Complémentaires santé : moteur de l'innovation sanitaire
Introduction
Les principaux défis de la France en matière de santé
L’augmentation de la demande de soins
Le progrès technologique
Le vieillissement de la population
La progression des maladies chroniques
Le risque épidémique
La genèse du système français à deux étages
Aux origines de la Sécurité sociale
La rationalisation des dépenses : objectif majeur des réformes depuis la fin des Trente Glorieuses
Le rôle croissant des complémentaires santé
Un système critiqué
Les complémentaires santé et l’innovation sanitaire
Un marché concurrentiel et une diversité d’acteurs
La concurrence génère une incitation à innover sur toute la palette d’offres
La contrainte financière génère une incitation à la rationalisation des dépenses
Trois propositions pour améliorer le système actuel
Moduler le ticket modérateur en fonction de l’âge
Mettre fin aux avantages fiscaux liés aux contrats collectifs
Réduire le taux d’imposition de la taxe de solidarité additionnelle
Résumé
Le rôle des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) dans le financement des soins de santé est de plus en plus questionné. Le projet d’assurance maladie universelle, dit « Grande Sécu », a même fait sa réapparition dans le débat. L’objet de cette note est de rappeler que les OCAM remplissent une fonction essentielle, qui est celle d’injecter de l’innovation dans le système de santé. Sans les moteurs du libre choix et de la concurrence, de nombreuses innovations portant sur le parcours de soins, la couverture des risques ou la prévention n’auraient sans doute pas eu lieu.
Les dysfonctionnements du modèle actuel doivent certes être corrigés, mais au scénario de rupture nous préférons les réformes d’ajustement. C’est en ce sens que cette note propose trois réformes pour améliorer le système actuel : la modulation du ticket modérateur en fonction de l’âge, la fin des avantages fiscaux liés aux contrats collectifs et la réduction du taux d’imposition de la taxe de solidarité additionnelle.
Guillaume Moukala Same,
Chargé d’études économiques chez Asterès.
Nicolas Bouzou,
Économiste, directeur-fondateur d’Asterès.
Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale
Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l'environnement
Le numérique au secours de la santé
Hôpital : libérer l'innovation
De l’assurance maladie à l’assurance santé
« Éradiquer l’hépatite C en France : quelles stratégies publiques ? »
Un accès équitable aux thérapies contre le cancer
Réformer la santé : trois propositions
Introduction
Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, « Refonder l’assurance-maladie », Les Notes du Conseil d’analyse économique, n° 12, avril 2014, p. 3.
Voir Bruno Palier, La Réforme des systèmes de santé, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2021.
Il existe des pays où assurance publique et assurances privées coexistent mais ces dernières prennent en charge des soins qui ne sont pas du tout pris en charge par le public. La spécificité française est que le public et le privé se partagent le remboursement d’un même soin.
Voir Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, art. cit.; Philippe Askenazy, Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Valérie Paris, « Pour un système de santé plus efficace », Les Notes du Conseil d’analyse économique, n° 8, janvier 2013 (www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note008.pdf) ; Pierre-Louis Bras, «Une assurance maladie pour tous à 100%?», Les Tribunes de la santé, n° 60, printemps 2019, p. 87-106 ; Martin Hirsch et Didier Tabuteau, «Créons une assurance-maladie universelle», Le Monde, 14 janvier 2017 ; Cour des comptes, « Les complémentaires santé : un système très protecteur mais peu efficient », communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, juin 2021.
Voir Solveig Godeluck et Solenn Poullennec, « Complémentaires santé : Olivier Véran met à l’étude le scénario d’une “grande Sécu” », Les Échos, 28 juillet 2021.
Que l’état de santé d’un individu puisse dépendre de sa position sur l’échelle des revenus est perçu comme une injustice. C’est donc à juste titre que les sociétés développées considèrent que les soins jugés essentiels devraient être attribués universellement. Le rôle redistributeur de l’État est d’autant plus important que la santé est coûteuse et sa consommation répartie inégalement – « chaque année, 50% des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale concernent seulement 5% des assurés », affirme une étude de 20141. Cependant, il n’existe pas de consensus sur le meilleur système de santé au monde. Les arbitrages sont inévitables. Certains pays font davantage confiance au marché pour accorder du choix au patient et favoriser l’innovation, tandis que d’autres privilégient l’égalité et la quasi-gratuité en organisant la santé comme un service public.
De façon générale, on identifie trois types de systèmes de santé : les systèmes nationaux, les systèmes d’assurance maladie et les systèmes libéraux2. Les premiers se caractérisent par un financement par l’impôt et une offre de soins principalement assurée par l’État. Les deuxièmes accordent plus de liberté aux acteurs et usagers (médecine libérale, liberté de choix du médecin), les soins sont financés par des cotisations sociales et pris en charge par des caisses d’assurance maladie (publiques et/ou privées). Le privé y joue également un rôle – plus ou moins important – dans la provision de soins. Les troisièmes, les systèmes libéraux, accordent un rôle minimal à l’État, l’essentiel des soins et des financements provenant du secteur privé.
Le système français, qui rentre dans la catégorie des « systèmes d’assurance maladie », se démarque par son caractère hybride : un même soin est pris en charge en partie par l’assurance maladie nationale et en partie par des OCAM privés3. Fruit d’une histoire qui a débuté bien avant la création de la Sécurité sociale en 1945, cette particularité est critiquée depuis plusieurs années par des auteurs – et encore dernièrement par la Cour des comptes – qui la jugent coûteuse, inefficace voire inéquitable4.
En juillet 2021, le ministre de la Santé Olivier Véran remet le sujet sur le devant de la scène en commandant au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), qui travaille depuis une dizaine de mois sur la question, un rapport sur les pistes de réformes. Dans sa lettre adressée au HCAAM, le ministre de la Santé invite le Haut Conseil à explorer des scénarios de rupture et n’exclut pas la solution visant à « renforcer l’intervention de la Sécurité sociale5 ». Le débat sur la « Grande Sécu », une assurance maladie universelle qui se passerait des complémentaires santé, est relancé.
Dans cette note, nous prenons position en faveur des complémentaires santé et contre l’idée de la « Grande Sécu ». La plupart des travaux sur le sujet abordent la question à travers le prisme unique de la dépense publique mais omettent de prendre en compte le rôle moteur que jouent les complémentaires santé en matière de diversité de l’offre et d’innovation. Il faut le rappeler : les mutuelles, les institutions de prévoyance et les assurances ont souvent été des précurseurs en ce domaine. Se passer des complémentaires reviendrait à affaiblir la capacité d’innovation globale du système de santé. Alors que le secteur de la santé fait face à de nombreux défis et bouleversements, la contribution du secteur privé devrait être considérée comme un atout.
Les principaux défis de la France en matière de santé
OCDE, Panorama de la santé 2019. Les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE, 2019.
Depuis la création de la Sécurité Sociale, en 1945, de nombreux facteurs structurels ont entraîné une hausse des dépenses de santé : l’augmentation de la demande de soins, l’évolution des pathologies, la transition démographique, le progrès technologique, le retour des épidémies… C’est ainsi qu’entre 1970 et 2019 les dépenses de santé en France en proportion de la richesse nationale ont été multipliées par deux, passant de 5,2% à 11,1% du PIB6. Mais les défis que posent ces évolutions vont bien au-delà de la réflexion purement comptable : elles nous enjoignent de redoubler d’imagination pour renouveler notre approche de la santé.
L’augmentation de la demande de soins
Joseph P. Newhouse, « Medical-Care Expenditure: A Cross-National Survey », The Journal of Human Resources, vol. 12, n° 1, hiver 1977, p. 115-125.
Voir, par exemple, Pierre-Yves Cusset, « Les déterminants de long terme des dépenses de santé en France », strategie.gouv.fr, 1er juin 2017.
La santé est un bien dit « supérieur », c’est-à-dire que sa demande augmente plus que proportionnellement avec le revenu. L’explication est simple : la santé n’est pas le bien auquel un ménage accorde les premiers euros gagnés, car il a d’autres besoins à satisfaire en priorité (alimentation, logement, etc.). C’est seulement quand son revenu augmente qu’il peut commencer à en réserver une partie pour sa santé. Ainsi, dans un article fondateur publié en 1977, l’économiste Joseph P. Newhouse estimait que l’écart de revenu pouvait expliquer jusqu’à 92% des différences de dépenses de santé entre pays7. Cependant, ces différences tendent à s’émousser dans les économies développées. L’augmentation des dépenses de santé est aujourd’hui causée par d’autres facteurs, essentiellement technologiques et démographiques8.
Le progrès technologique
Voir Marco V. Perez et al., « Large-Scale Assessment of a Smartwatch to Identify Atrial Fibrillation », New England Journal of Medicine, vol. 381, n° 20, 14 novembre 2019, p. 1909-1917.
Le progrès technique peut avoir des effets antagoniques sur les dépenses de santé. D’un côté, l’innovation peut conduire à une baisse des dépenses viaune réduction du coût unitaire des traitements. Par exemple, l’impression 3D va permettre de réduire drastiquement le coût de production d’équipements médicaux comme les prothèses, tout en les adaptant spécifiquement au patient. D’un autre côté, l’apparition de nouveaux traitements de pointe plus coûteux, qui se substituent aux anciens ou alors viennent élargir la gamme de soins et biens médicaux disponibles, entraîne une hausse des dépenses de santé. C’est le cas aujourd’hui des thérapies géniques, innovation prodigieuse qui permet de traiter des maladies en effectuant des modifications au niveau du génome, mais qui coûte encore extrêmement cher. Le Kymriah, par exemple, une thérapie génique développée par Novartis et autorisée en France pour combattre la leucémie chez les jeunes de moins de 26 ans, coûte près de 400.000 euros.
Au-delà de la problématique financière, certaines nouvelles technologies vont complètement révolutionner les pratiques de santé. Les objets connectés sont la promesse d’une santé personnalisée plus axée sur la prévention. L’Apple Watch, par exemple, est capable de détecter la fibrillation auriculaire (un trouble du rythme cardiaque) avec un haut niveau de précision9. Mais l’e-santé permet également d’améliorer l’accès à l’expertise médicale, de réduire la fracture territoriale, de réduire les délais d’attente ou encore d’automatiser certaines tâches administratives. L’enjeu pour le système de santé est donc de développer des écosystèmes qui favorisent l’éclosion de solutions innovantes et créent des points de contact entre les patients et la technologie.
Le vieillissement de la population
Insee, Tableaux de l’économie française, édition 2020, p. 22.
Ibid.
« En 2015, la dépense moyenne d’un homme âgé de 70 à 74 ans est ainsi près de 8 fois plus élevée que celle d’un homme de 20 à 24 ans » (Juliette Grangier, Myriam Mikou, Romain Roussel et Julie Solard, « Les facteurs démographiques contribuent à la moitié de la hausse des dépenses de santé de 2011 à 2015 », Études & Résultats, n° 1025, septembre 2017, p. 2).
En France, au 1er janvier 2020, « les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent 20,5% de la population10». Selon les projections de l’Insee, elles pourraient atteindre 28,7% en 207011. Cette transition démographique pose trois défis majeurs : le financement des dépenses de santé des personnes âgées12, la prise en charge de la dépendance (Ehpad, maintien à domicile…) et la prévention des maladies dégénératives.
La progression des maladies chroniques
Caisse nationale d’assurance maladie, « Cartographie médicalisée des dépenses de santé. Poids des pathologies et traitements dans les dépenses d’assurance maladie et prévalences sur le territoire. Données 2017 et évolutions 2012-2017 », Dossier de presse, 12 juin 2019, p. 7.
Haidong Wang et al., «Age-specific and sex-specific mortality in 187 countries, 1970–2010: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2010 », The Lancet, vol. 380, n°9859, 15 décembre 2012, p. 2071-2094.
Voir Comité de coordination de l’étude SU.VI.MAX, « Des apports nutritionnels adéquats en vitamines et minéraux antioxydants réduisent significativement l’incidence des cancers et la mortalité chez les hommes dans l’étude SU.VI.MAX », communiqué de presse, s.d.
Voir Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe, « Rapport d’information sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique », Assemblée nationale, rapport d’information n° 4400, 21 juillet 2021, p. 52. L’étude citée est la suivante : Keith M Diaz et al., « Potential Effects on Mortality of Replacing Sedentary Time With Short Sedentary Bouts or Physical Activity: A National Cohort Study », American Journal of Epidemiology, vol. 188, n° 3, mars 2019, p. 537-544.
En France, plus de 10 millions de personnes sont touchées par des affections de longue durée (ALD), comme le cancer, le diabète, les cardiopathies et autres maladies chroniques. Ce chiffre augmente d’années en années. Le nombre de personnes atteintes d’un cancer, par exemple, est passé de 1.035.500 en 2012 à 1.118.500 en 2017. La progression a même commencé à s’accélérer à partir de 2015 pour dépasser 3% par an13. Paradoxalement, l’allongement de l’espérance de vie n’y est pas pour rien. En effet, plus on vit longtemps, plus on a de chance de développer des maladies chroniques ou dégénératives.
Par ailleurs, les mauvaises habitudes alimentaires et la sédentarité, devenues des caractéristiques du mode de vie moderne, favorisent le développement de certaines maladies chroniques. En 2012, une étude sur la mortalité dans le monde entre 1970 et 2010 a permis de mettre en lumière un fait marquant : l’obésité tue aujourd’hui trois fois plus que la faim14. Selon une étude conduite par l’Inserm, une bonne alimentation peut réduire de 31% le risque de cancers et de 37% la mortalité15. De même, selon une étude américaine mentionnée dans un rapport récent de l’Assemblée nationale, remplacer trente minutes de sédentarité quotidienne par trente minutes d’activité physique intensive permettrait de diminuer la mortalité prématurée de 35%16. Dans un tel contexte, la prévention apparaît encore une fois comme un enjeu majeur.
Le risque épidémique
Voir IPBES, « IPBES Workshop on Biodiversity and Pandemics », octobre 2020.
Les experts ont commencé à alerter sur le risque de l’émergence d’un virus tel que la Covid-19 bien avant le début de la crise sanitaire. Avec le changement climatique, la mondialisation des échanges et l’interférence des humains avec les animaux d’élevage, l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES, ou Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) prévoit une augmentation de la fréquence des pandémies au cours du XXIe siècle ainsi qu’une accélération de la propagation des maladies infectieuses17. Ce que l’IPBES appelle l’« ère des pandémies » constitue un réel défi pour nos systèmes de santé. La pandémie de Covid-19 a notamment mis en lumière, outre la nécessité d’investir dans les équipements de santé (lits de réanimation, masques FFP2, etc.), l’importance de la réactivité et de l’adaptation des acteurs du terrain à des événements imprévisibles.
Résilience, prévention, dépendance, diffusion des technologies… tels sont les défis que notre système de santé doit être en mesure de relever. L’État a bien sûr un rôle à jouer mais ne peut assumer seul cette responsabilité. La présence d’une multiplicité d’acteurs est essentielle pour favoriser l’émergence de solutions nouvelles. C’est ce que doit permettre un système à deux étages où assurance maladie obligatoire et organismes complémentaires se partagent le financement des soins et apportent une offre plus diversifiée que ne le ferait un simple monopole.
La genèse du système français à deux étages
Aux origines de la Sécurité sociale
Voir Alain Lambert, « Rapport d’information fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la situation et les perspectives du secteur des assurances en France », rapport n° 45, t. II, 29 octobre 1998.
Voir Jean-François Chadelat, « Histoire des complémentaires maladie », Regards, n° 49, juin 2016, p. 35-44.
Alain Lambert, op. cit.
Exposé des motifs de la demande d’avis n° 507 adressée à l’Assemblée consultative provisoire sur un projet d’organisation de la Sécurité sociale, annexe au procès-verbal de la séance du 5 juillet 1945. Demande d’avis présentée par M. Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, cité in Colette Bec, « La sécurité sociale pour une société solidaire », Vie sociale, n° 10, septembre 2015, p. 78.
La protection sociale avant 1945 : l’innovation des sociétés de secours mutuel
Il est difficile d’aborder l’histoire de la protection sociale sans mentionner l’ancêtre des mutuelles, à savoir les sociétés de secours mutuel. Dès le XIXe siècle, ces sociétés fleurissent sur tout le territoire français à l’initiative de la classe ouvrière. Véritable innovation sociale, ces mutuelles se structurent autour de corporations ou de territoires, protégeant leurs adhérents contre les aléas de la vie (maladie, accident, chômage, infirmité…). Au début du XXe siècle, on dénombre quelque 15.000 sociétés de secours mutuel, assurant une couverture à plus de 2,6 millions d’adhérents18.
En 1930, la loi sur les assurances sociales oblige tous les salariés en dessous d’un certain seuil de revenu à s’affilier à une caisse d’assurance sociale. C’est à cette occasion qu’est créé le ticket modérateur, c’est-à-dire la part des dépenses de santé qui reste à la charge de l’assuré. Il vise à responsabiliser le patient en le faisant contribuer au financement de ses propres soins. Dans ce système, les mutuelles sont chargées de la gestion administrative des caisses19. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, on dénombre plus de 8 millions de mutualistes20.
La naissance de la Sécurité Sociale au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale
Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent la Sécurité sociale qui fusionne toutes les assurances sociales créées par la loi de 1930 (maladie, vieillesse, décès, maternité). La plupart des actifs bénéficient du régime général nouvellement créé (salariés des secteurs privé et public, exploitants agricoles, travailleurs indépendants et secteurs spécifiques d’activité), à l’exception de certaines catégories de travailleurs qui restent affiliés aux régimes spéciaux préexistants. En 1967, la Sécurité sociale est réorganisée en trois branches autonomes : maladie, famille et vieillesse. C’est à cette occasion qu’est créée la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam).
La Sécurité sociale est conçue conformément au modèle bismarckien : les caisses sont financées par les cotisations et gérées par les partenaires sociaux. La logique n’en reste pas moins solidaire : les cotisations sont proportionnelles au revenu et donnent droit à des prestations en cas de besoin, selon l’adage « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins21 ». L’ambition est ainsi de garantir «à chacun qu’en toute circonstance, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes22 ».
La reconnaissance des complémentaires santé : naissance du système à deux étages
Les ordonnances de 1945 reconnaissent le rôle complémentaire des organismes à but non lucratif (mutuelles et institutions de prévoyance). Une décennie plus tard, en 1956, cette reconnaissance s’étend aux compagnies d’assurances qui font leur entrée sur le marché des complémentaires. Au début, le rôle des complémentaires est secondaire. Leur champ d’action se limite au ticket modérateur – qui est de l’ordre de 20% des dépenses de soins. Pour les mutuelles, qui jouaient un rôle prépondérant dans le système d’avant-guerre, c’est un bouleversement.
La rationalisation des dépenses : objectif majeur des réformes depuis la fin des Trente Glorieuses
À noter qu’à la suite de ces évolutions incrémentales, le système actuel comporte à la fois des aspects du modèle bismarckien – financement par les cotisations – et du modèle beveridgien – financement par l’impôt.
Voir Béatrice Majnoni d’Intignano, «Incitations financières et concurrence dans les systèmes de santé », Revue de l’OFCE, n° 36, avril 1991, p. 117-139.
Intervention de M. Robert Schwint, sénateur du Doubs, « Compte rendu intégral – 44e séance. Séance du jeudi 9 décembre 1982 », Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat, n° 131 S, 10 décembre 1982, p. 6566.
Jean-François Chadelat, art. cit., p. 39.
Les contrats sont dits « responsables » lorsqu’ils respectent les critères suivants : non-prise en charge des participations de 1 euro, des franchises médicales, ainsi que des majorations de tickets modérateurs en cas de non-respect du parcours de soins coordonnés ; prise en charge de tous les tickets modérateurs (sauf quelques exceptions) et de l’intégralité des forfaits hospitaliers ; applications de niveaux maximaux de prise en charge des équipements d’optique et des dépassements d’honoraires des médecins n’ayant pas signé de contrat d’accès aux soins. Les contrats responsables bénéficient d’un taux de taxe de solidarité additionnelle (TSA) réduit et d’autres avantages fiscaux.
À partir des années 1970, l’Assurance maladie est confrontée à une augmentation insoutenable de ses dépenses. Les ressources vont tout d’abord être augmentées, avec la création de taxes sur l’alcool et le tabac, la hausse des cotisations sociales ou la création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 199123. Néanmoins, la hausse des prélèvements obligatoires ne va pas être suffisante pour compenser la hausse des dépenses de santé. Le contrôle des dépenses va donc devenir l’enjeu majeur de toute réforme du système de santé. Les plans vont se succéder dans l’espoir de réduire ce qui est couramment appelé la « demande excessive » et accroître l’efficacité du système. Afin de responsabiliser les consommateurs de soins et de biens médicaux, une partie des dépenses de santé va être transférée du public au privé, ce qui va se traduire par un élargissement du rôle des complémentaires santé.
Réduire la « demande excessive »
Outre les évolutions présentées en première partie qui expliquent la hausse des dépenses de santé, certaines caractéristiques du secteur encouragent une « demande excessive » de soins de santé. Pour comprendre cette notion, il est nécessaire d’introduire deux phénomènes bien connus des économistes de la santé : les aléas moraux et les asymétries d’information.
Il existe deux types d’aléas moraux : ex ante et ex post. Le premier signifie qu’un individu assuré aura tendance à prendre plus de risques, justement parce qu’il est assuré, ce qui aura pour effet néfaste d’accroître la probabilité d’un accident. Le second, particulièrement problématique dans le secteur de la santé, signifie qu’un individu assuré aura tendance à demander davantage de prestations – en l’occurrence de soins de santé – qu’un individu non assuré. Ces effets sont néfastes pour l’assureur car ses profits diminuent à mesure qu’augmentent les dépenses de santé des assurés.
Il convient de noter que l’aléa moral ex post n’est pas propre au secteur privé, il s’applique aussi au service public. Dans les systèmes de santé nationaux, par exemple, les soins sont fournis gratuitement – ou presque – par l’État, ce qui invite les patients à consommer davantage que s’ils en subissaient le coût directement. C’est donc un problème général engendré par la déresponsabilisation des bénéficiaires de soins.
Une autre particularité du secteur de la santé est l’existence d’importantes asymétries d’information : le patient est ignorant par rapport au professionnel de santé, ce qui introduit un déséquilibre dans la relation entre ces deux acteurs. Par exemple, si un pharmacien pouvait prescrire des médicaments, il aurait un intérêt à vendre le plus de boîtes possible – raison pour laquelle cela lui est interdit. Le patient, quant à lui, est désarmé puisqu’il ne dispose pas des connaissances nécessaires pour porter un jugement éclairé sur les prescriptions des professionnels de santé.
Les asymétries d’information sont à l’origine de ce que les économistes appellent la « demande induite » : une demande créée artificiellement par le professionnel de santé, dans son propre intérêt mais pas dans celui du patient. Bien sûr, les professionnels de santé ne sont pas uniquement motivés par le seul intérêt financier. Ce serait caricaturer la profession. Toutefois, les prévisions de ce modèle, aussi simpliste soit-il, semblent se vérifier : on observe par exemple que lorsqu’un médecin est payé à l’acte – comme en France –, il a tendance à multiplier les consultations et à prescrire plus de médicaments24.
La combinaison de ces deux phénomènes est source d’inefficacité : d’un côté, le patient ne perçoit pas le coût de ses dépenses ; de l’autre, les professionnels ont intérêt à ce que les actes médicaux soient les plus nombreux possible. Deux approches sont donc possibles pour atténuer ces effets néfastes : agir sur la demande ou agir sur l’offre.
Le contrôle des prix a des effets pervers
Dans les années 1970, l’État va d’abord tenter d’agir sur l’offre en contrôlant les prix : le prix de journée pour les hôpitaux et les honoraires pour les professionnels de santé seront quasiment gelés, tandis que les prix des médicaments seront encadrés. Cette tentative se révélera infructueuse : comme la théorie économique l’aurait prédit, si les agents économiques ne peuvent pas réaliser d’ajustement par les prix, alors ils parviendront au même résultat en ajustant les quantités. On assiste donc à une prolongation des séjours en hôpital et à la multiplication des prescriptions et des consultations. Contrairement à l’effet escompté, les dépenses augmentent.
Les copaiements sont peu efficaces
Les efforts vont alors se diriger vers la responsabilisation des assurés. À partir des années 1980, les copaiements se multiplient. L’année 1982 voit la création du forfait hospitalier : une participation financière aux frais d’hébergement due pour chaque journée passée à l’hôpital. Initialement fixé à 20 francs, celui-ci va progressivement augmenter. Dix ans après sa création il passera à 50 francs, puis à 70 francs en 1995. En 2004, il est fixé à 13 euros. Il sera augmenté trois ans plus tard, passant à 16 euros, puis en 2010 et 2018, pour atteindre 20 euros aujourd’hui. Le ticket modérateur, principe instauré dès les années 1930, va lui aussi être réévalué. Il correspond aujourd’hui à 30% du prix d’une consultation chez le médecin et à 35% du prix d’une boîte de médicament (au sein du parcours de soins), contre 20% en 1945. Le ticket modérateur s’élève même à 40% pour une visite chez un auxiliaire médical. En 1982, le plan Bérégovoy entend « augmenter le ticket modérateur sur certains médicaments dits de “confort”25 ». Ce sont ainsi 1.279 spécialités pharmaceutiques qui voient leur ticket modérateur augmenter, passant de 30 à 65%26. Toujours dans une logique de développement des copaiements, la participation forfaitaire de 1 euro, qui concerne les consultations avec un médecin généraliste ou un spécialiste, les examens de radiologie et les analyses de biologie médicale, est instituée en 2005. Enfin, la franchise médicale est en vigueur depuis 2008 ; elle est fixée à 50 centimes pour chaque boîte ou flacon de médicament ainsi que pour les actes paramédicaux, et à 2 euros pour le transport sanitaire.
Ces réformes n’ont néanmoins eu que peu d’effet sur le comportement des assurés puisque l’augmentation du ticket modérateur et les nouveaux copaiements ont été pris en charge par les complémentaires santé. Même si les contrats dits « responsables27 » créés en 2004 ne prennent en charge ni les participations forfaitaires, ni les franchises médicales, la participation de l’assuré est si anecdotique qu’elle a peu de chance de le responsabiliser réellement. C’est la limite des copaiements en tant qu’instrument de régulation des dépenses : ils sont soit trop faibles, donc inefficaces ; soit trop élevés, donc contradictoires avec l’objectif d’améliorer l’accès aux soins de santé. C’est ce constat qui légitime la présence d’organismes complémentaires sur le marché de l’assurance maladie. La situation actuelle est le fruit d’un accord tacite entre les pouvoirs publics et les complémentaires santé. Il est apparu de manière évidente que l’instauration d’un ticket modérateur n’était pas la bonne approche mais que sa prise en charge par les complémentaires contribuait fortement à l’accès aux soins. Le ticket modérateur a cessé d’être perçu comme un instrument de régulation – en tout cas, au sein du parcours de soins – pour devenir un espace réservé aux organismes complémentaires, dont le rôle dans la diminution du reste à charge est devenu essentiel.
L’introduction du parcours de soins coordonnés : un premier pas vers l’amélioration de l’efficacité du système
En 2004, la réforme Douste-Blazy crée le « parcours de soins coordonnés » : chaque patient âgé de plus de 16 ans est incité à choisir un médecin traitant et à le consulter en première intention. L’objectif est de rationaliser le parcours de soins du patient en confiant sa coordination au médecin traitant. Le non-respect du parcours de soins entraîne une majoration du ticket modérateur (70% au lieu de 30%) qui ne peut être prise en charge par les complémentaires santé.
L’incitation instaurée par cette réforme permet ainsi de responsabiliser les patients. Cependant, aucune mesure n’est prévue pour inciter les médecins à jouer le jeu. Au contraire, ceux qui acceptent les patients qui contournent le parcours de soins peuvent pratiquer des dépassements d’honoraires – qui sont pris en charge par certains contrats de complémentaires. La réflexion sur le mode de rémunération des médecins, pourtant placés au centre de la régulation du système, est également totalement absente du dispositif.
Le rôle croissant des complémentaires santé
Hélène Soual, « Les dépenses de santé depuis 1950 », Études & Résultats, n° 1017, juillet 2017, p. 5.
Pour les personnes touchées par une ALD, les soins sont pris en charge à 100% par la Sécurité sociale.
Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, art. cit. Selon les données du HCAAM reprises par le Conseil d’analyse économique (CAE), le taux de couverture de la Sécurité sociale pour les consommant était d’environ 59,7% en 2010.
Cour des comptes, op. cit., p. 36.
Grâce à la multiplication des copaiements, les complémentaires gagnent du terrain
L’augmentation du ticket modérateur et l’introduction de nouveaux copaiements ont renforcé le rôle des organismes complémentaires. Leur part dans le financement de la consommation de soins et biens médicaux (CSBM) est passée de 10,4% en 1990 à 13,4% aujourd’hui28 (voir tableau 1). Hors ALD29, ce chiffre s’élève à presque 40% de la CSBM30. Les complémentaires santé jouent donc aujourd’hui un rôle déterminant dans l’accès aux soins. Alors que seulement 30% des Français étaient couverts par une complémentaire santé en 1960, ce chiffre est passé à 65% en 1980, puis 88% en 1999 pour atteindre environ 96% actuellement31.
Tableau 1 : Évolution de la structure du financement des dépenses de santé (en %)
Source :
Drees, Comptes de la santé 2015, 2018 et 2019.
*Les bénéficiaires peuvent choisir de confier la gestion de la CMU-C à leur organisme complémentaire ou à leur organisme de base (selon le régime obligatoire auquel ils sont affiliés). Cette ligne correspond aux dépenses prises en charge par les organismes de base dans le cadre de la CMU-C.
Note : Les valeurs ont été arrondies, ce qui explique pourquoi le total n’est pas toujours égal à 100.
Les OCAM financent un panier de soins différent
Au-delà du ticket modérateur, la progression des complémentaires dans la structure du financement des soins de santé a d’abord été tirée par les « autres biens médicaux » (optique médicale, prothèses, petits matériels et pansements), domaine dans lequel la contribution des OCAM est passée de 25,5% en 2001 à presque 38,8% en 2018 (voir tableau 1). En parallèle, la part des dépenses d’autres biens médicaux financée par les ménages a été divisée par deux entre 2001 et 2017, signe que les complémentaires santé ont fortement contribué à la réduction du reste à charge pour les ménages.
De manière générale, les complémentaires financent un panier de soins différent de celui de la Sécurité sociale. En 2017, la part des soins de ville dans la dépense totale des OCAM était deux fois plus élevée que celle de la Sécurité sociale. Les soins dentaires, par exemple, représentaient 17,5% des dépenses des OCAM contre 2,4% des dépenses de la Sécurité sociale. La même année, les autres biens médicaux en ambulatoire représentaient 22,5% des dépenses des OCAM, contre 4,5% de celles de la Sécurité sociale. Par ailleurs, la Sécurité sociale attribue 54,9% de ses dépenses aux soins hospitaliers, contre seulement 18% pour les organismes complémentaires (voir tableau 2). Ce partage des rôles s’est fait spontanément : les complémentaires ont conquis les terrains délaissés par l’assurance maladie obligatoire (AMO), contribuant ainsi à l’extension de la couverture santé.
Tableau 2 : Structure de la CSBM et de la dépense de chacun de ses principaux financeurs en 2017 (en %)
Source :
Drees, Comptes de la santé 2019.
* Les bénéficiaires peuvent choisir de confier la gestion de la CMU-C à leur organisme complémentaire ou à leur organisme de base (selon le régime obligatoire auquel ils sont affiliés). Cette ligne correspond aux dépenses prises en charge par les organismes de base dans le cadre de la CMU-C.
** Y compris optique.
Note : Les valeurs ont été arrondies, ce qui explique pourquoi le total n’est pas toujours égal à 100.
OCDE, op. cit., p. 114.
Le système qui en résulte garantit un bon accès aux soins…
Ce système à double étage, construit au fil des réformes successives, offre aujourd’hui le reste à charge – défini comme « les dépenses supportées directement par les patients lorsque ni les systèmes d’assurance publics ni les systèmes privés ne couvrent en totalité le coût d’un produit ou d’un service de santé32 » – le plus faible de tous les pays de l’OCDE : 2% de la consommation finale des ménages contre 3,3% en moyenne (voir graphique 1). Cette performance mérite d’être soulignée. Toutefois, cet indicateur ne prend pas en compte le fait que certaines personnes renoncent aux soins pour des raisons financières.
Graphique 1 : Dépenses à la charge des patients (en % de la consommation finale des ménages), en 2017 (ou année la plus proche)
Source :
OCDE, Panorama de la santé 2019. Les indicateurs de l’OCDE, Éditions OCDE, 2019, p. 115.
Céline Marc, Jean-Cyprien Héam, Myriam Mikou et Mickaël Portela (dir.), « Les dépenses de santé en 2019. Résultats des comptes de la santé », Drees, 2020, p. 66.
Cette donnée est importante car la dépense directe peut-être très faible pour les personnes disposant d’une complémentaire santé, mais le renoncement aux soins élevé pour ceux ne bénéficiant pas d’une couverture complémentaire.
En 2019, 3,3% de la population française a renoncé à des soins (voir graphique 2), ce qui est inférieur à la moyenne de l’Union européenne des Vingt-Huit, incluant le Royaume-Uni (4%) 33. Les raisons principales sont le coût (0,7%) et le fait que certaines personnes préfèrent attendre de voir si le problème se résout de lui-même (1,2%). Les besoins non satisfaits en raison du coût sont plus faibles en France qu’en Italie (2,0%), qu’au Portugal (1,6%) et qu’en Grèce (8,3%), mais légèrement plus élevés qu’au Royaume-Uni, qu’en Allemagne, qu’en Suède, qu’aux Pays-Bas (0,1%) et qu’en Suisse (0,6%). Dans certains pays ayant opté pour un système national centralisé (Royaume-Uni, Suède, Finlande), la raison principale du renoncement aux soins est le temps d’attente trop long (respectivement 4,3%, 1,4% et 4,7%). En conséquence, le taux de renoncement global est plus élevé dans ces pays que dans ceux ayant opté pour un système d’assurance maladie (Allemagne, France, Pays-Bas, Suisse).
Graphique 2 : Besoins autodéclarés d’examen ou de traitement médical non satisfaits en 2018 par raison principale déclarée (en %)
Source :
Eurostat, 2019.
Autres raisons : Trop loin pour voyager, pas le temps, ne connaît pas un bon médecin ou spécialiste, temps d’attente trop long, peur du médecin, de l’hôpital, de l’examen ou du traitement, préfère attendre et voir si le problème se résout de lui-même, autres.
Note : Les besoins non satisfaits sont exprimés en pourcentage de la population totale, sans exclure les répondants qui n’ont pas eu besoin de soins au cours des douze derniers mois. Ceci conduit à des estimations plus faibles que dans les enquêtes où les résultats sont exprimés en pourcentage des personnes ayant déclaré un besoin de soins, satisfait ou non.
Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), « La place de la complémentaire santé et prévoyance en France », document de travail, janvier 2021, p. 22.
Aude Lapinte, « Reste à charge et renoncement aux soins pour raisons financières », Actualité et dossier en santé publique, n° 102, mars 2018, p. 37. Ces données ne sont pas directement comparables avec celles d’Eurostat car elles ne sont pas exprimées en pourcentage de la population totale mais en pourcentage des personnes ayant déclaré au moins un besoin de soins.
Caroline Després, Paul Dourgnon, Romain Fantin et Florence Jusot, « Le renoncement aux soins pour raisons financières : une approche économétrique », Questions d’économie de la santé, n° 170, novembre 2011, p. 6.
Voir Héléna Revil, « Identifier les facteurs explicatifs du renoncement aux soins pour appréhender les différentes dimensions de l’accessibilité sanitaire », Regards, n° 53, juillet 2018, p. 29 41.
Globalement, le système de santé français garantit donc un bon accès aux soins : le reste à charge est le plus faible de l’OCDE, le temps d’attente est rarement un problème (seulement 0,4% des cas) et peu de personnes renoncent aux soins pour des raisons financières.
… mais son équité repose sur l’égal accès aux complémentaires santé
L’accès aux soins pour les plus démunis repose néanmoins sur l’acquisition d’une couverture complémentaire. Or la couverture complémentaire n’est que de 88% chez les 20% de ménages les plus modestes (contre 96% dans la population totale)34. Les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) indiquent que le renoncement aux soins chez les personnes non couvertes par une complémentaire était en 2014 plus de deux fois plus élevé que chez les bénéficiaires d’une complémentaire privée (55% contre 24,2%)35. Au sein des personnes sans complémentaire, il convient par ailleurs de distinguer entre celles qui ont fait le choix de ne pas souscrire à une complémentaire et celles qui y ont renoncé à cause du coût. Chez ces dernières, le renoncement aux soins est trois fois plus élevé36. Certains auteurs mettent également l’accent sur l’importance de l’accès à une complémentaire de qualité, c’est-à-dire qui couvre un panier de soins suffisamment large37.
Le véritable enjeu est donc celui de l’égal accès aux complémentaires santé. Selon une récente étude, le coût reste le premier motif évoqué (33%) pour justifier l’absence de couverture complémentaire, alors que 10% affirment ne pas avoir besoin de complémentaire (voir graphique 3). Il convient également de noter que 18% des interrogés n’ont pas su répondre à la question. Bien que cette réponse soit difficile à interpréter, on peut peut-être y voir un manque de connaissance des complémentaires santé.
Graphique 3 : Motifs évoqués pour justifier l’absence de couverture complémentaire
Source :
« Les Français et le système de santé », enquête Elabe pour Malakoff Humanis, juin 2021, p. 24.
Voir Assurance maladie, « Un an après son lancement, la complémentaire santé solidaire affiche une dynamique positive », assurance-maladie.ameli.fr, 30 octobre 2020.
Ibid.
Voir Mariona Vivar, «Complémentaire santé solidaire: Les OCAM, devant les CPAM», newsassurancespro.com, 3 juin 2021 (en accès réservé).
Cour des comptes, op. cit., p. 81.
Des mesures ont été prises au cours de ces vingt dernières années afin de faciliter l’accès des ménages modestes à une complémentaire santé. La couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) a été introduite en 2000. Gérée par les OCAM ou les organismes de la Sécurité sociale, elle permet aux personnes à bas revenu de bénéficier d’une couverture gratuite. L’aide complémentaire de santé (ACS), un chèque santé destiné aux personnes non éligibles, est venu compléter ce dispositif en 2005. Toutefois, ces mesures n’ont eu qu’un effet limité sur le taux de renoncement aux soins. Trop peu de personnes y avaient recours en raison de la complexité de la démarche ou de la mauvaise connaissance des dispositifs. Ainsi, en 2019, alors que 3 millions de personnes ne disposaient pas d’une complémentaire santé, environ la moitié était éligible à la CMU-C ou à l’ACS38. En 2019, la CMU-C et l’ACS ont fusionné en un seul dispositif voulu plus lisible et simple d’accès, la complémentaire santé solidaire (C2S). Un an après, le nombre de personnes bénéficiant de la C2S a augmenté de 8,4% selon les statistiques officielles. Un chiffre qui contraste avec l’augmentation moyenne des effectifs de la CMU-C et de l’ACS réunis, qui était de 4% avant la réforme 39. Ces chiffres doivent toutefois être considérés avec prudence car ils sont basés sur une révision à la baisse des effectifs de l’ACS40. De même, la prolongation automatique des droits pour l’année 2020 (loi d’urgence sanitaire) a mécaniquement limité les sorties et contribué à gonfler les chiffres. Quoi qu’il en soit, il est encore trop tôt pour évaluer les effets durables de la mise en place de ce nouveau dispositif.
La C2S est entièrement financée par la taxe de solidarité additionnelle (TSA), dont le taux s’élève à 13,27% du prix d’un contrat responsable et à 20,27% pour un contrat non responsable. Il n’y a pas lieu ici de remettre en question la solidarité opérée entre les personnes couvertes par un contrat complémentaire et les bénéficiaires de la C2S. Cependant, le rendement de la TSA, de l’ordre de 5 milliards d’euros41, est largement supérieur au coût annuel de la C2S (2,6 milliards d’euros). Ce différentiel vient abonder les recettes de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), sans contrepartie pour les bénéficiaires de contrats complémentaires. Le taux de la TSA est donc trop élevé par rapport à sa véritable raison d’être, ce qui nuit à l’accès aux complémentaires santé et au budget des ménages.
Un système critiqué
Cour des comptes, op. cit.
Voir Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, art. cit., ainsi que Philippe Askenazy, Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Valérie Paris, art. cit.
Cour des comptes, op. cit., p. 118.
Voir Lucie Gonzalez, Jean-Cyprien Héam, Myriam Mikou et Carine Ferretti (dir.), « Les dépenses de santé en 2018. Résultats des comptes de la santé », Drees, 2019, p. 108.
Ibid.
L’exemple le plus parlant est la résiliation infra-annuelle des contrats de complémentaire, en vigueur depuis le 1er décembre 2020.
Martin Hirsch et Didier Tabuteau, art. cit.
Voir Mutualité française, « Les frais de gestion des mutuelles », juin 2019.
Raphaële Adjerad, «Rapport 2019 – La situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé», Drees, août 2020, p. 36.
Malgré les qualités de ce système à deux étages, la Cour des comptes dénonce son inefficacité dans un rapport paru en juillet 202142. Ce n’est pas la première fois, et certains économistes du CAE avaient déjà établi le même constat quelques années plus tôt43. En cause : des dépenses de subvention et des coûts de gestion particulièrement élevés.
Des dépenses liées à l’encouragement à la souscription de complémentaire santé
Comme cela a déjà été souligné, l’acquisition d’une complémentaire santé est déterminante dans l’accès aux soins de santé. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont pris des dispositions pour encourager et faciliter la souscription à une complémentaire santé. Des aides complémentaires ont été introduites (CMU-C, ACS, puis C2S) et des niches fiscales ont été créées (notamment pour les entreprises et les salariés). Le coût de ces mesures s’élève à 10 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes44.
Certaines de ces dépenses sont justifiées, comme celle qui sert à financer la complémentaire santé solidaire (2,6 milliards d’euros). D’autres sont plus discutables. C’est le cas des dépenses allouées aux entreprises et aux salariés qui représentent 70% des dépenses liées aux contrats de complémentaire santé. À l’origine, la subvention des contrats collectifs s’inscrivait dans une politique visant à encourager la souscription à une complémentaire. Puis elle est devenue une contrepartie à l’obligation pour l’employeur de fournir à ses salariés un contrat de complémentaire santé. Résultat : la grande majorité des dépenses est aujourd’hui allouée aux catégories qui en ont le moins besoin. De plus, elles ont un effet inflationniste puisqu’elles incitent les entreprises à souscrire à des contrats collectifs plus généreux. Il vaudrait mieux concentrer les aides sur les personnes qui en ont le plus besoin (faibles revenus, chômeurs) et laisser jouer la concurrence pour permettre aux entreprises et salariés de bénéficier du meilleur ratio possible entre générosité de la couverture et prix du contrat.
Des coûts de gestion du public et du privé qui se cumulent, bien que difficilement comparables
Une autre source d’inefficacité du système est que les coûts de gestion du public (7,3 milliards d’euros en 2018) et du privé (7,5 milliards d’euros la même année) se cumulent45, alors que des économies d’échelle pourraient être réalisées en accordant un monopole à la Sécurité sociale sur toute la couverture. Certains auteurs soulignent également l’inefficacité des organismes complémentaires dont les frais de gestion représentent 47,5% des coûts totaux de gestion du système de santé alors qu’ils ne financent que 13% de la CSBM46.
Au-delà des reproches faits aux organismes complémentaires, ce serait la concurrence elle-même, pourtant encouragée par les pouvoirs publics47, qui serait source d’inefficacité, en imposant aux OCAM des frais d’acquisition (le coût des actions menées pour attirer des adhérents). Ainsi, Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, estime que l’« étatisation » complète du financement de la santé permettrait d’économiser les frais de gestion du privé, soit plus de 7 milliards d’euros par an48. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet.
Tout d’abord, les frais de gestions ne dépendent pas du montant des remboursements mais bien du nombre de feuilles de soin à traiter. Étant donné que 96% de la population est couverte par un contrat complémentaire, il n’y a rien d’étonnant à ce que les frais de gestion des OCAM représentent un peu moins de la moitié du total des coûts de gestion du système, bien qu’ils ne financent que 13% de la CSBM.
Ensuite, les frais de la Sécurité sociale sont difficilement comparables à ceux des OCAM car ils ne couvrent pas le même périmètre. Comme l’a souligné la Mutualité française, les frais de gestion de la Sécurité sociale ne prennent pas en compte :
– les frais de recouvrement des cotisations, qui sont gérées par l’Urssaf ;
– la gestion et la charge de la dette (qui s’élevait à 2,1 milliards d’euros en 2017) ;
– les nombreuses actions complémentaires au remboursement (prévention, actions sociales, etc.)49.
Aussi faut-il rappeler que la Sécurité sociale n’est pas soumise aux mêmes obligations réglementaires que les OCAM (Solvabilité II50, Règlement européen sur la protection des données, directive sur la distribution d’assurances). Or, bien que ces nouvelles réglementations puissent se justifier, s’y conformer entraîne des coûts supplémentaires (évolution du système informatique, formation, information des adhérents et recrutement du personnel en charge de la conformité…) qui se répercutent inévitablement sur le montant des frais d’administration.
Cela dit, la concurrence entraîne effectivement des frais supplémentaires. Les frais d’acquisition (développement d’un réseau d’agences, marketing, campagne de communication, etc.) s’élèvent en moyenne à 6% des cotisations pour les mutuelles, 5% pour les institutions de prévoyance (IP) et à 12% pour les sociétés d’assurances51. Dans l’ensemble, ils représentent 40% du total des frais de gestion des OCAM52. De plus, le secteur est beaucoup plus morcelé, ce qui empêche de réaliser des économies d’échelle. Toutefois depuis le 1er septembre 2020, les OCAM sont obligés de partager avec leurs adhérents des informations conformément à la loi relative à l’utilisation de leurs cotisations, notamment relatives aux frais de gestion. Ces informations sont définies précisément par la loi. Les OCAM doivent communiquer le ratio (en %) entre le montant des prestations versées par l’assureur et le montant des cotisations payées par l’assuré, le ratio (en %) entre le montant des frais de gestion de l’assureur et le montant des cotisations payées par l’assuré. Cette transparence imposée par le régulateur devrait inciter les organismes complémentaires en concurrence à limiter autant que possible leurs frais de gestion.
Quoi qu’il en soit, le coût de la concurrence sur le marché des complémentaires santé doit être comparé à ses avantages. Les OCAM ne sont pas uniquement des organismes de gestion de remboursements des soins de santé – auquel cas le système pourrait en effet être jugé inefficace –, mais ce sont des organismes innovants qui ont eu à plusieurs reprises une longueur d’avance sur la Sécurité sociale.
Les complémentaires santé et l’innovation sanitaire
Un marché concurrentiel et une diversité d’acteurs
Trois familles d’acteurs aux histoires et valeurs différentes…
Trois acteurs opèrent sur le marché des complémentaires santé : les mutuelles, les sociétés d’assurances et les institutions de prévoyance. Chacun de ces organismes possède son histoire et incarne un modèle différent.
Les mutuelles sont nées au sein des communautés ouvrières à la fin du XVIIIe siècle, ce qui explique leur attachement au principe de non-lucrativité (les excédents servent à financer des actions sociales qui bénéficient aux adhérents) et à leur mode de gouvernance démocratique. Encore aujourd’hui, tous les adhérents ont la possibilité de s’exprimer au cours de l’assemblée générale pour élire les dirigeants et fixer les priorités stratégiques.
Les institutions de prévoyance, quant à elles, sont nées de l’implication progressive du patronat dans la protection sociale des salariés, ce qui explique le système de gestion paritaire qui les caractérise.
Enfin, bien que les sociétés d’assurances soient anciennes, en France, c’est seulement à partir de la seconde moitié du XXe siècle qu’elles ont commencé à investir le secteur de la santé. Contrairement aux mutuelles et aux institutions de prévoyance, les sociétés d’assurances sont des sociétés à but lucratif, tout ou une partie des bénéfices étant redistribués aux actionnaires.
La coexistence de modèles si différents sur un même marché pose la question de la réglementation. Le droit français reconnaît la spécificité des mutuelles et des institutions de prévoyance, et établit une distinction juridique entre les trois types d’organismes. Les mutuelles, les institutions de prévoyance et les compagnies d’assurances sont respectivement régies par le Code de la mutualité, le Code de la sécurité sociale et le Code de l’assurance. Toutefois, l’Union européenne refuse cette distinction : les mutuelles et les institutions de prévoyance doivent se soumettre à la même réglementation concurrentielle et prudentielle que les assureurs puisqu’elles opèrent sur le même marché.
… qui se positionnent différemment sur le marché actuel
En fonction de leur histoire et de leurs valeurs, ces trois types d’organismes se positionnent différemment sur le marché des complémentaires santé. En tant qu’institutions paritaires, les institutions de prévoyance sont spécialisées sur les contrats collectifs qui représentent 87% des cotisations, tandis que les contrats individuels sont réservés quasi exclusivement aux personnes de plus de 60 ans – soit aux nouveaux retraités qui quittent leur entreprise.
La tradition d’entraide et de solidarité des mutuelles se reflète dans leur politique tarifaire : 38% des contrats individuels proposent un tarif qui varie en fonction du revenu, contre 6% pour les institutions de prévoyance et 0% pour les assurances (voir tableau 3).
Graphique 4 : Part des contrats collectifs et individuels dans l’ensemble des cotisations collectées en santé par les différents types d’organismes en 2018
Source :
ACPR, calculs Drees.
Tableau 3 : Évolution des modes de tarification des contrats individuels entre 2006 et 2016 (en %)
Source :
Drees, enquête sur les contrats les plus souscrits, éditions 2006 et 2016 ; extrapolation des garanties des contrats.
«Mutuelle santé: entre 60 et 70 ans, des tarifs qui explosent», lecomparateurassurance.com, 26 octobre 2020. L’étude est basée sur les tarifs de plus de 465.000 contrats de complémentaires santé répertoriés sur le site lecomparateurassurance.com entre août et septembre 2020.
Raphaële Adjerad, p. 21.
Les pratiques tarifaires des mutuelles tendent néanmoins à s’aligner sur les assurances
On remarque par ailleurs l’effet de la concurrence sur l’évolution des modes de tarification : alors que 36% des tarifs des contrats individuels proposés par les mutuelles étaient indépendants de l’âge en 2006, ils n’étaient plus que 3% en 2016 (voir tableau 3). En effet, un jeune en bonne santé, qui présente moins de risque pour l’assureur que la moyenne, aura intérêt à souscrire à un contrat qui fixe une prime au plus près de son risque individuel car le tarif sera plus avantageux. Les organismes qui pratiquent la tarification à l’âge disposent donc d’un avantage concurrentiel par rapport à celles qui sont attachées à la solidarité intergénérationnelle. En conséquence, la solidarité intergénérationnelle tend à disparaître sur un marché concurrentiel dérégulé.
Selon une étude, « entre un couple de seniors de 60 ans et le même couple 10 ans plus tard, ce sont en moyenne 21,11% de plus qu’il faut payer pour bénéficier d’un contrat de complémentaire santé en garanties dites renforcées53 ». La tarification aux risques est bien connue des économistes de l’assurance. Elle permet de faire porter aux assurés le coût des risques qu’ils encourent et donc de les responsabiliser (par exemple, en augmentant les cotisations supportées par les fumeurs). Cependant, dans le cas du vieillissement, aucun individu ne peut être tenu responsable des années qui passent. La tarification à l’âge peut donc être perçue comme injuste. De plus, elle occasionne une augmentation brutale des cotisations pour les assurés qui atteignent un certain âge. À l’inverse, l’instauration d’un principe de solidarité intergénérationnelle permettrait d’étaler le coût du vieillissement sur toute la vie.
Ce travers ne doit cependant pas masquer les avantages de la concurrence pour le bien-être : bien régulée, elle peut favoriser une innovation qui profite à tous. Nous allons nous appliquer à le démontrer dans la suite de la note, mais avant cela il convient de présenter plus en détail la structure du marché.
Les mutuelles sont les leaders du marché, mais la dynamique est en faveur des assurances
En 2019, les mutuelles étaient le premier fournisseur de complémentaires santé avec 49% des parts de marché, contre 32% pour les assureurs privés et 20% pour les institutions de prévoyance (voir tableau 4).
Depuis une dizaine d’années la dynamique du secteur est en faveur des assurances (voir tableau 6), et en particulier des banques assurances. La part de marché des mutuelles a reculé de 7 points entre 2010 et 2019 alors que celle détenue par les assurances s’est accrue de 6 points sur la même période. La masse des cotisations collectées par les sociétés d’assurances a progressé nettement entre 2017 et 2018 (+ 5,6%) alors que les cotisations collectées par les mutuelles ont cru à un rythme beaucoup moins soutenu (+ 0,9%)54.
Tableau 4 : Parts de marché par types d’organismes (en % des prestations versées)
Source :
Drees, Comptes de la santé 2019.
Note : Les valeurs ont été arrondies, ce qui explique pourquoi le total n’est pas toujours égal à 100.
Ibid., p. 9.
La tendance est à la concentration, mais le marché reste concurrentiel
Bien que le marché demeure extrêmement concurrentiel, le nombre d’organismes recule chaque année. En 2006, on comptait plus de 1.600 organismes complémentaires, contre 712 en 201855. C’est surtout le nombre de mutuelles qui s’est réduit, passant de 1.158 à 399 sur la période. Cette évolution s’explique par le poids des réglementations européennes, notamment Solvabilité II, qui impose à tous les acteurs du marché de l’assurance de disposer de fonds propres élevés. Cette directive a poussé les différents organismes, notamment les mutuelles traditionnellement ancrées sur le territoire, à fusionner pour atteindre une taille critique.
Malgré cela, le marché demeure plutôt déconcentré : les dix plus gros organismes ne représentent que 36% du marché (en part des cotisations collectées), tandis que les vingt plus gros organismes concentrent la moitié du marché (voir tableau 5). À titre de comparaison, aux Pays-Bas, seules quatre caisses couvrent 80% du marché.
Tableau 5 : Parts de marché des plus grands acteurs de la complémentaire santé en 2018 (en % des cotisations collectées)
Source :
ACPR ; Raphaële Adjerad, « Rapport 2019 – La situation financière des organismes complémentaires assurant une couverture santé », Drees, août 2020.
Ibid., p. 44.
Des écarts de performance financière selon le modèle économique
Du point de vue de la rentabilité, en 2018, les mutuelles ont dégagé 238 millions d’euros d’excédent, ce qui équivaut à un taux de rentabilité de 1,3% des cotisations. Les assurances sont plus rentables, avec 356 millions d’euros d’excédent réalisés en 2018, soit 2,9% des cotisations. Les institutions de prévoyance, quant à elles, sont déficitaires depuis plusieurs années. Leur déficit s’est néanmoins réduit entre 2016 et 2017, passant de 3,8 à 2,9%. Ce déficit chronique des institutions de prévoyance s’explique par leur spécialisation sur les contrats collectifs, qui représentent 87% des cotisations collectées et sont connus pour être peu, voire pas du tout rentables56. Les cotisations des sociétés d’assurances proviennent aussi majoritairement de contrats collectifs (53%), mais la part des contrats individuels reste suffisante pour compenser leur faible rentabilité.
La concurrence génère une incitation à innover sur toute la palette d’offres
Voir « Étude santé santé 2019. Les Français et la santé », sondage OpinionWay pour Deloitte, deloitte.com, juin 2019.
Dominique Crié, « Le marketing des complémentaires santé », Les Tribunes de la santé, n° 31, été 2011, p. 78.
Voir Emmanuel Combe, Le Low Cost, La Découverte, 2011, notamment p. 37.
Dominique Crié, art. cit., p. 80.
Voir ostheopathie.org.
À noter que ce développement ne s’est pas toujours déroulé sans opposition du côté des professionnels de santé. En 2016, la Mutualité française a expérimenté l’installation d’une télécabine de consultation au sein d’une pharmacie, à Roanne, afin de lutter contre la raréfaction des médecins généralistes. Cette expérimentation a été stoppée du fait de la forte opposition et de menaces de contentieux de la part de l’Ordre et des syndicats de médecins.
Voir Mathilde Le Rouzic, « Étude Télémédecine et Covid-19 – LET », lesentel.org, 30 juin 2020.
Dominique Crié, art. cit., p. 77.
Le diabète de type 2 est précédé d’une phase intermédiaire appelée prédiabète. Les études cliniques ont démontré que la modification des habitudes de vie (alimentation et activité physique) pouvait retarder de quatre années la survenue du diabète de type 2 et réduire son incidence de 58%. Le projet de la Mutualité française vise à rémunérer des experts spécialisés dans différents domaines (médecine générale, diététique, activité sportive…) pour prendre en charge des patients prédiabétiques et les accompagner pendant 24 mois dans la modification de leurs habitudes alimentaires et sportives.
Voir Ministère des Solidarités et de la Santé, « Arrêté du 23 décembre 2020 abrogeant l’arrêté du 8 décembre 2020 et autorisant l’expérimentation “Mise en œuvre d’un programme de prévention adapté auprès d’une population prédiabétique au sein des structures de soins mutualistes (centres et maisons de santé)” », Journal officiel de la République française, 27 décembre 2020. Il est important de noter que ce programme est financé par des fonds publics (le Fonds pour l’innovation du système de santé).
Voir Virginie Femery, Myriam Le Goff-Pronost, Gérald Retali et Véronique Lacam-Denoël, « Vigisanté : un programme de dépistage et de télémédecine en entreprise », Archives des maladies professionnelles et de l’environnement, vol. 75, n° 3, juin 2014, p. S11-S12.
« Les Français et le système de santé », enquête Elabe pour Malakoff Humanis, juin 2021, p. 19-20.
Aroun Benhaddou, «Les mutuelles s’enracinent dans le venture», capitalfinance.lesechos.fr, 19 juin 2017.
France Invest, «Activité du non-coté en France: capital-investissement et infrastructure», 23 mars 2021, p. 15. Ce chiffre doit toutefois être relativisé car on ne distingue pas les fonds provenant de l’assurance maladie de ceux provenant d’autres activités d’assurance.
Voir « Avec Synapse Medicine, la MACSF boucle son troisième investissement dans des start-ups e-santé en 2020 », presse.macsf.fr, 6 juillet 2020.
Voir « Les investissements responsables du Groupe Matmut », matmut.fr, s.d.
Contrairement à l’assurance maladie obligatoire, les complémentaires santé opèrent sur un marché où le consommateur (individu ou employeur) choisit auprès de quel organisme il souhaite s’assurer. Les complémentaires sont donc incitées à innover afin d’attirer de nouveaux consommateurs et fidéliser leurs clients. Ces innovations peuvent prendre différentes formes : adaptation du contrat aux besoins de l’assuré, couverture de nouveaux risques, amélioration de la qualité du parcours de soins, maîtrise des coûts et amélioration de la qualité des soins grâce aux réseaux de soins, accès à des programmes de prévention, etc.
La concurrence génère une incitation à adapter les produits aux besoins des assurés
Les consommateurs ont des besoins et des préférences différents. Hormis l’état de santé, ces divergences s’expliquent par plusieurs facteurs. D’abord, tout le monde n’a pas le même mode de vie. Par exemple, un sportif de haut niveau s’expose à des risques de blessures plus élevés qu’une personne qui pratique du sport à plus faible intensité, voire qui n’en pratique pas du tout. Ensuite, tout le monde n’a pas la même aversion au risque : certaines personnes souhaiteront bénéficier de garanties plus élevées, tandis que, pour d’autres, les bénéfices seront inférieurs au coût. Enfin, tout le monde n’a pas les mêmes préférences en matière de soins et traitements médicaux. En 2019, une étude révélait qu’une partie des Français souhaitait que des services tels que les massages ou la méditation (26%) ou encore la médecine alternative (21%) soient proposés par leur organisme d’assurance complémentaire57. De tels besoins n’ont pas vocation à être pris en charge par l’ensemble de la société, puisqu’ils sont exprimés par seulement un quart des Français, mais il est légitime que les complémentaires y répondent en proposant des contrats adaptés.
C’est cette diversité des besoins et préférences qui justifie l’existence d’organismes complémentaires en concurrence. Les contrats de complémentaires santé peuvent être regroupés en trois catégories : les contrats low cost, les contrats all-inclusive et les contrats intermédiaires ou sur mesure58.
Le low cost est une pratique marketing qui a émergé dans l’aérien et la distribution alimentaire avant de se diffuser progressivement dans de nombreux secteurs de l’économie59. Elle est née du constat que de nombreux producteurs proposent des produits de gamme moyenne à un prix relativement élevé, alors que de nombreux clients potentiels seraient prêts à payer moins cher pour un service ou produit plus simple. Le low cost a ainsi opéré une révolution en montrant que les ressources investies dans l’amélioration de la qualité d’un bien ou d’un produit pouvaient être gaspillées si les consommateurs ne valorisaient pas suffisamment cette qualité supplémentaire. Il en va de même dans le secteur de l’assurance santé. C’est la raison pour laquelle les complémentaires ont développé des contrats qui fournissent une couverture minimale mais à un prix attractif. Selon certains, les « offres low cost permettent de réduire de 30 à 50% la facture tout en conservant un bon rapport qualité/prix60 ». Le low cost répond à une vraie demande des consommateurs qui souhaitent se concentrer sur l’essentiel et non pas payer pour des services qu’ils jugent superflus.
À l’inverse, les complémentaires santé proposent également des contrats haut de gamme (couverture plus étendue, niveaux de remboursements élevés…) qui s’adressent aux personnes qui valorisent suffisamment la santé pour y investir chaque mois des montants plus élevés que la moyenne. Les formules haut de gamme sont surtout souscrites dans le cadre de contrats collectifs négociés par l’entreprise.
Enfin, entre l’entrée de gamme et le haut de gamme, il existe un entre-deux susceptible d’intéresser un grand nombre de consommateurs. La mutuelle Malakoff Humanis, par exemple, propose dans son Pack Santé Particuliers quatre niveaux de garantie : initial (l’équivalent du low cost), intermédiaire, étendu et intégral (all-inclusive). La plupart des offres sont conçues pour s’adapter à certains types de profils (particulier/entreprise, actif/retraité, individu/famille…).
De nombreuses complémentaires offrent également au client la possibilité de coconstruire une formule « à la carte » qui corresponde parfaitement à ses besoins et préférences. Pour ceux qui auraient un budget précis en tête, les complémentaires pratiquent également le reverse pricing : le client définit son budget au préalable, et une offre qui respecte cette contrainte lui est alors proposée.
Il est vrai qu’il peut être difficile pour une personne qui cherche à s’assurer de naviguer au sein d’une offre aussi pléthorique. C’est pourquoi plusieurs comparateurs en ligne ont investi le champ de l’assurance maladie (Réassurez-moi, Le Lynx, Le Comparateur Assurance, UFC-Que choisir). Ces comparateurs en ligne ont une double utilité : ils permettent dans un premier temps de déterminer les contrats qui correspondent aux besoins (en soins hospitaliers, soins courants, optique, dentaire, etc.) et aux préférences du consommateur (par exemple, en termes de temps d’attente, de médecine alternative, etc.), puis, dans un deuxième temps, de comparer leur prix.
Par définition, une telle diversité ne serait pas possible dans un système d’assurance maladie universelle. Le scénario « Grande Sécu » occasionnerait une perte de bien-être pour toutes les personnes dont les préférences se trouveraient en dessous de la couverture universelle – alors que celles se situant au-dessus pourraient souscrire à une supplémentaire santé.
La concurrence génère une incitation à innover sur les risques couverts
La concurrence doit être perçue comme un processus de découverte. En effet, les besoins et préférences des consommateurs ne sont pas parfaitement connus à l’avance : c’est le rôle de la concurrence que de les révéler. À mesure que les organismes complémentaires en concurrence expérimentent de nouvelles offres, de nouveaux services, il se crée de la connaissance sur les besoins des consommateurs. Certaines expérimentations se soldent par des échecs, tandis que d’autres se répandent et quittent progressivement le stade expérimental pour entrer dans les mœurs. Les organismes complémentaires jouent donc un rôle d’éclaireur.
Le cas de l’ostéopathie, qui n’est pas du tout prise en charge par la Sécurité sociale, illustre notre propos. Alors que la pratique était encore marginale il y a quelques dizaines d’années, le Registre des ostéopathes de France dénombre aujourd’hui plus d’un demi-millier de formules prenant en charge le remboursement des actes d’ostéopathie61.
Certaines complémentaires décident également de se positionner sur des niches. C’est le cas de l’offre Serena proposée par MetLife. Dans cette offre destinée aux femmes, Serena prévoit le versement d’un capital et une assistance en cas de développement d’un cancer du sein.
Lors de la crise de la Covid-19, les OCAM se sont également illustrés en s’engageant à rembourser les consultations de psychologues (de préférence après orientation d’un médecin généraliste et dans une limite de quatre consultations par an). Grâce à une action conjointe de la Mutualité française, de la Fédération française de l’assurance (FFA) et des institutions de prévoyance, l’ensemble des personnes couvertes par une complémentaire santé ont pu bénéficier de cette prise en charge des consultations de psychologues. Cette initiative a inspiré le président de la République Emmanuel Macron qui, en septembre 2021, a annoncé la prise en charge à partir de 2022 d’un forfait de huit séances chez le psychologue. Voici un exemple supplémentaire du rôle précurseur des OCAM dans la prise en charge de nouveaux risques (ici le risque de dépression).
La concurrence génère une incitation à innover sur le parcours de soins
La crise a mis en lumière les avantages de la télémédecine. Or les OCAM avaient commencé à diffuser cette pratique bien avant la survenue de l’épidémie. Grâce aux partenariats noués avec les plateformes d’e-santé (MédecinDirect, Mes Docteurs, DeuxièmeAvis, Medaviz, etc.), la plupart des contrats incluent aujourd’hui un service de téléconsultation et de téléconseil accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les patients ont souvent recours à ces plateformes car le délai d’attente est très court, voire inexistant. Cela permet aux patients d’être rassurés en cas d’urgence et de lever d’éventuels doutes. Entièrement gratuit car inclus dans le contrat, ce service est une véritable arme contre les déserts médicaux et le renoncement aux soins. En complément, certaines plateformes, dont DeuxièmeAvis et MédecinDirect, proposent d’obtenir l’avis d’un second médecin.
L’accès à ces plateformes est en voie de généralisation. Sur son site, DeuxièmeAvis affirme que son service est accessible gratuitement à 16 millions de personnes. La plateforme MesDocteurs a récemment été rachetée par le groupe Vyv, qui protège 11 millions de personnes contre les risques de santé, tandis que MédecinDirect travaille avec plusieurs dizaines d’organismes complémentaires.
La diffusion de la téléconsultation peut aussi passer par l’entreprise via l’installation de télécabines au bureau. C’est le cas d’Axa qui a noué un partenariat avec H4D, leader européen en matière de solutions de télémédecine clinique. Une telle solution évite à un salarié de prendre une demi-journée pour aller chez un généraliste et contribue à la lutte contre le renoncement aux soins. D’après H4D, 54% des consultations réalisées n’auraient pas eu lieu sans la présence de cette télécabine. En intégrant cette solution dans son programme pour la qualité de vie et le bien-être au travail, Axa contribue à mettre en avant des outils encore peu connus des entreprises.
Par leurs actions, les complémentaires ont anticipé l’évolution des usages de la télémédecine. À la veille de la crise sanitaire, de nombreuses solutions étaient déjà accessibles à des millions d’utilisateurs, ce qui a accru la résilience du système au choc occasionné par l’épidémie de Covid-1962. En effet, selon une enquête, 20% de recours aux urgences ont été évités pendant la crise grâce à la télémédecine63.
Dans un scénario où les complémentaires santé actuelles seraient reléguées au rang de supplémentaires, de telles innovations sur le parcours de soins ne pourraient voir le jour, ou tout au moins elles seraient limitées au champ restreint des actes non remboursés par l’assurance maladie obligatoire.
La concurrence génère une incitation à mener des politiques de prévention à long terme
En théorie, les organismes complémentaires ont financièrement intérêt à investir uniquement sur le court terme. En effet, la durée moyenne d’un contrat de complémentaire santé est seulement de sept ans pour un contrat collectif et de six ans en individuel64. Or de nombreuses actions de prévention permettent de réaliser des économies seulement sur le long terme, c’est-à-dire sur une ou plusieurs dizaines d’années (la lutte anti-tabac, par exemple). Dans ce cas, les organismes qui investissent dans la prévention n’en perçoivent pas les bénéfices. De plus, pour la plupart des maladies que ces actions visent à prévenir, les affections de longue durée sont prises en charge à 100% par la Sécurité sociale. L’avantage de l’assurance maladie obligatoire est donc ici qu’elle accompagne l’assuré de la vie jusqu’à la mort, ce qui rend les actions de préventions bien plus rentables économiquement.
Et pourtant, dans la pratique, il existe des exemples d’organismes complémentaires qui investissent dans la prévention à long terme. Citons la Mutualité française qui expérimente dans cinq centres de santé mutualistes un forfait à la capitation qui rémunère une prise en charge coordonnée des prédiabétiques (alimentation et activité physique) par une équipe pluridisciplinaire65. Ce programme permettrait de retarder de quatre années la survenue du diabète de type 2 et d’en réduire l’incidence de 58%66. Or le diabète étant une affection de longue durée, l’intérêt des mutuelles à mener cette expérience n’est donc pas financier. De même, plusieurs complémentaires ont lancé des programmes de dépistage de l’hypertension artérielle (Malakoff Humanis67, AG2R La Mondiale). Or l’hypertension artérielle est également un facteur de risque de maladies cardio-vasculaires qui figurent sur la liste des affections de longue durée (AVC, artériopathies, insuffisances cardiaques…). Qu’est-ce qui incite donc les mutuelles à investir dans ces programmes ?
Une raison principale permet d’expliquer ce phénomène : les actions de prévention menées par les OCAM répondent à une réelle demande de la part des assurés : 50% des Français considèrent que la prévention occupe une place insuffisante dans le système de santé et 47% considèrent que le développement des pratiques de prévention est une des priorités de l’amélioration du système68.
Dans ce contexte, les complémentaires qui sauront se montrer innovantes en matière de prévention parviendront à attirer de nouveaux adhérents. Ainsi, par la force du marché, les complémentaires santé sont conduites à mener des missions d’intérêt général (la généralisation de la prise en charge du prédiabète générerait pour l’assurance maladie 1 546 millions d’euros d’économie).
En principe, ces actions pourraient être menées directement par la Sécurité sociale mais le rôle d’acteurs tels que les complémentaires santé est ici d’apporter des idées nouvelles. En effet, l’État n’est pas omniscient. Accorder la liberté aux acteurs de terrain d’expérimenter de nouvelles approches reste le meilleur moyen de favoriser la profusion d’idées novatrices.
La concurrence génère une incitation à innover au-delà du cœur de métier
Les complémentaires santé se différencient en proposant des services et produits qui dépassent la logique purement assurantielle – pourtant « cœur de métier » des organismes complémentaires. Alan, par exemple, est la première assurance santé à « offrir » 25 euros à ses adhérents pour un abonnement de six mois ou d’un an souscrit chez Petit Bambou, une plateforme qui accompagne les utilisateurs dans leur pratique de la méditation. Cette initiative ne s’inscrit pas dans une logique assurantielle puisque cette offre ne vise pas à couvrir un risque en particulier : chaque adhérent peut en bénéficier à tout moment sans orientation d’un médecin. Cette innovation permet toutefois à l’assureur d’attirer une clientèle intéressée par la méditation. Pour les assurés, l’intérêt est plus difficile à identifier. En effet, en apparence gratuit, le coût de ce service est nécessairement supporté par un des acteurs – l’assureur ou l’assuré. Dans le premier cas, cela pourrait s’inscrire dans une stratégie de prévention (si Alan considère que la méditation peut prévenir des dépenses de santé futures) ou tout simplement dans une stratégie pour attirer de nouveaux clients (Alan accepterait alors de réaliser des pertes sur le court terme). Dans le second cas, le coût de l’accès à la plateforme serait en fait totalement répercuté dans le coût annuel du contrat d’assurance, mais l’impression de gratuité conduirait l’assuré à suivre des séances de méditation qu’il n’aurait pas suivies autrement. Dans les deux cas, cette innovation est donc créatrice de valeur.
La concurrence incite également les complémentaires santé à travailler leur image de groupe – encore plus dans un secteur jugé aussi essentiel que la santé. Pour cela, elles peuvent se lier à des projets qu’elles pourront mettre en avant dans leur communication. C’est le cas de Generali, qui s’est associé à Orange, Sanofi et Capgemini pour créer Future4Care, un accélérateur de start-up européen dédié à la santé numérique. De même, la Villa M, un immeuble de sept étages dédié au futur de la santé, a été créée à l’initiative du Groupe Pasteur Mutualité.
Enfin, de nombreux organismes complémentaires placent également une partie de leurs bénéfices dans des fonds d’investissement ou participent à des levées de fonds. Ces investissements répondent à une double logique : marketing, d’abord, car cela témoigne de leur engagement (« assureur militant ») ; produits, ensuite, car cela crée des synergies opérationnelles entre assureurs et entreprises financées (en intégrant par la suite ces solutions dans leurs garanties). Les mutuelles ont ainsi participé à quatorze opérations de capital-risque en 2016, soit trois fois plus que l’année précédente et pour un montant quatre fois supérieur69. Le rôle des compagnies d’assurances et des mutuelles est loin d’être négligeable : elles étaient en 2020 les premiers souscripteurs de fonds en capital-risque, avec 26% du total des fonds levés (+ 63% par rapport à 2019)70.
En 2020, la Mutualité française a lancé un fonds d’investissement à impact social et environnemental baptisé « Mutuelles Impact ». Une quarantaine de mutuelles adhérentes se sont mobilisées pour réunir plus de 50 millions d’euros qui seront réinvestis dans des entreprises innovantes dans les domaines de la prévention, de l’accès aux soins, de l’accompagnement des patients et des aidants. D’autres exemples de ce type existent. Nous dressons ici une liste non exhaustive illustrant l’engagement des complémentaires santé en matière d’investissement dans l’innovation. Cette dynamique positive pour notre économie se fait malgré les contraintes prudentielles liées à Solvabilité II qui imposent des contraintes de fonds propres en matière d’investissement. Pour le financement des entreprises non cotées, la réglementation demande une mobilisation de fonds propres à hauteur de 49% de l’investissement.
Les types d’investissements sont variés et vont dépendre de la spécialisation du groupe et, parfois, de son ancrage territorial. Par exemple, la Mutuelle d’assurances du corps de santé français (MACSF), mutuelle spécialisée dans la protection du personnel de santé, va chercher à investir dans des technologies « utiles aux professionnels de santé dans l’exercice de leurs métiers aujourd’hui et demain71 ». Au premier semestre 2020, la mutuelle a ainsi investi dans une plateforme de téléconsultation, LEAH, dans la start-up Owkin, qui développe des solutions basées sur l’intelligence artificielle, et dans la plateforme Synapse, qui rend accessible une information fiable sur les médicaments. Les investissements peuvent donc être ciblés en fonction des besoins de la clientèle mais ce n’est pas un impératif. Certains investissements ne se limitent pas au domaine de la santé et s’inscrivent dans une logique plus globale de responsabilité sociale et environnementale. À titre d’exemple, la Matmut investit dans des fonds en faveur de la transition énergétique et de l’emploi (SWIFT, Borwnfields, MIFA, Paris Fonds Vert)72, bien que cela ne fasse pas partie de son cœur de métier. Ce type d’initiatives crée de la valeur à plusieurs niveaux : d’abord elles contribuent au financement de l’innovation, ensuite elles répondent à une demande des adhérents qui souhaitent non seulement s’assurer mais également soutenir un modèle de société. Dans un scénario « Grande Sécu », la capacité d’investissement des complémentaires serait affaiblie et il est peu probable que la Sécurité sociale s’engage à compenser cette perte. Bien qu’il soit difficile de le quantifier, l’effet de ce scénario sur l’investissement en santé serait donc négatif.
Tableau 6 : Liste (non exhaustive) de fonds d’investissement créés à l’initiative ou en partenariat avec des organismes complémentaires
La contrainte financière génère une incitation à la rationalisation des dépenses
Daniel Caby, « Obésité : quelles conséquences pour l’économie et comment les limiter ? », Trésor-Éco, n° 179, septembre 2016, encadré 2, p. 5.
Muriel Barlet Mathilde Gaini, Lucie Gonzalez et Renaud Legal (dir.), « La complémentaire santé : acteurs, bénéficiaires, garanties », Drees, édition 2019, p. 54.
Ibid.
Nicolas Durand et Julien Emmanuelli, « Les réseaux de soins » Inspection générale des affaires sociales (Igas), juin 2017, p. 5.
Les organismes privés sont incités à maintenir leurs comptes à l’équilibre. D’abord parce que les consommateurs auront tendance à sélectionner les assureurs viables financièrement et ensuite pour éviter tout simplement la faillite. La situation est différente pour l’État. Techniquement, les pouvoirs publics pourraient décider d’implémenter la règle d’or budgétaire. Mais, dans les faits, les incitations à la faire respecter sont moindres – un État peut difficilement faire faillite, ce qui l’incite à s’endetter plutôt qu’à réformer ses finances. L’obligation de se maintenir à l’équilibre pour les OCAM crée une incitation à rationaliser leurs dépenses, donnant lieu à des innovations dans les domaines de la prévention à court terme et des réseaux de soins.
La contrainte financière incite à mener des politiques de prévention à court terme
La prévention est un investissement : les dépenses engagées à un temps t pour prévenir la survenue d’une maladie à un temps t + x génèrent des économies lorsque les dépenses de prévention sont inférieures au coût de traitement de la maladie évitée. Comme cela a déjà été souligné, du point de vue purement financier, les organismes complémentaires ont surtout intérêt à investir dans la prévention à court terme, tandis que la prévention à long terme est majoritairement prise en charge par l’État.
Prenons l’exemple de l’obésité. Selon les calculs de la direction générale du Trésor, le surcoût annuel en soins de ville lié à la surcharge pondérale s’élève à 365 euros pour les personnes obèses et à 160 euros pour les personnes en surpoids. Si l’on prend en compte les soins hospitaliers, ce surcoût pour les personnes obèses et en surpoids atteint respectivement 785 euros et 330 euros73. Or, pour une part significative des cas, ce surcoût pourrait être allégé grâce à une meilleure alimentation et à la pratique d’une activité sportive régulière. De telles habitudes peuvent être mises en place rapidement et produire des résultats concluants au bout de quelques mois ou quelques années. C’est la raison pour laquelle les complémentaires santé sont nombreuses à proposer des programmes qui aident les assurés à maintenir une hygiène de vie saine. Le programme « GPM Stimul » du Groupe Pasteur Mutualité favorise ainsi la reprise d’activité physique via un accompagnement à la fois personnalisé et connecté. De même, le programme « Vivre mieux » d’Aésio Mutuelle prend en charge un bilan complet et personnalisé pour les personnes qui souhaiteraient mettre en place une activité physique adaptée à leur situation. Dans l’entreprise, le programme de coaching « Generali Vitality » du groupe Generali récompense les efforts des utilisateurs. En 2017, il avait séduit 40.000 salariés de 2 000 PME.
Bien sûr, les complémentaires santé ne sont pas les seules à mener des actions en faveur d’une meilleure hygiène de vie. La pratique d’une activité physique et l’alimentation saine ont des effets bénéfiques tout au long de la vie. L’État et les collectivités ont également intérêt à se saisir du sujet et ils le font. Les actions menées par les complémentaires santé viennent compléter l’action publique.
La contrainte financière incite à constituer des réseaux de soins
Comme cela a déjà été souligné dans cette note, en raison de la présence d’aléas moraux et d’asymétries d’information, la régulation de la relation entre le médecin et son patient est fondamentale. C’est tout l’enjeu des réseaux de soins qui « reposent sur des conventions établies entre un ou plusieurs organismes d’assurance maladie complémentaire, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, et des établissements ou professionnels dispensant des soins74 ». Ces conventions portent généralement sur les tarifs pratiqués ainsi que sur le respect d’un certain standard de qualité. En pratique, les négociations sont effectuées par des intermédiaires. Ces plateformes de gestion sont au nombre de six : CarteBlanche, Istya, Itelis, Kalixia, Santéclair et Sévéane. Les réseaux de soins sont bénéfiques à tous les acteurs du système de santé : pour les OCAM, ils constituent un moyen de maîtriser les dépenses de santé de leurs assurés ; pour les assurés, ils permettent de bénéficier de prix avantageux, de remboursements plus généreux, et de soins de qualité ; et pour les professionnels de santé, de bénéficier d’un apport de clientèle.
Les réseaux de soins se sont surtout développés sur les trois marchés où les complémentaires sont historiquement plus présentes que la Sécurité sociale : l’optique, le dentaire et l’auditif. Ainsi, en 2016, la « moitié des organismes complémentaires, couvrant 79% des bénéficiaires, sont liés à un réseau d’opticiens ; un tiers, couvrant 58% des bénéficiaires, sont associés à un réseau de dentistes75 ». Selon un rapport de l’Inspection générales des affaires sociales (IGAS), les réseaux de soins ont des effets vertueux sur les prix et le reste à charge. En optique, l’écart de prix entre les produits consommés via un réseau et ceux achetés auprès de professionnels non conventionnés est particulièrement notable, « environ moins 20% pour des verres adultes, moins 10% pour des montures et jusqu’à moins 37% pour certaines références de verres », conduisant à un écart de reste à charge de 50%76.
Les réseaux de soins constituent donc une forme efficace d’autorégulation du marché. A priori, la Sécurité sociale pourrait mettre en place des régulations similaires à l’échelle nationale mais les incitations à la recherche d’efficacité sont moindres. De plus, les réseaux de soins sont un moyen pour les complémentaires de se différencier – par des prix plus avantageux, des soins de meilleure qualité, etc. –, ce qui constitue une incitation supplémentaire à faire respecter des critères de qualité précis et à modérer les tarifs fixés par les professionnels de santé.
En conclusion, deux incitations agissent sur le comportement des complémentaires santé : la concurrence et l’impératif de la viabilité financière. La première est propre au marché, c’est-à-dire qu’elle n’existerait pas dans un système « 100% Sécu ». Or cette incitation est à l’origine des innovations les plus pertinentes : la couverture de nouveaux risques, l’amélioration du parcours de soins avec la télémédecine, l’émergence de différents niveaux de gamme, l’expérimentation de programmes de prévention à long terme, etc. La deuxième incitation n’est pas propre au secteur privé mais agit de manière beaucoup plus prononcée sur les organismes privés que sur la Sécurité sociale. Elle conduit notamment les OCAM à mener des actions de prévention à court terme et à faire baisser les prix de marché. On pourrait penser qu’en devenant « supplémentaires », les organismes pourraient continuer d’innover dans ces domaines, mais l’impact de ces innovations serait aussi limité que le champ d’intervention des supplémentaires santé. En d’autres termes, une réforme « 100% Sécu » affaiblirait la capacité globale d’innovation du système.
Trois propositions pour améliorer le système actuel
Le système actuel n’est pas parfait et cette étude a permis d’identifier certaines de ses faiblesses. Toutefois, le rôle moteur des complémentaires santé en matière d’innovation est un des atouts majeurs de ce système. C’est pourquoi aux scénarios de « rupture » comme celui d’une « Grande Sécu » nous préférons des réformes d’ajustement : la modulation du ticket modérateur selon l’âge, la fin des avantages fiscaux liés aux contrats collectifs et la réduction du taux d’imposition de la TSA. Ces réformes ont l’avantage de corriger les dysfonctionnements identifiés dans cette note, tout en gardant une place pour la concurrence et l’innovation.
Moduler le ticket modérateur en fonction de l’âge
Cette étude a permis d’identifier le manque de solidarité intergénérationnelle dans le financement du ticket modérateur. La concurrence entre les différents types d’organismes a conduit à la quasi-disparition des contrats dont le tarif est indépendant de l’âge. Nous avons expliqué pourquoi cette situation était regrettable. Une solution pour y remédier consisterait à moduler le ticket modérateur en fonction de l’âge. Pour ce faire, il suffirait de baisser le taux du ticket modérateur de 5 points sur les postes pour lesquels la dépense augmente avec l’âge (pharmacie, liste des produits remboursables) ou est nettement plus élevée chez les plus âgés (hospitalisation, auxiliaires). En contrepartie, le ticket modérateur serait augmenté de 5 points sur les postes pour lesquels les dépenses évoluent peu avec l’âge (consultations médicales) ou diminue chez les plus âgés (soins dentaires).
Cette réforme permettrait d’accorder plus de place à la Sécurité sociale dans le financement des soins des personnes âgées, et donc de renforcer la solidarité entre les générations, sans pour autant réduire le montant global du ticket modérateur.
Ce scénario permettrait de réduire le reste à charge (après assurance maladie obligatoire) des personnes âgées de plus de 75 ans de 51 euros pour les soins hospitaliers et de 57 euros pour les soins de ville. Le reste à charge après remboursement par l’assurance maladie obligatoire des seniors resterait en moyenne plus élevé que celui des moins de 75 ans mais s’en rapprocherait davantage. L’écart passerait ainsi de 77 euros à 18 euros pour les soins hospitaliers et de 212 euros à 67 euros pour les soins de ville. Le prix d’un contrat pour une personne âgée de plus de 75 ans baisserait mécaniquement puisque la complémentaire aurait moins de dépenses à prendre en charge. À l’inverse, le prix pour les personnes de moins de 75 ans augmenterait. Cette mesure entraînerait donc un lissage – partiel – du coût de l’assurance maladie sur le temps.
Tableau 7 : Effets de la modulation du ticket modérateur sur le reste à charge (après assurance maladie obligatoire), par poste de dépense (en euros)
Source :
Mutualité française.
Mettre fin aux avantages fiscaux liés aux contrats collectifs
Exemption d’assiette de cotisations sociales patronales et salaries de la participation de l’employeur (3,4 milliards d’euros), déduction de l’impôt sur les bénéfices des charges liées au financement des contrats collectifs obligatoires (2,4 milliards d’euros), déduction de l’impôt sur le revenu des salariés (1,15 milliard d’euros). Source : Cour des comptes, op. cit.
Les niches fiscales et sociales sur les entreprises et les salariés représentent à elles seules 70% des dépenses publiques liées aux contrats de complémentaire (7 milliards d’euros au total)77. Cette concentration des aides sur les entreprises et les salariés accroît les inégalités. Dans un souci d’équité, il conviendrait de mettre fin à tout ou à une partie des avantages fiscaux liés aux contrats collectifs, ce qui libérerait des ressources pour aider les populations les plus vulnérables (chômeurs, retraités, bas revenus).
Réduire le taux d’imposition de la taxe de solidarité additionnelle
La TSA est l’ancêtre de la contribution CMU, créée par la loi du 27 juillet 1999. Initialement fixée à 1,75%, elle a été réévaluée à deux reprises : elle est passée à 2,5% en 2006, puis à 5,9% en 2009. Une année plus tard, la contribution CMU est transformée en taxe de solidarité additionnelle. Son taux est fixé à 6,27%. À la TSA est venue s’ajouter en 2011 une taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Le taux d’imposition est de 7% pour les contrats responsables et de 14% pour les contrats non responsables.
La TSA telle que nous la connaissons aujourd’hui est née de la fusion, en 2016, des anciennes TSA et TSCA. Son taux est fixé à 13,27% pour les contrats responsables et 20,27% pour les contrats non responsables (voir tableau 8).
À l’origine, l’objectif de cette contribution, qui s’est ensuite muée en taxe, était d’instaurer une solidarité entre les personnes qui souscrivent à un contrat de complémentaire et celles qui n’en ont pas les moyens. Aujourd’hui, seule la moitié des recettes sert à financer la complémentaire santé solidaire, le reste étant alloué à la Sécurité sociale, sans contrepartie pour les souscripteurs. Or, comme toute taxe, la TSA contribue à renchérir le prix des contrats de complémentaire santé, ce qui nuit à l’accès aux soins. De plus, étant proportionnelle aux cotisations, elle pèse fortement sur le budget des personnes âgées.
Dans un souci d’amélioration du pouvoir d’achat des ménages et de généralisation de la couverture complémentaire, nous proposons donc de réduire le taux de la TSA. Une réduction de 6 points permettrait de conserver un rendement légèrement supérieur au coût de financement de la complémentaire santé solidaire – la marge pouvant servir à couvrir l’éventuelle augmentation des dépenses liées à cette complémentaire santé solidaire. Une telle annonce conduirait à une baisse proportionnelle des prix des contrats de complémentaire. En tout cas, les organismes complémentaires qui ne réagiraient pas ainsi prendraient le risque de voir une partie de leur clientèle se diriger vers le concurrent. Cette mesure est donc favorable au pouvoir d’achat des Français, sans pour autant sacrifier la solidarité entre les différents niveaux de revenus.
Tableau 8 : Détail et rendement des sous-assiettes de la TSA en 2019
Source :
Cour des comptes, « Les complémentaires santé : un système très protecteur mais peu efficient », communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, juin 2021, p. 81 ; CSS ; calculs Asterès.
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