Contribution à la mission flash de clarification du financement des retraites
Note pour le premier président de la cour des comptesMission flash de la cours des comptes
Introduction
Les comptes rendus financiers n’informent pas l’opinion publique du poids de la protection vieillesse dans les déficits et dans la dette publique.
Le financement des retraites par subventions comporte un impact important sur le déficit des administrations publiques
La contribution des retraites au déficit d’ensemble est masquée par quatre défauts institutionnels des comptes publics
La contribution des retraites au déficit public provient de 17 régimes représentant 70 % des prestations
La couverture du besoin de financement par l’augmentation des cotisations ou par l’affectation d’impôts supplémentaires n’est pas une perspective réaliste
En plus des cotisations, les régimes reçoivent donc 139 Mds d’euros de ressources publiques dont 31 Mds d’euros pour alléger les cotisations des assurés
Le transfert d’impôts a trois objectifs, dont la couverture de déficits spécifiques à certains régimes
La substitution d’impôts aux subventions ne serait pas plus réaliste
La communication publique sur les retraites n’informe pas suffisamment l’opinion de la générosité du système23
Le manque d’informations sur les dépenses non contributives
L’absence de comparaison internationale de la générosité des systèmes de retraites par répartition dans les comptes rendus financiers
Les 10 suggestions pour une meilleure transparence des comptes rendus financiers
Conclusion
Annexe I
Annexe II
Annexe III
Annexe IV
Annexe V
Annexe VI
Résumé
La présente note vise à contribuer à la mission « flash » de clarification du financement des retraites que François Bayrou, Premier ministre, a chargé la Cour des Comptes de réaliser lors de sa déclaration de politique générale du 14 janvier 2025.
La note détaille le besoin de financement actuel aux bornes du système des retraites et sa contribution importante (-69 Mds d’euros en 2023 et -81 Mds d’euros prévus en 2024) au déficit des administrations publiques, comparable aux années antérieures mais accru en 2024 par l’indexation des prestations.
L’écart entre les publications du Conseil d’orientation des retraites (COR) avec la réalité vient notamment de la présentation des comptes de l’État, des comptes sociaux et des comptes de la nation qui ne permet pas d’identifier directement le poids de la protection sociale, et en particulier des retraites, dans les déficits publics.
Ainsi, il est absurde d’afficher encore en juin 2024 un solde excédentaire du système de retraites de 3,8 Mds d’euros pour 2023, alors que cette année-là, le système aura nécessité, au-delà de 256 Mds d’euros de cotisations (64% des produits du système), à taux élevé de 28% avant allègements, l’affectation dans les lois de financement de 131 Mds d’euros de ressources publiques additionnelles (53 Mds d’euros d’impôts, soit 14% des produits et 78 Mds d’euros de subventions, soit 20% des produits) qui toutes auraient réduit le déficit public de l’année ou auraient financé d’autres actions, si elles n’avaient pas dû être affectées aux 389 Mds d’euros de charges de la protection vieillesse. Cet emploi de ressources publiques additionnelles aux cotisations pour financer les retraites représente plus de 20% des ressources fiscales nettes encaissées par l’ensemble des administrations en 2023.
La note veut établir une situation aussi précise que possible de l’ensemble des retraites en comptabilité de la Sécurité sociale, en reclassant les ressources par origine et par nature. Enfin, des suggestions sont présentées pour modifier ces comptes-rendus dans le but d’instaurer une réelle transparence qui conditionne la qualité du débat démocratique et de la décision publique.
Jean-Pascal Beaufret,
Ancien inspecteur des Finances, chef de service à la direction du Trésor et directeur général des impôts, directeur financier d’entreprises de télécommunications, associé au fonds de capital développement Ring Capital.
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Mission flash de la cours des comptes
Sauf pour les montants faibles des déficits publiés par la CNAV et la CNRACL.
30% avec les retraites des fonctionnaires locaux et hospitaliers en déficit structurel croissant pour d’autres raisons qu’un ratio cotisants/retraités inférieur à 1.
Textes dont les principes sont inscrits dans la constitution.
Et de certaines primes, ce qui est peu connu.
Je tiens à votre disposition une maquette de ces comptes de la protection sociale avant transferts, assez simple à établir.
Ils sont précisément évalués en recettes quand ils donnent lieu à compensation soit pour 37 Mds d’euros.
Monsieur le Premier président,
Il n’est pas possible que le périmètre des retraites obligatoires, le quart des dépenses publiques, ne contribue pas à une part très significative du déficit des administrations publiques en France.
Le principe de financement de la protection sociale en France, souvent rappelé par la Cour, reste qu’elle doit être couverte à 100% par des prélèvements obligatoires affectés et concomitants (cotisations et impôts), à défaut de quoi la solidarité des régimes par répartition, prélèvements sur l’activité pour financer l’inactivité et les risques sociaux, reporte sur les générations futures les charges de l’entretien des bénéficiaires actuels. Lorsque ces charges excèdent les prélèvements obligatoires affectés, ce qui arrive souvent en matière de couverture maladie et chômage depuis plus de trente ans, au moins le besoin de financement est-il couvert par un endettement spécifiquement identifié, au remboursement duquel sont affectés des impôts.
Tel n’est pas le cas1 pour la protection sociale vieillesse. Les dépenses de retraites ne sont en effet couvertes, année après année, qu’à 80% par des prélèvements obligatoires affectés, le reste étant pris en charge par des concours de l’État ou d’administrations tierces, elles-mêmes généralement déficitaires ou déjà lourdement endettées. Les concours qui équilibrent les retraites, appelés de manière simplificatrice dans la note ci-jointe des subventions, ne sont pas des prélèvements obligatoires.
Pour équilibrer les charges des régimes, il faudrait augmenter à 38% le taux de cotisations légal actuel de 28%, qui marque la limite haute des taux appliqués aux autres actifs français hors fonctionnaires, déjà parmi les plus élevés de l’Union européenne et que l’État allège d’ailleurs à 25% par les dispositifs d’aide à l’emploi en le considérant comme trop élevé. Alternativement, l’État devrait transférer 81 Mds d’euros de nouveaux impôts soit 84% de la TVA qu’il reçoit, s’ajoutant aux 57 Mds d’euros d’impôts déjà transférés, pour équilibrer les charges de pensions.
En ce qui concerne les comptes actuels, la convention utilisée par le conseil d’orientation des retraites pour présenter un solde quasi équilibré du périmètre, au nom du fait que l’État « pourrait », à déficit d’ensemble constant, transférer plus d’impôts, n’est manifestement pas pertinente pour le passé puisque l’État ne l’a pas fait. On ne voit pas d’ailleurs comment des comptes passés d’institutions pourraient dépendre d’une convention de financement et non pas uniquement de leurs flux de charges et de produits.
Et pour l’avenir, on se réfère à un scénario d’affectation d’impôts qui a peu de chance de se produire. Il n’est pas possible que le périmètre des retraites soit équilibré, dès lors que 25% des prestations sont versées par des régimes qui ont déjà moins d’un cotisant pour un retraité2 sans que ne joue de véritable compensation de la part des autres. Et 30% des prestations seulement sont versées par des régimes équilibrés par les prélèvements obligatoires qui leur sont affectés (régimes complémentaires des salariés privés, des contractuels publics, des indépendants ainsi que les régimes des professions libérales).
Toute l’information pour démontrer cette situation existe dans un rapport public. Il n’y a donc pas de déficit caché des retraites. Mais il reste difficile de percevoir le besoin de financement réel, attribuable en totalité aux retraites, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, il n’y a pas de compte global consolidé, exhaustif et rigoureux, audité par la Cour, de l’ensemble du périmètre, classant les ressources de manière claire et sous une terminologie compréhensible pour un public non averti, en se référant aux détails par régime. C’est ce que reconstitue la note ci-jointe, de manière approchée.
Mais surtout, on ne voit pas le besoin de financement des retraites pour trois autres raisons résultant non pas des textes d’organisation des finances publiques de 1995, 2001, 2005 ou 20063 mais des choix anciens et concrets de présentation qui ont été faits pour les appliquer. Sans modifier les textes, il serait possible de les assortir de modalités de comptabilisation, d’analyses et de commentaires qui en expliqueraient la portée dans le référentiel communément utilisé pour décrire les finances publiques, celui de la comptabilité nationale.
D’abord, ce n’est pas une présentation réaliste de dire que les employeurs publics calculent ou versent et comptabilisent dans leurs charges de personnel, des contributions, cotisations imputées ou cotisations aux deux régimes spéciaux de Sécurité sociale des fonctionnaires, de l’ordre de 100% ou 50% des traitements bruts4, alors que tous les autres actifs français cotisent à 28% (25% après allègements). Cette présentation des comptes surcharge très sensiblement le coût des fonctionnaires actifs, qui, pour l’État, reviennent à 50% de plus par employé que le coût tout compris d’un salarié en moyenne en France.
L’ampleur des contributions d’équilibre ou cotisations employeurs des trois types d’employeurs aux deux régimes de la fonction publique, de 73 Mds d’euros en 2024, imposerait de scinder dans leurs comptes la part, au taux légal plafond des autres salariés que celles-ci comprennent (approximativement 20 Mds d’euros) et la part de subventions toutes justifiées qui s’y ajoutent, soit 53 Mds d’euros en 2024. Ceci changerait beaucoup la présentation des comptes publics en réduisant significativement l’effet d’éviction actuel de ces contributions sur les autres interventions de l’État, ministère par ministère et en permettant d’expliquer ouvertement les causes légitimes et anciennes du besoin de financement de ces régimes, ce qui n’est jamais précisément fait pour celui des pensions civiles et militaires de retraites de l’État. L’agrégat du PIB et l’indicateur de la dépense publique seraient substantiellement modifiés. Le solde de la Sécurité sociale, tel que défini par la loi organique ne serait pas modifié mais la contribution réelle de la branche vieillesse de la Sécurité sociale au déficit d’ensemble des administrations publiques, qui comprend ces régimes spéciaux de Sécurité sociale, pourrait faire l’objet d’un commentaire reliant plus directement le solde de la Sécurité sociale à celui de l’ensemble des administrations publiques.
Je vous avais écrit en novembre 2020 pour vous suggérer de recommander cette distinction qui ne serait pas contraire à la loi d’organisation des lois de finances de 2001 ou à la loi de finances de 2006 qui définissent le compte d’affectation spéciale Pensions de l’État. Les deux présidents de chambre concernés n’avaient pas donné de suite à cette proposition.
Dans la même ligne et comme il est fait souvent sur d’autres sujets, rien n’empêcherait d’ajouter à la LFSS, un commentaire montrant que les soldes des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale sont affectés de flux avec l’État et entre branches de la protection sociale très importants ( 8% des masses hors contributions d’équilibre des employeurs publics aux régimes de retraites de fonctionnaires) qui modifient les soldes de chaque branche parfois dans des proportions considérables (famille, autonomie en particulier et à un moindre degré maladie). Ce commentaire corrigerait les soldes en montrant, avant transferts avec l’État et entre branches, la contribution réelle de chacune d’entre elles au déficit consolidé des administrations publiques en comptabilité nationale.
A défaut d’une consolidation des comptabilités générales des administrations auditées par la Cour, cette approche fournirait le lien indispensable entre les comptabilités auditées des institutions sociales et les déficits publics d’ensemble5. Une telle approche ne serait pas interdite par les lois organiques en vigueur.
Enfin, le Parlement vote dans les articles liminaires des LFI, des LFSS et dans les lois de programmation des finances publiques une répartition des soldes entre les trois sous-secteurs des administrations publiques (central, local, Sécurité sociale) qui attribue tous les déficits, à l’État au niveau central, alors que celui-ci ne mandate que 38% de toutes les dépenses (y compris les transferts). Le secteur social, qui prend en charge 43% des dépenses est présenté en excédents très régulièrement c’est-à-dire qu’il contribue officiellement à diminuer la dette publique.
Les transferts et les classements qui sont à l’origine de ce résultat irréaliste, mériteraient d’être assortis d’un commentaire pour le Parlement modifiant le positionnement de la Cades et du régime des pensions civiles et militaires de l’État, régime spécial de Sécurité sociale et donc légitime a figurer dans les administrations de Sécurité sociale comme si celui-ci était géré par une caisse de Sécurité sociale séparée, comme le prévoyait le projet de loi sur le système universel de retraites, voté en première lecture en février 2020. Les administrations de Sécurité sociale seraient à l’origine de déficits publics de -2,5% du PIB beaucoup plus conformes à leur poids dans la dépense et à la répartition des recettes publiques entre les administrations. Cet indicateur de l’origine des déficits publics serait de nature à informer beaucoup plus complètement le Parlement sur les défis de redressement de la trajectoire des finances publiques.
L’opinion n’a donc pas été informée de la situation financière actuelle de la protection vieillesse. Les débats nourris sur les hypothèses de son évolution dans le futur ont éclipsé l’établissement de son impact actuel, beaucoup plus important, sur la dette publique.
J’ajoute enfin un point sur l’information fournie sur la partie non contributive ou distributive, dite de solidarité, incorporée aux dépenses de retraites, sur laquelle l’opinion publique reste peu informée, bien que 94% des retraités soient concernés à au moins un titre, par les six grands types de dispositifs légaux existants. Celle-ci, financée en tout ou en partie, par une fraction des 139 Mds d’euros de ressources des administrations qui s’ajoutent en 2024 aux cotisations pour financer les retraites, représenterait entre 58 Mds d’euros (acception stricte) et 81 Mds d’euros en 2024 (acception large). Mais ces dépenses ne sont ni comptabilisées en charge des régimes6, ni publiées de manière estimative par les caisses de retraites, ni fréquemment estimées sur des bases statistiques et pratiquement jamais revues par le Parlement, notamment à l’occasion des lois de financement de la Sécurité sociale ou des lois de finances (pour la partie couverte par les contributions d’équilibre de l’État et de ses opérateurs).
Tout se passe comme si les discussions sur les retraites, qui se concentrent généralement sur des mesures d’âge, se bornaient à ajouter à la législation en vigueur des dispositions plus favorables sans jamais se pencher sur les avantages existants. A cet égard, il semble que l’opinion n’ait pas été informée réellement du caractère en moyenne généreux du niveau de prestations, indépendamment de la durée plus longue à la retraite, qui caractérise le système français dans les comparaisons internationales, peu sollicitées dans les études d’impact des réformes récentes.
Tout concourt à dire qu’une transparence accrue sur la situation financière actuelle, et pas seulement future, et que des compléments d’information sur le niveau des prestations auraient pu modifier significativement la perception des réformes au Parlement comme dans l’opinion.
Par cette lettre, je sollicite l’indulgence de la Cour sur les inexactitudes qui pourraient subsister dans les analyses de la note, que je lui transmets, ainsi que sa capacité critique et d’ajustement à l’analyse développée. Celle-ci, compatible avec les textes d’organisation des finances publiques, est cependant différente des approches anciennes et habituelles de présentation des comptes mais cohérente avec les déficits d’ensemble consolidés transmis à l’Union européenne. Je serais heureux si les dix recommandations présentées y trouvaient un écho à la suite de la mission flash.
Avec l’expression de mon respectueux dévouement,
Jean-Pascal Beaufret
Introduction
« Sur les plus de 1000 milliards de dettes supplémentaires accumulées par notre pays ces 10 dernières années, les retraites représentent 50% de ce total […] La démarche s’appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander à la Cour des comptes, en une mission flash de quelques semaines, de nous donner l’état actuel et précis du financement du système de retraite. Et ce résultat, le Gouvernement le communiquera à tous les Français », François Bayrou, « Déclaration du gouvernement et débat », assemblée-nationale.fr, 14 janvier 2025 [en ligne].
La présente note vise à contribuer à la mission « flash » de clarification du financement des retraites que François Bayrou, Premier ministre, a chargé la Cour des Comptes de réaliser dans la déclaration de politique générale du 14 janvier 20241. Il s’agit ici de mettre à la disposition de la Cour les résultats d’une recherche qui a donné lieu à la publication dans la revue Commentaire, en 2023 et 2024, de plusieurs articles non sérieusement contredits.
Cette étude détaille le besoin de financement actuel aux bornes du système des retraites et sa contribution importante (-69 Mds d’euros en 2023 et -81 Mds d’euros prévus en 2024) au déficit des administrations publiques, comparable aux années antérieures mais accru en 2024 par l’indexation des prestations.
Il n’y a pas de déficit caché puisqu’on peut le reconstituer à partir des détails disponibles. Mais l’écart avec les soldes conventionnels publiés dans le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites-COR provient largement du mode de présentation légal et traditionnel des comptes de l’État, des comptes sociaux et des comptes de la nation qui n’identifient pas les importants concours d’équilibrage apportés par l’État par rapport à un plafond élevé de cotisations appliqué aux salariés en France et qui ne consolident pas les comptes publics des différentes administrations, localisant donc le besoin de financement des retraites hors d’un compte retraites qu’il faut reconstituer. Quand la consolidation des administrations publiques est faite, dans les comptes de la nation, le compte des retraites n’est pas détaillé et n’apparaît donc pas, inclus dans l’ensemble plus vaste des administrations de Sécurité sociale.
Sans modifier le cadre institutionnel des lois d’organisation des finances publiques, il serait nécessaire de modifier la comptabilisation des charges de pension de l’État et des autres employeurs publics. Il serait facile de fournir au Parlement et à l’opinion, une présentation agrégée montrant le poids réel, indiscutable, de la protection vieillesse sur les déficits publics, ainsi que son effet d’éviction sur les autres interventions des administrations. Des suggestions sont proposées sur les modifications des compte rendus financiers de manière à instaurer une meilleure transparence, permettant de comprendre les impacts financiers ainsi que la générosité de notre protection, à partir des flux réels et non sur la base d’une convention sur le financement.
Les comptes rendus financiers n’informent pas l’opinion publique du poids de la protection vieillesse dans les déficits et dans la dette publique.
Le financement des retraites par subventions comporte un impact important sur le déficit des administrations publiques
De manière stable, les charges des régimes de retraites sont financées par des cotisations (64%), par des impôts affectés (14%) et d’autres produits (2%). Ces trois types de ressources représentent 80% du financement alors que le principe de la protection sociale par répartition voudrait que les charges des régimes sociaux soient couvertes à 100% par des prélèvements obligatoires affectés, comme le relève fréquemment la Cour. Mais, contrairement aux autres branches de la protection sociale, les retraites sont aussi financées par d’importants concours d’autres administrations, de diverses natures, motifs et qualifications, appelés ici sous le terme simplificateur de « subventions », représentant 20% du total des financements.
Tableau 1 : Financement d’ensemble des retraites
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Et autres produits divers.
Un déficit étant la différence entre des dépenses publiques et des prélèvement obligatoires2, force est de constater, qu’aux bornes du périmètre comptable des retraites, la contribution des retraites au déficit d’ensemble des administrations publiques, représente -69 Mds d’euros en 2023 et -81 Mds d’euros, soit 45% du déficit présenté dans la loi de fin de gestion de décembre 2024. Tel serait approximativement le résultat d’un sous-secteur des retraites dans les comptes de la nation, s’il existait.
Tableau 2 : Besoin de financement des retraites intégré dans les déficits publics (comptes de la nation)
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Quels qu’en soient leurs motifs justifiés (équilibrage, prise en charge de cotisations ou de prestations pour des raisons de solidarité, substitution à des cotisations), les subventions d’une administration tierce à un régime de retraites, constituent en effet une dépense publique de la partie versante, qui ne peut être comptée en double, avec la dépense publique finale de retraites qu’elles financent de manière intermédiaire. Un regroupement de l’ensemble des administrations atttribuerait donc nécessairement le besoin de financement aux retraites, dépense publique finale et non aux entités qui subventionnent.
Mais parce que les comptabilités générales de l’État, des institutions de la Sécurité sociale et des collectivités locales, ne sont pas rassemblées en un compte unique3, la couverture par subventions du besoin de financement des retraites reste intégrée dans la dépense de l’État, des collectivités locales et des autres branches de la protection sociale qui équilibrent la branche Vieillesse. Bien qu’il y concoure pleinement, le besoin de financement des retraites demeure « noyé », dans celui des autres administrations. En comptabilité nationale, en revanche, référentiel principal dans lequel sont présentés et communiqués les comptes publics, la contribution des retraites au déficit d’ensemble des administrations, à condition qu’elle comprenne les régimes fonctionnaires, pourrait apparaître. Malgré sa taille, aucun sous-périmètre des retraites n’est publié à l’intérieur des administrations de Sécurité sociale4 (voir suggestion 1).
L’impact global bien réel des retraites n’apparaît dans aucun des deux référentiels et doit donc être reconstitué.
La contribution des retraites au déficit d’ensemble est masquée par quatre défauts institutionnels des comptes publics
Le 21 septembre 2023, au cours d’une réunion à laquelle participait le haut-commissaire au plan, François Bayrou.
a. L’absence de compte global des retraites
Il n’existe pas de document public présentant une consolidation comptable auditée de toutes les retraites obligatoires, même à l’appui des projets de réformes. Le COR fournit annuellement une agrégation statistique non détaillée qui ne comprend que 97% du périmètre du rapport à la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS), sans détail par régime. Le solde des retraites qu’il dégage est généralement positif puisqu’il considère conventionnellement les subventions reçues par les régimes comme des cotisations ou des impôts transférés, alors qu’elles n’en sont pas.
Il a été proposé au COR5 de fournir aussi un solde avant subventions, ce qu’il refuse. On ne comprend pas les raisons pour lesquelles des comptes passés d’institutions publiques devraient dépendre d’une convention et non des seuls flux comptables (voir suggestion 2).
Preuve toutefois qu’aucune intention de dissimulation n’existe, le rapport à la CCSS, source détaillée et claire de l’information, fournit des éléments comptables par régime, sur le périmètre exhaustif des retraites, n’incluant de manière regrettable les retraites complémentaires qu’en fin d’année. On peut alors seulement reconstituer, comme ci-dessous, un regroupement approché mais précis des flux et surtout analyser les éléments, régime par régime, pour comprendre le financement du système. Il reste que l’information est difficile d’accès et n’est pas en lecture directe (voir suggestion 3).
Tableau 3 : Nature et montant des subventions aux régimes de retrait (voir Annexe VI)
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Source :
PCMR : Pensions civiles et militaires de retraite
En y intégrant la part des établissements publics à caractère administratif (EPA) presque exclusivement financés par l’État de manière surprenante, les contributions des opérateurs de l’État (versées à taux de 85%), des collectivités locales et des établissements publics de santé (versées à un taux de 43%) sont décrites comme de simples cotisations dans les rapports publics, et non, comme pour l’État comme une « contribution d’équilibre ».
Et d’ailleurs aussi sur certaines primes (2,1 Mds d’euros) ce qui n’est jamais dit.
b. Le défaut d’identification des surcotisations des employeurs publics
3% de dépenses de la branche vieillesse, 13 Mds d’euros, sont couvertes par des subventions explicites de l’État. Elles comprennent notamment la couverture de 8 Mds d’euros de besoins de financement récurrents des régimes spéciaux, comme ceux de la SNCF, de la RATP, des Mines, et des Marins, dont le déséquilibre important est pris en charge depuis longtemps par l’État.
Mais le solde publié de la branche vieillesse et par conséquent celui de la Sécurité sociale ne comprennent pas ces déficits, en raison de l’absence de regroupement des comptabilités générales des différentes administrations en un compte unique.
64% des subventions soit 53 Mds d’euros en 2024 n’apparaissent pas de manière explicite, car elles prennent la forme de surcotisations des employeurs publics. Ces subventions impactent le déficit d’ensemble des administrations au titre des retraites et modifient les agrégats et indicateurs de résultat des finances publiques. Le régime des pensions civiles et militaires de retraite (PCMR) a un besoin de financement de 44 Mds d’euros en 2024 sur 63 Mds d’euros de charges, intégralement couvert par l’État et ses opérateurs6. La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a un besoin de financement de 12 Mds d’euros, sur 28 Mds d’euros de charges couvert par 9 Mds d’euros de surcotisations des employeurs locaux et hospitaliers, 3 Mds d’euros restant à couvrir par une dette indirecte de l’État, par l’intermédiaire du véhicule de financement des déficits sociaux, la CADES.
La présente note se fonde en effet sur l’idée qu’il existe une limite haute à la notion de cotisation, fraction du coût d’un emploi pour acquérir un droit à la retraite. Au-delà, on passe dans la notion de subvention, avec une attention particulière, quand l’État, garant des retraites, décide de s’infliger à lui-même en tant qu’employeur, une cotisation, calculée sur les traitements de ses fonctionnaires7, à un taux trois fois plus élevé (97%, moyenne civile et militaire) que pour tout autre salarié, tout en déplorant que le taux plafond des employeurs privés (28%) soit trop élevé. Il y a conflit entre l’État garant du financement des retraites et l’État ou les autres collectivités, employeurs.
Ce défaut de transparence, très ancien, va nettement s’aggraver en 2025, avec l’addition de 4 points de taux pour chacun des ministères et pour les autres catégories d’employeurs publics, qui vont devoir faire la place dans leur budget à cette charge additionnelle. Le défaut de transparence va s’aggraver pour les collectivités locales et les établissements publics de santé (CNRACL) dans l’avenir puisqu’une augmentation de 8 points supplémentaires est prévue.
Conséquence de la comptabilisation de l’intégralité de la contribution de l’État au régime PCMR, en charges de personnel (titre II du budget, masse salariale), le coût moyen, toutes charges sociales et de retraites comprises, d’un employé actif de l’État (fonctionnaire ou contractuel), ressort à environ 72.000€ (75.000€ dans le compte de l’État) et excède de 50% le coût, toutes charges sociales et de retraites comprises, d’un employé du secteur privé. On voit bien que la qualification de « cotisation » utilisée est impropre. Celle de « contribution d’équilibre » est ambiguë puisqu’on ne dit pas la part de subventions qu’elle comporte.
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Source :
Insee, comptes État, SNF, ENF et emploi salarié ; CGE 2023
Voir rapport récent de la Cour calculant que, si elle résultait de critères pertinents, la compensation démographique aboutirait à une compensation du régime général au régime PCMR de 10 Mds d’euros.
L’écart entre le chiffre de 55 Mds d’euros cité par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale et le chiffre de 69 Mds d’euros au titre de l’année 2023 de la présente note semble lié aux subventions des autres régimes sociaux.
Voir Charles Dennery, Réformer (vraiment) les retraites, PUF, septembre 2024.
CNAF : excédents de 14 Mds d’euros hors transferts, Unédic : excédents de 3 Mds d’euros hors transferts, CNAM : -10 Mds d’euros hors transferts entre régimes sociaux et avec l’État.
Nette de la réduction d’un tiers des allocations chômage qu’elle applique à ses affiliés pour les points chômage.
Après et non avant subventions croisées entre administrations (109 Mds d’euros de plus que les dépenses publiques consolidées en 2024).
Il en est de même en comptabilité nationale. La solution première du règlement européen de comptabilité nationale de retenir seulement une fraction « raisonnable » de la rémunération comme cotisation et le reste en subvention, a été écartée en France. De ce fait, la prise en compte dans la valeur ajoutée non marchande, d’une rémunération des employés de l’État gonflée par l’intégralité de la contribution aux retraites PCMR, et CNRACL majore le PIB de 1,8% dans les comptes de la nation et le ratio dépense/PIB du même ordre de grandeur, sans impact sur le déficit.
Ce traitement des subventions aux retraites contraint fortement le reste de la dépense publique et fausse l’appréciation des résultats ou les comparaisons internationales. Dans la dépense intérieure d’éducation, par exemple, les surcotisations représentent environ 20% des 100 Mds d’euros de crédits que l’État alloue à ce domaine prioritaire en 2024. Pour la défense, elles représentent 15% de notre effort officiel de 2% du PIB, de manière non opérationnelle pour l’exécution des missions. La préférence au maintien d’un haut niveau de retraites a un effet d’éviction manifeste sur les dépenses de sécurité, d’attractivité du territoire ou d’avenir.
C’est pourquoi, il a été plusieurs fois proposé, notamment à la Cour, mais sans succès, de scinder dans les comptes de l’État la partie représentative d’une cotisation de droit commun (environ 20% de la contribution d’équilibre) et celle représentative d’une subvention (80%), sans allouer aux ministères employeurs la charge de la subvention, qui resterait centrale. Les textes actuels d’organisation des finances publiques ne l’interdisent pas. La même méthode serait appliquée dans les comptes locaux et hospitaliers (voir suggestion 4).
L’absence d’identification précise du besoin de financement du régime PCMR conduit enfin à ne jamais expliquer les causes précises du déficit du régime, attribué de manière trop imprécise à la démographie et de manière plus précise mais inexacte à la rigueur de la politique salariale et à la baisse des effectifs de l’État. Le besoin de financement existait pourtant il y a quarante ans déjà et les effectifs fonctionnaires de l’État et de ses opérateurs n’ont pratiquement pas baissé. En revanche certaines causes sont non décrites, telles que le changement de statut des administrations des Telecom et de La Poste, qui a privé l’État de 400.000 cotisants à taux élevé en laissant à sa charge 300.000 retraités sans compensation du régime général qui bénéficie ainsi d’une importante subvention de l’État non mesurée (voir suggestion 5).
Cet exemple est un de ceux qui montrent que les liens et la nécessité d’une compensation démographique quasi inexistante entre régimes8, imposent de considérer le déficit des retraites, dans sa globalité, secteur publics et privés rassemblés.
c. L’absence de retraitement des mouvements de fonds entre les domaines de la protection sociale
Bien que cela ne paraisse pas aussi clair, les subventions des autres régimes sociaux (17 Mds d’euros soit 20% des subventions aux régimes) font également entièrement partie du déficit de l’ensemble des administrations publiques car ils sont directement imputables aux retraites9, quels qu’en soient les motifs. En 2024, les autres branches de la Sécurité sociale et l’UNEDIC compensent en effet, par des subventions à des caisses de retraites, des prestations non contributives (majorations des pensions des retraités qui ont eu 3 enfants, 5,2 Mds d’euros), des cotisations non reçues des parents au foyer (5,6 Mds d’euros), des cotisations des régimes complémentaires non reçues pendant les périodes de chômage (3,7 Mds d’euros) ou bien encore des cotisations pour le compte des professions médicales et des auxiliaires médicaux, décidées à l’occasion de négociations de leurs tarifs (1,0 Md d’euros).
Les motifs distributifs10 de ces compensations (famille, chômage, maladie) expliquent que l’on ait demandé aux régimes d’utiliser une partie de leurs ressources de cotisations ou d’impôts, pour compenser des avantages des retraités liés à leur domaine d’intervention. Il n’en reste pas moins que c’est bien un supplément de dépenses de retraites ou une insuffisance de cotisations de retraites que compensent ces dispositifs, et non des prestations familiales, chômage ou maladie pour les attributaires de ces régimes. D’un point de vue global, la détérioration de l’excédent11 de la CNAF, de l’UNEDIC et l’aggravation des déficits de la CNAM, liées à ces compensations est bien une part du besoin de financement des administrations imputable aux retraites. Dans le cas particulier de l’UNEDIC, déficitaire pendant 13 ans, la compensation12 cumulée à l’AGIRC-ARRCO représente une part importante de la dette de 58 Mds d’euros du régime à la fin de 2024, garantie par l’État. Cette fraction a été une dette « retraites » et non une dette liée aux prestations « chômage » versées.
Les comptes des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale sont présentés et votés, après subventions de l’État ou subventions entre branches, ce qui ne permet pas de comprendre leur contribution au déficit d’ensemble des finances publiques. La Cour formule certes, chaque année, des critiques non suivies d’effet sur le caractère variable des affectations de recettes ou des répartitions de dépenses entre branches, qui représentent 8% des flux des régimes obligatoires. Ces mouvements retirent une large partie de la signification des soldes des comptes sociaux. Pour éviter la confusion, et même si les textes sur les lois de financement de la Sécurité sociale prévoient des comptes sur base individuelle, il ne serait pas interdit de produire des comptes par branche, retraités des mouvements de fonds, avant transferts de l’État ou des branches entre elles (voir suggestion 6).
L’information essentielle ainsi fournie au Parlement retraçant la contribution effective de chaque branche au déficit public d’ensemble des administrations, montrerait que des excédents, beaucoup plus importants que publiés, de la branche famille (qui subventionne les retraites) de la branche autonomie (qui subventionne les aides à l’autonomie et au handicap des départements) compenserait alors des déficits plus réduits de la branche maladie (qui prend en charge des dépenses de l’État, notamment pour les agences régionales de santé et santé publique France) avec un déficit très important de la branche vieillesse avant les surcotisations et subventions reçues de l’État ou celles des autres branches.
d. La répartition des déficits publics votée par le Parlement n’indique pas leur origine réelle
Les articles liminaires des LFI, LFSS et les lois de programmation présentent une répartition des dépenses publiques13 et des déficits entre les trois sous-secteurs des administrations (APUC – administrations publiques cen- trales ; APUL-administrations publiques locales ; ASSO – administrations de Sécurité sociale), soumise au vote du Parlement, essentielle pour comprendre la trajectoire des finances publiques.
Cette répartition concentre le déficit presque exclusivement sur l’État qui ne représente pourtant que 38% de la dépense, faussant l’opinion sur l’origine des déficits. Il présente des administrations de Sécurité sociale (43% des dépenses) toujours à l’équilibre ou en excédent, contribuant donc paradoxalement à réduire la dette publique. Cette présentation votée est affectée de trois biais importants :
– les dépenses par sous-secteurs publiées comprennent les mouvements de fonds entre catégories d’administrations, pourtant éliminés par nature dans la détermination du déficit. Il faut se reporter au détail fourni en annexes par l’Insee pour reconstituer les dépenses par sous-secteur hors ces mouvements, qui ne sont pas en lecture directe ;
– la prise en compte des recettes fiscales affectées à la CADES (CRDS et CSG), reclassée en 2011 des APUC vers les ASSO, fausse la présentation puisque ces recettes financent essentiellement des dépenses en capital et non les dépenses courantes de l’année. Les recettes de la CADES, établissement public de l’État, ne couvrent pas les prestations actuelles des régimes, mais le remboursement d’emprunts qui ont financé leurs dépenses du passé étalées dans le temps. Le solde des ASSO doit être ainsi corrigé de 16 Mds d’euros en 2024. Un caveat sur ce point, plusieurs fois relevé par la Cour, a d’ailleurs été récemment inscrit dans les articles liminaires mais il ne suffit pas ;
– le défaut de prise en compte du régime PCMR, dans les administrations de Sécurité sociale minore leurs dépenses de 63 Mds d’euros. Il est paradoxal que, parce qu’il est géré dans les comptes de l’État, un régime spécial de Sécurité sociale ne soit pas rapporté dans les administrations de Sécurité sociale. Il en serait autrement s’il était géré par une caisse séparée comme le prévoyait la réforme de 2019. Si les critères institutionnels de la comptabilité nationale l’interdisent, un commentaire pro forma informatif pour le Parlement devrait corriger, surtout dès lors que, couvert par des surcotisations de 44 Md€, le besoin de financement du régime PCMR dégraderait celui des ASSO du même montant et améliorerait légitimement celui de l’État d’autant.
La présentation votée par le Parlement minore donc de manière importante le poids très important de la protection sociale et surtout des retraites dans les finances publiques. Elle n’informe pas l’opinion sur l’origine des déficits publics.
La correction des trois éléments ci-dessus fait apparaître un déficit moitié moindre de l’État et un déficit récurrent, structurel des administrations de Sécurité sociale de l’ordre de -2,5% du PIB, essentiellement en raison de l’impact des retraites. Aucun texte sur l’organisation des lois de finances n’empêcherait de fournir une telle analyse pour un pilotage approprié des finances publiques (voir suggestion 7).
De plus, sur un domaine aussi vaste et éclaté que les retraites, un sous-secteur spécifique en comptabilité nationale se justifierait pleinement et apporterait une information essentielle (voir suggestion 1).
Tableau 4 : Origine des déficits publics dans les lois de financement
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La contribution des retraites au déficit public provient de 17 régimes représentant 70 % des prestations
Tableau 5 : Répartition approchée des besoins de financement par grand régime
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Source :
ITAF : Impôts et taxes affectés. Ce sont les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales, perçus par les administrations publiques affectés au financement de la protection sociale.
Liquidation unique des régimes alignés (LURA) pour les salariés.
À partir d’une répartition approchée, extraite des données du rapport à la CCSS, on constate que les deux régimes de fonctionnaires représentent 69% du besoin de financement (et 65% des subventions, le solde devant être emprunté par la CADES). Mais le régime général de base des salariés, représente 20% du besoin de financement (-17 Mds d’euros), en partie seulement expliqué par le financement qu’il apporte aux régimes agricoles par l’intégration14 et par compensation pour les exploitants. Les régimes spéciaux comptent pour 11%. Seuls les régimes complémentaires des salariés (Agirc-Arrco, Ircantec) ou des indépendants RSI ainsi que les régimes de base et complémentaires des professions libérales (CNAVPL) équilibrent leurs charges avec des cotisations ou des impôts (voir suggestion 8).
La couverture du besoin de financement par l’augmentation des cotisations ou par l’affectation d’impôts supplémentaires n’est pas une perspective réaliste
En plus des cotisations, les régimes reçoivent donc 139 Mds d’euros de ressources publiques dont 31 Mds d’euros pour alléger les cotisations des assurés
Tableau 6 : Répartition des ressources reçues par le système de retraites, au-delà des cotisations
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Pour les établissements publics de santé, ces coûts additionnels sont, in fine, pris en charge par l’Assurance maladie dans la tarification d’activité hospitalière dont les comptes portent implicitement une charge de subvention aux retraites de 4 Mds d’euros à ce titre.
Forfait social.
Heures supplémentaires, apprentissage, création d’entreprises, travailleurs occasionnels, aides aux personnes fragiles, et Outre-mer principalement.
Au-delà des cotisations à la charge des assurés, le périmètre des retraites est donc équilibré par un total de 139 Mds d’euros de ressources publiques en 2024, impôts affectés aux caisses de retraites ou subventions, qui, à défaut d’être affectés aux dépenses publiques de retraites, diminueraient les déficits publics ou seraient alloués à d’autres priorités. 63 Mds d’euros proviennent de l’État, 67 Mds d’euros de la Sécurité sociale et de l’Unedic et 9 Mds d’euros des collectivités locales et établissements publics de santé, employeurs de fonctionnaires15.
À hauteur de 31 Mds d’euros, ces ressources sont consacrées à alléger les cotisations (taux et assiette16) dans les dispositifs d’exonérations bas salaires en faveur de l’emploi, pour la part qui concerne la protection vieillesse et dans des dispositifs d’exonérations ciblées en faveur de certaines activités17. Les régimes sont compensés de ces allègements par l’affectation de différentes catégories d’impôts (3% de la TVA avec ajustements par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et 6 impôts et taxes affectés à la Sécurité sociale – voir annexe V) et par des dotations des ministères pour des exonérations ciblées. En se substituant aux cotisations au taux légal de droit commun de 28%, les ressources publiques abaissent de facto, le niveau des cotisations retraites effectivement versées par les assurés de 28% à environ 25%.
S’il fallait équilibrer les charges de l’ensemble des régimes obligatoires par les seules cotisations des bénéficiaires et non par les impôts affectés et les subventions, il faudrait alors relever de 13 points à 38%, niveau dissuasif, le taux des cotisations perçues soit 1,5 fois le taux réellement acquitté par les assurés, entreprises et salariés.
Le transfert d’impôts a trois objectifs, dont la couverture de déficits spécifiques à certains régimes
Les impôts affectés à ce titre ont augmenté au 1er janvier 2019, avec la transformation du CICE en allègement de cotisations et pour la première fois l’affectation de ressources de TVA au système de retraites pour l’Agirc-Arrco, précédent important.
La contribution tarifaire d’acheminement (CTA) payée par les usagers de l’électricité et du gaz ( 1,8 Md d’euros) pour les IEG ( 9 Mds d’euros de charges) et les droits sur les boissons de 3,3 Mds d’euros pour la MSA (8,1 Mds d’euros de charges).
Fonds de solidarité vieillesse.
Parmi les ressources qui s’ajoutent aux cotisations, des impôts et taxes affectés, de 57 Mds d’euros en 2024, ont pour objectif de couvrir à la fois les dispositifs d’exonérations bas salaires en faveur de l’emploi et d’exonération d’assiette (26 Mds d’euros18), les dépenses non-contributives du régime général de base des salariés essentiellement (26 Mds d’euros), avec notamment l’affectation de 21 Mds d’euros de CSG) , mais aussi la couverture pour 5 Mds d’euros des besoins de financement spécifiques des deux régimes des industries électriques et gazières (IEG)19 et des exploitants agricoles (MSA). Ces deux cas étaient jusqu’à présent des exceptions.
À la suite de la réforme d’avril 2023, dans le schéma d’adossement à la CNAV de quatre régimes déficitaires sans réserve financières (SNCF, RATP, Mines et ex-SEITA), l’État affectera à cette caisse de nouvelles recettes fiscales couvrant la charge nette des quatre régimes à hauteur de 5,2 Mds d’euros en 2025. Ce sera le troisième cas d’impôt explicitement affecté pour couvrir des déficits spécifiques.
L’adossement à la CNAV aurait pu être financé comme auparavant par des subventions. Il existe en effet un risque de traçabilité à terme et de moindre maîtrise sur les ressources ainsi transférées, pour quatre entités, sur la très longue période d’extinction des régimes fermés aux seuls nouveaux entrants. Mais d’un point de vue comptable et financier, la contribution spécifique des retraites au déficit des administrations en 2025 sera réduite de 5 Mds d’euros par cette opération, grâce à la substitution d’impôts par des subventions.
La possibilité de substitution d’impôts aux subventions, qui réduit le déficit attribuable aux retraites et détériore celui de l’État, justifie, pour le Conseil d’orientation des retraites le caractère « conventionnel » du solde qu’il publie, par sa « contingence » à une décision de l’État d’affecter plus d’impôts et moins de subventions, sans changer le déficit d’ensemble des administrations.
Cette contingence n’est pas démontrée puisque l’État ne l’a pas fait, ou marginalement, dans le passé. Historiquement, des impôts ont été transférés d’abord pour financer des dépenses non contributives (CSG du FSV20), puis uniquement pour abaisser le coût du travail. Le solde conventionnel du COR est donc établi par rapport à ce qui pourrait survenir, non par rapport à la réalité financière passée et actuelle du financement des régimes.
La substitution d’impôts aux subventions ne serait pas plus réaliste
Il est probable que l’État n’ira pas dans la voie d’un transfert important d’impôts affectés aux retraites, en raison de la taille même du besoin de financement du système des retraites ; ne conservant plus qu’environ 45% du produit de la TVA comme recette principale21, l’État aura des difficultés à couvrir significativement les besoins de financement des retraites de 81 Mds d’euros par d’importants transferts de cet impôt ; parce que 55% des besoins de financements des retraites sont déjà dans les comptes de l’État (PCMR) et non susceptibles d’être financés par un impôt transféré, sauf à réexaminer, comme le prévoyait le projet de loi de 2019, l’opportunité de la création d’une caisse de retraites juridiquement séparée et financée par un impôt affecté ; si cette solution était cependant envisagée, celle-ci figerait durablement la part non contributive du système de retraites. Pour l’acquisition de droits à la retraite, le contribuable se substituerait à l’assuré actif pour longtemps à hauteur d’un tiers. Un tel financement modifierait ouvertement la nature des régimes, qui évolueraient de l’assurance contributive à partir des revenus d’activité vers un régime d’aide par le contribuable ; mais surtout parce qu’une telle décision ne changerait ni l’impact sur les déficits d’ensemble des administrations, ni l’effet d’éviction sur d’autres domaines de l’action publique (éducation, défense, sécurité, attractivité du territoire, transition climatique, couvertures maladie, famille et autonomie) qu’exerce la protection sociale vieillesse avec 139 Mds d’euros de ressources publiques affectées pour compléter les cotisations des assurés. Pour la part de l’État, ceci représente 20% de ses produits fiscaux régaliens22 actuels et pour les administrations de Sécurité sociale, 10% de tous les produits qui lui sont affectés. La « contingence » évoquée par le COR a ainsi peu de chance de se matérialiser.
La communication publique sur les retraites n’informe pas suffisamment l’opinion de la générosité du système23
Le manque d’informations sur les dépenses non contributives
Maxime Sbaihi et Erwann Tison, « Les retraites et l’équité entre générations : histoire d’un déni », La grande conversation, 27 octobre 2024 [en ligne].
Des dispositifs légaux non contributifs ou distributifs, qualifiés communément de solidarité, ont été décidés et accrus au fil du temps, notamment à l’occasion de chaque réforme, en contrepartie des mesures d’âge ou de durée de cotisations. Cette solidarité est très étendue : elle concerne, au moins à un titre, 94% des retraités, puisque nombreux sont ceux qui ont eu des charges de famille ou ont connu des périodes d’interruption de carrière. Pour la moitié des retraites au-dessus de la médiane, ces avantages représentent 18% des prestations reçues. Les avantages distributifs représentent entre 14% et 20% des charges totales des régimes.
On peut regrouper généralement cette partie des prestations retraites en six catégories :
1. minimas de pensions au-delà de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ;
2. avantages familiaux de plusieurs natures ;
3. départs anticipés pour les militaires et les catégories actives des fonctions publiques et des régimes spéciaux avec des majorations de durée de cotisations ;
4. compensation des périodes d’inactivité qui ne se résument pas au chômage et à la maladie mais couvrent aussi les préretraites, la reconversion, la formation ;
5. départs précoces pour carrières longues ;
6. liquidations à taux plein pour invalidité ou inaptitude.
Les compensations sur ressources publiques sont calculées précisément par les caisses (CNAV et Agirc-Arrco) et ces compensations sont portées en recettes. Mais elles ne sont pas inscrites en charges comptables. Leur évaluation par chaque régime, quand elle existe, n’est pas publiée. Pour les régimes des fonctionnaires ou les autres régimes spéciaux, il semble que ces avantages ne soient pas valorisés et s’ils le sont, l’information n’est pas rendue publique.
Bien qu’il soit explicitement compensé sur ressources publiques, le poids de ces dispositifs n’est que rarement analysé, en pratique une fois tous les cinq ans, par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles de France), sur la base d’un échantillon interrégimes de retraités datant de quatre années antérieures. La dernière étude date de fin 201924 et porte sur l’année 2016. Quantifier les dispositifs non contributifs dans les retraites est un exercice également qualifié de « conventionnel » par cette étude. L’estimation de la DREES fournit une borne basse (acception stricte) qui exclut les carrières longues, le taux plein au titre de l’inaptitude ou de l’invalidité et les effets de calcul des trimestres non cotisés sur le taux de liquidation de la pension. Il fournit aussi une borne haute (acception large) qui comprend ces éléments et ne corrige pas des effets mécaniques des trimestres non cotisés sur le taux de liquidation.
Les financements publics qui sont motivés explicitement par ces dispositifs (FSV/CSG, subventions CNAF et Unédic ou subventions des employeurs publics par construction à 100%) semblent ne couvrir que l’acception stricte de ces dépenses.
Si néanmoins l’on projette de manière très approchée sur l’année 2024, les résultats de 2019, relatifs à l’échantillon 2016, les dépenses non contributives pourraient atteindre entre 58 Mds d’euros (acception stricte) et 81 Mds d’euros (acception large). Après avoir hésité, le COR s’est prononcé dans une étude ancienne en faveur d’une acception large. Dans celle-ci, le régime général des salariés (base et complémentaire), prendrait à sa charge environ 54 Mds d’euros par an dont 45 Mds d’euros pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), tandis que les deux régimes de fonctionnaires en porteraient au total environ 19 Mds d’euros. La part des dépenses non contributives dans les charges totales du régime PCMR (20%) et de la retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers – CNRACL (23%) excède celle du régime général (base et complémentaire) de respectivement 5 points et 8 points, en termes comparables (hors trimestres assimilés des périodes de chômage).
Tableau 7 : Estimation approchée selon l’étude des dépenses non contributives de janvier 2020
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Source :
DREES janvier 2020 sur échantillon 2016 appliqué CCSS 2024
L’absence d’estimation par chaque régime de compte rendu annuel et de publication et de revue régulière dans le cadre des lois de financement reste très surprenante alors que ces dispositifs sont en principe compensés par les ressources publiques d’impôts et de subventions et atteignent un montant équivalent aux deux tiers des aides de l’État et des collectivités locales aux populations fragiles et défavorisées.
Ils ajoutent entre 16% et 25% aux droits contributifs sans que l’importance de la partie distributive des retraites et donc la générosité du système, ne soit jamais soulignée ni vraiment communiquée dans les débats publics. La réforme de 2019 comprenait des dispositions importantes à ce titre, qui avaient prévalu lors de la création du fonds de solidarité vieillesse mais avaient été perdues de vue (voir suggestion 9).
L’absence de comparaison internationale de la générosité des systèmes de retraites par répartition dans les comptes rendus financiers
Maxime Sbaihi et Erwann Tison, op. cit.
La comparaison internationale, absente des études d’impact de 2019 et de 2023 et jamais utilisée dans la communication publique, montrerait que non seulement le retraité français se voit offrir une durée plus longue à la retraite, mais qu’il bénéficie aussi d’une retraite supérieure aux retraites obligatoires par répartition dans les pays comparables. Le niveau est aussi très supérieur à celui dont bénéficiaient ses parents et hélas aussi supérieure à celle de ses enfants (voir suggestion 10)25.
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Source :
OCDE, « Pensions at a Glance », édition 2023, cité par Bertrand Martinot, « La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ? », Fondapol, novembre 2024 [en ligne].
Les 10 suggestions pour une meilleure transparence des comptes rendus financiers
• Suggestion 1 : délimiter un domaine spécifique des unités institutionnelles retraites dans les comptes de la nation ;
• Suggestion 2 : en parallèle au solde conventionnel actuel, publier aussi un solde dans le rapport du COR, montrant le besoin de financement du système avant subventions ;
• Suggestion 3 : publier dès le rapport de mai à la CCSS une agrégation de tout le périmètre des retraites de base et complémentaire ;
• Suggestion 4 : scinder dans le CAS pension la part cotisation employeur et la part subvention, comptabiliser la première seulement en charges de personnel et la seconde dans la mission régimes sociaux et de retraites. Faire de même dans les comptes des opérateurs et des employeurs locaux ou hospitaliers. En tirer les conséquences dans le référentiel des comptes de la nation (rémunération ou transfert). Dans un premier temps, fournir l’information sur base statistique ;
• Suggestion 5 : mesurer la subvention implicite au régime général des salariés privés (base et complémentaire) du fait du changement de statut des personnels de France Télécom-Orange et La Poste non compensé à l’État ;
• Suggestion 6 : en marge du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), fournir des comptes de chacune des branches de la Sécurité sociale avant transferts en dépenses et en recettes pour déterminer la contribution effective de chacune d’entre elles au déficit des administrations
consolidées ;
• Suggestion 7 : modifier la présentation des articles liminaires des lois de financement et le périmètre des sous-secteurs dans les lois de programmation ;
• Suggestion 8 : publier un tableau des besoins de financement par grand régime avant subventions ;
• Suggestion 9 : comptabiliser ou si ce n’est pas possible estimer et publier par régime les avantages distributifs intégrés aux prestations de retraites et procéder à des revues régulières de ces avantages à l’occasion des lois de financement ;
• Suggestion 10 : associer à la publication des compte rendus financiers des retraites et à leur communication par le gouvernement, un niveau expertisé des prestations comparées avec les pays de même niveau de développement, sur le modèle des statistiques publiées par exemple par l’OCDE (étude tous les deux ans appelée Pensions at a Glance).
Conclusion
En ne montrant pas la contribution réelle des retraites au déficit public actuel, les comptes rendus financiers compromettent ou rendent plus difficiles les tentatives de réforme du système, comme ils l’ont fait en 2019 et en 2023. Ils empêchent une prise de conscience par l’opinion de l’enjeu financier associé. La simple projection d’un avenir difficile à cinq ans et surtout à quarante-cinq ans ne suffit pas. Le futur ne peut éclipser le présent, l’amélioration attendue des mesures d’âge et du taux d’emploi, nécessairement lente à se matérialiser, ne peut occulter l’endettement immédiat, et les conventions ne peuvent ignorer les flux comptables.
Ne pas vouloir souligner que cet impact sur les finances publiques provient non seulement d’un âge effectif de départ plus précoce qu’ailleurs, mais de la générosité comparée du système, rend très difficile l’évolution vers un meilleur équilibre.
C’est pourquoi, dans le cadre actuel des lois d’organisation des lois de finances, une modification des pratiques comptables et des présentations du domaine des retraites visant une réelle transparence, paraissent être une étape indispensable.
Annexe I
Constituer un compte exhaustif et clair de l’ensemble des retraites obligatoires
Il n’existe pas de document public présentant une consolidation comptable de toutes les retraites obligatoires. Cette information n’a même pas été publiée dans les études d’impact des deux réformes des retraites de 2019 et 2023. Les régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale (294 Mds d’euros de charges 2024) et les régimes obligatoires complémentaires (121 Mds d’euros de charges) ne sont jamais rassemblés dans un compte unique pour constituer une branche vieillesse complète. Le fait que le Parlement ne vote pas les charges et les produits des retraites complémentaires, n’interdit nullement de présenter un compte des retraites exhaustif. La présente annexe tente de reconstituer ce compte de manière approchée.
Dans les deux premières versions de l’année (mai et septembre), le rapport à la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS), une source détaillée et informative, donc preuve qu’aucune intention de dissimulation n’existe, fournit des éléments comptables par régime, sur le périmètre des retraites obligatoires de la Sécurité sociale. Il reprend des comptes simplifiés pour tous les régimes de retraites, tels que transmis à l’administration, en harmonisant partiellement leur présentation et en les commentant très utilement. Ce document est publié deux fois par an, mais sans les retraites complémentaires. Ce n’est qu’à la fin de l’année qu’est publié un complément tardif, mais indispensable à une vision globale, comprenant alors aussi les régimes de retraites complémentaires.
Cette ultime version du rapport fournit aussi deux sous-consolidations séparées des retraites obligatoires de base de la Sécurité sociale ainsi que les retraites complémentaires, mais sans aller jusqu’à regrouper les deux types de régimes dans un compte unique.
Il n’est pas compréhensible qu’une information comptable, disponible dès le printemps, ne ne soit pas fournie dans le rapport du COR sous la forme d’un compte unique pour l’ensemble du périmètre (base et complémentaire).
À partir des mêmes informations, le rapport annuel du COR de juin, dans sa deuxième partie, est le seul à proposer une agrégation en théorie exhaustive, des deux types de régimes. Mais cette agrégation est peu détaillée et comporte cinq lacunes :
– premièrement, elle retraite les comptes pour en éliminer les flux financiers ;
– deuxièmement, elle ne publie pas le détail par régime ;
– troisièmement, le périmètre choisi du rapport annuel du COR est différent du rapport à la CCSS :
• parce qu’il est géré en capitalisation, l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), est volontairement omis, alors qu’il est organisé par un établissement public de l’État, couvrant obligatoirement tous les fonctionnaires (2,1 Mds d’euros de cotisations et 0,5 Md d’euros de prestations payées avant mise en réserve) ;
• six petits régimes spéciaux significatifs (Assemblée et Sénat, ex-Seita, Opéra et Comédie française, Sapeurs-Pompiers volontaires, comptant pour 0,4 Md d’euros de charges totales) sont également omis ;
• jusqu’en 2024, au moins, était aussi omis un régime complémentaire obligatoire des prestations complémentaires vieillesse (PCV) de cinq professions de santé, géré par la CNAVPL (1,5 Md d’euros de charges, auquel la CNAM cotise à hauteur de 0,8 Md d’euros).
Les charges prises en compte par le COR en 2023 représentent donc 97%, et les produits 96%, des agrégats rapportés à la CCSS (écart de 0,3% du PIB).
Tableau 9 : Comparaison agrégats COR et CCSS
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Des prévisions détaillées par régime ont été faites dans une production spécifique importante, en juillet 2024, mais elles ne retracent pas le détail de la situation actuelle et passée.
La caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) fédérant dix caisses différentes et y compris le service de l’allocation de solidarité aux personnes âgées-SASPA, pour les non affiliés, géré depuis 2020 par la Mutualité sociale Agricole-MSA.
Jean-Pierre Viola (dir.), « Rapport à la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Résultats 2023. Prévision 2024 et 2025 », commission des comptes de la Sécurité sociale, octobre 2024, pp.19 et 243 [en ligne].
Au taux légal plafond élevé en France de 28%.
– Quatrièmement, des détails étaient autrefois fournis en annexe par les précédents rapports du COR sur les ressources par régime, mais non sur les charges. Ils étaient exprimés sous forme de % infinitésimaux du PIB et non en euros, ce qui en rendait la lecture inutilement difficile par le passé en raison des ajustements successifs du PIB dans le temps. Ces données ont disparu des annexes depuis 202326 pour faire place à des regroupements par grandes catégories de régimes non détaillées.
– Dernièrement, en produisant un solde « conventionnel » qui suppose les régimes préalablement équilibrés par l’État employeur, par ses opérateurs, par les collectivités locales et les établissements publics de santé, par des subventions directes de l’État, et par des transferts des autres caisses de protection sociale (CNAF, Unédic, CNAM, CNAM-AT, CNSA), le rapport du COR efface les besoins de financement des retraites, ceux-ci étant laissés à la charge des autres collectivités publiques versantes. Contrairement aux autres branches de la protection sociale, le déficit des retraites est localisé ailleurs que dans la branche.
Par conséquent, on ne peut pas se fonder sur les rapports du COR pour caractériser précisément la situation actuelle des retraites.
À partir du rapport à la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) publié en octobre 2024, la présente note tente une consolidation approchée avec le plus de précision possible, en reprenant les données comptables de quarante-trois régimes27 et en les reliant aux deux regroupements présentés pour les régimes de base et complémentaires28, en éliminant ensuite les flux entre ces deux sous-ensembles.
Pour reposer sur des classements pertinents, cette opération suppose une homogénéité et une clarté dans la définition des ressources des différents régimes. En effet, la diversité et la spécificité des dénominations, traditionnellement utilisées pour décrire les ressources des régimes sociaux, dans les LFSS et le rapport à la CCSS, prêtent à confusion, soit sur l’origine, soit sur la nature de ces concours :
– le terme « transferts » recouvre à la fois des affectations d’impôts au travers de la CSG-FSV et des subventions provenant des autres régimes, des subventions de l’État et des flux d’adossement entre régimes ;
– les « contributions d’équilibre » de l’employeur sont présentées pour l’État et pour la Banque de France (48,8 Mds d’euros en 2024) mais pas pour d’autres employeurs de fonctionnaires qui surcotisent aussi, les opérateurs de l’État, EPA, les collectivités locales et les établissements publics de santé ;
– les « recettes fiscales » des régimes complémentaires se limitent aux droits sur les boissons affectés au régime des exploitants agricoles (0,6 Md d’euros) alors que l’affectation de 3% de la TVA à l’Agirc-Arrco (6,5 Mds d’euros) transitant par l’Urssaf-Caisse nationale n’apparaît pas comme telle et est décrite sous l’intitulé « cotisations prises en charge par l’État » ;
– les « cotisations prises en charge par l’État » comprennent aussi des subventions directes pour compenser des exonérations ciblées de cotisations et le transfert de compensations d’allègements de cotisations de la CNAV à l’Agirc Arrco au travers de l’Urssaf-caisse nationale.
Pour établir le compte d’ensemble, absent des rapports publics, on procède donc à des reclassements des produits à partir du détail des régimes. Par souci de clarté et de simplification, on retiendra seulement quatre catégories de produits homogènes, finançant le système sous des dénominations compréhensibles pour un lecteur non averti :
1. cotisations29 ;
2. impôts transférés ;
3. autres recettes propres ;
4. subventions, ces dernières étant définies comme un flux entre les administrations concernées, sans contrepartie en biens ou services échangés.
Le tableau ci-dessous fournit cette agrégation. Ce type de tableau, dans une version finale, pourrait être présenté chaque année au printemps et être utilisé par l’ensemble des acteurs des débats.
Tableau 10 : Reconstitution approchée de la consolidation base et complémentaires selon données CCSS
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Annexe II
Le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État-FSPOiE-Ouvriers de l’État qui fait l’objet d’une subvention de 1,5 Md d’euros de l’État est compris dans la catégorie des autres régimes spéciaux.
Cotisations « calculées » pour PCMR pour équilibrer le régime. Lorsqu’un employeur gère directement un régime de retraites en l’absence de caisse externe autonome, les règles internationales de comptabilité (SEC2010) l’obligent, pour des raisons de comparabilité internationale, à calculer une cotisation fictive ou imputée qu’il se verse à lui-même.
NBI, nouvelle bonification indiciaire ; CTI, complément de traitement indiciaire ; ISS Police, IR douanes, IMT finances.
L’incidence des deux régimes de fonctionnaires sur le déficit des administrations publiques
L’importance des surcotisations
Quatre catégories d’administrations, employeurs de fonctionnaires (État, opérateurs de l’État, collectivités locales et établissements publics de santé) surcotisent à deux régimes de retraites de fonctionnaires, régimes spéciaux de Sécurité sociale, pensions civiles et militaires de retraites de l’État (PCMR) et Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), inclus dans la branche vieillesse telle que votée en LFSS, après neutralisation de l’essentiel de leur besoin de financement30.
Pour équilibrer totalement ou partiellement ces deux régimes de 64 Mds d’euros et 29 Mds d’euros de charges, des taux de cotisations très supérieurs à ceux du régime général sont calculés31 ou appliqués aux traitements bruts des fonctionnaires. Contrairement à une analyse répandue, ces cotisations concernent aussi environ 2,1 Mds d’euros d’indemnités et de primes de la fonction publique d’État32 (soit plus de 10% des rémunérations accessoires versées par l’État), certains corps de policiers, de militaires et d’agents des finances cotisant et recevant aussi des retraites sur leurs rémunérations accessoires. Ce point n’est jamais mentionné ou pris en compte.
Les taux de cotisations calculés ou réels des régimes de fonctionnaires s’écartent depuis longtemps et de plus en plus des taux légaux de droit commun, fixés par la loi en 2014 et figés pour l’avenir, dans le projet de loi sur le système universel de retraites (SUR) de 2019. Ce taux légal, au niveau plafond de 28%, et parfois en dessous (professions non salariées), s’applique à environ 85% des personnes actives françaises en emploi. Les deux catégories de taux de cotisations ont évolué comme suit depuis 2006 :
Tableau 11 : Évolution des cotisations (employeur et salarié) des régimes de la fonction publique
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Source :
Relevé Insee des taux de cotisations, NEB Cour des Comptes, CAS Pensions et Jaune Pensions 2023.
« Les comptes de la Nation en 2023. Comptes nationaux annuels – base 2020 », Insee, 31 mai 2024 [en ligne].
Règlement (UE) no 549/2013 qui établit le système européen de comptes 2010 (SEC 2010) : article 17-139.
« Principaux agrégats fiscaux de la comptabilité nationale », Eurostat, 22 janvier 2025 [en ligne].
CADES : caisse d’amortissement de la dette sociale, établissement public administratif de l’État, créée en 1996 pour refinancer à long terme la dette des institutions de Sécurité sociale grâce au prélèvement d’une taxe de 0,5% sur tous les revenus. Lors de la reprise, la dette devient une dette indirecte de l’État malgré sa dénomination de dette sociale.
« Pensions at a glance 2023 : OECD and G20 Indicators », OCDE, 2023 [en ligne] ; Bertrand Martinot, La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites, Fondapol, novembre 2024 [en ligne].
Rapport entre la retraite versée et les rémunérations totales d’activité.
La nécessité d’équilibrage accru des charges de la CNRACL, comme l’obligation d’équilibre du compte d’affectation spéciale pensions, vont conduire, en 2025, à aggraver de 4% des traitements bruts des cotisations ainsi calculées (État) ou versées par les opérateurs de l’État, ou les employeurs locaux et hospitaliers de fonctionnaires. D’autres augmentations de 8 points supplémentaires suivront pour la CNRACL. La croissance des cotisations à un taux exorbitant du droit commun va à l’encontre de la transparence, puisqu’elle n’identifie pas le besoin de financement précis du régime. En outre, ne sont pas comptées dans le tableau ci-dessus, les cotisations de 2,1 Mds d’euros versées par les employeurs publics et retenues sur les primes des fonctionnaires pour le régime complémentaire obligatoire de l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP), qui logiquement devraient être aussi ajoutées pour une comparaison avec le régime de base et complémentaire des salariés privés. En proportion des traitements bruts, elles ajouteraient 4,1% aux taux appliqués aux traitements des trois fonctions publiques, les portant alors en 2025 à 105,4% pour l’État, 93,8% pour les EPA et 51,2% pour les collectivités locales et établissements publics de santé, uniquement pour la couverture retraites de leurs agents.
Le financement des régimes des fonctionnaires n’est pas correctement présenté dans les comptes publics et masque leur contribution au déficit d’ensemble des administrations
Dans le rapport CCSS, la charge de l’équilibrage par l’État est mentionnée sous une ligne particulière de « contribution d’équilibre de l’employeur ». Ceci indique qu’il s’agit, au moins en partie, d’une subvention. Pourtant, l’État refuse d’identifier dans le CAS Pensions, la part de sa contribution de 48,3 Mds d’euros en 2024 qui représente une cotisation, et la part qui représente une subvention, la première selon une norme du reste de l’économie (28%) pour acquérir un droit à la retraite, et l’autre au-delà pour équilibrer la situation du régime. Le vrai besoin de financement n’apparaît donc pas. Il représente environ 80% du montant de la contribution d’équilibre.
Dans les comptes de l’État, la charge de pension n’apparaît pas dans la mission « régimes sociaux et de retraites » du budget qui porte pourtant des subventions aux autres régimes spéciaux. Elle est identifiée et comptabilisée comme une charge de personnel et fait partie de la masse salariale totale du personnel actif (148 Mds d’euros nets en 2023). De ce fait, les charges sociales y compris les pensions de l’État, relatives aux fonctionnaires et contractuels, atteignent 68 Mds d’euros, dont 55 Mds d’euros (employeur et salarié) au titre des retraites, sur 80 Mds d’euros de rémunérations totales (primes comprises) versées en 202333. Le taux de charges sociales de l’État est donc de 85% contre 43% pour la moyenne des autres salariés français. La masse salariale par employé actif de l’État (fonctionnaire et contractuel) ressort à environ 72.000 euros34 ou 75.000 euros par agent contre 48.000 euros pour les autres salariés français. La différence, qui n’est pas expliquée par une valeur ajoutée moyenne d’un fonctionnaire supérieur de 50% à celle d’un salarié privé, traduit le caractère inadéquat de ce mode de comptabilisation, qui par ailleurs, contraint fortement les évolutions des dépenses des ministères et fausse les comparaisons internationales, en particulier en matière de dépenses d’éducation et de défense.
De même, en comptabilité nationale, l’absence de séparation entre cotisations et subventions (transferts) fausse significativement les résultats publiés : l’agrégat du PIB et le ratio dépenses publiques à PIB sont majorés de 1,5% du PIB environ par la prise en compte de rémunérations pour seuls les fonctionnaires de l’État, qui sont en réalité des subventions d’équilibre.
En effet, de manière à assurer la comparabilité avec un régime externe, la norme internationale35 impose, comme pour tout régime géré directement par l’employeur sans recours à une caisse autonome, de comptabiliser une cotisation dite « imputée » ou fictive, qu’il se verse à lui-même. Dans le cas des administrations publiques qui gèrent directement des pensions et à défaut d’évaluation actuarielle, le mode de calcul de cette cotisation est prescrit selon deux méthodes : soit sur la base d’un pourcentage « raisonnable » des salaires versés, qui en France serait de 16,5% , soit comme la différence entre les prestations courantes à payer et les cotisations effectives (retenues sur traitements) perçues par le régime. C’est la deuxième solution qui a été choisie, conduisant à considérer toute la contribution d’équilibre comme une cotisation, c’est-à-dire une rémunération du fonctionnaire actif dans le référentiel de la comptabilité nationale.
La conséquence est que l’ensemble de la contribution d’équilibre concourt à la valeur ajoutée non marchande dans l’économie et majore l’agrégat du PIB à due concurrence, de 1,5% du PIB. Payée d’une part au salarié qui la rétrocède au régime, et finançant par ailleurs des prestations versées aux retraités, la subvention majore le ratio dépense à PIB, également surévalué de 1,5%, sans incidence sur le solde. Résultat de ce choix, dont on peut questionner le caractère « raisonnable », Eurostat considère que le reversement par le salarié actif au régime de la cotisation employeur est un prélèvement obligatoire, alors que la France, qui reste maître de sa définition, ne comprend pas dans les prélèvements obligatoires ces cotisations reversées car elles sont fictives. Pour cette raison, les taux de prélèvements obligatoires d’Eurostat excèdent de 1,5% du PIB36 ceux publiés par la France.
Les opérateurs de l’État, établissements publics administratifs (EPA), dont le fonctionnement est presque totalement à la charge du budget de l’État (Universités, CNRS, CEA, etc.), emploient environ 200 000 titulaires, essentiellement civils, de la fonction publique de l’État, détachés ou mis à disposition. Le taux de cotisation (employeur et salarié) appliqué aux EPA est le même que celui de l’État, soit 85,4%. Le montant de la contribution employeur de ces opérateurs au régime est de l’ordre de 6,1 Mds d’euros en 2023 et de 6,3 Mds d’euros en 202437. Pourtant le rapport à la CCSS, comme celui du COR, ne décrit pas cette recette sous la dénomination de « contribution d’équilibre » comme il le fait pour l’État, impliquant alors une part de subvention, mais comme une « cotisation ».
Un reclassement des produits du compte global des retraites est donc nécessaire par réduction des cotisations de 4,5 Mds d’euros en 2023 et de 4,7 Mds d’euros en 2024 et par prise en compte de subventions d’égal montant, en réalité à la charge indirecte de l’État pour l’essentiel.
Les collectivités locales et les établissements publics de soins cotisent pour leurs titulaires à la CNRACL à un taux de 42,8% (employeurs et salariés), soit 15 points supérieurs à celui du régime général des salariés (base et complémentaire). Le rapport à la CCSS, comme celui du COR, ne décrit pas cette recette sous la dénomination de « contribution d’équilibre » mais sous celle de cotisation. Malgré l’importante subvention incorporée, la caisse enregistre des résultats négatifs de -2,5 Mds d’euros en 2023 et -3,4 Mds d’euros en 2024. Cette situation a fait l’objet d’un rapport de l’IGAS et de l’IGF en mai 2024, à la suite duquel il a été décidé de relever de 4% le taux de cotisation à la charge des employeurs locaux et hospitaliers, puis de 8 points supplémentaires, localisant un peu plus le déficit du régime dans des administrations tierces, sans l’identifier.
La CADES38 a repris les emprunts de la CNRACL de 2018 et 2019. Les déficits des années ultérieures, soit 7,1 Mds d’euros entre 2020 à 2023, ne font pas encore l’objet d’une reprise et sont financés par des emprunts à moins d’un an auprès de l’Urssaf-Caisse nationale.
Dans le cas de la CNRACL aussi, il faut donc aussi corriger les produits inscrits en cotisation dans le compte d’ensemble des retraites, par réduction de 8,3 Mds d’euros en 2023 et 8,8 Mds d’euros en 2024 et addition de subventions d’égal montant, à la charge des collectivités locales et des établissements publics de soins, pour ces derniers compensés par la branche maladie.
La ligne de partage du taux de 28% entre cotisations et subventions est difficile à contester
L’utilisation du taux légal de cotisation de 28% du régime général des salariés est une référence très élevée pour les retraites obligatoires par répartition, troisième en niveau dans l’Union européenne après l’Italie et l’Espagne, et 9% plus élevée qu’en Allemagne39. Même en France, elle est considérée comme trop élevée puisque l’État compense en 2023 à la branche vieillesse 25 Mds d’euros d’allègements généraux sur les bas salaires et d’exonérations d’assiette (forfait social) par affectation d’impôts. Ceci ramène le taux facial des cotisations du régime général (base et complémentaire) de 28% à environ 25% réellement supportés par les assurés, les entreprises et les salariés.
Il est parfois suggéré que la différence d’assiette justifierait un rehaussement de la référence de 28% à hauteur de la proportion des primes dans la rémunération des fonctionnaires. Comme présenté devant le COR dans la séance du 21 septembre 2023, ce raisonnement ne peut être retenu, dès lors que les retraites PCMR et CNRACL sont aussi liquidées sur la seule assiette du traitement et que les taux moyens de remplacement40, donc sur la totalité de la rémunération, sont supposés proches entre le privé et le public selon les analyses COR et DREES. Un rehaussement de la référence de 28% pour tenir compte de la différence d’assiette supposerait en outre de reconnaître que le taux des retenues sur traitement des fonctionnaires à 11,1%, qui ont presque convergé dans le temps avec les cotisations salariales privées de 11,3%, devrait aussi être rehaussé de 3,5 points pour passer à 14,6%.
Au total, l’État calcule pour lui-même ou inflige à ses opérateurs, aux collectivités et hôpitaux des taux de cotisations deux à trois fois plus élevés que ceux qu’il estime trop élevés pour les entreprises. Bien entendu, les spécificités des régimes expliquent l’équilibrage par l’État, mais ce financement ancien et durable pourrait être précisément identifié avec ses motifs légitimes et par des subventions spécifiques transparentes, mettant en évidence les particularités des régimes fonctionnaires comme pour les autres régimes spéciaux.
À cet égard, la référence de 28% paraît la plus objective. Elle est facile à réaliser par l’inscription de subventions d’équilibre ciblées par écriture d’ordre dans le CAS Pensions et rien dans les textes institutifs du CAS Pensions n’interdirait de le faire. Par le passé, cette clarification indispensable a déjà été proposée sans succès plusieurs fois au Gouvernement et à la Cour des comptes. Les collectivités locales et les hôpitaux auraient la même obligation dans leurs comptes.
L’incidence des deux régimes de fonctionnaires sur le déficit des administrations publiques
Tableau 12 : Besoin de financement des deux régimes principaux de fonctionnaires
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Et d’agents de la Banque de France.
Yannick Le Guillou et al, « Situation financière de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales : Bilan », IGAS-IGF, 27 septembre 2024 [en ligne].
Les surcotisations aux régimes de retraites des fonctionnaires41 de 53 Mds d’euros couvrant un déficit de 56 Mds d’euros, masquent les deux tiers du besoin de financement consolidé des retraites.
L’absence d’explications précises du besoin de financement du régime PCMR
Si le besoin de financement de la CNRACL est relativement bien expliqué42, celui du régime PCMR, qui représente une part importante du déficit des administrations publiques, ne fait pas l’objet d’analyses précises et satisfaisantes. Pourquoi est-il nécessaire de cotiser à 97%, avec un surcoût de 44 Mds d’euros pour l’État, pour équilibrer les retraites des 2,5 millions de pensionnés de l’État, alors que le prélèvement déjà élevé sur les actifs est de 28% pour financer les 15,2 millions de pensions du régime des salariés privés (base et complémentaire) ?
Le défaut de réponse satisfaisante tient d’abord au fait que ce besoin de financement n’a, jusqu’à présent, pas été mesuré par rapport à une référence objective. Il est en effet neutralisé dans les comptes de la branche vieillesse de la Sécurité sociale et dans le compte rendu du COR. Le rapprochement plusieurs fois tenté par le COR entre les taux calculés pour PCMR et ceux des autres régimes s’est avéré inexact et a été supprimé du rapport annuel en juin 202443.
Les explications données s’en tiennent généralement à la seule constatation d’un rapport démographique défavorable du régime de la fonction publique d’État (0,9 cotisants pour 1 retraité) ou bien aux économies qu’auraient réalisées l’État au fil du temps sur la masse salariale de ses fonctionnaires actifs, en aggravant concomitamment le besoin de financement du régime de retraites.
Or, on constate que l’importance de la contribution d’équilibre de l’État au régime a été constante depuis 40 ans. Elle est mesurée approximativement par la part dans le PIB que représente la cotisation « imputée » aux retraites FPE dans les comptes de la nation, inchangée depuis 1983. Le déficit du régime existait donc bien avant le vieillissement de la population, indiquant le caractère alors favorable des conditions de liquidation des retraites des fonctionnaires, qui se sont détériorées au fil du temps.
Tableau 13 : Évolution de la cotisation imputée de l’État
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Source :
Insee, compte APU central série 7302 janvier 2025.
Supérieurs de cinq points à ceux du régime général, hors trimestres assimilés, dûs au chômage, comprenant l’âge anticipé d’ouverture des droits des militaires et des professions actives et les avantages familiaux dans la fonction publique hospitalière.
Sauf versement de 5,7 Mds d’euros de France Télécom à l’État en 1997, année du passage à l’euro et 2,0 Mds d’euros de La Poste en 2010.
Traduisant une efficacité accrue des administrations centrales par rapport à l’activité économique, le nombre total de fonctionnaires employés par l’État et par ses opérateurs est resté à peu près stable pendant toute la période, proche de deux millions d’agents. Sans dégrader fortement le ratio de nombre de cotisants aux retraités, les remplacements de départs en retraite des titulaires ont été presque compensés par des recrutements nouveaux, sauf pendant une brève période de 2007 à 2012, une tendance qui s’est depuis inversée. La substitution de contractuels aux titulaires s’est faite à un rythme modeste jusqu’à récemment et la décentralisation est neutralisée entre PCMR et CNRACL. La modération de la masse salariale hors retraites de l’État (-2,1% du PIB sur la période de 40 ans) par stabilisation de la valeur du point d’indice a eu, avec le temps, un impact positif et non négatif sur le régime puisque les pensions sont également calculées sur le traitement indiciaire. Si le régime a été privé de cotisations par rapport à un référentiel de croissance du point d’indice, il faut en évaluer aussi l’impact avec les taux de cotisations de droit commun à la charge des employeurs (16,5%), hors la subvention d’équilibrage du régime. Il est donc faux de prétendre que le déficit du régime PCMR est le résultat des économies réalisées par l’État.
Mais surtout certaines causes du besoin de financement sont insuffisamment analysées. Ainsi, les avantages non contributifs propres au régime PCMR et à la CNRACL44, sont certainement une des causes du besoin de financement, cause jamais chiffrée ni publiée. L’identification par une subvention ad hoc de ces éléments, comme pour les avantages familiaux ou les points chômage du régime des salariés privés, est donc indispensable.
De même, il semble que la transformation en sociétés anonymes des deux administrations de Télécom et de La Poste ait eu un impact important. Environ 350.000 fonctionnaires de ces administrations sont sortis du nombre des cotisants au régime PCMR alors qu’ils payaient des cotisations très élevées, tandis que l’État a eu la charge de 320.000 retraités provenant des deux entités. Recrutant des salariés privés, les deux nouvelles entreprises n’ont pas apporté de contrepartie suffisante45 qu’elles n’auraient d’ailleurs pas pu supporter, en face de l’engagement de l’État, chiffré actuariellement à un ordre de grandeur de plus de 200 Mds d’euros. Surtout, il n’y a pas eu de contrepartie suffisante du régime général (CNAV et Agirc-Arrco) qui a bénéficié des cotisations des personnels privés remplaçant les fonctionnaires en laissant la charge des retraites à l’État (environ 8 Mds d’euros par an en 2024). Le ratio démographique du régime a été bien plus impacté par ces opérations que par la réduction des employés de l’État ou de ses opérateurs.
Cette observation va dans le même sens qu’un rapport récent de la Cour46 sur la désuétude du mécanisme de compensation démographique qu’elle propose de supprimer, tout en chiffrant une réforme alternative qui conduirait le régime général à verser, sur la base de critères plus justes, plus de 10 Mds d’euros par an, au régime PCMR, dans une compensation démographique améliorée.
Cet exemple montre que le besoin de financement des retraites ne peut être résolu uniquement que par un ajustement du régime de la fonction publique de l’État, et nécessite d’être considéré comme un tout, impliquant aussi les caisses des salariés privés. C’est ce que réalisait, bien que trop graduellement, la réforme de 2019.
Annexe III
Par exemple, 8 Mds d’euros sont consacrés aux agences régionales de santé et à Santé publique France.
Par exemple, 5 Mds d’euros sont consacrés à l’allocation personnalisée d’autonomie et primes de compensation du handicap.
Le reste de la protection sociale subventionne les régimes de retraites à hauteur de 17 Mds d’euros en 2024
Les comptes des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale (ROBSS) restent illisibles pour des observateurs non sérieusement avertis. En effet, les régimes de Sécurité sociale échangent d’importantes masses financières entre eux et avec d’autres organismes. En 2024, hors FSV, ces échanges représentent 44 Mds d’euros sur 625 Mds d’euros, soit 8% du total des produits des régimes obligatoires de la Sécurité sociale. L’Unedic et les régimes complémentaires de retraites sont aussi à l’origine ou bénéficiaires de tels flux, dans une moindre mesure.
Ces transactions poursuivent bien entendu des objectifs légitimes ou compréhensibles. Il peut s’agir, entre autres motifs, de transférer le financement d’une prestation d’un organisme à l’autre, par exemple les indemnités journalières maternité financées par la CNAF pour la CNAM, pour un montant de 2 Mds d’euros. Ou bien, de prendre en charge des cotisations de catégories particulières d’affiliés pour les assistantes maternelles et les gardes d’enfants ou pour les régimes de retraites des professions médicales, ainsi que d’apporter des ressources à des fonds gérés par l’État en se substituant à ses crédits47 ou encore de compenser les collectivités locales pour les aides sociales qu’elles mandatent depuis la décentralisation de ces interventions48.
Ces flux faussent largement la signification des soldes des branches de la Sécurité sociale. En effet, des observateurs très qualifiés le notent et s’en plaignent publiquement. L’audition du professeur Rémi Pellet, ancien rapporteur auprès de la Cour et spécialisé en finances sociales, le 28 mars 2024 par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale, le confirme très clairement : « la présentation dans les lois de financement de la Sécurité sociale des soldes par branche n’a strictement aucun sens (citation)49 ».
La Cour formule certes chaque année des critiques non suivies d’effet sur le caractère variable des affectations de recettes ou de ces répartitions de dépenses entre branches. Mais elle ne corrige pas les soldes des transferts entre l’État ou d’autres employeurs publics et les régimes de Sécurité sociale. Elle ne corrige pas plus les transferts entre les administrations de Sécurité sociale pour l’établissement du solde avant transfert de chacune d’entre elles.
La branche vieillesse, élargie aux retraites complémentaires, est bénéficiaire de ces mouvements. Le tableau ci-dessous, récapitule les subventions reçues par des régimes de retraites provenant des autres administrations de Sécurité sociale. Elles ne concourent pas toutes au déficit de la Sécurité sociale puisqu’à l’intérieur des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale, 10,4 Mds d’euros s’annulent, mais elles en modifient fortement les soldes par branche, notamment entre la famille et la vieillesse. Elles font en revanche bien toutes partie de la contribution spécifique du système de retraites aux déficits publics, car les dépenses de subvention des autres branches ne peuvent être comptées deux fois avec la dépense de retraites.
Tableau 14 : Financement des retraites par les autres institutions de protection sociale
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Par exemple, L’Agirc-Arrco, qui publierait un résultat positif de 5 Mds d’euros en 2024, serait tout juste équilibré, hors les compensations de l’Unédic et la compensation des allègements de cotisations mise à la charge de la CNAV.
Annexe IV
Les subventions de 8 Mds d’euros aux régimes spéciaux vont être partiellement remplacées par une affectation d’impôts de 5 Mds d’euros
L’État verse directement dans la mission Régimes sociaux et de retraites, au travers des crédits de certains ministères, des assemblées ou par renonciation contractuelle aux dividendes de la Banque de France, des subventions de 8,1 Mds d’euros en 2023 et 8,4 Mds d’euros en 2024, pour sept régimes spéciaux.
Tableau 15 : Subventions d’équilibre aux régimes spéciaux
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RATP, CNIEG, CRPCEN, BANQUE de France, CESE.
La décision a été prise de substituer à ces subventions des impôts transférés à l’instar de ceux qui existent déjà pour deux régimes. 5,1 Mds d’euros soit 10% des impôts transférés, couvrent en effet déjà la Caisse des industries électriques et gazières (CNIEG) financée par la Contribution tarifaire d’acheminement (CTA), (1,8 Md d’euros en 2024) versée par les usagers de l’électricité ainsi que le régime (base et complémentaire) des exploitants agricoles (MSA) qui reçoit des droits sur les boissons et alcools (3,3 Mds d’euros en 2024).
Dans ce contexte, la réforme d’avril 2023 et la LFSS 2024 ont prévu de fermer, pour les seuls nouveaux salariés, cinq régimes spéciaux50 avec un schéma de financement, confiant à la CNAV le rôle d’équilibrer quatre régimes déficitaires sans réserve (SNCF, RATP, Mines et ex-SEITA) à la place du budget de l’État. En conséquence l’État affectera à la CNAV de nouvelles recettes fiscales à hauteur de leur charge nette après réception des cotisations (base et complémentaires) des nouveaux entrants. Cette affectation est prévue pour 5,2 Mds d’euros en 2025. Ce sera le troisième cas d’impôt explicitement affecté pour couvrir des déficits.
L’adossement à la CNAV aurait pu être financé comme auparavant par des subventions. Il existe en effet un risque de traçabilité à terme des ressources ainsi transférées pour quatre entités. Même pour des régimes fermés et en extinction longue, il est probable que l’affectation d’impôts ne permettra pas de maîtriser les déterminants du régime sur lesquels il serait encore possible d’agir, aussi bien que par l’octroi de subventions. Mais d’un point de vue financier, aux bornes du système, la contribution spécifique des retraites au déficit des administrations en 2025 sera, dans un solde d’ensemble inchangé, réduite de 5,2 Mds d’euros par cette opération.
Annexe V
Tableau 16 : liste des impôts transférés
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Tableau 17 : Répartition des ITAF par objectifs
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Source :
* 2024 simulée avec le schéma de financement de 4 régimes spéciaux adossés CNAV, financée par 5,2 Md€ de TVA
Annexe VI
Tableau 18 : liste des subventions reçues
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