires à l’examen d’un texte les mardi, mercredi et jeudi, sans être contraints, sauf exception, de déborder sur la fin de la semaine.
Vigoureusement dénoncé par l’opposition lors de son adoption, le temps programmé est maintenant entré dans les mœurs. Les groupes de la majorité comme de l’opposition en maîtrisent la pratique et les avantages. Il est fort probable qu’aucune majorité parlementaire ne reviendra sur ce dispositif dans les années à venir.
Le retour aux résolutions parlementaires
Sous les républiques précédentes, le Parlement avait pris l’habitude d’adopter des résolutions à caractère non normatif, progressivement transformées en motions de censure indirectes, contribuant à l’instabilité gouvernementale. Le Conseil constitutionnel les avait interdites en 1959 dans les règlements des assemblées.
La dégradation de la loi, souvent émaillée de dispositions purement déclaratives, ces « neutrons législatifs » dénoncés par Jean Foyer, a milité en faveur d’un retour aux résolutions. Ce débat a été relancé par la controverse autour des lois mémorielles, la mission d’information de l’Assemblée sur les questions mémorielles, présidée par Bernard Accoyer, concluant à l’unanimité que les résolutions étaient, pour le Parlement, un « meilleur outil d’expression sur l’histoire » que les lois mémorielles. La révision de 2008 a rétabli la possibilité de voter des résolutions par les assemblées, entendant toutefois éviter un retour aux pratiques du passé. Le gouvernement peut déclarer irrecevable une proposition de résolution s’il estime qu’elle est de nature à mettre en cause sa responsabilité ou constitue une injonction à son égard. Soucieux de fixer la pratique, le gouvernement n’a pas hésité à déclarer irrecevable une proposition de résolution déposée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, le 2 septembre 2009, sur le référendum d’initiative parlementaire et populaire. Réécrite, la proposition a été examinée et rejetée le 20 octobre dans l’hémicycle.
Ces garde-fous précisés, les résolutions peuvent jouer pleinement leur rôle : permettre au Parlement de rappeler de grands principes. Ainsi, à l’issue du débat sur le voile intégral, le 11 mai 2010 l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité des votants, une résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte.
Les nouveaux pouvoir de contrôle du Parlement
Un Parlement moderne, c’est un Parlement qui évalue et qui contrôle. Pendant longtemps, le contrôle parlementaire s’est presque exclusivement identifié à la possibilité de faire chuter le gouvernement. En outre, la durée de vie limitée des cabinets successifs ne permettait pas un contrôle approfondi sur une action ministérielle par nature éphémère. La stabilité des majorités sous la Ve République a contribué à faire émerger, depuis une trentaine d’années, un véritable contrôle de l’action gouvernementale, à l’instar de celui pratiqué de longue date dans les Parlements britannique et américain.
La révision constitutionnelle de 2008 a renforcé les pouvoirs des assemblées en la matière, inscrivant le contrôle de l’action gouvernementale et l’évaluation des politiques publiques parmi les missions du Parlement.
Les commissions permanentes, délégations et missions des assemblées, ainsi que l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques effectuent un travail considérable, souvent ignoré. À l’Assemblée nationale, en plus des rapports budgétaires, ce sont soixante-quinze rapports d’information et d’évaluation qui sont publiés chaque année dans tous les domaines. Ces travaux peuvent directement déboucher sur des initiatives législatives importantes. Ainsi une proposition de loi sur le contrôle des armes à feu, déposée le 30 juillet 2010, est-elle issue des conclusions d’une mission d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Pratiquée depuis longtemps par les parlements anglo-saxons, l’évaluation est une notion nouvelle pour les assemblées françaises. À cette fin, l’Assemblée nationale s’est dotée d’un Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, présidé par le président de l’Assemblée et qui reproduit dans sa composition la configuration politique de l’Assemblée nationale. Il a en particulier pour mission de réaliser des travaux d’évaluation sur les politiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente.
Systématiquement conduits par deux corapporteurs, dont l’un appartient à l’opposition, les travaux du Comité marquent la naissance d’une culture parlementaire de l’évaluation à partir d’outils spécifiques : référentiels, questionnaires, graphes d’objectifs et recours à des ressources externes. Depuis son installation à l’été 2009, le Comité a déjà conduit plusieurs travaux sur l’application du principe de précaution, les autorités administratives indépendantes, les aides aux quartiers défavorisés ou l’aide médicale d’État et la couverture maladie universelle. Ses rapports à venir porteront, notamment, sur des sujets comme la performance des politiques sociales en Europe ou la politique d’aménagement du territoire en milieu rural.
Dans ses activités de contrôle, le Parlement bénéficie, dorénavant, grâce aux nouvelles dispositions de l’article 47-2 de la Constitution, de l’assistance de la Cour des comptes. Cette coopération est désormais effective et nourrit notamment les travaux du Comité d’évaluation et de contrôle.
Pour l’avenir, le contrôle s’affirme comme la « fonction prioritaire24 » des assemblées, en particulier en raison de son caractère englobant : « Fonction parlementaire totale, elle intervient en surplomb du processus législatif en permettant de s’assurer de la qualité des lois et de leur application, mais aussi en suscitant des initiatives législatives25. »
Un faire-savoir à améliorer
Dans le cadre de l’ordre du jour partagé, la priorité donnée à l’évaluation et au contrôle pendant une semaine de séance par mois, dans l’ordre du jour fixé par chaque assemblée, vise ainsi à donner une meilleure visibilité aux nombreux rapports des assemblées, à mieux les valoriser aux yeux de l’opinion.
Afin de rendre ses séances de contrôle les plus intéressantes possibles pour les citoyens, les assemblées ont retenu différentes formes pour leur déroulement : questions à un ministre à l’Assemblée nationale ou questions cribles thématiques au Sénat, avec un droit de réplique pour le questionneur, débats sur un thème choisi, sur le suivi de l’application des textes législatifs, sur les rapports d’information des commissions, délégations, missions ou du Comité d’évaluation et de contrôle, présentation des conclusions des commissions d’enquête, ou déclaration du gouvernement sur un thème déterminé suivi d’un débat…
Ces séances publiques consacrées à l’évaluation et au contrôle constituent une innovation majeure dans la culture parlementaire française. Leurs résultats sont mitigés, tant sur la forme que sur le fond, y compris celles organisées à l’initiative de l’opposition. La solennité des hémicycles, la lourdeur des procédures parlementaires jouent en leur défaveur. L’expérience montre qu’il convient d’inventer une nouvelle forme de séance pour les débats d’évaluation et de contrôle, des séances plus interactives et contradictoires, dans des espaces plus restreints, de véritables petits hémicycles dotés de moyens multimédias récents et performants. À l’Assemblée nationale, plusieurs expérimentations ont déjà été conduites en ce sens, en particulier pour la discussion des rapports du Comité d’évaluation et de contrôle en présence du gouvernement. Six mois après une première séance, la conférence des présidents peut, d’ailleurs, consacrer une nouvelle séance au suivi de la mise en œuvre par le gouvernement des recommandations d’un rapport du Comité. Il s’agit de marquer la force et l’effectivité du contrôle parlementaire, de publier moins de rapports mais d’assurer un suivi plus systématique de la mise en œuvre de leurs recommandations.
Du « domaine réservé » au domaine partagé
La révision de 2008 a renforcé les prérogatives du Parlement dans le « domaine réservé ». Les assemblées peuvent dorénavant adopter des résolutions sur des questions liées aux Affaires étrangères et à la Défense. Surtout, les nouvelles dispositions de l’article 35 de la Constitution prévoient une information rapide du Parlement sur l’engagement des forces armées à l’étranger, information qui peut donner lieu à un débat sans vote. Tel a été le cas, le 22 mars 2011, à la suite de la mise en œuvre de la résolution 1973 de l’ONU sur la Libye.
Désormais, le Parlement donne son autorisation pour la prolongation, au-delà de quatre mois, de l’engagement des forces françaises à l’étranger, disposition mise en œuvre en septembre 2008, puis en janvier 2009 sur la prolongation de la présence des troupes françaises en Afghanistan d’abord, dans plusieurs autres pays ensuite. À cette occasion, le Premier ministre a salué un « rééquilibrage des pouvoirs » majeur opéré par le passage du « domaine réservé, apanage historique de l’exécutif depuis le début de la Ve République, à un domaine partagé avec le Parlement ».
L’examen des nominations
Malgré la polémique entourant la procédure de nomination du président de France Télévisions, Nicolas Sarkozy est le premier président de la République à avoir fait inscrire dans la Constitution un contrôle parlementaire des nominations décidées par l’exécutif. Ce contrôle s’exerce pour les emplois ou fonctions qui revêtent une importance particulière pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation. La loi organique du 23 juillet 2010 lui a fixé un vaste champ portant sur les nominations d’une quarantaine de responsables publics : présidents d’autorités administratives indépendantes, tels le CSA, l’Autorité de la concurrence, la Haute Autorité de santé, l’Autorité de sûreté nucléaire ; dirigeants d’entreprises ou d’organismes publics, tels que La Poste, EDF, la SNCF, la RATP, la Caisse des dépôts et consignations, le CNRS, le CNES, l’Inra… Les nominations des membres du Conseil constitutionnel, du Défenseur des droits et de plusieurs membres du Conseil supérieur de la magistrature sont, elles aussi, soumises au contrôle parlementaire prévu à l’article 13 de la Constitution.
Les nominations proposées ne sont pas retenues si l’addition des votes négatifs exprimés dans chaque commission compétente des deux assemblées représente trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Ce seuil paraît, certes, difficilement atteignable à cause du fait majoritaire, mais le vote du Parlement impose à l’exécutif de présenter des candidats compétents et crédibles. En pratique, une personnalité pressentie recueillant un vote négatif, même inférieur aux trois cinquièmes, aurait du mal à se maintenir, chacun ayant pu mesurer le soin que les commissions apportent aux auditions des personnalités pressenties.
Un Parlement plus en prise avec les décisions européennes
Alors qu’une grande part de la législation nationale est à présent directement inspirée des textes européens, les parlements nationaux doivent s’impliquer pleinement dans les processus de décision communautaires. Désormais, par la révision de 2008, le Parlement peut se saisir de tous les actes et sujets européens. Chaque année, huit cents projets d’actes européens relatifs à l’élaboration de la législation communautaire et aux travaux des institutions communautaires, contre quatre cents en 2007, sont examinés par les commissions des Affaires européennes des assemblées, en liaison avec les commissions permanentes concernées. Par ailleurs, le traité de Lisbonne a conféré aux parlements nationaux des pouvoirs pour faire respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité par la législation communautaire. L’Assemblée nationale a fait jouer pour la première fois ce dispositif inscrit à l’article 88-6 de la Constitution en adoptant, le 19 juin 2006, une résolution européenne portant sur une directive relative à la taxation des produits énergétiques et de l’électricité.
Un débat préalable en séance publique est organisé avant chaque réunion du Conseil européen, tandis que la commission des Affaires européennes propose systématiquement l’inscription à l’ordre du jour de la semaine de contrôle de débats relatifs aux politiques communautaires. Enfin, en 2009, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale a également reçu la mission de donner un éclairage européen sur les projets et les propositions de loi.
Un champ d’application privilégié pour les droits de l’opposition
La notion d’opposition a été renouvelée sous la Ve République.Auparavant existaient des oppositions au régime, par exemple monarchiste sous la IIIe, communiste sous la IVe République, mais leur importance contraignait les autres formations, par ailleurs adversaires, à se coaliser au sein de gouvernements de « concentration républicaine » ou de « troisième force ». Au rythme des flux et reflux de la vie parlementaire, chacun avait vocation à rejoindre, à tour de rôle, la majorité ou l’opposition.
L’affirmation du fait majoritaire au Palais-Bourbon a fait véritablement émerger une opposition au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire la minorité écartée du pouvoir durant la législature par le choix des électeurs. Dès lors, un débat s’est ouvert sur l’attribution de droits particuliers, voire d’un statut, à l’opposition. C’est d’abord de façon empirique, par touches successives, qu’elle s’est vue reconnaître des droits, avant que le président Nicolas Sarkozy ne propose d’institutionnaliser son rôle. Le nouvel article 51-1 de la Constitution prévoit que les règlements des assemblées peuvent déterminer des « droits spécifiques » en faveur de l’opposition. Des « droits spécifiques » qui peuvent trouver un champ d’application privilégié dans le domaine de l’évaluation et du contrôle.
Parce que le Parlement est le lieu par excellence du débat démocratique, la révision de 2008 a lié revalorisation du Parlement et reconnaissance constitutionnelle de l’opposition. Le nouvel article 51-1 de la Constitution prévoit ainsi des « droits spécifiques » en faveur des groupes d’opposition et des groupes minoritaires déterminés par les règlements des assemblées.
Faire la loi reste le propre du couple formé par le gouvernement et sa majorité. L’opposition bénéficie de droits dans la procédure législative, mais ils ne peuvent aboutir à remettre en cause le fait majoritaire. À l’inverse, en matière de contrôle, la loi du nombre doit être tempérée, voire même renversée, afin de garantir la vitalité du débat démocratique. L’opposition n’y est plus une simple minorité numérique, mais constitue une garantie pour les citoyens que le Parlement joue son rôle de contrôleur. Par conséquent, c’est dans ce champ de l’évaluation et du contrôle que les « droits spécifiques » de l’opposition trouvent le mieux à s’appliquer. Ainsi, à l’Assemblée nationale, les engagements pris par le président Accoyer au cours de la discussion de la révision constitutionnelle ont été inscrits dans le règlement de l’Assemblée nationale : l’attribution de la présidence de la commission des Finances à un élu de l’opposition ; l’égalité du temps de parole pour tous les débats consacrés à l’évaluation et de contrôle, notamment les questions au gouvernement retransmises à la télévision pour lesquelles cette égalité avait prévalu de 1974 à 1981 ; la désignation de corapporteurs, dont l’un appartenant à l’opposition pour toutes les missions d’évaluation et de contrôle ; des droits de tirage permettant aux groupes de l’opposition de faire inscrire un sujet de leur choix à l’ordre du jour de la semaine de contrôle, d’intervenir dans la programmation des missions du Comité d’évaluation et de contrôle, ainsi que pour obtenir la création de commissions d’enquête.
Cet ensemble de droits, comparables à ceux qui existent dans les parlements des grandes démocraties, est inédit dans l’histoire parlementaire française.
Des droits de l’opposition désormais effectifs
Bernard Accoyer, « La recevabilité des commissions d’enquête : champ du contrôle parlementaire et responsabilité politique du chef de l’État », La Semaine juridique, n°51, 14 décembre 2009, p. 14.
Tous les droits prévus dans les règlements des assemblées ont été mis en œuvre. Depuis mars 2009, ce sont quinze débats de contrôle qui ont été inscrits à l’ordre du jour à l’initiative des groupes d’opposition, en particulier sur des enjeux intéressant l’opinion, tels ceux, organisés en mars 2011, à l’initiative du groupe de la Gauche démocratique et républicaine (GDR), sur l’exploitation des gaz de schiste ou, à l’initiative du groupe Socialiste, Radical, Citoyen et divers gauche (SRC), sur la politique du médicament, dans le contexte de l’affaire dite du Médiator. Au Comité d’évaluation et de contrôle, l’opposition a pu initier des missions d’évaluation sur le bilan des dispositifs fiscaux et sociaux en faveur des heures supplémentaires, issus de l’emblématique loi « Travail, Emploi, Pouvoir d’achat » du 21 août 2007, ou sur la mise en œuvre de la Révision générale des politiques publiques, une priorité gouvernementale.
La mise en œuvre du « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête a connu des débuts difficiles à l’Assemblée nationale. Il consiste en la possibilité, pour un groupe d’opposition, de pouvoir demander, une fois par session ordinaire, l’inscription d’office à l’ordre du jour d’une proposition de résolution de création d’une commission d’enquête. Cette proposition de résolution ne peut être rejetée en séance qu’à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale. Au Sénat, chaque groupe peut obtenir de droit la création d’une commission d’enquête par année parlementaire. Le 26 novembre 2009, le président Accoyer a été conduit à prononcer l’irrecevabilité de la proposition de résolution du groupe SRC créant une « commission d’enquête sur les études commandées et financées par la présidence de la République26 ». Cette proposition de résolution était contraire aux règles et aux principes constitutionnels en ce qu’elle risquait de conduire à la mise en cause de la responsabilité politique du président de la République devant l’Assemblée nationale. Or le chef de l’État n’est politiquement responsable que devant le peuple.
De la même façon, examinant une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur les « suicides au sein d’une entreprise », la commission des Affaires sociales a amendé cette résolution pour éviter que l’intitulé stigmatise une entreprise précise, alors que l’immunité parlementaire protège les auteurs de ces propositions de résolutions de toute mise en cause devant la justice pour diffamation. Le groupe GDR, à l’initiative de cette proposition, a choisi de retirer sa proposition.
Le champ d’application de ce « droit de tirage », maintenant juridiquement précisé, est désormais effectif. Ainsi le groupe SRC a-t-il pu obtenir, en juin 2010, la création d’une commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation financière affectant le fonctionnement des économies, puis, en juin 2011, d’une autre sur les emprunts dits « toxiques » contractés par les collectivités locales, le groupe GDR obtenant pour sa part, en décembre 2010, la création d’une commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française. L’opposition se voit réserver de droit la fonction de président ou de rapporteur pour un de ses députés. C’est la première fois, sous la Ve République, que l’opposition peut, ainsi, obtenir la création de commissions d’enquête, sans que lui soit nécessaire l’accord de la majorité. C’est, indiscutablement une avancée majeure.
De nouveaux chantiers en perspectives
Bernard Accoyer, « Parlement renforcé, Ve République confortée », op. cit.
Manuel Valls, cité par Lilian Alemagna, in « Manuel Valls oublie la VIeRépublique », Libération, 24 janvier 2011.
Serge Lasvignes, « Le Parlement, une réforme aboutie ? », Les Mercredis de La Documentation française, 18 mai 2011.
Sophie Huet, « Ollier veut mettre en place le “service après-vote” », Le Figaro, 10 mars 2011.
Alain Duhamel, « Les malentendus franco-germaniques », Libération, 15 septembre 2011.
Guy Carcassonne, « Immuable Ve République », in Pouvoirs, « La Ve République », n°126, septembre 2008, p. 27-35.
La révision de 2008 a conforté les institutions de la Ve République27 en revalorisant le Parlement. Ce dernier a dorénavant les moyens de jouer pleinement son rôle dans l’équilibre institutionnel, sans chercher pour autant à remettre en cause cet équilibre. Le Parlement s’est approprié tous ses nouveaux pouvoirs. Les effets sont bien réels.
À l’issue des élections sénatoriales du 25 septembre 2011, la majorité sénatoriale a changé de camp. Pour autant, les institutions de la Ve République ont déjà, à plusieurs reprises, parfaitement fonctionné avec des majorités différentes dans chacune des chambres. Simplement, avec la révision de 2008, un Sénat d’opposition dispose de prérogatives accrues pour organiser ses propres travaux.
Il faudra plusieurs législatures, plusieurs configurations politiques et parlementaires pour apprécier toutes les conséquences de cette révision constitutionnelle d’ampleur inédite. Pour autant, l’opposition ne remet plus en cause le cadre institutionnel établi par la révision de 2008. Le projet du Parti socialiste pour l’élection présidentielle 2012 insiste surtout sur l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives et une réforme du mode d’élection des sénateurs. Ses propositions « s’appuient sur la révision constitutionnelle faite en 2008 pour corriger ses défauts, combler ses lacunes et prolonger ses avancées28 ». La réforme de la procédure législative reste un chantier ouvert, en particulier pour lutter contre l’inflation législative. Le nombre de lois adoptées chaque année reste constant, autour d’une cinquantaine de textes, mais leur volume ne cesse de gonfler. De 380 pages en 1964, 560 en 1980, 1.020 en 1990, le recueil des lois promulguées dans l’année atteint aujourd’hui le chiffre saisissant de 2.400 pages. La réforme constitutionnelle n’a pas encore eu les effets escomptés sur ce point.
La loi reste encore, trop souvent, bavarde, complexe, voire inutile quand elle se contente d’énoncer des évidences. Le nombre des amendements parlementaires tend à diminuer progressivement, mais la machine gouvernementale d’élaboration des projets de loi n’a encore pas tiré toutes les conséquences de la réforme de 2008. « L’acculturation n’est pas terminée », selon les propres mots du secrétaire général du gouvernement Serge Lasvignes29. Les projets de loi préparés par les bureaux restent trop épais, alors même qu’avec l’ordre du jour partagé le gouvernement dispose de moins de temps pour les faire discuter au Parlement. Parallèlement, le ministre des Relations avec le Parlement a souhaité mettre en place un comité de suivi de l’application des lois afin de veiller à la rapide et complète publication des décrets d’application, une préoccupation forte des parlementaires30.
Autre grand enjeu de taille, la question du rôle dévolu aux parlements nationaux face à une intégration économique de plus en plus poussée de la zone euro sous l’effet de la crise, voire face à un « gouvernement économique » de cette zone euro. Institués à partir du Moyen Âge pour autoriser l’impôt et contrôler son usage, ces parlements nationaux seront-ils demain, condamnés à valider succinctement des opérations financières portant sur des milliards d’euros ? Dans le « régime hyperparlementaire allemand31 », les prérogatives du Bundestag dans ce domaine ont été réaffirmées par la Cour constitutionnelle allemande dans sa décision du 7 septembre 2011. Dans une Ve République, « régime parlementaire à forte domination présidentielle32 », le Parlement français devra sans nul doute s’interroger lui aussi sur un nouveau renforcement de son suivi des questions européennes, tout particulièrement celles touchant à la gouvernance de la zone euro.
Enfin, il n’y aura pas de Parlement responsabilisé sans parlementaires responsabilisés et totalement investis dans leurs nouvelles missions. Ce qui pose, par conséquent, la question du cumul des fonctions exécutives locales, rendues de plus en plus accaparantes par la décentralisation, et des mandats parlementaires rénovés.
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