Introduction

I.

Pendant la crise du Covid-19, dans l’ensemble des sept démocraties étudiées, la plupart des citoyens jugent inquiétante l’attitude des États-Unis (70%), de la Chine (63%) et de la Russie (56%) sur la scène internationale

1.

Les États-Unis sont jugés les plus influents…

2.

… et les plus inquiétants

3.

Les grandes puissances inquiètent d’autant moins que les répondants sont plus jeunes

4.

Les Italiens sont les moins préoccupés par l’attitude des grandes puissances

5.

Entre le Royaume-Uni et les États-Unis, la « Special Relationship » est menacée

6.

Les Suédois se méfient du voisin russe

II.

La crise du Covid-19 bouleverse le jugement des citoyens vis-à-vis des grandes puissances

1.

La méfiance à l’égard de la Chine s’accroît de manière spectaculaire

2.

Très élevée, l’inquiétude à l’égard des États-Unis se stabilise néanmoins

3.

Le jugement sur la Russie reflète l’idée d’une puissance en retrait, voire sur le déclin

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Dans un contexte marqué par la crise du Covid-19, cette contribution s’intéresse au regard que portent les citoyens de sept démocraties (Allemagne, Autriche, France, Italie, NouvelleZélande, Royaume-Uni et Suède) sur l’influence et l’inquiétude que suscitent les grandes puissances que sont la Chine, les États-Unis et la Russie. L’analyse ainsi proposée s’inscrit dans le cadre d’une étude internationale, intitulée « Citizens’ Attitudes Under COVID-19 Pandemic », pour laquelle la Fondation pour l’innovation politique est partie prenante. L’étude prend la forme d’une série d’enquêtes d’opinion administrées par l’institut Ipsos à intervalles réguliers et dans plusieurs pays. Le consortium de partenaires est composé de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de l’Agence française de développement (AFD), du CERDICNRS, de la Banque mondiale, du Cevipof (CNRS, Science Po), de France Stratégie, de l’IAST (Toulouse School of Economics, Université de Toulouse), de la Hanover Universität, de la Harvard Business School, de l’université de Montréal, de la McGill University, de l’Università Bocconi, de l’European University Institute et de la University of York. Ces travaux visent à fournir un suivi de l’opinion publique dans le contexte de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 : les sentiments éprouvés, le rapport à la sécurité sanitaire, l’acceptation ou la lassitude face aux dispositifs de protection mis en place et aux recommandations de santé publique… Ils doivent permettre une meilleure compréhension, d’une part, de la façon dont les différents publics s’adaptent psychologiquement aux mesures de distanciation sociale et, d’autre part, du consentement aux mesures déployées. L’intégralité des données de l’enquête est mise à la disposition du public en open data sur data.fondapol.org. La présente contribution se fonde sur des données collectées entre le 15 et le 18 avril 2020. Les interviews ont été réalisées par questionnaire autoadministré en ligne. Au total, 9.024 personnes ont été interrogées. Le jugement que portent les citoyens sur l’influence et l’attitude des trois grandes puissances (Chine, États-Unis et Russie) a été mesuré à partir des deux questions suivantes :

– « Parmi les puissances suivantes [États-Unis, Chine, Russie], laquelle est selon vous la plus influente dans le monde ? » ;

– « Pour chacune des puissances suivantes [Chine, États-Unis, Russie], dites si son attitude sur la scène internationale vous “inquiète”, vous “rassure” ou “ni l’un ni l’autre”. » L’Union européenne, dont l’influence et l’attitude sur la scène internationale ont aussi été mesurées, n’a pas été retenue ici, cette contribution se limitant à l’analyse des données portant sur des puissances dotées de la souveraineté étatique.

I Partie

Pendant la crise du Covid-19, dans l’ensemble des sept démocraties étudiées, la plupart des citoyens jugent inquiétante l’attitude des États-Unis (70%), de la Chine (63%) et de la Russie (56%) sur la scène internationale

1

Les États-Unis sont jugés les plus influents…

Notes

1.

Dans cette contribution, la moyenne des sept pays (Allemagne, Autriche, France, Italie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Suède) est pondérée.

+ -

En moyenne1, dans les sept démocraties étudiées, une large majorité de citoyens (60%) considère les États-Unis comme la puissance la plus influente, 1. Dans cette contribution, la moyenne des sept pays (Allemagne, Autriche, France, Italie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Suède) est pondérée. très loin devant la Chine (23%) et la Russie (5%). Ce classement se reproduit dans chacun des sept pays observés.

2

… et les plus inquiétants

Les États-Unis sont aussi la puissance qui inquiète le plus : 70% des personnes interrogées considèrent inquiétante l’attitude des États-Unis sur la scène internationale, seulement 6% la jugent rassurante. Notons que près d’un quart (24%) des répondants ne l’estiment ni inquiétante ni rassurante, ce qui pourrait être le signe d’une opinion en cours d’évolution. Les puissances autoritaires semblent susciter moins de crainte. Le résultat est d’autant plus paradoxal que les personnes interrogées vivent dans des pays à régime démocratique : 63% d’entre elles jugent inquiétante l’attitude de la Chine et 56% celle de la Russie. Que peut signifier cette inquiétude vis-à-vis des États-Unis ? Peut-être exprime-t-elle, au moins pour partie, le reproche qui serait fait aux États-Unis de ne pas tenir sa position, faisant courir au monde le risque de voir un pays à régime autoritaire comme la Chine communiste ravir la place de première puissance. Différemment, peut-être les États-Unis de Trump inquiètent-ils parce qu’ils sont perçus comme un régime de moins en moins démocratique ou comme la grande puissance dont le régime démocratique est en crise.

3

Les grandes puissances inquiètent d’autant moins que les répondants sont plus jeunes

Notes

2.

Voir Anne Muxel, « Renouvellement générationnel : déconsolidation ou recomposition démocratique ? », in Dominique Reynié (dir.), Démocraties sous tension. Une enquête planétaire, vol. I, « Les enjeux », Fondation pour l’innovation politique, 2019, p. 43-46. Voir aussi « Les jeunes Européens tentés par un pouvoir fort : “Il y a de la défiance à l’égard des institutions” », interview de Dominique Reynié par Henri Vernet, leparisien.fr, 19 mai 2019

+ -

Des écarts considérables existent dans la manière dont les trois puissances sont perçues, comme le montre l’exemple de la France, où les répondants les plus âgés se déclarent plus inquiets que les plus jeunes, qu’il s’agisse du comportement des États-Unis (79% pour les 60 ans et plus contre 66% pour les 18-34 ans), de la Chine (71% contre 61%) ou de celui de la Russie (59% contre 48%). De tels résultats pourraient appuyer l’hypothèse d’une érosion de la culture démocratique au sein des nouvelles générations2, mais si les niveaux d’inquiétude suscités par la Chine et la Russie sont moindres chez les jeunes, le même écart est notable en ce qui concerne les États-Unis. Des divergences marquées entre les catégories socioprofessionnelles apparaissent également. En France, la proportion des cadres supérieurs se déclarant préoccupés par le comportement des États-Unis (76%), de la Chine (65%) et de la Russie (60%) est supérieure à la proportion des ouvriers et des employés non qualifiés se disant inquiets de l’attitude des États-Unis (68%), de la Chine (64%) et de la Russie (50%). Ces données confirment peut-être la moindre sensibilité des classes ouvrières à la menace que peuvent représenter les puissances autoritaires, mais on observe une tendance similaire à propos de la menace que peut représenter la puissance américaine. De telles données sont conformes à ce que l’on sait, d’une part, de l’orientation autoritaire d’une fraction significative des classes populaires et, d’autre part, de leur moindre intérêt pour les enjeux de ce type, ce qui relève d’une forme de dépolitisation plus répandue dans ce monde social et d’une plus grande difficulté à en percevoir les mécanismes, ce qui procède aussi d’effets de niveaux éducation, d’accès à l’information, etc. Notre étude met en lumière des différences selon le positionnement politique qui méritent d’être soulignées. Les Français qui se situent sur la gauche de l’échiquier politique sont beaucoup plus inquiets de l’attitude des États-Unis (86% contre 63%) et de la Russie (66% contre 49%) que ceux qui se situent à droite. En revanche, ces mêmes personnes qui se situent à gauche sont moins nombreuses (64%) à s’inquiéter du régime autoritaire chinois que celles qui se disent de droite (68%).

4

Les Italiens sont les moins préoccupés par l’attitude des grandes puissances

Le cas de l’Italie est notable. L’opinion y semble redouter moins qu’ailleurs l’attitude des grandes puissances sur la scène internationale : 56% des Italiens (contre 70% pour l’ensemble des sept pays étudiés) se disent inquiets par l’attitude des États-Unis, 48% par la Chine (contre 63%) et 41% par la Russie (contre 56%). Le sentiment d’une réaction européenne trop lente face à la crise du Covid-19, jointe à la mise en scène d’une aide sanitaire russe et chinoise à l’Italie pour lutter contre le coronavirus, peut expliquer en partie ces résultats dans le pays.

5

Entre le Royaume-Uni et les États-Unis, la « Special Relationship » est menacée

L’hyperpuissance américaine est considérée comme plus menaçante que les régimes autoritaires chinois et russe par les citoyens de six pays sur sept. Les Britanniques semblent faire exception, puisqu’ils sont plus nombreux à se dire inquiets de la Chine (69%) ou de la Russie (67%) que des États-Unis (64%). Mais il faut surtout constater ici que les États-Unis suscitent une inquiétude largement majoritaire jusque dans l’opinion britannique. Lors de notre précédente mesure, en septembre 2018, ce chiffre était atteignait déjà 64 %. Cette tendance confirme l’installation sur le temps long d’une certaine méfiance de l’opinion des Britanniques à l’égard de la puissance américaine. Quatre ans après le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni se retrouve détaché de l’Union européenne tandis que les Britanniques cessent de considérer les États-Unis comme le partenaire naturel.

6

Les Suédois se méfient du voisin russe

Les Suédois sont ceux que le comportement de la Russie sur la scène internationale inquiète le plus (70%, soit 14 points de plus que la moyenne). Cette crainte peut être attribuée à la position géographique du pays, face à une Russie multipliant ses activités militaires en mer Baltique.

II Partie

La crise du Covid-19 bouleverse le jugement des citoyens vis-à-vis des grandes puissances

Notes

3.

« Parmi les puissances suivantes [États-Unis, Chine, Russie], laquelle est selon vous la plus influente dans le monde ? » et « Pour chacune des puissances suivantes [États-Unis, Chine, Russie], dites si son attitude sur la scène internationale vous “inquiète”, “rassure” ou “ni l’un ni l’autre” ».

+ -

4.

Dominique Reynié (dir.), Démocraties sous tension. Une enquête planétaire, vol. I, « Les enjeux », et vol. II, « Les pays », Fondation pour l’innovation politique, 2019.

+ -

La comparaison des réponses aux deux questions3 portant sur l’influence et l’attitude des grandes puissances sur la scène internationale, posées à l’identique dans notre étude « Démocraties sous tension4 » (administrée en septembre 2018) et dans notre enquête « Citizens’ Attitudes Under COVID-19 Pandemic » (administrée en avril 2020), permet de rendre compte de l’évolution des opinions publiques – l’une avant l’apparition du coronavirus, l’autre pendant la crise sanitaire.

À l’inverse, l’analyse de l’évolution des données montre que se propage l’idée selon laquelle les États-Unis pèsent moins sur la marche du monde, même si la puissance américaine reste partout considérée comme la plus influente. En moyenne, la part de répondants considérant que les États-Unis sont la puissance la plus influente recule de 68% en septembre 2018 à 60% en avril 2020. L’effritement s’observe dans les opinions de chacune des démocraties étudiées. Le recul est même de 10 points en Allemagne et en Suède, de 11 points en Nouvelle-Zélande et de 14 points en France

Cependant, dans ce jeu à trois, c’est la Russie qui n’est presque plus perçue comme une puissance influente. Dans les sept démocraties étudiées, 5% des répondants la considèrent comme la puissance la plus influente (contre 8% en septembre 2018). En avril 2020, les résultats oscillent entre 1% pour les Néo-Zélandais et 7% pour les Autrichiens et les Italiens. En France, ce chiffre atteint 5%.

1

La méfiance à l’égard de la Chine s’accroît de manière spectaculaire

Si la Chine (63%) inquiète relativement moins que les États-Unis (70%) et davantage que la Russie (56%), la comparaison avec les données de 2018 montre que l’inquiétude suscitée par la Chine est en forte hausse dans l’opinion : elle augmente fortement en moyenne, passant de 43% en 2018 à 63% en 2020, et plus précisément de 34 points en Suède (de 35% à 69%), de 27 points en Nouvelle-Zélande (de 47% à 74%), de 25 points en Allemagne (de 38% à 63%), de 24 points en Autriche (de 39 à 63%) et en Grande-Bretagne (de 45% à 69%) et de 19 points en France (de 48% à 67%). En Italie, cette crainte, bien que moins importante, gagne cependant 4 points pour concerner presque la moitié de la population (de 44% à 48%). La stratégie du soft power chinois, qui permit un temps au pays d’accroître son rôle sans trop préoccuper, ne fonctionne plus. Dans le contexte du coronavirus, les reproches se multiplient à l’égard de ce régime autoritaire qui semble avoir lourdement dissimulé des éléments d’information qui auraient permis une riposte internationale plus rapide et plus appropriée face à la crise sanitaire.

2

Très élevée, l’inquiétude à l’égard des États-Unis se stabilise néanmoins

L’inquiétude suscitée par les États-Unis augmente de 2 points, passant de 68% en 2018 à 70% en 2020. Cette crainte augmente dans cinq des sept pays étudiés. Si les variations sont moins importantes que pour la Chine, c’est d’abord parce que le niveau d’inquiétude suscité par les États-Unis que l’on peut mesurer dans l’opinion était déjà très élevé. Ainsi, en avril 2020, 82% des Autrichiens (contre 76% en 2018) jugent préoccupante l’attitude de la puissance américaine sur la scène internationale ; c’est aussi le cas de 79% des Allemands (contre 75% en 2018), de 77% des Néo-Zélandais (contre 67%), de 74% des Français (contre 71%) et de 71% des Suédois (contre 70%). Pour les Britanniques, ce chiffre reste stable et s’élève à 64%, aussi bien en 2018 qu’en 2020. Enfin, si les Italiens se montrent les moins préoccupés par la Chine et la Russie, ils sont aussi, comme nous l’avons vu, ceux que le comportement des États-Unis inquiète le moins (52%). Plus encore, par rapport à 2018 (58%), on relève même une baisse significative de ce jugement négatif.

3

Le jugement sur la Russie reflète l’idée d’une puissance en retrait, voire sur le déclin

Dans l’opinion, comparée aux États-Unis et à la Chine, la Russie est la puissance qui inquiète le moins (56%). En rapprochant ces données de celles de notre enquête internationale « Démocraties sous tension » de 2018, on constate que l’inquiétude suscitée par la Chine (passant de 43% en 2018 à 63% en 2020) est désormais supérieure à l’inquiétude suscitée par la Russie (de 64% en 2018 à 56% en 2020).

Sous la direction de

Dominique Reynié

Rédaction

Victor Delage

Production

Victor Delage, Willy Delvalle, Anne Flambert, Madeleine Hamel, Katherine Hamilton, Matthieu Hanisch, Loïse Lyonnet

Relecture et correction

Francys Gramet, Claude Sadaj

Traductions

Katherine Hamilton (anglais), Houssem Eddine Bahi (arabe), Aifang Ma (chinois), Willy Delvalle (portugais)

Maquette et réalisation

Julien Rémy

Parution

Juin 2020

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