Résumé

Introduction

I.

La vente illicite de cigarette dans l’espace public : un marché d’opportunité, volatil, qui s’appuie sur des vendeurs en situation sociale et économique précaire

1.

Une stratégie et des méthodes de vente semblables pour tous les points de distribution

2.

De la diversité des risques pour les vendeurs

3.

Des rôles bien délimités de l’approvisionnement à la distribution

4.

Des achats d’opportunité principalement motivés par le caractère bon marché du tabac vendu illicitement

5.

Recommandations

Conclusion

Annexes

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Résumé

Cette nouvelle étude sur le commerce illicite de cigarettes fait suite à un premier volet qui portait sur l’analyse du phénomène de vente et les réponses déployées par les acteurs de la sécurité publique compétents. Cette fois-ci, le travail porte sur les vendeurs et la chaîne d’acteurs qui les approvisionne, ainsi que sur les acheteurs. Du côté de l’offre, elle montre l’existence de deux univers différents : les vendeurs à la sauvette sont le plus souvent des personnes précaires, fonctionnant de manière autonome ou par petits groupes sur les territoires de vente, sans qu’il y ait de véritable hiérarchie ou de structure, tandis que la chaîne de fournisseurs allant des producteurs – une large partie des cigarettes vendues illicitement en France étant issue d’usines clandestines – aux semi-grossistes, est au contraire très organisée, avec une mainmise de groupes criminels souvent originaires d’Europe de l’Est.

Ces univers étanches pourraient faire l’objet d’enquêtes spécifiques. Nous nous sommes attachés ici à étudier la vente à la sauvette et non la structuration du trafic qui intervient en amont.

Ce commerce illicite requiert une action globale de la part des pouvoirs publics, qui luttent de plus en plus contre ces trafics et leurs répercussions sur la tranquillité et la sécurité quotidiennes mais qui n’articulent pas suffisamment leur action avec une lutte contre les réseaux de crime organisé qui alimentent ces trafics.

Du côté de la demande, notre étude permet de conclure à la diversité des profils d’acheteurs comprenant des personnes de catégories socioprofessionnelles aisées. Si l’argument économique est la principale motivation des acheteurs de cigarettes à la sauvette, l’effet d’opportunité, l’habitude, la disponibilité à des horaires où les bureaux de tabacs sont fermés sont autant de raisons qui peuvent les pousser à acquérir ces produits dans la rue.

Mathieu Zagrodzki,

Chercheur en science politique et spécialiste des questions de sécurité publique, notamment des relations police-population, de la mesure de la performance des forces de l'ordre et des politiques de sécurité quotidienne.

Romain Maneveau,

Consultant au sein du cabinet Néorizons, spécialisé dans les politiques publiques.

Son expertise est régulièrement sollicitée pour la réalisation d’études dans les champs de la sécurité intérieure, de la prévention, de la politique de la ville et de l’action sociale.

Arthur Persais,

Consultant au sein du cabinet Néorizons.

Les auteurs remercient l’ensemble des personnes et des organisations qui ont pris le temps de les accueillir et de leur transmettre les informations ayant permis la rédaction de ce travail.

Cette étude a été financée par Philip Morris France. Toutefois, la méthodologie et le contenu de ce travail ont été conçus en toute indépendance. Les informations livrées dans le présent rapport n’engagent que leurs auteurs. Un comité de relecture a été constitué, qui n’avait pour objet que de vérifier l’exactitude et la cohérence des informations recueillies dans le document. Aucune orientation de quelque nature que ce soit n’a été donnée par le financeur, qui n’est intervenu d’aucune manière que ce soit dans sa réalisation.

Notes

1.

Voir Florian Loisy et Carole Sterlé, « Comment le trafic de cigarettes inonde l’Île-de-France », leparisien.fr, 9 décembre 2019.

+ -

3.

Voir Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau, Arthur Persais, Commerce illicite de cigarettes : les cas de Barbès-La Chapelle, Saint-Denis et Aubervilliers-Quatre-Chemins, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2018.

+ -

Dans le premier volet de l’étude, il avait été mis en évidence que les secteurs où l’on rencontre le phénomène de vente de tabac à la sauvette sont des zones connues pour abriter un ensemble d’activités commerciales illicites, mais aussi licites. Compte tenu de la densité de population, les villes constituent des lieux privilégiés pour les échanges commerciaux.

Les quartiers concernés par le commerce illicite de tabac et dans lesquels nous avons effectué un travail de terrain sont des lieux de passage et d’échange qui sont portés par une forte activité commerciale, que celle-ci soit légale ou illégale. Ces échanges marchands quotidiens participent à la vie de ces quartiers, qui sont également marqués par une occupation importante du domaine public par la présence humaine. Il convient d’ailleurs de préciser qu’à Barbès (Paris), au Quatre-Chemins (Aubervilliers), à Guillotière (Lyon) ou encore à la porte d’Aix (Marseille), les commerçants traditionnels cohabitent avec des vendeurs de rue et ce depuis plusieurs années.

Tous ces secteurs ont en commun d’être cosmopolites et fourmillants. Il faut aussi relever que ces lieux accueillent une population primo-arrivante, à la recherche d’activités économiques susceptibles d’assurer sa subsistance.

Le trafic de rue se développe donc plus régulièrement dans des quartiers où les flux de piétons sont importants, car ils sont, notamment, des lieux de passage pour des voyageurs en transit. Si le trafic de cigarettes s’est développé dans ces quartiers, c’est aussi en grande partie parce que la densité de population contribue à offrir de nombreuses opportunités commerciales et qu’elle permet aux vendeurs de se fondre dans une masse de personnes, ce qui les rend moins vulnérables aux interventions de police.

 

La méthode suivie

Notre étude s’appuie sur différentes sources qualitatives et a été conduite selon différentes modalités de collecte de l’information. Des entretiens ont d’abord été organisés avec une série d’acteurs institutionnels, d’élus locaux adjoints à la sécurité ou d’élus de quartiers concernés par la problématique de commerce illicite de tabac, des représentants des services de douanes et de police. Nous avons également sollicité des auteurs et des journalistes qui ont travaillé sur la thématique du commerce illicite de tabac ou qui ont évoqué le sujet à l’occasion de travaux sur l’économie licite et illicite en milieu urbain. D’autres entretiens ont été organisés avec des responsables associatifs intervenant dans les quartiers concernés ou au contact de jeunes mineurs isolés qui pouvaient s’adonner à du trafic de tabac. Nous avons également engagé un travail d’analyse à partir de documents de presse mentionnant le commerce illicite de cigarettes.

Pour obtenir des informations auprès des acheteurs, nous avons pris le parti de lancer une enquête en ligne sur les réseaux sociaux. Cette démarche nous a permis d’obtenir des données qualitatives sur les habitudes de consommation et sur les motivations de ces fumeurs ou anciens fumeurs aux profils différents (âge, ville de résidence, etc.). Nos investigations ont été approfondies à l’occasion d’entretiens individuels avec certains de ces acheteurs.

Pour parvenir à appréhender les profils des vendeurs, leurs pratiques de vente et pour réussir à cerner les rouages de ces organisations, nous avons croisé plusieurs approches. La première étape a consisté à aller assister à des audiences dans le cadre desquelles des vendeurs de rue et des trafiquants étaient poursuivis et où des industriels du tabac s’étaient constitués partie civile. Nous avons ensuite étudié des dossiers d’archives judiciaires relatifs à des affaires de trafics de cigarettes, ce qui nous a conduits à obtenir des informations sur les logiques de réseaux et les méthodes d’approvisionnement de ces réseaux. Pour compléter ces premières investigations, nous avons effectué des observations sur le terrain pour étudier le profil des vendeurs, et essayer de gagner leur confiance afin qu’ils nous accordent des entretiens individuels. Cette approche a fonctionné avec quelques vendeurs qui ont accepté de répondre en toute transparence à nos questions. Néanmoins, le caractère illicite de cette activité et la proximité avec d’autres types de trafics poussent les vendeurs à faire preuve d’une extrême méfiance qu’il est parfois difficile de surmonter.

 

Le vendeur, un maillon vulnérable et peu connecté à la chaîne d’approvisionnement du tabac illicite

Les profils des personnes qui participent au commerce illicite de tabac peut différer selon le mode de vente (Internet, à la sauvette, réseau de proches, épicerie, etc.). Néanmoins, notre étude nous a permis d’appréhender des caractéristiques communes à toutes les catégories de vendeurs :

– ils sont généralement dans une situation économique précaire et le bénéfice qu’ils tirent de la vente du tabac constitue soit un complément de revenu, soit leur seul revenu ;
– ils sont au chômage ou ont des emplois peu rémunérateurs ;
– ils sont majoritairement fumeurs.

Les dossiers judiciaires consultés le démontrent très clairement, puisque l’on retrouve parmi les « petits » acteurs de trafics (transporteurs et revendeurs) tantôt des personnes en situation précaire (chômeurs, bénéficiaires des minimas sociaux, étudiants, intérimaires), tantôt des représentants de professions peu qualifiées (chauffeurs-livreurs, taxis, employés de restaurants) avec parfois des antécédents d’interdiction bancaire et de surendettement.

S’agissant plus précisément des vendeurs à la sauvette, nous avons pu faire les constats suivants :

– les vendeurs sont immigrés ou issus de l’immigration et une grande partie d’entre eux sont dans une situation irrégulière ou en attente de régularisation. Les vendeurs sont souvent de jeunes immigrés clandestins arrivés en France avec le rêve d’une vie meilleure puis confrontés rapidement à une situation d’urgence vitale, les contraignant à trouver de l’argent rapidement. Aucun des jeunes rencontrés n’envisageait de prendre part au commerce illicite de tabac avant d’arriver en France ;
– les vendeurs ont pour la plupart entre 16 et 30 ans ;
– les vendeurs restent en groupe pour tromper l’ennui, être moins vulnérables et pour pouvoir éviter les interpellations massives par les forces de police ou par les services des douanes. Bien qu’ils se disent tous indépendants, ils veillent néanmoins les uns sur les autres et développent des formes de solidarité de groupe, ce qui se traduit en pratique par des systèmes d’alerte entre vendeurs à l’arrivée des forces de l’ordre ;
– les vendeurs ont pour la plupart déjà eu affaire à la justice et ont déjà fait l’objet d’une condamnation (pas forcément en lien avec la vente de tabac à la sauvette) ;
– aucun ou quasiment aucun ne vit à proximité immédiate du point de vente ;
– la proximité du trafic de cigarettes avec d’autres trafics comme le trafic de stupéfiants combinée avec l’ennui auquel doivent faire face les vendeurs conduit certains d’entre eux à consommer de la drogue et à développer des comportements addictifs.

À l’exception des vendeurs de gros ou de semi-gros, la majorité d’entre eux indiquent que les bénéfices sont relativement faibles par rapport aux efforts engagés (présence de longue durée dans la rue) et aux risques encourus. En moyenne, les vendeurs rencontrés écoulent entre 20 et 50 paquets par jour, pour un bénéfice se situant aux alentours de 15 euros pour une cartouche de contrebande. La cartouche est achetée à 35 euros puis revendue à 50 euros. Il est possible d’affirmer que le coût de fabrication d’une cartouche de contrefaçon est de 8 euros en moyenne1. Pour beaucoup de ces vendeurs, une journée de vente peut être qualifiée de « bonne » quand ils vendent 50 paquets ou plus. Faute de données disponibles et d’accès aux intéressés, il est en revanche impossible dans le cadre de cette étude d’établir précisément la marge des différents échelons intermédiaires (fabricant, distributeur, grossiste). Le vendeur est le dernier maillon de la chaîne de commerce illicite de tabac, qui représentait 30,13% de la consommation de cigarettes en France selon une étude de la Seita2. Cette activité est effectivement cantonnée à la simple « distribution », ce qui ne nécessite que peu de compétences, si ce n’est des compétences commerciales dans la mesure où l’activité de distribution se limite à l’échange d’une somme d’argent contre un produit avec un client qui n’est a priori pas à convaincre. Nous y reviendrons plus loin, mais le vendeur ne s’appuie en effet sur aucun discours commercial concernant le produit dont il ne connaît finalement que peu de choses. Ce qui confère l’attractivité de son produit, c’est d’abord son prix. En ce qui concerne la vente à la sauvette, son influence sur la stratégie de vente est elle aussi très limitée puisque ce même vendeur reste statique et peut uniquement se contenter d’interpeller les passants en leur proposant sa marchandise. Cette stratégie est facilitée par le fait que la demande est forte (densité humaine, flux de passants), que la transaction est très rapide (pas de vérification nécessaire de la qualité du produit par l’acheteur) et que le risque pris par le vendeur à entreprendre la vente illicite est faible, du fait de la capacité d’action limitée de la part des pouvoirs publics3.

Si le vendeur n’a en général pas de rôle dans la production et dans l’acheminement de la marchandise, il doit néanmoins trouver un mode d’approvisionnement qui peut varier selon qu’il est rattaché ou non à un réseau.

Il convient enfin de préciser que la vente de cigarettes à la sauvette est une activité exclusivement masculine. Au cours de notre étude, nous n’avons vu aucune femme vendre du tabac dans la rue. Ce phénomène s’explique avant tout par le fait que cette activité comporte des risques pour la sécurité physique du vendeur, du fait de la forte concurrence qui peut régner dans certaines zones et que les femmes, étant minoritaires sur le terrain, seraient plus vulnérables. En outre, si les mineurs non accompagnés (MNA) peuvent être la proie de réseaux de trafiquants du fait de leur vulnérabilité et du moindre risque pénal qu’ils encourent, ils ne sont néanmoins pas particulièrement présents dans la population des vendeurs.

I Partie

La vente illicite de cigarette dans l’espace public : un marché d’opportunité, volatil, qui s’appuie sur des vendeurs en situation sociale et économique précaire

1

Une stratégie et des méthodes de vente semblables pour tous les points de distribution

Notes

4.

Pour la région parisienne, voir « Trafic de tabac : la police intensifie les contrôles », Le Parisien, 3 mai 2021.

+ -

5.

Les passants sont accrochés avec les typiques marques ou appellations «Marlboro» ou « Marlboro Bled ».

+ -

6.

Voir Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau et Arthur Persais, op. cit.

+ -

7.

Cécile Beaulieu, « Paris : Barbès, eldorado de la cigarette de contrebande », leparisien.fr, 15 mars 2018.

+ -

8.

Étude menée par les auteurs de cette note sur la base d’une revue systématique des dossiers traités par un cabinet d’avocat défendant l’un des plus gros acteurs du marché de la cigarette.

+ -

9.

Selon des témoignages recueillis au cours de notre enquête de terrain auprès de vendeurs à Barbès.

+ -

10.

Les cheap whites sont des cigarettes de marques non enregistrées sur le territoire. Cela concerne peu de cas de ventes illicites, davantage centrées sur la vente de contrebande ou de contrefaçon.

+ -

11.

Voir Christel Brigaudeau, « Les cigarettes à l’unité : une pratique illégale mais répandue », leparisien.fr, 28 août 2017.

+ -

12.

Voir, par exemple, Céline Carez, « Paris : le vendeur de cigarettes indésirable se venge à coups de cocktails Molotov à Barbès », leparisien.fr, 27 août 2017.

+ -
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14.

Voir Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau et Arthur Persais, op. cit.

+ -

15.

Ils vendent en grande majorité des Marlboro et, dans une moindre mesure, des Winston. Marlboro est la marque la plus vendue sur tous les terrains de distribution.

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16.

L’analyse de dossiers judiciaires portant sur des affaires de trafic de produits dérivés du tabac nous a conduits à identifier plusieurs marques commerciales connues : Kent, L&M, Winston, Rothmans, Camel, Dunhill, Vogue…

+ -

17.

Parmi les marques que nous avons identifiées en cheap whites, il est possible de citer Karelia, Viceroy ou encore VIP Red.

+ -

18.

En l’espèce, le réseau de vendeurs se faisait apporter des cartouches par plusieurs personnes qui transportaient entre 50 et 100 cartouches par avion depuis l’Arménie, la Russie et l’Ukraine, ainsi que par la route depuis la Pologne, dans de plus grosses quantités. Ces cigarettes étaient ensuite proposées à la vente dans le secteur lyonnais via les réseaux sociaux à des groupes Facebook intitulés « Bon plan fumeurs Lyon » ou encore « Bon plan Lyon ».

+ -

19.

Voir, par exemple, l’article de Matthieu Pechberty, « Les réseaux sociaux, eldorado des trafiquants de tabac », lexpress.fr, 7 janvier 2019.

+ -

Les lieux de vente de tabac à la sauvette sont connus ou en tout cas facilement identifiables. Les vendeurs se positionnent à des endroits stratégiques que les voyageurs qui sortent des transports en commun (métro, RER, tram) sont obligés d’emprunter. Ces spots de vente se sont nettement multipliés au cours des dernières années, en particulier des derniers mois4, et ne se limitent plus aux implantations « historiques » comme Barbès, à Paris. Les vendeurs hèlent les passants en tout lieu, dès lors que les flux sont denses5. Ce mode d’interpellation se veut encore plus insistant quand les vendeurs aperçoivent un fumeur ou qu’ils reconnaissent un client régulier.

Sur tous les terrains de vente, les vendeurs ne détiennent généralement que peu de marchandise sur eux. Ils sont conscients qu’en ne conservant que de petites quantités de tabac, ils sont moins exposés aux poursuites dans la mesure où il sera difficile de prouver que les paquets considérés comme abandonnés sur la voie publique leur appartiennent. Par ailleurs, la perte pour eux sera minime en cas de saisie par la police. Le plus souvent, ils gardent moins de dix paquets dans leurs mains, dans leurs poches ou dans une petite sacoche à la ceinture. Le reste de la marchandise est stocké à proximité dans un sac à dos, dans un sac plastique ou encore dissimulé dans des poubelles, dans des pots de fleurs ou dans du mobilier urbain.

Les quelques dizaines de paquets qu’ils conservent sur eux ou à proximité immédiate peuvent être écoulés dans un laps de temps relativement court. Par conséquent, les vendeurs doivent se réapprovisionner plusieurs fois par jour. À Barbès, des quantités intermédiaires (entre 3 et 10 cartouches) sont disséminées dans des lieux moins accessibles. Le stockage se fait notamment sous les arches du métro aérien. Aux Quatre-Chemins, à Aubervilliers, la marchandise est cachée dans les cages d’escalier ou dans les boîtes aux lettres privées, ce qui génère des craintes chez les habitants6. Il est possible de voir parfois des vendeurs escalader les grilles du métro pour récupérer des cartouches dissimulées à plus de 2 mètres de hauteur. Une fois redescendu, le vendeur éventre la cartouche et distribue quelques paquets à plusieurs de ses congénères. La presse a relaté qu’à Paris, par exemple, « les vendeurs s’empressent d’aller chercher la marchandise cachée non loin, sous les poutrelles métalliques du métro aérien ou les trappes d’aération des immeubles. Le gros des produits de contrebande, lui, est entreposé dans des box, des appartements du quartier7 ».

Les lieux de stockage des grosses quantités sont difficiles à localiser étant donné que les vendeurs sont mobiles, qu’ils bougent régulièrement du point de vente et qu’ils sont attentifs à ne pas se faire repérer. Une étude d’archives judiciaires8 a cependant permis de déterminer que les trafiquants ont régulièrement recours à des box (garages fermés) pour entreposer la marchandise. Ce mode de stockage a l’avantage d’être plus discret qu’un stockage dans un appartement où les allées et venues sont plus aisément repérables.

Le prix est le facteur principal de la vitalité de ce commerce parallèle. Le prix des cigarettes vendues dans la rue s’établit entre 4 et 6 euros selon le lieu de vente mais aussi selon la provenance des cigarettes. L’écart entre le produit illicite et celui du bureau de tabac se situe entre 3 et 4 euros selon les marques et le type de paquet acheté, qu’il provienne de la filière duty free (cigarettes achetées légalement dans un aéroport en zone détaxée), de la contrefaçon (fausse marchandise fabriquée dans une usine clandestine) ou de la contrebande (produits achetés légalement à l’étranger mais importés illégalement en France). Le prix de vente dans la rue est indexé sur le prix de vente du réseau légal. Cela signifie que quand le prix du paquet en bureau de tabac augmente, le prix du paquet dans la rue augmente lui aussi, l’écart restant ainsi quasiment toujours identique. À la production, le coût du paquet de cigarettes de contrefaçon est estimé entre 50 centimes et 1 euro (soit 5 à 10 euros la cartouche). Les cigarettes de contrebande sont achetées 1,50 euro par paquet (soit 15 euros la cartouche) avant d’être revendues.

La dynamique de vente est susceptible de varier d’un point de vente à l’autre. Si des transactions ont lieu tout au long de la journée, il apparaît que les échanges sont encore plus nombreux en soirée. Il n’est pas rare que les vendeurs pratiquent un tarif plus élevé quand les bureaux de tabac sont fermés. Conscients que la seule option pour acheter du tabac en soirée est de se rendre dans des bars ou des hôtels qui pratiquent généralement des tarifs largement supérieurs aux bureaux de tabac, les vendeurs n’hésitent pas à vendre leurs paquets 1 à 2 euros plus cher le soir. Ils font ainsi varier les prix en fonction de l’heure à laquelle est réalisée la transaction et en fonction du profil de l’acheteur. En effet, certains vendeurs appliquent aussi une stratégie de hausse du prix de vente pour les touristes.

Les ventes réalisées le matin concernent le plus souvent des acheteurs réguliers qui profitent de leur déplacement domicile-travail pour acheter des cigarettes. Il est à noter que la dynamique de vente est également impactée par la saison, la météo ou encore les événements à proximité. Durant la période estivale, l’occupation tardive du domaine public par des personnes fréquentant les terrasses de café contribue à faire augmenter le volume des ventes9. Par ailleurs, sur les périodes de marché, les ventes sont aussi plus importantes.

La vente de tabac à la sauvette ne s’arrête donc jamais. La disponibilité est un argument fort en faveur du commerce de rue, c’est pourquoi les vendeurs à la sauvette assurent une présence de rue quasi permanente. Certains vendeurs sont présents chaque jour et sur une amplitude horaire très large, allant parfois de onze heures à minuit, voire plus tard dans la nuit durant le week-end. Pour assurer cette présence, des relais sont organisés par certaines équipes.

Les autres facteurs de variabilité du prix du tabac illicite sont sa provenance et sa qualité. Un paquet acheté en duty free sera revendu plus cher qu’un paquet acheté à très bas prix à l’étranger ou issu d’une manufacture de tabac contrefait. Dans les faits, le paquet contrefait, les cheap whites10 ou encore les paquets issus de pays d’Afrique subsaharienne sont commercialisés à 5 euros. Les paquets vendus comme étant en provenance de zones duty free sont en revanche vendus à 6 euros.

Au-delà de la vente à la sauvette, une tendance semble s’être développée en même temps qu’augmentait le prix du tabac : quel que soit le terrain d’étude, il n’est désormais plus rare de trouver des cigarettes vendues à l’unité dans de petites épiceries ou dans des taxiphones. Ces cigarettes sont généralement vendues à 50 centimes l’unité11. Bien que ce tarif soit plus élevé que pour un paquet acheté légalement dans le commerce (à titre de comparaison, un paquet de Marlboro rouge coûte 10,50 euros depuis la dernière hausse intervenue au 4 janvier 2021 et une cigarette coûte donc 50 centimes), cette pratique semble de plus en plus répandue.

Les cigarettes les moins chères proviennent des pays de l’Est (Ukraine et Russie principalement). Plusieurs saisies effectuées par les services de police, de gendarmerie ou les douanes parmi des réseaux s’approvisionnant dans les pays de l’Est ont mis en évidence la présence d’un tabac de contrebande, de contrefaçon ou encore de cheap whites. Les importations de contrefaçons produites dans des usines clandestines semblent être en recrudescence. Il convient de préciser à ce stade que la crise sanitaire et la fermeture des frontières de l’Europe qui en a résulté ont fortement tari l’approvisionnement en cigarettes de contrebande en provenance du Maghreb et des cigarettes vendues en duty free, qui ont de fait été remplacées par des produits de contrefaçon.

En résumé, trois facteurs contribuent à la dynamique du commerce illicite de cigarettes : les flux de passants, le prix et la disponibilité des produits.

Les zones de vente observées sur trois terrains franciliens (Barbès-La Chapelle, Saint-Denis et Aubervilliers-Quatre Chemins) et à la Guillotière, à Lyon, semblent bien délimitées, connues et respectées par tous. Néanmoins, il convient de préciser que ce constat ne vaut que pour les zones étudiées, d’autres pouvant être le théâtre d’affrontements entre revendeurs. Toutefois, dans le périmètre que nous avons étudié, il n’a pas été constaté de violences directement reliées au trafic de cigarettes, même si quelques cas de règlements de comptes peuvent se produire isolément12. Les vendeurs affirment qu’il n’y a pas de tension entre les différents groupes de vendeurs tant que certaines règles sont respectées, notamment relatives au positionnement sur le terrain. En pratique, il apparaît qu’ils se regroupent par pays ou région d’origine. À Barbès (Paris), ce sont des jeunes originaires d’Annaba, en Algérie, qui sont positionnés sous le métro aérien. Sur le boulevard de la Chapelle, de jeunes Algérois tiennent un autre point de vente, tandis que des Afghans sont positionnés sur le square de la Chapelle. Des groupes de Bulgares ont investi plusieurs espaces publics à Montreuil. À Saint-Denis, le parvis de la gare est partagé entre Sénégalais, Maliens et Algériens. À Lyon, le point de vente de la Guillotière est tenu par des Algériens et des Tunisiens. Il faut préciser que la nationalité des vendeurs n’a pas de lien avec l’origine d’approvisionnement des produits (à l’exception, néanmoins, des produits algériens de contrebande, plus souvent vendus par des personnes qui conservent des liens de proximité avec le pays).

Si la situation est « stabilisée » sur des territoires anciens, comme Barbès, où la répartition des points de vente s’est progressivement figée, de nouveaux territoires peuvent faire l’objet de conflits. Cela a été palpable pendant la période de confinement liée à la Covid-19, où des points de vente se sont installés en banlieue parisienne, près des lieux d’habitation des travailleurs pendulaires, les zones commerçantes intra-muros étant logiquement désertées et donc moins intéressantes pour les revendeurs. Ces points, situés par exemple à Choisy-le-Roi ou à Villeneuve-Saint-Georges, ont été le théâtre d’affrontements physiques entre revendeurs désireux de s’y installer13. Bien que la cohabitation entre vendeurs soit généralement pacifique, il se pourrait tout de même que la hausse du prix du tabac, combinée à l’attractivité grandissante du commerce illicite du fait des risques inférieurs qu’il représente par rapport au trafic de stupéfiants, conduise à faire croître la concurrence entre vendeurs et, par ricochet, les tensions entre eux.

Dans notre précédente étude14, nous avions mis en avant que les points de vente de cigarettes dans la rue étaient tous proches d’autres formes de commerce de rue, légaux et illégaux, notamment de stupéfiants, de médicaments, de cartes téléphoniques, etc. Bien qu’il n’ait pas été constaté de commerce de stupéfiants parmi les vendeurs de cigarettes à la sauvette, ces derniers sont toujours en capacité de renseigner, par exemple, sur les points de deal de cannabis et n’hésitent pas à le faire. S’il est donc difficile de se prononcer sur la porosité entre la revente de cigarettes et d’autres formes de trafics (qui ne se limitent pas forcément aux stupéfiants), plusieurs indices nous laissent penser que des liens peuvent exister. C’est notamment le cas pour les réseaux d’importation depuis l’Europe de l’Est qui ne se limitent pas aux cigarettes.

Ils profitent d’un trajet en minibus ou en véhicule utilitaire pour compléter la cargaison de cigarettes avec des parfums, de l’alcool ou des vêtements qui seront ensuite revendus de manière frauduleuse, avec des niveaux de risque pénal bien inférieurs que pour la drogue ou les armes.

Les réseaux de vendeurs originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne proposent une offre restreinte en termes de marques de cigarettes15, alors que les réseaux d’Europe de l’Est, qui importent depuis la Russie, l’Ukraine ou encore la Moldavie offrent une plus grande diversité de choix pour les acheteurs de marques16. Ces réseaux de l’Est sont également les principaux importateurs de cheap whites, qui sont de petites marques récentes, présentes surtout dans les pays sans monopole du tabac comme la Russie, mais cela ne concerne qu’une petite part de la vente illicite centrée sur les produits de contrebande ou de contrefaçon. Elles sont avant tout fabriquées pour la contrebande, dans le but d’être vendues illégalement en Europe17.

Sur les réseaux sociaux, on constate que l’offre de cigarettes est encore plus diverse. Cette spécificité résulte probablement du mode d’approvisionnement qui diffère des réseaux de rue. Il se pourrait, en effet, que les réseaux de vente sur Internet soient alimentés par de multiples sources qui disposent de cartouches de cigarettes de différentes marques, qui les revendent ensuite au réseau, ce dernier se chargeant ensuite de les promouvoir pour ses clients en ligne avant de conclure la vente en direct18. La vente par l’intermédiaire des réseaux sociaux connaît un essor important depuis plusieurs années, ce que montrent les importants volumes proposés à la vente, qui peuvent aller parfois jusqu’à plusieurs centaines de cartouches19.

2

De la diversité des risques pour les vendeurs

Notes

20.

Le procès-verbal simplifié est une procédure permettant à un agent de police de remettre un rappel à la loi à un vendeur à la sauvette sans avoir à passer par un magistrat. Voir Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau et Arthur Persais, op. cit., p. 43-45.

+ -

21.

Nous avons pu nous en convaincre lors d’une rencontre avec des représentants du parquet de Bobigny lors de la phase précédente de l’étude (ibid., p. 49).

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22.

En 2019, deux ressortissants afghans qui alimentaient en cartouches les revendeurs d’un quartier parisien, ont été condamnés à dix-huit mois de prison ferme et une interdiction de séjour de cinq ans sur le territoire français lors d’une affaire jugée au tribunal de grande instance (TGI) de Paris.

+ -

23.

Comme indiqué plus haut, nous n’avons pas observé de tensions à Barbès, mais il y a des territoires où la répartition des points de vente entre groupes et individus, parfois issus de communautés différentes, n’est pas aussi stabilisée, ce qui peut conduire à des affrontements pour s’approprier ne serait-ce qu’un bout de trottoir.

+ -

Au regard des observations menées et des échanges avec les professionnels de la sécurité rencontrés dans le cadre de cette étude et de la précédente, il apparaît qu’il y a un rapport relativement serein au risque, en particulier juridique, de la part des revendeurs, mais aussi des acteurs plus importants du marché. La présence de groupes criminels organisés d’Europe de l’Est au sommet de ces trafics (voir infra), dont certains ont des antécédents dans le trafic d’armes, montre que ce type de commerce constitue l’opportunité de manipuler des sommes importantes en encourant un risque pénal bien moindre que dans le cas de trafic de stupéfiants ou de traite d’êtres humains.

De même, d’une manière générale, les vendeurs de rue ont parfaitement appréhendé les pratiques policières (notamment les conséquences bénignes du procès-verbal simplifié20) et la politique pénale dans le domaine de la lutte contre le commerce illicite, longtemps considéré comme secondaire par les parquets21. Toutefois, cette politique semble évoluer actuellement dans le sens d’une plus grande implication et d’une plus grande sévérité de la justice22. Il conviendra de voir si cette tendance aura une continuité et si elle aura des effets sur les trafics.

Les efforts des forces de l’ordre risquent toutefois de rencontrer des limites dans la lutte contre les revendeurs de rue ou ceux qui les approvisionnent au quotidien. Tout d’abord, quand bien même la sévérité des peines serait désormais importante, la probabilité d’être interpellé reste faible étant donné le nombre de vendeurs présents sur certains sites et les ressources limitées dont disposent les forces de l’ordre (qui ont, par ailleurs, de nombreux autres problèmes à gérer sur ces zones). Il est raisonnable d’imaginer que les revendeurs sont conscients de cette probabilité limitée. Ensuite, même si le resserrement de l’étau policier et judiciaire devenait effectif, le commerce à la sauvette se réorganiserait en adoptant d’autres méthodes. Aujourd’hui, la vente s’organise de façon assez peu structurée autour de vendeurs indépendants qui interviennent à l’étape finale de ce trafic. Aucun système de guetteurs n’a été observé sur les terrains étudiés, ce qui tendrait à démontrer l’absence de véritable mécanisme de « protection » collective. Mais il est probable qu’un tel système se développe en cas d’accroissement de la répression, ce qui compliquerait le travail de la police. Un fonctionnaire de police a même émis l’hypothèse d’un déport du commerce illicite de cigarettes vers des cités sensibles auxquelles les forces de l’ordre accèdent difficilement, et d’un partage du territoire avec le trafic de stupéfiants.

Finalement, le principal risque pour les revendeurs de rue est le risque physique lié à des conflits avec d’autres vendeurs autour de différends personnels ou parfois de conflits de territoire, comme cela a pu se produire dans le quartier de La Chapelle, à Paris23. Ce risque est réel, toutefois pas aussi prééminent que nous le pensions initialement (comme expliqué dans la partie précédente), et par conséquent ne dissuade pas les trafiquants qui demeurent omniprésents du fait d’une chaîne d’approvisionnement structurée et d’une demande motivée par les prix élevés de ce produit sur le marché légal.

3

Des rôles bien délimités de l’approvisionnement à la distribution

Notes

24.

Nous avons limité le descriptif aux sites où nous nous sommes rendus physiquement, étant entendu qu’il existe de nombreux autres points de vente en région parisienne (Saint-Denis, Châtillon-Montrouge, Quatre Chemins, Garges-Sarcelles, Porte de Montreuil) et en province (Montpellier, Toulouse, etc.).

+ -

25.

Entretien du 24 mai 2019.

+ -

26.

Entretien du 9 janvier 2020.

+ -

27.

Entretien du 3 janvier 2020.

+ -

28.

Voir, par exemple, au sujet d’une affaire de demantelement d’usine clandestine en Pologne, qui fabriquait 800.000 cigarettes par jour : « Nawet 24 miliony papierosow miesiecznie. CBŚP zlikwidowało nielegalną fabrykę pod Sierpcem », tvn24.pl, 9 avril 2021.

+ -

29.

Voir Nathalie Revenu, « La contrefaçon de cigarettes prospère en Seine-Saint-Denis », leparisien.fr, 26 février 2020. Par ailleurs, certaines de ces usines implantées dans des pays limitrophes de la France ont pour objet d’alimenter justement le marché hexagonal, où les taxes sont élevées (voir « Les saisies de cigarettes ont doublé en un an », Sud Presse, 29 janvier 2021).

+ -

30.

Les véhicules utilisés n’étant pas toujours équipés de caches, il arrive que la marchandise illicite soit transportée avec d’autres produits de couverture.

+ -

32.

Plusieurs affaires de ce type ont été répertoriées, notamment dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où des membres de compagnies aériennes d’Afrique du Nord apportaient des cartouches de cigarettes dans des cabas. Plus récemment, un équipage de Tunisair a été interpellé à l’aéroport de Marseille (voir Seif Soudani, « Arrestation de trois membres d’un équipage Tunisair en France : les détails », lecourrierdelatlas.com, 23 mars 2021).

+ -

33.

Entretien du 24 octobre 2019.

+ -

34.

Entretien du 9 janvier 2020.

+ -

35.

Voir Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau et Arthur Persais, op. cit.

+ -

36.

Dans une ville comme Lyon, par exemple, les cigarettes contrefaites représentaient 1,5% de la consommation totale au premier trimestre 2020, pour atteindre 20% à la fin de l’année (voir Guillaume Lamy, « Derrière la fumée des cigarettes à la sauvette », Lyon Capitale, n° 808, mars 2021, p. 32-33).

+ -

37.

Vory v Zakone (« voleurs dans la loi ») est le nom d’un confrérie criminelle issue de l’ex-URSS.

+ -

38.

Morgane Jardillier, « Ouest : démantèlement d’une filière internationale de contrebande de tabac », gendinfo.fr, 22 janvier 2019.

+ -

39.

Voir « 15 Arrested in France and Belgium for Cigarette Smuggling », europol.europa.eu, 21 juin 2019.

+ -

L’observation sur les différents terrains étudiés, les entretiens menés ainsi que l’étude des dossiers judiciaires liés à des affaires de trafic de tabac permettent de déceler, contrairement aux vendeurs de rue, indépendants les uns des autres, une certaine organisation dans les structures d’approvisionnement, avec une logistique, un système de transport et une main-d’œuvre caractérisée par la spécialisation des tâches, sans que les uns aient forcément de visibilité sur ce que font les autres. De même, on peut relever des filières nationales et géographiques qui évoluent en parallèle (répartition de territoires de vente) ou collaborent (chacune a en charge une partie de la chaîne de distribution).

 

Une répartition des points de vente entre revendeurs issus de communautés peu organisées

Plutôt qu’un réseau organisé, plusieurs des sites étudiés24 montrent une logique de monopole géré par telle ou telle nationalité, comme nous l’avons déjà précisé : les Algériens à Barbès (Paris), les Afghans à la Chapelle (Paris), les Maghrebins et les ressortissants des pays de l’Est à la Guillotière (Lyon). Ce ne sont donc pas des réseaux comme le sont ceux des producteurs- transporteurs. Dans tous les cas, les témoignages réunis tendent à montrer que l’on a affaire à des groupes de petits « entrepreneurs », qui vendent dans la rue et se connaissent entre eux mais n’appartiennent pas à une structure pyramidale et hiérarchisée. Il faut également préciser que les vendeurs n’habitent pas le quartier dans lequel ils s’adonnent au trafic. Un éducateur du XVIIIe arrondissement de Paris nous a ainsi confié : « Il n’y a pas vraiment de mafia ou d’organisation. Par contre, on a beaucoup de petits commerçants, de petites mains qui font que les cigarettes arrivent. C’est pas un truc pyramidal, pas un réseau mis en place. Ils sont tous au même endroit, mais ce sont des micro-entrepreneurs. À Barbès, ce sont les Algériens qui détiennent le marché25. »

Cette situation diffère quelque peu des points de deal de stupéfiants, qui par ailleurs se situent plus souvent dans des zones enclavées alors que les vendeurs de cigarettes cherchent, au contraire, à se positionner dans des secteurs où il y a beaucoup de passage, plus propices aux achats d’opportunité. Un enquêteur de la police nationale ayant mené une affaire avec interpellation de personnes chargées de l’approvisionnement des revendeurs nous a confirmé cet état de fait : « On a constaté qu’il y avait des lieutenants, mais ça n’est pas autant un réseau comme sur les stups. Sur un point de deal de stups, on va retrouver le banquier, les vendeurs, la nourrice, les guetteurs. Sur les clopes, on a souvent les mêmes vendeurs et des lieutenants qui font l’aller-retour avec le box où est stockée la marchandise, ramassent l’argent, recadrent les mecs… Ils font un peu tout26. »

Un policier d’une commune de Seine-Saint-Denis, très touchée par le commerce illicite de tabac, observe le même phénomène, avec ici des revendeurs sans rôle précis, susceptibles de s’impliquer dans d’autres formes de délinquance, en fonction des opportunités : « Il y a un fonctionnement très communautaire. Ce sont avant tout des Algériens, presque toujours en situation irrégulière, et puis il y a des sortes de placiers qui vendent les clopes aux petits revendeurs […]. On a fait des affaires de vols et de recels de portables, qui partaient à l’exportation au Maghreb. Les arracheurs de téléphones peuvent très bien vendre des cigarettes, c’est interchangeable27. »

 

Une logique de réseau structuré parmi les fabricants et les transporteurs de marchandise

Dans ce cas, on a affaire à un modèle différent, où l’acheminement peut s’appuyer sur une organisation structurée de fraude, même si l’importation de faibles quantités par des « petites mains » plus ou moins professionnelles existe également. La production de cigarettes contrefaites (dans des usines clandestines) et le détournement de produits fabriqués légalement sont l’apanage de structures de type mafieux basées en Europe de l’Est (Pologne, Moldavie, Bulgarie, Ukraine). Ces dernières peuvent soit faire tourner leurs propres centres de production aux capacités industrielles28 (parfois même dans des pays proches de la France, comme les Pays-Bas, la Belgique ou l’Espagne29), soit s’approprier des cigarettes produites dans le circuit officiel, même si les cigarettes contrefaites, fabriquées dans leurs propres usines semblent très largement majoritaires dans les produits distribués par les groupes d’Europe de l’Est, ensuite transportées par voie routière dans des véhicules de transports de personnes (mini-vans assurant la liaison entre les grandes villes françaises et l’Europe de l’Est, équipés de doubles fonds ou autres caches30, ou, de plus en plus souvent, par poids lourds). Europol souligne d’ailleurs la part grandissante des cigarettes de contrefaçon produites par des groupes très structurés dans des ateliers clandestins situés sur le sol européen31. Concernant les trafics issus du Maghreb, l’acheminement de quantités parfois très importantes de cartouches se fait par bateau, avec la complicité de marins de commerce. Les produits en question finissent ensuite entre les mains des petits distributeurs pour être écoulés ensuite sur la voie publique. Ces systèmes de distribution s’appuient sur différentes complicités (acteurs de la chaîne de vente licite, douanes locales, personnel navigant commercial, marins ou personnel de ferry…). Le transport de produits illicites se fait également par avion grâce à la collaboration de personnel navigant commercial32. Enfin, les petites mains faisant des allers-retours avec le Maghreb, Andorre ou même la Corse (qui bénéficie d’une fiscalité préférentielle sur le tabac, même si dans ce cas-là, spécifique à Marseille, on est surtout dans la satisfaction de besoins de consommation personnelle) pour alimenter les trafics sont également monnaie courante. Un responsable des douanes résume le phénomène : « Ce sont souvent des réseaux de fraude internationaux, avec des filières d’approvisionnement et les mêmes process que les stups. Historiquement, il y a des centres de production en Europe. La Bulgarie a toujours été le pays du tabac pour l’ex-URSS, la Grèce aussi. Il y a des filières qui arrivent à détourner des cigarettes produites légalement, puis les réintroduisent dans les pays occidentaux. […] Il y a un flux constant de tabac depuis le Maghreb, tous les ferries ramènent de la cigarette. Il y a de petits trafiquants, des marins, c’est du trafic de misère effectué par les employés de compagnies maritimes. Ils revendent à des connaissances, à leurs contacts. Les revendeurs sont souvent des clandestins issus des mêmes communautés. Le cousin qui travaille sur un ferry va lui fournir de la marchandise. Derrière ces gens, qui sont des petites mains, vous avez les structures qui détournent, produisent et fournissent les petits vendeurs. Il y a aussi les cigarettes de Corse ou d’Andorre, via des “petits artisans”, ils font des allers-retours réguliers33. »

L’étude de dossiers judiciaires concernant des affaires de contrefaçon et/ou de contrebande de cigarettes nous a permis d’étudier une vingtaine d’affaires de ce type, réparties sur différents points du territoire français et menées par différents types de services (police, douanes, gendarmerie), tantôt à la suite d’une investigation, tantôt consécutivement à un contrôle routier aléatoire. Tout d’abord, il apparaît clairement qu’il y a une très forte majorité de nationaux étrangers parmi les prévenus, avec une importante proportion de ressortissants, d’une part, d’Europe centrale et de l’Est (Ukraine, Moldavie, Pologne, Arménie, Bulgarie), et, d’autre part, du Maghreb (Algérie essentiellement). De même, la provenance des cigarettes saisies est essentiellement de ces deux espaces géographiques, à de très rares exceptions près (le Luxembourg, notamment, où la fiscalité sur le tabac et donc son prix sont bien inférieurs).

Par ailleurs, ces différentes affaires, de par les volumes représentés et le modus operandi des revendeurs, permettent de déceler les différentes étapes du processus de commerce illicite. D’un côté, certaines affaires portent sur des quantités très importantes de produits, généralement cachées dans des véhicules de transport de personnes (faux planchers et différentes caches). En effet, cinq des vingt affaires étudiées concernaient des quantités de plus de 1.000 cartouches, dont deux de plus de 5.000 cartouches. Celles qui font suite à une investigation poussée montrent qu’il y a derrière cela un système de stockage dans des box et de distribution auprès des revendeurs individuels. Ces cas-là révèlent le volet approvisionnement du trafic, avec, selon les dossiers d’enquête, de la marchandise récupérée et transportée depuis la Moldavie, la Bulgarie ou encore l’Algérie. Parfois, cela s’inscrit dans une forme de troc, où le tabac n’est pas revendu sur le territoire mais échangé contre d’autres types de marchandises recherchées dans les pays de provenance (par exemple, le tabac est échangé contre des pièces détachées automobiles revendues en Algérie, ou contre des vêtements en Tunisie). D’un autre côté, certaines saisies concernent de petits revendeurs, qui distribuent les cigarettes sur la voie publique ou servent d’intermédiaires auprès d’autres petits revendeurs de rue, sur Internet (Facebook et Snapchat, notamment) ou auprès de leur réseau d’amis. Les quantités saisies sont alors de quelques dizaines de cartouches tout au plus, se mêlant généralement à d’autres produits (parfums, vêtements, alcool…) que ces personnes revendent sur le marché parallèle dans des quantités plus ou moins importantes. Néanmoins, comme nous l’avons indiqué plus haut, certains posts sur les réseaux sociaux ou saisies relatées dans la presse permettent de déterminer que ce sont parfois de plus grandes quantités – quelques centaines de cartouches – qui approvisionnent ces transactions en ligne.

Pour mener des investigations au-delà de ces acteurs intermédiaires ou du bas de l’échelle, afin d’identifier des têtes de pont et des grossistes distribuant la marchandise à la source, il faudrait aller hors des frontières du territoire national, ce qui n’est le cas dans aucune des affaires étudiées, qui ont généralement été menées par des services locaux n’ayant pas vocation à pousser les enquêtes plus avant. Cet état de fait est expliqué par un enquêteur de police rencontré au cours de ce travail et qui a récemment géré une affaire de trafic de cigarettes à l’échelle d’un quartier : « On ne nous a pas laissé le temps d’enquêter là-dessus [le réseau]. Mon patron voulait qu’on aille très vite, qu’on fasse des enquêtes courtes pour assainir le quartier, […] on était là pour débarrasser le quartier des gens qui vivent des trafics. On pense que si on avait continué, on serait tombé sur une camionnette qui fait la livraison, on aurait fait une filoche et on aurait fini au Havre34. »

Toutefois, cette logique semble changer sur certaines zones très fortement touchées par le commerce illicite. Là où le procès-verbal simplifié était souvent utilisé comme le principal outil de lutte contre le trafic de tabac sur la voie publique, avec toutes les limites que comporte cette méthode35, des circonscriptions ont décidé de mener des enquêtes approfondies dans le but d’identifier les auteurs et de démanteler des réseaux de trafic, et ce, en accord avec le parquet. Lors de notre enquête, un chef de service de la banlieue parisienne explique avoir mis en place une équipe dédiée pratiquant des surveillances et des enquêtes approfondies afin de judiciariser systématiquement les cas traités pour avoir une action plus efficace.

La presse locale et nationale relate régulièrement les affaires traitées par des unités d’investigation nationales et met en évidence la prééminence des contrefaçons dans les trafics ainsi qu’une hausse sensible de cette activité depuis peu36. Une enquête menée par l’Office central de la lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), la section de recherches de la gendarmerie de Rennes et le Service national de la douane judiciaire (SNDJ) a ainsi conduit, en janvier 2019, au démantèlement d’une structure criminelle issue de la communauté arménienne proche des Vory v Zakone37 et agissant dans toute l’Europe38. En juin de la même année, ce sont les polices judiciaires belge et française qui ont procédé à l’interpellation de quinze individus de différentes nationalités, principalement ukrainienne et arménienne, participant à un réseau de crime organisé, et à la saisie d’un total de 1,1 million d’euros d’avoirs criminels39. En décembre 2020, c’est un réseau bulgare versant également dans le proxénétisme qui a été stoppé à Bordeaux40. De même, un juge d’instruction de la région parisienne nous a confié la montée en puissance des affaires de commerce illicite de cigarettes au sein de sa juridiction mettant en cause les milieux de la criminalité organisée d’Europe de l’Est et d’ex-URSS.

4

Des achats d’opportunité principalement motivés par le caractère bon marché du tabac vendu illicitement

Notes

42.

Les différences de nombre de répondants aux questions tiennent au fait que certaines questions étaient facultatives et d’autres obligatoires.

+ -

Cette partie s’appuie sur un questionnaire que nous avons administré en ligne auprès d’une trentaine de personnes ayant acheté ou achetant régulièrement des produits du tabac sur le marché illicite et qui se sont portées volontaires après la publication de notre annonce sur les réseaux sociaux. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, cette partie a permis d’identifier les motivations et le profil de ces acheteurs. Il est à noter que le questionnaire a été soumis aux répondants dans un contexte où l’amende de 135 euros pour l’achat de cigarettes à la sauvette n’était pas encore prévue par la loi41. Les résultats permettent d’énoncer plusieurs hypothèses au sujet desdits acheteurs.

Leurs motivations peuvent différer selon leur profil, leurs lieux de vie ou encore leur âge. Néanmoins, l’achat de tabac sur le marché parallèle est généralement motivé par un ou plusieurs facteurs récurrents :

– les achats dans la rue se font plus par opportunité que pour les économies qu’ils permettent de réaliser, sauf pour les catégories les moins aisées de la population (étudiants, migrants, personnes en situation de précarité…) ;
– une faible proportion de personnes achètent des cigarettes dans la rue en guise de protestation contre l’État français ;
– d’autres se tournent vers ce commerce de rue en soutien aux populations défavorisées.

Le recours au commerce illicite est principalement justifié par l’attractivité du prix de vente et ne doit pas être associé avec un acte militant. Sur 32 répondants au questionnaire, 21 affirment que c’est le prix du paquet qui a motivé leur achat sur le marché parallèle42.

Question : « L’instauration d’une amende pour achat de cigarettes illicites serait-elle susceptible de vous faire changer de comportement ? »

Question : « Y a-t-il une dimension d’acte militant dans le fait de réaliser ces achats sur les marchés parallèles – protestation contre la fiscalité, soutien à des populations précaires ? » (en nombre de personnes)

Les hausses régulières du prix du tabac ont contribué à faire diminuer la vente légale et certains consommateurs se sont donc probablement tournés vers le commerce parallèle. Les données sur les saisies douanières de produits du tabac contrefaits ou de contrebande traduisent une tendance à la hausse qui, à elle seule ne permet pas de confirmer cette hypothèse mais qui constitue un indice suffisamment important pour la conforter.

Selon les bilans d’activité des douanes, les saisies de tabac sur le sol national étaient de 238 tonnes en 2017 (+112 tonnes à l’étranger), de 241 tonnes en 2018 (+40 tonnes à l’international), de 360 tonnes en 2019 et 284 tonnes en 202043.

Ces acheteurs n’ont pas l’impression de commettre une faute d’une quelconque gravité, bien qu’ils sachent tous que leur acte est en marge de la loi. Les résultats de l’enquête par questionnaire le confirment. Pour près d’un répondant sur deux, l’achat de tabac à la sauvette est uniquement lié au passage devant un point de vente et au fait que la personne est à court de cigarettes.

Une autre catégorie de motivations a pu être identifiée au cours de cette étude : il s’agit des cas où les acheteurs se tournent vers le commerce illégal quand les bureaux de tabac sont fermés. S’il est possible de trouver des cigarettes à toute heure dans un réseau légal (hôtels ou bars), il s’avère qu’une partie des acheteurs préfère se tourner vers la vente à la sauvette plutôt que de se rendre dans ces établissements ouverts la nuit qui pratiquent généralement des tarifs bien supérieurs à ceux des buralistes. L’écart avec le tarif réglementé est variable dans la mesure où l’article 572 bis du code général des impôts précise que le prix de vente au détail est librement déterminé pour les revendeurs. Par ailleurs, la vente de tabac dans ces établissements est normalement limitée aux clients. Le prix comme l’obligation de consommation sont des facteurs qui peuvent conduire certains fumeurs à se tourner vers le commerce illicite.

S’agissant du profil des acheteurs, il est difficile de brosser un portrait-type tant l’achat de cigarettes à la sauvette ne se limite pas qu’à des populations jeunes adultes ou des populations très précarisées. Des personnes issues de catégories aisées, avec des situations professionnelles stables figurent parmi les répondants à notre questionnaire. Il apparaît en réalité que le profil des acheteurs change en fonction de l’heure de la journée, les jeunes étant les plus susceptibles d’acheter des cigarettes en soirée au moment où les buralistes ne sont plus ouverts.

Les acheteurs sont tous conscients que le tabac qu’ils se procurent dans la rue n’est pas de même qualité que celui qu’ils achètent chez les débitants agréés. Néanmoins, cette différence ne semble que peu les préoccuper. Certains d’entre eux, rencontrés sur le terrain, ont indiqué avoir vu des reportages sur des manufactures de tabac illégales dont la production était ensuite destinée à la France. Malgré le caractère choquant de certaines de ces images sur le plan sanitaire, ces acheteurs ont affirmé ne pas avoir de craintes particulières à l’égard des produits achetés dans la rue et considèrent que le tabac vendu légalement est déjà extrêmement nocif.

5

Recommandations

Notes

44.

Mathieu Zagrodzki, Romain Maneveau et Arthur Persais, op. cit.

+ -

• Accroître la coopération internationale. Sur le maillon fabrication et approvisionnement de cigarettes des marchés illégaux, nous avons affaire à des structures non seulement très organisées mais aussi transnationales. Si elles comptent des membres agissant sur le territoire français, qu’ils soient organisateurs ou exécutants, elles ont des ramifications à l’étranger, dans l’espace postcommuniste ou en Afrique du Nord. Une lutte efficace contre les cigarettes de contrebande ou contrefaites passe donc par une coopération avec les autorités policières et douanières des pays concernés, seule voie pour un démantèlement de ces groupes criminels et un assèchement des trafics sur la voie publique et les nuisances qu’ils génèrent.

• Assurer une meilleure coordination entre les différents échelons des forces de sécurité intérieure. Cela a déjà été relevé dans notre étude publiée en 201844, mais le travail sur les réseaux de trafics a renforcé la conviction qu’une synergie renforcée entre les différents échelons des forces de sécurité était nécessaire. La synergie renforcée entre services de voie publique et d’enquête, que nous appelions alors de nos vœux dans cette étude, doit s’accompagner d’une continuité entre les services de police locaux, qui enquêtent souvent sur les petits revendeurs ou les semi-grossistes gérant le trafic dans un quartier, et les services nationaux, qui se focalisent sur les réseaux de grande ampleur. Les uns n’ont souvent pas de visibilité sur ce que font les autres, alors qu’un partage d’informations serait sans doute fructueux et efficace. Nous suggérons donc de nouveau la mise en place d’un pilotage national de cette politique décliné localement.

• Intégrer les enjeux liés à la vente illégale de cigarettes dans la politique pénale de l’État et engager un travail conjoint avec les collectivités territoriales au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). La lutte contre le trafic de cigarettes comporte des dimensions judiciaires et douanières mises en évidence dans nos études mais également urbaines (les agencements du mobilier urbain, de l’espace public, de la voirie, des arrêts de transports en commun ont tous des incidences sur les flux de personnes, sur la possibilité adaptée ou non pour un vendeur de pouvoir stationner). Des réflexions croisées entre le parquet, les forces de police et la collectivité (pour ses compétences en matière de prévention et d’aménagement urbain) peuvent avoir lieu sous l’égide du CLSPD qui a vocation à croiser ces dimensions.

• Impliquer les réseaux sociaux dans la lutte contre la vente illégale de cigarettes en ligne. Nous l’avons vu, de nombreuses ventes sont initiées via les réseaux sociaux. Les plateformes concernées ont un rôle important à jouer par le biais de la modération et de la suppression d’annonces de vente de produits dérivés du tabac, illicites par nature. Cela permettrait de tarir l’offre, qui est quantitativement de plus en plus importante sur ces réseaux, en particulier sur Facebook et Snapchat, et qui permet à ce marché parallèle d’atteindre des zones moins denses et plus isolées que les secteurs urbains où est implantée la vente à la sauvette.

• Mesurer la mise en œuvre et l’efficacité de la pénalisation des acheteurs.
Cette nouvelle mesure doit faire l’objet d’une évaluation de la part des pouvoirs publics, dans le but de s’assurer de son application. Une étude quantitative auprès des fumeurs serait de nature à vérifier si leurs habitudes ont été modifiées à la suite de l’instauration de cette amende pour les acheteurs de cigarettes illicites. Par ailleurs, une enquête qualitative auprès des forces de l’ordre sur l’utilisation de cet outil pourrait venir compléter l’étude.

Notes

45.

Ibid.

 

+ -

Ce second volet de l’étude sur le commerce illicite de tabac permet de tirer plusieurs enseignements majeurs sur les réseaux d’approvisionnement, la distribution mais aussi sur les acheteurs.

D’abord, si la distribution apparaît structurée, le commerce de rue, lui, l’est beaucoup moins. Les espaces de vente sont organisés selon quelques règles tacites. Les vendeurs respectent généralement des horaires ainsi que des zones de vente. Malgré tout, derrière ce semblant d’organisation, les vendeurs que nous avons rencontrés ne semblent pas faire partie d’une organisation pyramidale au sein de laquelle ils seraient contraints de remettre à un « supérieur » une partie de leurs bénéfices ou qui reposerait sur une véritable spécialisation des tâches comme celle que l’on observe sur les points de trafic de stupéfiants. Cette forme de travail en quasi-indépendance (il est probable que certains vendeurs se partagent les revenus de la vente) indique que la vente au détail n’est en réalité que peu structurée.

Cette hypothèse est encore davantage renforcée par le caractère protéiforme des sources d’approvisionnement. En effet, certains réseaux s’organisent pour acheminer de la marchandise depuis des pays étrangers. Ils sont très structurés, s’appuient sur tout un éventail de complicités, brassent des quantités très importantes de produits et cumulent cette activité avec d’autres types de trafics. Toutefois, il apparaît que cette source n’est pas la seule car les vendeurs font également appel à un réseau de connaissances plus vaste qui les approvisionnent en plus petites quantités mais de manière plus régulière.

De plus, si le commerce illicite de produits issus du tabac constitue une nuisance pour de nombreux riverains là où il se déploie et est traité comme une forme de délinquance de voie publique45, il s’inscrit dans l’activité de réseaux de crime organisé, dont les vendeurs de rue ne sont que la partie visible et peu au fait des étapes précédant l’arrivée de la marchandise entre leurs mains. L’étude des différents cas analysés par le biais des dossiers judiciaires et de la presse montre que la jonction entre ces deux dimensions, le caractère organisé de la distribution et de la fabrication et la densité de revendeurs indépendants sur la voie publique, n’a pas été faite par les services de sécurité intérieure, qui ont tendance à les traiter séparément.

Enfin, notre étude permet de conclure que l’achat de rue ne concerne pas un seul profil d’acheteurs mais plutôt une diversité de profils aux habitudes d’achat bien différentes, dans un contexte où la consommation de tabac distribué illicitement est importante en France. Si, dans l’ensemble, c’est principalement l’argument économique qui les pousse à acheter des cigarettes dans la rue, il est apparu que les fumeurs de catégories socioprofessionnelles dites supérieures sont également de potentiels acheteurs et que toutes les classes d’âge sont représentées. Ce constat se vérifie tout particulièrement dans des zones urbaines où des populations aux profils socio-économiques opposés cohabitent.

Questionnaire en ligne

1. Âge.

2. Lieu de résidence.

3. Profession.

4. Êtes-vous fumeur ?

5. Quelle est votre consommation quotidienne de cigarettes ?

6. Depuis combien de temps fumez-vous ? (Si vous avez arrêté, répondre aux questions par rapport à vos habitudes de consommation juste avant d’arrêter).

7. Quelle marque consommez-vous en priorité ?

8. Où achetez-vous vos cigarettes habituellement ?
– Bureau de tabac.
– Kiosque.
– Vendeur ambulant (rue).
– Aéroport (duty free).
– Étranger.
– Autre (préciser).

9. Quand avez-vous acheté des cigarettes sur le marché parallèle pour la première fois ?

10. À quelle fréquence achetez-vous des cigarettes sur le marché parallèle ?

11. À quelle occasion ?
– J’en achète par opportunité uniquement (lorsque je passe devant un vendeur et que je suis à court).
– J’en achète en complément de paquets achetés dans des bureaux de tabac, pour ne pas dépenser trop d’argent.
– J’en achète lorsque je sors et que je sais que je vais en consommer davantage.
– J’en achète parce que les vendeurs sont sur un trajet que je fais régulièrement et que cela est pratique.
– Autre (préciser).

12. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire pour la première fois ?

13. Les cigarettes sont-elles toujours de même qualité quand vous les achetez
sur le marché parallèle ?

14. Vous êtes-vous déjà posé la question de la composition de la composition de ces cigarettes ?

15. Vous êtes-vous déjà posé la question des différences avec les produits vendus dans les bureaux de tabac ?

16. Que répondez-vous à ceux qui mettent en avant la perte financière pour l’État ? (La vente de tabac à la sauvette sur le marché noir ne permet pas à l’État de collecter les taxes issues de la vente de tabac, qui sont par ailleurs utilisées pour financer les politiques de prévention et de santé)

17. Y a-t-il une dimension d’acte militant dans le fait de réaliser ces achats sur les marchés parallèles (protestation contre la fiscalité, soutien à des populations précaires) ?

18. Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir comment fonctionnait le circuit de vente du marché parallèle et des personnes qui le composent ?

19. L’instauration d’une amende pour achat de cigarettes illicites serait-elle susceptible de vous faire changer de comportement ?

20. Pourquoi ?

21. Souhaitez-vous ajouter un commentaire ?

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