Où en est la droite? La Suède et le Danemark
De quoi se compose la « droite » au Danemark et en Suède ?
Les principaux courants et leur histoire
Les partis conservateurs
Les partis libéraux
Les partis agrariens
Les partis démocrates-chrétiens
Les partis populistes
La droite face aux enjeux du début du xxie siècle
La mondialisation
L’Europe
L’État providence
Les réseaux
Les performances électorales
Le centre droit au gouvernement
Bibliographie
Il existe très peu de littérature en langue anglaise sur la Scandinavie destinée à un large Pour le Danemark, Bo Lidegaard fournit une vue d’ensemble de l’histoire politique du xxe siècle dans son ouvrage A Short History of Denmark in the 20th Century (2009). Pour des problématiques plus spécifiques, des revues universitaires comme Scandinavian Political Studies, Party Politics et Electoral Studies publient souvent des articles sur des sujets liés à la vie politique dans les pays scandinaves. Une bibliographie abrégée des livres danois et suédois utilisés dans la rédaction de cet article est fournie à la fin.
Début 2010, la Suède et le Danemark étaient gouvernés par des coalitions de centre droit. Les pays scandinaves étant souvent considérés comme des bastions de la social-démocratie, il peut être surprenant de constater que les partis libéraux et conservateurs ont toujours joué un rôle important dans la vie politique de ces pays. Alors qu’en Suède, les gouvernements de centre droit restent une exception à la norme sociale-démocrate, au Danemark, la participation des partis de centre droit dans des gouvernements de coalition, y compris à leur tête, a été plus fréquente ces dernières années que dans la période précédant 1970.
Malgré cela, très peu de recherches ont été consacrées aux partis de centre droit pris individuellement ou au centre droit dans son ensemble dans les pays nordiques. Un programme de recherche sur l’histoire du Parti modéré suédois constitue une exception notable. Des journalistes politiques ont couvert les carrières et les stratégies de différents hommes politiques dans des biographies et d’autres publications1.
Dans ce contexte, cet article décrira l’évolution des partis de centre droit en Suède et au Danemark, en mettant l’accent sur les vingt dernières années. Dans ces deux pays car le centre droit s’y est développé de deux façons bien distinctes. En Suède, aucun gouvernement de centre droit ne s’est fait réélire lors de scrutins législatifs depuis les années 1920, et le Parti social-démocrate reste le parti traditionnel du gouvernement.
Le Danemark, en revanche, a connu des gouvernements de centre droit pendant dix-neuf des trente dernières années, et le Parti social-démocrate a eu du mal à représenter une alternative crédible aux politiques de droite au cours des dix dernières années.
De quoi se compose la « droite » au Danemark et en Suède ?
Le groupe comporte également plusieurs formations centristes de plus petite taille : l’Alliance libérale (résultat d’une scission avec le Parti social libéral et qui est parvenue à entrer au Parlement lors des élections de 2007), les démocrates-chrétiens (Kristendemokraterne), absents du Parlement depuis 2005, et les démocrates du centre (Centrumdemokraterne), qui n’existent plus, mais qui ont été présents au Parlement danois entre 1973 et 2001
De même, les médias suédois taxent souvent le Parti populaire danois de «xénophobe».
Au Danemark et en Suède, les partis de droite évitent d’employer des termes qui renvoient aux notions de «droite» (højre, højrefløj). Dans ces deux pays, ils préfèrent s’identifier à des formations bourgeoises (borgerlig), bourgeoises libérales (borgerligt-liberal) ou non socialistes (ikke-socialistisk), sachant que borgerlig a peu ou prou la même acception que le mot allemand bürgerlich, c’est-à-dire «de la classe moyenne». Cependant, les commentateurs emploient parfois le terme de «centre droit» pour mieux souligner la partie du spectre politique recouverte par ces parties. Et les partis de gauche – en Suède surtout – emploient volontiers le vocable «droite» afin d’insister sur les tendances prétendument réactionnaires de leurs adversaires. Se rassemblant au sein d’un regroupement baptisé «Alliance pour la Suède», les quatre principaux partis de centre droit du pays ont donc cherché à gommer toute allusion à une idéologie ou à une classe sociale lors des élections législatives de 2006. Dans cet article, nous emploierons le terme de «centre droit» pour traduire la notion de «bourgeois» au sens scandinave.
Ces complications terminologiques mises à part, il est relativement facile d’identifier les formations appartenant au centre droit. Au Danemark, le Parti libéral (Venstre) et le Parti conservateur (Det konservative Folkeparti) forment le cœur traditionnel de la droite du pays. Le Parti social libéral (Radikale Venstre) est une formation centriste qui a souvent mêlé ses voix à celles des sociaux-démocrates au Parlement2. En Suède, le Parti modéré (Moderata Samlingspartiet), les libéraux (anciennement Folkpartiet Liberalerna, généralement connus aujourd’hui sous le nom de Folkpartiet) et le Parti du centre (Centerpartiet) représentent le cœur historique du centre droit dans différents regroupements. Les Démocrates-chrétiens (Kristendemokraterna) ont rejoint ce triumvirat aux élections de 1991.
Deux formations posent un problème particulier dans la famille du centre droit : le Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) et les Démocrates suédois (Sverigedemokraterne). Ni l’une ni l’autre n’appartient au centre ou à la droite au sens traditionnel, et leur position exacte au sein du système des partis des deux pays constitue un sujet de débat entre chercheurs et dans l’opinion. Le Parti populaire danois se décrit comme un parti centriste, mais cette qualification tend à dissimuler sa dimension libertaire-autoritaire. Il est sans doute assez exact de décrire cette formation comme centriste sur les questions de politique économique, mais de droite (et non d’extrême droite) sur des questions comme l’immigration ou la construction européenne. En raison de son soutien au gouvernement libéral conservateur depuis 2001, on considère qu’elle fait désormais partie intégrante du bloc de centre droit au Danemark. Il est plus difficile de définir la position des Démocrates suédois, car ce parti ne s’est pas (encore) imposé sur la scène politique nationale. Il cherche généralement à se présenter comme une force centriste ou conservatrice, mais les autres formations ont tendance à le présenter comme un parti d’extrême droite ou xénophobe plutôt que comme une formation de centre droit, en raison de son histoire3.
Les principaux courants et leur histoire
Nous émettons cependant des réserves pour le cas danois, où les partis à la gauche des sociaux-démocrates ont généralement remporté entre 10% et 15% des suffrages depuis la fin des années 1960
Sur l’ensemble du xxe siècle, les structures partisanes des pays scandinaves se sont caractérisées par une droite divisée face à une gauche unie. Les sociaux-démocrates suédois pouvaient s’attendre à remporter environ 45% des suffrages aux élections législatives, et leurs homologues danois entre 35% et 40%. Certes, des partis communistes ou socialistes ont occupé le terrain à la gauche des sociaux-démocrates, mais ces formations sont généralement restées de petite taille et n’ont pu exercer une influence politique indépendamment du parti dominant4. Parallèlement, la droite s’est divisée en trois partis, voire davantage, lesquels ont pu se disputer le titre de leader de l’opposition à différents moments. Ainsi, les électeurs, les journalistes et les chercheurs peinent à avoir une image claire de la politique et des stratégies de la droite.
Dans la littérature universitaire, on répartit les formations de centre droit au Danemark et en Suède en trois familles : conservatrice, libérale et agrarienne. Ces catégories traduisent la structure complexe des clivages politiques dans l’ensemble des pays nordiques où les intérêts des agriculteurs ont traditionnellement joué un rôle majeur en politique. Cette classification n’est pas sans poser des difficultés lorsqu’on se penche sur la politique contemporaine, mais peut servir de point de départ pour décrire les formations individuellement. Pour couvrir l’ensemble du spectre du centre droit, il faut ajouter encore deux familles, les démocrates-chrétiens et les partis populistes.
Les partis conservateurs
Les racines des partis conservateurs au Danemark et en Suède remontent aux regroupements politiques du xixe et du début du xxe siècle qui se sont opposés au régime parlementaire. Avec la mise en place d’un système parlementaire et de réformes constitutionnelles au début du siècle précédent, les partis ont dû redéfinir leur place sur l’échiquier politique et se réinventer comme des partis de masse au sens contemporain.
Le Parti populaire conservateur danois (Det konservative Folkeparti) a été fondé en 1915. Il y a toujours eu une certaine ambiguïté en son sein au sujet de son orientation politique. Certaines factions ont privilégié un large rassemblement de la classe moyenne à tendance sociale conservatrice, ciblant les cols blancs des villes, alors que d’autres ont voulu représenter les intérêts des milieux d’affaires. D’importants conflits internes ont eu lieu à différents moments de son histoire, provoquant de lourdes défaites électorales.
Les conservateurs ont connu leur heure de gloire dans les années 1980, lorsque Poul Schlüter (leader entre 1974 et 1993) a dirigé une succession de gouvernements de centre droit : ils ont remporté plus de 20% des voix lors des élections de 1984 et 1987. Après la démission de Schlüter, aussi bien du poste de Premier ministre que de celui de leader de la formation en raison d’un scandale politique, le parti a sombré dans une série de conflits internes sur sa direction et ses choix politiques. Depuis le milieu des années 1990, il n’est pas parvenu à s’imposer comme le principal parti de centre droit et n’a jamais obtenu plus de 10% des suffrages, en dépit de la plus grande stabilité interne que Bendt Bendtsen (1999-2008) et Lene Espersen (2008-) ont réussi à imposer. Depuis la fin des années 1990, il se caractérise par une ligne politique favorable au milieu des affaires, privilégiant les réductions d’impôts pour les contribuables les plus riches, soutenant les privatisations et adoptant une attitude globalement positive envers l’Union européenne.
Le Parti modéré suédois n’a émergé comme force politique majeure que dans les années 1930 et a conservé le nom de Droite (Högern) jusqu’en 1969, date à laquelle il a pris son nom actuel, à la suite d’une vaste réforme de son organisation et de ses orientations politiques. Mais si les modérés ont connu des dissensions au sujet de la direction et de la stratégie du parti au cours des années, celles-ci ont été moins fortes que chez leurs homologues danois. Ils sont aussi parvenus à conserver leur place de leader parmi les partis de centre droit, et ce depuis les élections législatives de 1979.
Depuis les années 1970, les modérés suédois soutiennent une politique néolibérale dans plusieurs domaines, notamment en réclamant des baisses d’impôts substantielles, la déréglementation et la privatisation d’un certain nombre de services publics. Cette orientation a été manifeste dans le gouvernement de centre droit de 1991 à 1994, dirigé par Carl Bildt, leader des modérés entre 1985 et 1998. La décision la plus remarquée a été l’introduction d’un système de «vouchers» pour les élèves du primaire et du secondaire, ouvrant ainsi la voie à la création d’un marché des services de l’éducation. Sous l’égide de Carl Bildt, les modérés ont également renforcé les liens entre la Suède, l’Europe de l’Ouest et les États-Unis en matière de politique étrangère et de sécurité, alors que, sous les sociaux-démocrates, la Suède faisait figure de «troisième voie» entre les États-Unis et l’ex-URSS.
Bo Lundgren, qui a succédé à Bildt à la tête du parti de 1998 à 2003, a conservé la ligne néolibérale, en promettant surtout des baisses d’impôts. Résultat : une débâcle pour le parti, qui n’a obtenu que 15% aux élections de 2002, son pire résultat depuis 1973, ce qui a sérieusement menacé sa légitimité de groupe dominant du centre droit. Lundgren a été poussé vers la sortie peu après les élections.
Avec Fredrik Reinfeldt (2003-), les conservateurs ont retravaillé leur ligne et leurs stratégies politiques pour apparaître plus centristes, dans l’espoir d’attirer davantage d’électeurs «cols blancs», traditionnellement favorables aux sociaux-démocrates. Les promesses de baisses d’impôts ont été abandonnées au profit de meilleurs services sociaux. Pendant la campagne de 2006, les modérés ont eu à cœur de se présenter comme le parti de l’intégration sociale. S’inspirant du New Labour en Grande-Bretagne, ils se sont rebaptisés Nouveaux Modérés (Nya Moderaterna). Ils ont également cherché à se distancer de leur passé en soulignant les positions communes des quatre groupes de centre droit dans l’Alliance pour la Suède, où l’influence des idées des modérés était moindre.
Les partis libéraux
Venstre signifie littéralement « gauche », ce qui reflète le positionnement politique des libéraux histo- riquement à gauche au xixe siècle. Au Danemark, les sociaux libéraux et les libéraux ont tous deux choisi de conserver le nom de Venstre
Contrairement aux autres partis de centre droit, le Parti social libéral observe une stricte division entre le groupe parlementaire et le parti des adhérents. Le leader du parti ne peut pas être député. Mais le leader du groupe parlementaire est souvent considéré comme le leader du parti
À côté du Parti social libéral, plusieurs autres partis se sont positionnés au centre au cours des quarante dernières années. Entre 1973 et 2001, les démocrates du centre, un parti centriste fondé par le député social-démocrate Erhard Jakobsen, ont coopéré aussi bien avec les gouvernements sociaux-démocrates qu’avec les conservateurs libéraux. Avec une base faible et entravé par le Parti libéral, il n’a pas survécu à sa perte de représentation parlementaire en Dans une certaine mesure, l’Alliance libérale, fondée à l’origine sous le nom de Nouvelle Alliance (Ny Alliance) en 2007 et qui a obtenu 2,8% aux élections la même année, a essayé d’imiter les stratégies du centre démocrate. Mais le parti a été affecté par des problèmes de leadership qui ont entraîné des défections. Ces derniers événements pourraient compromettre sa représentation parlementaire lors des prochaines élections législatives.
Identifier les formations libérales n’est pas tâche facile, surtout au Danemark, car tant les sociaux libéraux (Radikale Venstre, littéralement Gauche radicale) que les partis libéraux (Venstre) se désignent eux-mêmes comme libéraux. Dans cet article, le Parti social libéral danois sera traité en même temps que le Parti libéral suédois (Folkpartiet Liberalerna, littéralement Parti populaire des libéraux).
Le Parti social libéral danois a été fondé en 1905 à l’issue d’une scission au sein du principal groupe libéral au Parlement, le courant souhaitant poursuivre l’alliance électorale entre les libéraux et les sociaux-démocrates fondant un nouveau parti. Son nom reflète des valeurs idéologiques issues à la fois de la tradition libérale danoise de la seconde moitié du xixe siècle (Venstre) et d’une tradition républicaine européenne (Radikal, inspiré du Parti radical français)5. Ses partisans ont toujours été des enseignants et des personnes instruites, ainsi que quelques groupes de petits cultivateurs. Plus tard, Copenhague et Århus sont devenus ses bastions. Au cours de son histoire, le parti s’est essentiellement singularisé par ses conceptions antimilitaristes et s’est opposé à l’adhésion du Danemark à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) en 1949. De même, les sociaux libéraux étaient divisés sur l’adhésion à la Communauté européenne en 1973, une minorité non négligeable du parti privilégiant une extension de la coopération nordique comme alternative à la construction européenne.
Au Parlement, les sociaux libéraux tendent à faciliter de larges compromis entre les différents blocs politiques, sur des questions de politique économique ou d’éducation par exemple. Selon les cas, ils ont pu coopérer avec les sociaux-démocrates de gauche et avec les libéraux et les conservateurs de droite. Dans les années 1970, le parti a soutenu les gouvernements sociaux-démocrates de Anker Jørgensen jusqu’à ce que Niels Helveg Petersen (leader de 1977 à 1990) décide en 1982 de faire allégeance au Premier ministre conservateur Poul Schlüter6.
Les relations entre les sociaux libéraux et les gouvernements successifs de centre droit de 1982 à 1993 ont été compliquées. D’un côté, ceux-là ont soutenu la politique d’austérité des gouvernements Schlüter dans les années 1980 ; d’un autre, ils ont coopéré avec les sociaux-démocrates de l’opposition sur des questions de sécurité ou de politique environnementale, dans ce qui a été connu par la suite sous le nom de «majorité alternative». En 1986, le parti s’est opposé à l’Acte unique européen, en raison du volet sur la coopération formalisée en matière de politique étrangère. En 1988, la situation est devenue critique et, à la surprise générale, Helveg Petersen a décidé de s’unir aux conservateurs et aux libéraux dans une coalition tripartite.
Cette coalition gouvernementale s’est avérée faible au Parlement et controversée à l’intérieur. À la suite d’une défaite électorale en 1990, Helveg Petersen a été obligé de démissionner ; il a laissé sa place à Marianne Jelved (1990-2007) qui avait vite démontré ses compétences de leader politique après son élection comme député en 1987. Même si elle a continué à soutenir de larges consensus en matière de politique économique et sociale, elle a aussi entamé un lent rapprochement vers les sociaux-démocrates considérés comme des partenaires plus fiables.
De 1993 à 2001, les sociaux libéraux ont participé à des coalitions menées par le social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen, avec Marianne Jelved aux Finances. Si ces deux tendances politiques parvenaient généralement à un modus vivendi en matière économique et sociale, les tensions devenaient de plus en plus vives sur le sujet de l’immigration. Alors que les sociaux libéraux soutenaient que les conventions internationales sur les droits de l’homme primaient dans la formulation des politiques d’immigration, de nombreux sociaux-démocrates souhaitaient imposer des règles plus strictes dans le domaine de l’immigration et de l’intégration des étrangers. Depuis 2001, le Parti social libéral peine à trouver un nouveau rôle sur l’échiquier politique danois. C’est la première fois, depuis les années 1920, qu’on n’a pas eu à faire appel à lui pour renforcer la coalition gouvernementale. Même s’il a connu un succès électoral inattendu en 2005, avec 9,2% des suffrages, le groupe parlementaire a vite sombré dans des conflits sur la stratégie politique à mener. En mai 2007, un député du Parlement danois et un député du Parlement européen ont quitté ce parti pour fonder la Nouvelle Alliance (Ny Alliance) afin d’attirer les électeurs qui voulaient soutenir un gouvernement de centre droit. Ces défections ont conduit à la démission de Marianne Jelved, remplacée par Margrethe Vestager à la tête du groupe parlementaire en 2007.
Vestager et son parti soutiennent la nomination de la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt au poste de Premier ministre, mais affichent une position plus libérale en matière d’immigration et de droit d’asile. Les sociaux libéraux réclament aussi d’importantes réformes dans les domaines de la fiscalité et du marché du travail, pour encourager les citoyens à rester actifs plus longtemps. Le parti est le plus ouvertement europhile au Danemark; il a milité à plusieurs reprises pour l’adhésion du pays à l’Union économique et monétaire (UEM)7.
Le Parti libéral suédois (Folkpartiet Liberalerna) a pris sa forme actuelle en 1935, de la fusion de deux partis libéraux, le Parti libéral (Sveriges Liberala Parti) et le Parti populaire des libres penseurs (Frisinnade Folkpartiet). L’existence de deux partis reflétait deux courants différents du libéralisme suédois : l’un s’appuyant sur un libéralisme politique et économique, l’autre représentant une tradition religieuse non conformiste. La principale pierre d’achoppement pour ces deux courants précurseurs de l’actuel Parti libéral était la prohibition. Cette divergence reflétait aussi le clivage entre les libéraux urbains et ruraux de Suède. Comme au Danemark, le Parti libéral suédois attire aujourd’hui surtout des citadins instruits.
Dans les années 1950 et 1960, le Parti libéral a émergé comme principale force d’opposition à droite sans jamais réussir à rompre l’hégémonie des sociaux-démocrates au gouvernement. À partir de la fin des années 1960, les libéraux sont entrés dans une longue période de déclin électoral, qui s’est poursuivie alors même que le parti était au gouvernement entre 1976 et 1982. Bengt Westerberg (1983-1994) a décidé d’ancrer le parti dans une ligne clairement sociolibérale pour prendre ses distances avec les modérés et ouvrir la voie à une coopération avec les sociaux-démocrates. Si cette stratégie a initialement porté ses fruits, avec un succès électoral en 1985, l’influence du parti au Parlement est restée limitée. En 1991, le Parti libéral était revenu à ses niveaux de popularité des années 1970.
Les élections de 1991 ont mis le Parti libéral dans une situation gênante, les trois partis traditionnels de centre droit et les démocrates-chrétiens comptant sur le parti Nouvelle Démocratie pour obtenir une majorité parlementaire. Bengt Westerberg avait pris ses distances avec les idées anti-immigration de la Nouvelle Démocratie pendant la campagne et avait été jusqu’à refuser d’apparaître dans la même émission télévisée que l’un des leaders de ce parti après les élections. Après réflexion, le Parti libéral a fini par rejoindre le gouvernement de Carl Bildt, Westerberg prenant le portefeuille des Affaires sociales et Anne Wibble celui des Finances. Le choix de Westerberg reflétait la tentative du Parti libéral de conserver un profil sociolibéral pendant que Wibble était là pour incarner la tradition de prudence fiscale du parti.
Après les élections de 1994, Westerberg a voulu former une coalition avec les sociaux-démocrates, mais ses propositions ont été rejetées et il a démissionné du poste de leader du groupe. Le parti est alors entré dans une période de trouble quant à son positionnement et ses choix politiques, avant que Lars Leijonborg (1997-2007) ne décide d’intégrer au projet le soutien à la construction européenne, une attention plus grande portée aux performances éducatives et une politique d’immigration plus stricte. Cette dernière a suscité la polémique, car le parti donnait l’impression de s’éloigner de son positionnement sociolibéral en flirtant avec un sentiment anti-immigration. Il soutient aussi l’adhésion de la Suède à l’Otan.
Depuis 2000, les idées du Parti libéral suédois en matière d’éducation et d’immigration semblent en de nombreux points s’inspirer de celles du Parti libéral danois. Leijonborg peut mettre en avant les excellents résultats aux élections européennes de 1999 et législatives de 2002 où sa formation a obtenu plus de 13% des suffrages, à deux doigts de voler au Parti modéré la place de principal parti de centre droit.
Si les libéraux ont poursuivi une stratégie plus à droite pour la campagne de 2006, les bénéfices ont été moindres, car ils n’ont obtenu que 7,5% des suffrages. Cette contre-performance peut être expliquée de plusieurs façons : le regain du Parti modéré ou les doutes sur la politique menée par les libéraux ou bien encore sur les compétences de Leijonborg. Quoi qu’il en soit, les mauvais résultats aux élections ont affaibli celui-ci au sein du parti et son numéro deux, Jan Björklund, a pris sa place à la tête du parti et son poste de ministre de l’Éducation en septembre 2007. Björklund était généralement considéré comme l’un des principaux supporters de positions plus orientées à droite en matière d’immigration et d’éducation. De ce fait, le changement de leader n’a pas entraîné d’évolutions majeures dans la ligne politique du parti.
Les partis agrariens
Au xxie siècle, le terme «agrarien» peut porter à confusion pour la dénomination de partis politiques, car la part de la population travaillant dans le secteur agricole au Danemark et en Suède est aujourd’hui très faible. Les partis traditionnellement nommés de la sorte ont dû adapter leurs lignes politiques pour attirer d’autres catégories d’électeurs. Le Parti du centre suédois, qui a remporté de grandes victoires électorales dans les années 1970, peine à trouver sa place sur l’échiquier politique national, alors que le Parti libéral danois a réussi à attirer de nouveaux électeurs ces dernières années, devenant même le principal parti du pays depuis les élections de 2001.
Le Parti libéral danois (Venstre, Danmarks Liberale Parti, littéralement Gauche, Parti libéral danois) est l’héritier direct des courants libéraux qui ont lutté pour l’instauration d’un régime parlementaire dans la seconde moitié du xixe siècle. La plupart des factions représentées au Parlement se sont mises d’accord dès 1910 sur la création du parti, mais il a fallu attendre 1928 pour que soit créée une organisation nationale des adhérents. Le Parti libéral est resté le principal parti de centre droit au cours de la majeure partie du xxe siècle et s’est toujours considéré comme le principal opposant des sociaux-démocrates, même quand le Parti conservateur était plus puissant que lui.
Dans les publications étrangères, les libéraux danois étaient souvent appelés «libéraux agrariens», termes qui reflétaient l’importance de leur base électorale essentiellement constituée d’agriculteurs et de travailleurs agricoles. Ils avaient plus de mal à attirer des citadins, bien plus séduits par les conservateurs, dont l’électorat traditionnel était dominé par la classe moyenne. La ligne politique du parti correspondait souvent aux intérêts agricoles du Danemark, qui dépendait et dépend toujours beaucoup de ses exportations. Ce parti a constamment soutenu la participation du Danemark à des zones de libre-échange européennes et mondiales. Traditionnellement, il défend la décentralisation politique et administrative, voyant d’un mauvais œil la croissance de l’État providence dans les années 1960 et 1970. Jusqu’à la fin des années 1990, il a été le plus euro-phile des partis danois, là encore pour défendre des intérêts agricoles.
Au milieu des années 1980, le soutien électoral du parti s’est effrité. Les libéraux d’Uffe Ellemann-Jensen (1985-1998) ont activement réagi et œuvré pour attirer des électeurs citadins. Leur stratégie a consisté à se positionner plus clairement en faveur de la construction européenne et à défendre la coopération militaire au sein de l’Otan, tout en adoptant des positions franchement libérales dans les domaines de l’économie et de la fiscalité. Les prises de position du Parti libéral danois dans les années 1980 et 1990 étaient, à bien des égards, proches de celles des conservateurs suédois.
Alors que les libéraux danois ont réussi à se rendre plus attractifs aux yeux d’un électorat plus jeune et urbain, leurs résultats sont restés mitigés jusqu’en 1990 où la chance a commencé à leur sourire. En 1994, ils sont devenus le principal parti de centre droit, une première depuis 1979, mais les sociaux-démocrates leur ont barré l’entrée au gouvernement aux élections de 1994 et 1998, en dénonçant leurs tendances économiques prétendument néolibérales.
Après les élections de 1998, Uffe Ellemann-Jensen, démissionnaire, a été remplacé par le numéro deux du parti Anders Fogh Rasmussen (1998- 2009). Fogh Rasmussen et ses collaborateurs ont commencé à rénover l’image du parti pour séduire la classe ouvrière déçue par la politique d’immigration et d’intégration, ainsi que par les réformes du système social et du marché du travail des gouvernements successifs de Nyrup Rasmussen. Pour les libéraux, cela signifiait abandonner plusieurs aspects de leur politique économique des décennies précédentes et se montrer plus enclins aux mesures sociales et moins favorables à l’immigration. Le parti a également révisé son soutien à la construction européenne.
Ce changement a certes été courageux, mais le parti a surtout profité de la chute importante de popularité des sociaux-démocrates chez les ouvriers, due à l’annonce très polémique d’une réforme du système de retraite anticipée initiée par le gouvernement de Nyrup Rasmussen à la fin 1998. Le Parti libéral a saisi l’opportunité en se présentant comme l’alternative la plus crédible en matière de politiques économique, sociale et migratoire. En 2001, les libéraux sont devenus, pour la première fois depuis 1920, la force politique dominante, engrangeant 31,2% des suffrages. Ils ont formé un gouvernement de coalition avec les conservateurs, bénéficiant du soutien du Parti populaire danois. Même si sa popularité s’est un peu effritée aux élections de 2005 et 2007, le Parti libéral reste la première force au Parlement, et Anders Fogh Rasmussen et son successeur Lars Løkke Rasmussen n’ont pas été contestés à la tête du centre droit.
Bien qu’à l’origine, il ait eu la même base électorale que le Parti libéral danois, le Parti du centre suédois a suivi une voie politique très différente. Il trouve ses racines dans ses différentes tentatives de défense des intérêts agrariens sur la scène politique, mais il a fallu attendre 1921 pour que les partis agrariens d’alors se regroupent dans l’Union des paysans (Bondeförbundet). Dans les années 1930 et 1950, le parti a participé à des coalitions gouvernementales avec les sociaux-démocrates, devenant la seule formation de centre droit en Suède à avoir chevauché la ligne gauche-droite de façon formelle.
La baisse de la population rurale a conduit l’Union des paysans à revoir sa ligne politique et son appellation dans les années 1950. En 1958, elle est ainsi devenue le Parti du centre (Centerpartiet), reflétant son souhait d’attirer des électeurs des villes. La même année, elle a quitté la coalition formée avec les sociaux-démocrates, à cause du projet d’introduction d’un fonds de pension par capitalisation.
Les années 1970 ont été la meilleure décennie dans l’histoire du Parti du centre. Avec Thorbjörn Fälldin (1970-1985), qui, à bien des égards, incarne ses racines rurales, le parti s’est recentré sur les questions écologiques, s’opposant au développement continu de l’énergie nucléaire en Suède, ce qui lui a attiré de nombreux électeurs citadins. En même temps, Fälldin ancrait fermement son parti dans le camp centre droit.
En 1976, le centre droit a obtenu la majorité au Parlement pour la première fois depuis les années 1930, et Fälldin est naturellement devenu Premier ministre, mais il a eu du mal à jongler avec les intérêts des libéraux, des modérés et du Parti du centre en même temps. Le problème du développement de l’énergie nucléaire a été résolu au moyen d’un compromis compliqué, lequel a été fatal à Fälldin qui a perdu son poste et a dû démissionner en 1978. En 1979, le centre droit a derechef obtenu une courte majorité au Parlement. Thorbjörn Fälldin a retrouvé son poste, mais avec un Parti du centre en position de faiblesse. Un désaccord sur la politique fiscale a conduit à un second éclatement du gouvernement en 1981.
À nouveau dans l’opposition après 1982, Fälldin, resté à la tête du parti, n’a pu que constater son échec aux élections de 1985. Après un temps, Olof Johansson, ministre de l’Énergie dans le premier gouvernement Fälldin, a pris sa place de leader en 1987. Plus à gauche que Fälldin, il a néanmoins continué à coopérer avec les autres partis de centre droit. On trouve la même continuité sur les questions écologiques.
Pourtant, les relations du Parti du centre avec le centre droit se sont avérées difficiles dans les années 1990. Le parti est entré dans la coalition quadripartite de Carl Bildt en 1991, Olof Johansson prenant le portefeuille de l’Écologie avant de quitter le gouvernement à la veille des élections de 1994 pour protester contre la décision de construire un pont routier et ferroviaire entre Malmö (sud de la Suède) et Copenhague. Comme les autres ministres du Parti du centre sont restés au gouvernement, cela s’est traduit par une certaine confusion quant au positionnement du parti.
Pendant la législature 1994-1998, le Parti du centre a d’abord rejoint l’opposition, avant l’annonce, en mai 1995, de la signature d’un accord avec le gouvernement social-démocrate sur la politique économique. Les sociaux-démocrates ont ainsi gagné une majorité parlementaire solide pour mener une politique de rigueur au milieu des années 1990. Même si le Parti du centre n’a pas formellement rejoint le gouvernement, cet accord n’a pas été sans rappeler les coalitions des années 1930 et 1950. Johansson a démissionné de son poste de leader avant les élections de 1998, mais son successeur immédiat, Lennart Daléus (1998-2001), a eu du mal à endiguer la chute continue de popularité du parti et a décidé de quitter la vie politique en 2001. Avec Maud Olofsson actuellement à sa tête, le Parti du centre se présente comme le soutien des entrepreneurs, impliqué davantage dans les questions de décentralisation et de déréglementation que dans les questions écologiques. Contrairement à Olof Johansson, mais à l’instar de Fälldin, Maud Olofsson a clairement ancré son parti dans le bloc de centre droit. Aux élections de 2006, la formation a enregistré de légers gains au sein de l’Alliance pour la Suède, ce qui a permis à Olofsson, en tant que leader du deuxième plus grand parti de la coalition, de réclamer le poste de vice-Premier ministre en plus du portefeuille de l’Industrie dans le gouvernement quadripartite.
Les partis démocrates-chrétiens
Contrairement à ce qui se passe dans certains pays d’Europe continentale, les partis religieux n’ont jamais eu un rôle important dans le jeu politique au Danemark et en Suède. Cela tient en partie à l’absence de conflits entre l’Église et l’État, comme ceux qui ont conduit à l’adoption du principe de laïcité dans la vie publique et dans l’éducation en France. Mais cela tient également au fait que les libéraux et les conservateurs des deux pays ont été capables d’intégrer les différentes tendances chrétiennes conservatrices à l’intérieur des organisations existantes. Les troubles sociaux des années 1960 ont fait voler en éclats cette tradition et les groupes chrétiens se sont mis à chercher une voix indépendante en politique.
En Suède, la création d’un parti démocrate-chrétien a été provoquée par le débat sur l’abolition de l’éducation religieuse chrétienne dans les écoles. Un groupe de l’Église pentecôtiste a riposté en fondant un parti en 1964. En plus des questions d’éducation religieuse, il a pris position contre l’avortement. Pendant les vingt premières années de son existence, il n’est jamais parvenu à entrer au Parlement suédois ; c’est seulement quand les démocrates-chrétiens sont entrés dans une alliance électorale avec le Parti du centre que le leader du parti, Alf Svensson, a réussi à gagner un siège aux élections de 1985. Ils sont finalement parvenus à entrer au Parlement par leurs propres moyens en 1991. Leur percée électorale s’explique probablement comme un effet de la forte orientation néolibérale prise par le Parti modéré sous Carl Bildt, qui a conduit les électeurs socialement conservateurs à chercher une alternative ailleurs.
Lorsque les démocrates-chrétiens ont participé aux gouvernements de centre droit de Carl Bildt et de Fredrik Reinfeldt, il est devenu de plus en plus difficile de trouver un équilibre entre conservatisme social et conservatisme chrétien. La direction a adouci sa position anti-avortement et s’est tournée plutôt vers une politique générale de soutien aux familles nucléaires, un changement que certains militants du parti ont eu du mal à accepter. De même, il a pris quelques distances avec l’Église pentecôtiste et son interprétation du christianisme, même si tous les leaders du parti, y compris l’actuel, Göran Hägglund, viennent d’un milieu pentecôtiste. Son bastion est situé dans la région de Jönköping, place forte de l’Église pentecôtiste et d’autres églises libres non affiliées à l’Église de Suède. Des sondages de 2009 montrent qu’il pourrait avoir du mal à rester au Parlement à l’issue des élections de 2010.
Le Parti démocrate-chrétien danois a été fondé en 1970 à la suite de la libéralisation de la pornographie et de l’accès plus facile à l’avortement. Après les élections de 1971, il a failli entrer au Parlement. Les démocrates-chrétiens danois attirent surtout les conservateurs religieux de certaines régions rurales du Jütland, mais les liens avec les églises charismatiques ou évangélistes restent ténus. Leur percée parlementaire a eu lieu lors de la grande victoire de 1973. Au cours des années 1970 et 1980, ils se sont positionnés comme un parti centriste susceptible de coopérer aussi bien avec des gouvernements de gauche que de droite. Entre 1982 et 1987, leur leader, Christian Christensen, a occupé le portefeuille de l’écologie dans le gouvernement quadripartite de Poul Schlüter, donnant ainsi une orientation verte à son parti.
Depuis la fin des années 1980, le Parti des chrétiens s’est souvent déchiré pour savoir s’il fallait attirer les conservateurs sociaux ou plus spécifiquement les conservateurs chrétiens, ce qui lui a coûté en popularité. Après avoir participé au premier gouvernement Rasmussen entre 1993 et 1994, les démocrates-chrétiens ont perdu leur représentation au Parlement après les élections de 1994. S’ils sont parvenus à y revenir en 1998, ils n’ont pas réussi à s’y imposer politiquement, d’où une nouvelle perte de représentation en 2005. En 2007, le parti n’a obtenu que 0,5% des voix et il semble peu probable que les démocrates-chrétiens soient dorénavant capables de rejouer un rôle politique au niveau national.
Les partis populistes
Bien qu’il n’y ait pas de liens organisationnels avec le Parti du progrès, le Parti de la justice, qui a été représenté au Parlement de 1926 à 1960 ainsi qu’à certains moments dans les années 1970, correspond à bien des égards à l’idée d’un parti populiste.
Le terme «populiste» est problématique quand il s’agit de décrire des formations politiques. On trouve, en Suède et surtout au Danemark, un certain nombre de groupes qui n’entrent pas dans les catégories idéologiques traditionnelles. Au Danemark, des partis populistes ont plusieurs fois été représentés au Parlement, comme le Parti du progrès entre 1973 et 2001 et le Parti populaire danois depuis 19958. En Suède, ils sont moins importants. Nouvelle Démocratie est entrée au Parlement seulement en 1991, alors que les Démocrates suédois, eux, n’ont jamais été représentés au Riksdag.
Les partis populistes en Suède et au Danemark sont décrits comme périphériques ou extrêmes, leur électorat appartient à la classe moyenne et se positionne au centre de l’échiquier politique. Ils montrent une faible confiance dans les partis existants et dans la démocratie représentative. Reste à savoir si les partis populistes représentent un risque pour la démocratie parlementaire.
Mogens Glistrup, célèbre avocat spécialiste de l’évasion fiscale, a fondé le Parti du progrès en 1972. En 1971, Glistrup avait déclaré qu’il ne payait pas d’impôt sur le revenu et avait comparé les évadés fiscaux à des résistants de la Seconde Guerre mondiale. Le parti a très vite décollé : Mogens Glistrup et son parti sont entrés au Parlement en décembre 1973, avec un score impressionnant de 15,9% des voix. Aucune formation danoise n’avait réussi auparavant, ni même depuis, à remporter un tel succès en un aussi court laps de temps.
Pendant les années 1970, le Parti du progrès s’est distingué des autres formations politiques aussi bien en termes d’idéologie que d’organisation. Mogens Glistrup prônait une forme idiosyncrasique d’anarcho-libéralisme en militant pour d’importantes baisses d’impôts et des coupes sombres dans le secteur public ; sa façon de concevoir le pouvoir politique était également non conventionnelle et imprévisible. Pour les partis traditionnels de centre droit, cela signifiait qu’ils ne pouvaient pas compter sur lui dans la formation d’un gouvernement «bourgeois», situation dont les sociaux-démocrates ont profité pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 1982.
En dépit de son caractère imprévisible, de luttes récurrentes entre «légitimistes», derrière Mogens Glistrup, et «réalistes», partisans d’une coopération avec d’autres partis de centre droit, et de défections répétées dans son groupe parlementaire, le parti n’a cessé de surprendre, continuant à séduire environ 10% de l’électorat jusque dans les années 1980, après quoi sa popularité a commencé à s’effriter. Il a participé à la majorité parlementaire soutenant le premier gouvernement de Poul Schlüter entre 1982 et 1983, mais, en décembre 1983, Mogens Glistrup a annoncé que son groupe ne voterait pas le budget 1984. Le budget n’est pas passé et les élections convoquées par la suite se sont soldées par une cinglante défaite pour le Parti du progrès. Plus tard, en 1984, Glistrup a dû quitter le Parlement après avoir été reconnu coupable de fraude fiscale et condamné à une peine de prison.
La période de 1984 à 1987 s’est révélée cruciale dans la phase suivante du développement de la droite populiste. Pia Kjærsgaard, peu connue du public, mais appartenant à l’aile pragmatique du parti, est vite apparue comme une organisatrice et directrice de campagne efficace : elle a remplacé Mogens Glistrup au Parlement. Au même moment, l’immigration et le droit d’asile ont commencé à devenir d’importants enjeux politiques. Les élections de 1987 et 1988, lors desquelles le Parti du progrès a obtenu 9% des voix, ont démontré qu’il était toujours une force avec laquelle il fallait compter et une formation que les partis de centre droit devaient ménager s’ils voulaient rester au gouvernement.
Sorti de prison, Mogens Glistrup est revenu dans l’arène politique, et la période 1988-1995 s’est caractérisée par un regain de conflits entre l’aile réaliste de Pia Kjærsgaard et le courant légitimiste, qui exigeait que Mogens Glistrup retrouve son rôle dirigeant après avoir été exclu du groupe parlementaire en 1990. Finalement, la situation s’est envenimée et, après une conférence tumultueuse en 1995, Pia Kjærsgaard et trois autres députés ont quitté le Parti du progrès pour fonder le Parti populaire danois.
Contrairement au Parti du progrès, le Parti populaire danois a décidé qu’il soutiendrait la protection sociale tout en conservant les positions contre l’immigration adoptées par le Parti du Progrès à la fin des années 1980. Autre différence cruciale : le nouveau parti entendait avoir une organisation rigoureuse. Ses nouveaux membres devaient être passés au crible et les adhérents tout autant que les députés étaient soumis à une discipline stricte. Ainsi, il a pu se présenter comme une alternative attractive pour des électeurs sociaux-démocrates déçus, surtout parmi les ouvriers non qualifiés, et comme un allié crédible d’un futur gouvernement de centre droit. Après une prestation convaincante, le Parti populaire danois a réussi à engranger 7,4% des votes aux élections de 1998. Plus surprenant, les restes du Parti du Progrès ont également réussi à entrer au Parlement en 1998, avant qu’une ultime défection en 2000 le laisse sans député. En 2001, le Parti du progrès n’a pas réussi à s’imposer et a quitté le Parlement. Il est aujourd’hui quasiment défunt.
Avant les élections de 2001, le Parti populaire danois a recruté deux membres importants : Søren Krarup et Jesper Langballe. Tous deux prêtres de l’Église du Danemark, ils avaient été très remarqués dans les débats publics depuis le milieu des années 1980 pour leurs positions claires contre l’immigration et ils ont été parachutés dans des circonscriptions acquises au parti. Comme candidats puis comme députés, Krarup et Langballe ont contribué à donner au parti une image nationaliste et conservatrice plutôt que traditionnelle et populiste. Le parti a également adopté une position clairement eurosceptique.
Les élections de 2001 ont constitué un large succès pour cette formation désormais capable d’attirer un grand nombre d’anciens électeurs du Parti social-démocrate, surtout parmi les ouvriers non qualifiés. Les études ont montré que si, à bien des égards, il est considéré par les électeurs comme un parti centriste sur les questions économiques, la méfiance envers les institutions politiques est toujours ce qui motive le soutien au Parti populaire danois – et un élément qui divise ses électeurs.
Après les élections de 2001, le Parti populaire danois est apparu comme le seul allié permettant de former un gouvernement de libéraux conservateurs. Depuis 2002, chaque budget a été le résultat d’un compromis entre le gouvernement et ce parti. Il est aussi devenu le principal allié du gouvernement sur les questions de réforme des collectivités locales et surtout d’immigration, domaine dans lequel il n’a cessé de réclamer des règles plus strictes à l’encontre des immigrés qui ne sont pas issus des pays occidentaux et des réfugiés politiques.
Aujourd’hui, le Parti populaire danois est bien implanté dans le pays, avec une popularité stable d’environ 13%. De bien des manières, il apparaît comme un parti nationaliste plutôt que populiste. Depuis 2001, il se révèle – chose inhabituelle pour une formation d’origine populiste – être un partenaire digne de confiance dans les gouvernements de libéraux conservateurs, même si ses relations ont pu parfois être tendues avec le Parti conservateur sur des questions fiscales ou écologiques. Il existe aussi un conflit latent sur la question de la construction européenne, le Parti populiste étant ouvertement eurosceptique. Publiquement, le groupe dépend beaucoup de son leader, Pia Kjærsgaard, même si de plus jeunes membres comme Kristian Thulesen Dahl, Søren Espersen et Morten Messerschmidt commencent à prendre de l’envergure, sans toutefois remettre en cause la direction ni la ligne du parti.
Contrairement au Danemark, la Suède a une expérience limitée des partis populistes au niveau national. En 1990, deux hommes d’affaires, Ian Wachtmeister et Bert Karlsson, ont fondé le parti de la Nouvelle Démocratie qui est parvenu à entrer au Parlement avec 6,7% des voix aux élections de 1991. Pendant sa campagne, il a combiné un message opposé à la fiscalité et un discours anti-immigration.
Alors que le parti s’est montré indispensable aux trois autres formations de centre droit et aux démocrates-chrétiens – lesquels étaient aussi entrés au Parlement pour la première fois en 1991 – pour former un gouvernement, Nouvelle Démocratie a vite été affectée par des conflits résultant de sa double direction, Wachtmeister étant plus proche du Parti modéré et Karlsson plus en accord avec les positions des sociaux-démocrates. Même si Wachtmeister est d’abord apparu comme le plus fort des deux, il a finalement annoncé, au début de 1994, qu’il mettait fin à sa carrière politique et qu’il ne se représenterait pas.
Dans le même temps, le gouvernement quadripartite s’était rendu compte que Nouvelle Démocratie ne représentait pas un allié sérieux dans le domaine économique pendant la profonde crise du début des années 1990 : ce parti a été laissé sur le banc de touche pendant l’essentiel de la législature 1991-1994. Cela, ajouté à une absence totale de leadership, a fait que l’enthousiasme suscité au début chez les électeurs s’est vite essoufflé : aux élections de 1994, le parti n’a obtenu que 1,2% des voix. En 2000, il s’est dissous.
Depuis 2000, les Démocrates suédois (Sverigedemokraterna) ont pris la place laissée vacante par Nouvelle Démocratie. Ils trouvent leurs origines dans la frange nationaliste des années 1980, et la lutte contre l’immigration a toujours été une de ses priorités. Depuis la fin des années 1990, sa direction essaye de se défaire de ses derniers liens avec l’extrême droite. Elle essaye aussi de copier la stratégie du Parti populaire danois, en insistant sur son soutien aux politiques de protection sociale pour compléter son discours anti-immigration. Elle tente ainsi de se présenter comme un parti nationaliste mais social.
Les Démocrates suédois diffèrent de Nouvelle Démocratie et des partis populistes danois par leur stratégie d’organisation et leur manière de mobiliser les électeurs. Comme les médias nationaux évitent de parler de leurs activités et de leur programme et que les partis traditionnels se soustraient aux débats avec leurs représentants, la direction du parti et son leader, Jimmie Åkesson, préfèrent se concentrer sur les élections locales et régionales, en espérant que l’effet finira par s’étendre au niveau national. Précisons qu’en Suède, les subventions des partis sont calculées en fonction de leur soutien aux élections locales.
Les élections de 2006 leur ont été relativement favorables, surtout dans la partie la plus méridionale du pays et chez les jeunes électeurs de la classe ouvrière. Ils ont ainsi obtenu 24% dans la ville de Landskrona, où ils avaient proposé de soutenir le centre droit au conseil municipal. Les Démocrates suédois partagent une caractéristique centrale avec les partis populistes traditionnels : leurs électeurs tendent à se méfier davantage des hommes et du système politiques que les autres. Leur réussite auprès des ouvriers est un sujet d’inquiétude continu pour les sociaux-démocrates, d’autant qu’un succès des Démocrates suédois aux élections de 2010 pourrait compromettre les aspirations de la gauche à revenir au pouvoir.
La droite face aux enjeux du début du xxie siècle
La mondialisation
Le débat sur la mondialisation est spécifique au Danemark et à la Suède, deux pays de petite taille traditionnellement ouverts, dont l’économie dépend beaucoup des exportations et de l’accès aux marchés mondiaux. Ce sujet y suscite moins de controverses que dans de plus grands pays et, pour les partis de centre droit, elle représente plus un défi à relever qu’une menace à l’ordre social et économique existant. La plupart des formations n’incluent pas dans leurs programmes de sections spéciales sur la mondialisation. Au contraire, celle-ci est intégrée dans les programmes de politique d’éducation, de recherche et d’industrie. Aussi bien au niveau individuel que social, les partis de centre droit affirment que la flexibilité est la réponse appropriée aux défis de la mondialisation.
Dans un premier temps, la délocalisation continue des emplois manufacturiers vers les pays d’Europe de l’Est ou d’Asie signifiait que la demande en travail non qualifié et d’une partie du travail qualifié allait diminuer et que l’industrie manufacturière allait finir par disparaître au Danemark et en Suède. Les partis de centre droit n’ont pas répondu par un appel au protectionnisme pour soutenir le marché local; au contraire, dans les deux pays, la solution proposée a consisté à améliorer l’enseignement secondaire et supérieur ainsi que la formation professionnelle, pour améliorer les compétences des employés.
Ils affirment également que le Danemark et la Suède devraient fonder leur économie sur des domaines du savoir comme l’industrie pharmaceutique ou chimique, ainsi que sur les industries qui mettent l’accent sur la conception. Le problème est de savoir comment rendre la recherche universitaire accessible au secteur privé dans un système économique où la mobilité entre secteurs public et privé et l’accessibilité au capital-risque sont limitées.
À bien des égards, les positions des partis de centre droit au sujet de la mondialisation ne sont pas fondamentalement différentes de celles des sociaux-démocrates des deux pays, qui militent eux aussi pour une amélioration des efforts d’éducation et de formation et pour un développement de l’économie du savoir. La principale distinction réside dans le fait que les partis de centre droit privilégient le laisser-faire au sein des entreprises individuelles, alors que les sociaux-démocrates mettent l’accent sur le développement d’accords sectoriels.
Au-delà de ce consensus sur la mondialisation, le Parti populaire danois et le Parti libéral soulèvent le problème des migrations au Danemark. Fidèle à ses positions, le Parti populaire ne cesse de réclamer des règles plus strictes en matière d’immigration et de droit d’asile et une diminution des droits accordés aux immigrés ne venant pas de l’Occident.
L’Europe
Le Danemark et la Suède participent tous les deux à certains aspects de l’UEM sans en être membres à part entière.
Même si le Parti populaire danois s’est aussi opposé à l’ouverture du marché du travail aux travailleurs d’Europe centrale et orientale, il n’a pas participé à l’accord parlementaire
La question de la construction européenne suscite bien des controverses et des divisions au sein de tous les partis de centre droit dans l’ensemble des pays scandinaves, et ce depuis deux décennies. Le soutien à la Communauté européenne puis à l’Union européenne épouse historiquement le clivage gauche-droite, la gauche étant plutôt eurosceptique et la droite plus favorable à l’adhésion à la Communauté européenne et à la construction européenne. Une différence notable cependant entre le Danemark et la Suède : le Parti libéral danois et les électeurs agrariens sont plus europhiles que leurs homologues suédois.
Deux questions centrales ont dominé la politique européenne des deux pays au cours de la décennie passée. D’abord, l’ouverture des marchés du travail à la suite de l’adhésion de dix nouveaux membres d’Europe centrale et orientale en 2004 : seul le Danemark a adopté des règles pour limiter le nombre de travailleurs immigrés. La seconde question porte sur l’avenir des clauses d’exemption (opting-out), qui permettent de fait au Danemark et à la Suède de rester en dehors de l’Union économique et monétaire9.
En ce qui concerne l’accès aux marchés du travail nationaux, les décisions prises au Danemark et en Suède résultent de différentes stratégies élaborées par les partis de centre droit. Au Danemark, les gouvernements libéraux conservateurs ont conclu un accord avec les sociaux-démocrates, le Parti socialiste et les sociaux libéraux, qui limitait les droits des travailleurs d’Europe de l’Est sur le marché du travail. Ainsi la position des syndicats, représentés par les sociaux-démocrates pendant le processus politique, a influencé la décision politique danoise. Les restrictions danoises ont pris fin en 200910.
En Suède, tous les partis de centre droit se sont opposés à une proposition similaire faite par le gouvernement social-démocrate et ils sont parvenus à s’assurer du soutien des verts dans ce domaine, alors que ces derniers font pourtant partie de la majorité gouvernementale. Cette alliance a permis au centre droit d’empêcher l’imposition de restrictions sur les mouvements des travailleurs d’Europe de l’Est.
Les clauses d’exemption danoises ont été introduites dans l’accord d’Édimbourg, adopté en 1993 après le rejet de la première version du traité de Maastricht au référendum de juin 1992. Ces clauses signifient que le Danemark reste en dehors de la coopération sur la justice et les affaires intérieures, la défense commune et l’UEM. Une proposition du gouvernement de Nyrup Rasmussen en 2000 de supprimer la clause sur l’UEM a obtenu une nette majorité au Parlement, avant d’être rejetée lors d’un référendum. L’initiative de 2000 et la campagne pour le référendum qui a suivi ont montré que le centre droit était divisé sur la question, les libéraux, les conservateurs, les sociaux libéraux et les démocrates du centre étant pour l’adhésion du pays à l’UEM, tandis que les démocrates-chrétiens et le Parti populaire danois y étaient opposés.
Le Parti populaire danois persiste à s’opposer à tous les projets visant à supprimer une ou plusieurs des clauses d’exemption, affirmant que cela reviendrait à céder des pouvoirs, qui relèvent de la souveraineté nationale, à l’Union européenne (UE). En plus de rejeter l’UEM, il a souligné que les décisions législatives danoises sur l’immigration ne devaient pas être entravées par des régulations ou décisions qui sont le fruit de la coopération sur la justice et les affaires intérieures. Ces dix dernières années, ce parti est devenu de plus en plus eurosceptique dans ses communications, affirmant que l’UE ne devrait pouvoir prospérer qu’en tant que zone de libre-échange et que tout ce qui tend à développer des instances supranationales devrait être arrêté ou défait. Dans la même logique, il a également combattu l’adoption de la Constitution européenne et du traité de Lisbonne.
Les positions du Parti populaire danois compliquent la situation politique des libéraux et des conservateurs. Alors qu’ils militent tous deux pour l’abrogation des clauses d’exemption, ils ont évité, depuis leur accession au pouvoir en 2001, d’appeler à l’organisation d’un référendum sur une ou toutes les clauses, de peur que ne se reproduisent les échecs de 1992 et 2000. Une campagne référendaire de ce type mettrait le gouvernement et ses alliés dos-à-dos. Quand ils abordent la question de la révocation de la clause sur la justice et les affaires intérieures, les représentants du gouvernement précisent qu’une telle chose ne serait possible qu’en introduisant une nouvelle disposition destinée à garantir la souveraineté danoise en matière d’immigration et de droit d’asile. Par ailleurs, les libéraux et les conservateurs ont soutenu, eux, la Constitution européenne ainsi que le traité de Lisbonne.
Contrairement au Danemark, la Suède ne dispose pas d’une clause d’exemption stricto sensu sur l’UEM, mais, au cours des négociations d’adhésion à l’UE, il avait été conclu que l’inclusion du pays à l’UEM se ferait par un référendum prévu ultérieurement. Quand le gouvernement social-démocrate a décidé de l’organiser en 2003, le Parti du centre est sorti des rangs du centre droit, appelant au rejet de la proposition gouvernementale. Des études ont montré par la suite que, bien que profondément divisés sur la question, une majorité des partisans des formations du centre et des démocrates-chrétiens a voté contre l’adhésion à l’UEM. Ce résultat rappelle l’existence persistante d’un conflit entre le centre et la périphérie sur la relation entre la Suède et l’UE. Le Parti du centre continue à manifester son scepticisme face à l’adhésion et a demandé que soit conduite une importante enquête sur la politique monétaire avant l’organisation d’un second référendum.
À partir de 1982, Copenhague a indexé la couronne d’abord sur le mark allemand puis sur l’euro et le Danemark accepte les critères de convergence imposés par le traité de Maastricht et la BCE. Depuis les crises monétaires de 1992 et 1995, la couronne suédoise flotte librement, en théorie, mais la Banque centrale suédoise applique les mêmes objectifs d’inflation que la banque centrale européenne (BCE). En définitive, le débat sur l’adhésion à l’UEM dans les deux pays a moins à voir avec la politique monétaire qu’avec des questions de souveraineté nationale et de résistance au développement d’une Europe fédérale.
Les affiliations des partis danois et suédois au Parlement de Strasbourg montrent que l’histoire des courants politiques des pays nordiques ne leur permet pas de s’entendre facilement avec leurs confrères européens. Les conservateurs danois se sont d’abord alliés aux conservateurs britanniques dans le groupe conservateur, qui a fusionné avec le Parti populaire européen (PPE), dominé par les démocrates-chrétiens, à la fin des années 1980. Après l’entrée de la Suède dans l’Union, les modérés et les démocrates-chrétiens suédois ont également rejoint le PPE. Les conservateurs danois et les modérés suédois étant proeuropéens, il n’a jamais été question pour eux de quitter le PPE pour rejoindre le groupe des conservateurs et réformistes européens après les élections de 2009.
Le Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) est le deuxième groupe important pour le centre droit : le Parti libéral danois, le Parti libéral suédois et le Parti du centre suédois en sont membres. Les sociaux libéraux danois en faisaient également partie quand ils siégeaient au Parlement européen. Ainsi, au niveau européen, les différences entre libéraux, sociaux libéraux et les groupes issus de la tradition agrarienne sont brouillées.
Le Parti populaire danois a toujours rejoint des formations eurosceptiques à Strasbourg. Suite à la désintégration de l’Union pour l’Europe des nations en 2009, des rumeurs affirmant que le parti rejoindrait le groupe formé par les conservateurs britanniques ont circulé, mais il a fini par rejoindre le groupe Europe libertés démocratie, autour du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP).
L’État providence
Alors que le développement d’un vaste et généreux État providence est traditionnellement un projet social-démocrate, les partis de centre droit au Danemark et en Suède ont évolué vers une position plus favorable à l’égard des services de protection sociale pour s’attirer les bonnes grâces des électeurs. Ainsi, l’essentiel du débat sur les transferts fiscaux et les services s’est déplacé de la question des droits sociaux vers la question de l’organisation et de la distribution des prestations sociales.
Depuis les années 1990, les privatisations sont acceptées d’un point de vue politique dans les pays scandinaves, dans le cadre de la mise en place de nouveaux programmes de gestion publique. Cependant, les partis de centre droit des deux pays se montrent bien plus enthousiastes que les sociaux-démocrates – au moins en principe – quand il s’agit de sous-traiter un certain nombre de services dans les écoles, les crèches, les maisons de retraite et les hôpitaux, par exemple.
Le Danemark et la Suède ont des traditions différentes en ce qui concerne l’école primaire. Les écoles indépendantes jouent historiquement un rôle plus important au Danemark. Mais le gouvernement de centre droit au pouvoir en Suède de 1991 à 1994 a mis en place des dispositifs permettant à tout élève de quitter l’école publique pour s’inscrire dans une école privée aux frais du service public. Les conseils municipaux dirigés par le Parti modéré ont essayé de favoriser la privatisation des écoles primaires et secondaires, dépendantes de ces mêmes conseils, mais il semble que ces programmes mettent mal à l’aise les libéraux suédois. En Suède, des sociétés à but lucratif peuvent gérer les écoles, alors que le Danemark octroie cette possibilité aux seules associations à but non lucratif.
Les services hospitaliers sont une autre source de conflit entre les partis de centre droit et les sociaux-démocrates dans les deux pays. Depuis 2001, le gouvernement danois, soutenu par le Parti populaire, a souhaité promouvoir la souscription d’assurances de santé privées en complément de l’offre publique, offrant des réductions d’impôts aux employeurs qui proposaient ces régimes à leurs salariés. De même, il a obligé les régions, qui gèrent le service de santé publique à proposer aux patients, dans le cadre de leur parcours de santé public, des traitements dans des cliniques privées quand elles ne pouvaient pas programmer des interventions.
En Suède, les conseils régionaux contrôlés par le Parti modéré se sont lancés dans des programmes bien plus ambitieux : des services de chirurgie et des hôpitaux sont passés dans le privé, de sorte qu’ils sont devenus des sous-traitants pour le service de santé public. En revanche, le gouvernement danois n’a pas tenté d’imposer la privatisation des hôpitaux publics existants, mais voit dans les cliniques privées des compléments aux institutions publiques.
Pour ce qui est de la politique fiscale, le gouvernement danois a déclaré un moratoire fiscal après son accession au pouvoir en 2001. Son principe était qu’aucun impôt ne pourrait être augmenté si ce n’était pas compensé par une baisse ailleurs. Ce moratoire s’est révélé populaire, notamment parce qu’il a permis de contenir les impôts fonciers en plein boom immobilier. Les sociaux libéraux sont le seul parti de centre droit à avoir critiqué ce moratoire : selon eux, il a empêché une réforme globale de la fiscalité qui aurait permis de déplacer la charge d’imposition des revenus vers la propriété et la consommation. Le Parti conservateur a, lui, toujours milité pour une baisse des impôts sur le revenu, surtout pour les plus élevés. Cela a suscité un certain nombre de conflits entre les conservateurs et le Parti populaire danois, qui insistent sur le fait que les baisses d’impôts doivent d’abord profiter aux salaires les plus bas.
En Suède, les démocrates-chrétiens se sont posés en défenseurs de la famille juste avant les élections de 2006, en proposant d’abolir les impôts fonciers. La mise en place d’un autre impôt sur les biens immobiliers s’est avérée compliquée, avec des effets pervers dans certaines régions rurales du pays. Le gouvernement conduit par les conservateurs a mis en place une version allégée de ses anciens programmes de réduction des impôts, en se concentrant sur la réduction des impôts sur le revenu.
Les réseaux
En Suède et au Danemark, les fondations politiques et groupes de réflexion jouent un rôle mineur, en partie parce qu’il existe un vaste réseau d’associations intégrées dans le système politique, qui fournissent aux partis et au public des analyses sur les développements sociaux et les propositions politiques dans le cadre de leurs activités. Les partis quant à eux cherchent de plus en plus à établir et à entretenir des unités de recherche pour leurs groupes parlementaires.
Au Danemark, les associations d’employeurs, les organisations industrielles et les entreprises conservent des liens historiques avec la plupart des partis de centre droit et apportent un soutien économique plus ou moins direct aux libéraux et aux conservateurs. La principale organisation industrielle, Dansk Industri, préserve son indépendance vis-à-vis de tous les partis11. Il existe aussi des liens anciens entre les associations agricoles, désormais regroupées dans le Conseil danois de l’agriculture et de l’alimentation, et le Parti libéral. Un schéma semblable existe en Suède, où la Fédération des fermiers suédois est proche du Parti du centre, alors que Svensk Närinsliv, la Confédération de l’industrie suédoise, reste sans affiliation politique.
On trouve quand même quelques petites fondations et groupes de réflexion en Suède, notamment Timbro, qui est l’exemple le plus clair de ce que peut être un groupe de réflexion de centre droit. Timbro a été fondé en 1978 avec le soutien de l’Association des employeurs suédois (SAF)12, son but étant de promouvoir les idées du libre-échange à une époque où les sociaux-démocrates suédois et le mouvement travailliste se radicalisaient.
La création de Timbro se justifie en partie par le fait que les sociaux-démocrates et le Congrès des syndicats suédois projetaient de créer des «fonds salariés» investis dans les industries suédoises, donnant ainsi aux syndicats une influence notable sur des pans centraux de l’économie. Il s’agissait aussi d’introduire en Suède les doctrines économiques néo-libérales qui commençaient à se développer dans le monde anglo-saxon. Il est difficile d’évaluer le véritable impact des activités de Timbro dans le débat public et politique, mais un certain nombre de ses anciens membres et chercheurs se sont ensuite lancés dans une carrière politique, essentiellement au sein du Parti modéré, à partir des années 1980. Aujourd’hui, la Fondation suédoise pour la libre entreprise, fondée par la Confédération des industries suédoises, est responsable du financement des activités de Timbro.
Le SNS, un centre d’études économiques et politiques, est un autre groupe de réflexion lié à la Confédération des industries suédoises. Fondé en 1948, il a conservé une position plus conventionnelle et moins agressive que Timbro. Un trait récurrent dans les activités du SNS est qu’il établit des conseils d’experts universitaires qui publient des rapports annuels sur des questions constitutionnelles, sur le développement et les défis de l’économie suédoise et plus largement sur la politique sociale.
La fondation (modérée, donc conservatrice) Jarl Hjalmarson et l’institut (libéral) Bertil Ohlin sont les principales fondations en lien plus ou moins étroit avec certains partis politiques. La Fondation Jarl Hjalmarson a été fondée en 1994 pour coordonner des actions dans les pays baltes, mais elle est aujourd’hui active dans de nombreux endroits de l’ancien bloc soviétique. Elle se concentre surtout sur des projets en rapport avec la formation des hommes politiques et est essentiellement financée par l’Agence suédoise pour le développement.
En revanche, l’institut Bertil Ohlin se concentre sur la scène nationale, et son principal objectif est de stimuler la recherche sur les idées libérales et leur application pratique dans la vie politique. Il le fait en organisant des séminaires et en publiant des travaux originaux ou traduits. L’institut est financé par plusieurs fondations qui possèdent et publient des journaux libéraux partout dans le pays.
En 2004, un groupe d’hommes d’affaires danois, d’anciens et d’actuels hommes politiques, d’intellectuels et d’artistes, a fondé le Centre d’études politiques (Cépos). Celui-ci a été très actif ces dernières années, publiant des rapports et des commentaires sur les questions d’actualité, notamment de politique économique et sociale, avec un point de vue libéral et libertaire. Alors qu’en théorie, le Cépos conservait son indépendance vis-à-vis des partis de centre droit, il est apparu que l’ancien Premier ministre, Anders Fogh Rasmussen, levait des fonds pour cet organisme. La banque d’investissement Saxo est un des sponsors très visibles des activités du Cépos.
Aujourd’hui, il n’y a plus de liens formels entre les principaux médias et les partis politiques. Bien qu’il existe une représentation politique dans les conseils d’administration de la radio et de la télévision publiques des deux pays, les rédacteurs en chef s’astreignent à garder leur indépendance politique13. De même, les journaux ne s’identifient pas à un parti, mais se définissent plutôt comme libéraux, conservateurs ou bourgeois. Parmi les journaux nationaux en Suède, Svenska Dagbladet est proche des modérés, alors que Dagens Nyheter et le tabloïd Expressen se disent libéraux indépendants. Au Danemark, autant Morgenavisen Jyllands-Posten que Berlingske Tidende s’identifient comme «bourgeois», encore une fois sans référence à un parti en particulier.
Les performances électorales
Les deux pays ont des scrutins Le seuil pour entrer au Parlement est de 2% au Danemark et de 4% en Suède.
Il est difficile de décrire de façon globale les performances électorales du centre droit au Danemark et en Suède, car les partis sont très nombreux et leur popularité, comme leurs stratégies, a beaucoup varié. Cela dit, on peut quand même faire quelques observations générales à propos de l’évolution de sa notoriété dans le temps, ainsi que sur les différences entre les deux pays.
Depuis 1970, le centre droit a toujours été plus fort au Danemark qu’en Suède. Au Danemark, la gauche, en excluant le Parti social libéral, n’a attiré une majorité d’électeurs qu’aux scrutins de 1979 et 1990. En 1971, les sociaux-démocrates ont formé un gouvernement uniquement parce que les démocrates-chrétiens ont échoué sur le fil à obtenir une représentation au Parlement. Cependant, les sociaux-démocrates ont réussi à conduire le gouvernement de 1971 à 1973, de 1975 à 1982 et de 1993 à 200114. Dans les années 1970, en effet les libéraux et les conservateurs étaient trop faibles pour former un gouvernement : ensemble, ils ne remportaient que 20 à 30% des suffrages aux élections législatives, un score insuffisant quand il leur fallait compter sur l’imprévisible Parti du progrès. Dans les années 1990, les sociaux-démocrates ont pu compter sur le soutien du Parti social libéral et, à certains moments, sur celui des démocrates-chrétiens et des démocrates du centre, leur donnant un atout supplémentaire au Parlement face aux libéraux et aux conservateurs.
Dans les années 1980, les libéraux et les conservateurs se sont renforcés par rapport aux années 1970, mais ils dépendaient toujours de diverses alliances avec des partis aussi différents que les sociaux libéraux et le Parti du progrès pour se maintenir au pouvoir. Alors que les sociaux libéraux n’appréciaient guère la politique et l’attitude du Parti du progrès, leur mécontentement à l’égard des politiques économiques menées par les sociaux-démocrates était suffisamment grand pour qu’ils accordent leur soutien aux différents gouvernements de Poul Schlüter entre 1982 et 1993.
À bien des égards, la création du Parti populaire danois en 1995 a changé la donne. Comme l’euroscepticisme de ce parti l’empêche d’entrer au gouvernement, les libéraux et les conservateurs obtiennent non seulement de meilleurs résultats auprès de l’électorat qu’à aucun autre moment depuis les années 1960, mais, en plus, ils ont les mains plus libres pour agir au niveau parlementaire.
Cela dit, le graphique 1 exagère quelque peu le soutien obtenu par les partis de centre droit dans les années 2000. Alors que le Parti social libéral attire traditionnellement des électeurs des deux bords politiques, les chercheurs ont montré que les sociaux libéraux partageaient désormais leur base électorale avec les sociaux-démocrates et les socialistes. Cela pose un problème pour le parti, qui se voit moins libre que par le passé pour coopérer au niveau parlementaire avec les libéraux et les conservateurs.
Graphique 1 : résultats des forces de droite et de gauche aux élections danoises (1971-2007).
Comme il n’y a pas de grand parti populiste en Suède, l’équilibre des forces est plus facile à appréhender qu’au Danemark (graphique 2). Les trois partis traditionnels du centre droit – les modérés, les libéraux et le Parti du centre – auraient facilement pu obtenir la majorité aux élections de 1973 si les démocrates-chrétiens ne s’étaient pas présentés. Au contraire, il en est sorti un Parlement sans majorité, droite et gauche disposant chacun de 175 sièges. Le centre-droit aurait pu également remporter une majorité plus claire en 1979 si le vote démocrate-chrétien s’était porté sur les partis traditionnels.
Les années 1980 et 1990 ont vu l’émergence de majorités résolument de gauche, à l’exception de 1991, où le centre droit a pu compter sur Nouvelle Démocratie pour former un gouvernement. La tendance a clairement été à la baisse pour le centre droit entre 1976 et 2002. Même la colère suscitée chez les électeurs par les plans d’austérité au milieu des années 1990 n’a jamais vraiment menacé l’hégémonie des sociaux- démocrates. Les gains et les pertes enregistrés par les partis pris au cas par cas pendant ces décennies tiennent plus au «cannibalisme» entre les modérés, le Parti du centre et les démocrates-chrétiens.
Graphique 2 : résultats des forces de droite et de gauche aux élections suédoises (1970-2006).
Ce n’est qu’entre 2002 et 2006 que les partis de centre droit ont réussi à changer la donne. Première raison de ce revirement à droite, l’impression négative laissée par le gouvernement social-démocrate dans sa gestion de la politique de l’emploi. Seconde raison : les quatre partis de droite s’étaient efforcés d’apparaître comme un front uni d’alternance pendant la campagne face aux sociaux-démocrates et de montrer qu’une coalition de centre droit pouvait être stable.
Le centre droit au gouvernement
Le Parti socialiste danois a été fondé en 1959 par l’ancien leader du Parti communiste Aksel On peut le décrire comme un parti socialiste réformiste, mais il ne faut pas le confondre avec le Parti social- démocrate qui domine traditionnellement la gauche au Danemark.
Voir le blog (en suédois) du politologue suédois et principal chercheur sur les questions électorales, Henrik Oscarsson, où celui-ci publie un « sondage de sondages » mensuel suivant les cotes des deux principaux blocs
Étant donné qu’aucun parti de centre droit n’a jamais remporté seul une majorité aux Parlements danois ou suédois, ce dernier a toujours dû se résoudre à participer à des coalitions pour arriver au pouvoir. Les luttes internes pour attirer les électeurs et la cacophonie politique l’ont souvent empêché d’apparaître comme une alternative crédible aux sociaux-démocrates.
En Suède, les gouvernements de centre droit ont toujours brillé par leur instabilité. Le premier gouvernement conduit par le leader du Parti du centre Thorbjörn Fälldin n’a tenu que de 1976 à 1978, jusqu’à ce que les modérés le quittent à cause de désaccords sur la politique énergétique.
Le gouvernement libéral minoritaire d’Ola Ullsten, au pouvoir entre 1978 et les élections de 1979, n’était en fait qu’un gouvernement intérimaire dépendant du soutien social-démocrate.
En 1979, Fälldin a été capable de reformer la coalition tripartite rassemblant les centristes, les modérés et les libéraux. Celle-ci a éclaté en 1981, quand les libéraux et les centristes ont scellé un accord avec les sociaux-démocrates sur la politique fiscale, sans les modérés. Fälldin a pu poursuivre avec une coalition minoritaire de centristes et de libéraux, mais les trois partis ont eu besoin de temps pour enterrer la hache de guerre.
Carl Bildt, Premier ministre de 1991 à 1994, a dû faire face à des défis d’un autre ordre. Alors qu’il était toujours apparu comme un ferme opposant aux sociaux-démocrates, il a préféré coopérer avec eux plutôt que gouverner avec Nouvelle Démocratie à un moment où la Suède traversait une grave crise économique. Mais les partis traditionnels du centre droit s’étaient révélés incapables de remporter une majorité en 1991.
La présentation de l’Alliance pour la Suède en 2004, avec un site web commun aux quatre partis, peut être vue comme une réaction aux expériences de 1976-1982 et 1991-1994. Si les partis de centre droit veulent convaincre les électeurs qu’ils représentent une alternative crédible aux sociaux-démocrates, ils doivent présenter un front uni. La difficulté, pour Fredrik Reinfeldt en 2006, a été de laisser suffisamment de place aux idées des libéraux, des centristes et des démocrates-chrétiens, dans un programme rédigé pour l’essentiel par les modérés. Contrairement aux autres coalitions, celle dirigée par Reinfeldt depuis 2006 a fait preuve de stabilité.
La manière dont coopèrent et s’opposent les partis danois est encore plus compliquée. En 1973, le leader libéral, Poul Hartling, a surpris tout le monde, notamment ses alliés potentiels du Parti libéral et du Parti social libéral, en formant un gouvernement minoritaire à partir des seules voix libérales. Cette expérimentation a créé un fort antagonisme entre les libéraux et les autres partis de centre droit, et Hartling n’a réussi à se maintenir au pouvoir qu’à peine plus d’un an.
En 1978, son successeur à la tête du parti, Henning Christophersen, a décidé, dans un geste tout aussi surprenant, d’entrer dans une coalition avec les sociaux-démocrates, détruisant la coopération naissante entre les libéraux, les conservateurs, les démocrates du centre et les démocrates-chrétiens. La coalition a volé en éclats au bout d’un an, mais ce geste a laissé s’installer dans les rangs de centre droit un certain ressentiment à l’égard des libéraux. En effet, les autres partis estimaient qu’ils avaient manqué de loyauté en s’affichant comme le moteur du centre droit.
Poul Schlüter a été plus vigilant en 1982 lorsqu’il a eu l’opportunité de devenir le premier conservateur à diriger un gouvernement depuis l’instauration du régime parlementaire en 1901. Comme les libéraux n’ont pas obtenu le poste de Premier ministre, ils ont hérité de postes clés dans la coalition quadripartite, en guise de lots de consolation. Schlüter n’avait pas pu former une coalition majoritaire parce que le Parti social libéral était fondamentalement opposé à la politique étrangère et sécuritaire du gouvernement alors que, pour sa part, le Parti du progrès de Mogens Glistrup ne voyait aucun intérêt à entrer au gouvernement. Il a dû faire preuve de talents de négociateur et utiliser la stratégie de la corde raide pour rester au pouvoir.
Si Schlüter est resté au poste de Premier ministre entre 1982 et 1993, il n’en a pas été de même de ses gouvernements. La coalition quadripartite rassemblant les conservateurs, les libéraux, les démocrates du centre et les démocrates-chrétiens a duré jusqu’en 1988, date à laquelle Schlüter a voulu faire entrer les sociaux libéraux au gouvernement. Les démocrates du centre et les démocrates-chrétiens ont très mal réagi, mais sans aller jusqu’à faire chuter le gouvernement. Schlüter a dû alors trouver un équilibre entre les sociaux-démocrates et un Parti du progrès toujours plus instable. Un scandale lié à sa gestion d’une affaire de demandeurs d’asile tamouls entre 1986 et 1988 a provoqué sa démission, le rapprochement entre les sociaux-démocrates et le Parti social libéral ayant également pesé dans cette chute.
Les années 1990 ont vu l’apparition d’un certain nombre de conflits entre les libéraux et les conservateurs pour savoir qui seraient le plus à même de coopérer avec les démocrates-chrétiens, les démocrates du centre et le Parti populaire danois. Les élections de 1998 ont permis aux libéraux de revendiquer la position de leader de l’opposition, mais ce n’est qu’au soir des élections de 2001 qu’il est devenu clair qu’une coalition de libéraux conservateurs pourrait gouverner avec le soutien du Parti populaire danois. Depuis, les libéraux et les conservateurs ont tout fait pour obtenir une majorité pour les trois partis aux élections de 2005 et 2007, mais, à cause de divergences sur la politique européenne, le Parti populaire danois n’est pas encore devenu candidat à l’entrée au gouvernement.
Aujourd’hui, la situation du centre droit au Danemark est très différente de ce qu’elle est en Suède, même si les deux pays possèdent des gouvernements de centre droit et une situation économique en beaucoup de points semblable. Alors que les libéraux danois ont eu du mal à garder le soutien qu’ils avaient reçu aux élections de 2001 et 2005, les sondages montrent que la coalition au pouvoir soutenue par le Parti populaire danois garde toujours une légère avance. À gauche, le Parti socialiste a beaucoup progressé depuis les élections de 2005, attirant des électeurs du Parti libéral et du Parti populaire danois. L’audience des sociaux-démocrates se maintient autour de 25%. Les divergences sur les politiques d’immigration et d’intégration – l’apanage du centre droit depuis la fin des années 1990 – continuent à poser des problèmes à la gauche15.
Les quatre partis de centre droit en Suède sont confrontés à une situation plus difficile que leurs homologues danois quelques mois avant les élections législatives de septembre 2010, les sondages indiquant une domination stable de l’opposition de gauche constituée des sociaux-démocrates, des verts et du Parti de gauche. Les résultats du Parti du centre et des démocrates-chrétiens sont une source particulière d’inquiétude pour le gouvernement, parce que leur popularité tournait autour du seuil de 4%, fin 2009 et début 2010. Alors que le gouvernement obtient de meilleurs scores que les sociaux-démocrates en matière de création d’emplois et de performances économiques globales et que le Premier ministre est considéré comme plus compétent que le leader social-démocrate, Mona Sahlin, le gouvernement est moins convaincant en termes de soins de santé et des personnes âgées16.
Les résultats des Démocrates suédois compliquent encore plus la campagne. Leur popularité a augmenté dans plusieurs sondages de fin 2009 et début 2010, dépassant régulièrement la barre des 4%. S’ils parviennent à entrer au Parlement en septembre 2010 et que les trois partis de gauche n’obtiennent pas une majorité de sièges, la question sera de savoir si le centre droit gouvernera avec le soutien des Démocrates suédois.
La fragmentation est une caractéristique commune du centre droit au Danemark et en Suède depuis quarante ans, mais ses effets sur l’électorat et au Parlement ont été très différents dans les deux pays. En dépit d’un plus grand nombre de formations politiques et de la présence du Parti du progrès, souvent peu digne de confiance, dans les années 1970 et 1980,
le centre droit danois a très souvent été majoritaire. Mais il a fallu tout le talent de négociateur des prétendants au poste de Premier ministre pour qu’il puisse s’appuyer sur une majorité regroupant les libéraux et les conservateurs. Poul Schlüter a été le premier leader de centre droit à réussir à rassembler des formations aussi différentes que les sociaux libéraux et le Parti du progrès. Les choses ont été plus simples pour les gouvernements des années 2000 : les Premiers ministres Anders Fogh Rasmussen et Lars Løkke Rasmussen ont simplement dû composer avec le Parti populaire danois.
En Suède, les résultats électoraux des partis de centre droit sont traditionnellement plus faibles que ceux de leurs homologues danois et les forces de droite n’ont que rarement été majoritaires. La présence des démocrates-chrétiens leur a, selon toute vraisemblance, coûté la victoire en 1973, et leur succès de 1991 a été de courte durée. Reste à voir si le niveau de cohésion atteint par l’Alliance pour la Suède se poursuivra au-delà de la législature 2006-2010.
Durant les deux dernières décennies du xxe siècle, le développement idéologique du centre droit a été similaire dans les deux pays scandinaves. L’heure était à la promotion des privatisations et à la déréglementation, alors que les principaux partis de centre droit – les libéraux au Danemark et les modérés en Suède – tentent depuis dix ans de montrer leur crédibilité dans le domaine de la protection sociale, pour détourner le vote social-démocrate. Leurs positions contre l’immigration ont cependant eu moins d’impact en Suède qu’au Danemark, même en tenant compte des choix politiques du Parti libéral suédois dans les années 2000.
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