Porno addiction : nouvel enjeu de société
Introduction
Physiologie animale : l’instant de reproduction
Le Coolidge effet
L’ingrédient clé : la dopamine
Le facteur clé : la nouveauté
Un stimulus « supernormal »
Un stimulus unique : le prof n’est pas une addiction comme les autres
Sexologie humaine : le porno et ses conséquences
Les effets neurologiques : une escalade vers l’extrême
Les effets psychologiques : dépression, anxiété, perte de libido …
Les effets relationnels : une détérioration des relations intimes
Peut-on parle d’addiction ?
L’impasse d’une stratégie de la modération
Les remèdes
La censure : ni efficace, ni souhaitable
Le « redémarrage »
Vers une prise de conscience collective
ANNEXE 1
ANNEXE 2
Résumé
La pornographie demeure un sujet tabou. Il semblerait qu’une forme de bienséance mal placée l’aitexclue du débat public. Phénomène de masse qui, dans la société de l’Internet, a pris une ampleur colossale, il s’agit désormais d’un thème majeur, aux ramifications nombreuses et aux effets insoupçonnés. Le but de cette étude est de mettre en lumière le problème capital que pose la consommation de contenu pornographique haut débit et de proposer une solution afin d’en enrayer les effets négatifs sur la relation à soi et aux autres. Une documentation scientifique croissante établit, d’une part, l’amplification et la multiplication des problèmes rencontrés par les individus dans leur vie intime et, d’autre part, le lien entre ces problèmes et la consommation de contenu pornographique en ligne. C’est sur la base de ces études qu’est dénoncé ici le « porno » en tant que responsable d’un conditionnement émotionnel et neurologique désastreux dont sont victimes les consommateurs, le plus souvent sans en être conscients.
Le porno est un produit de consommation de masse. Le mutisme embarrassé à l’égard de ce type de contenu n’est pas approprié à l’ampleur du phénomène. On assiste depuis quelques années à un accroissement de l’inquiétude quant aux effets de l’exposition régulière aux contenus pornographiques. Ce qui était auparavant l’apanage des associations religieuses est devenu aujourd’hui une problématiquecitoyenne. On assiste à la naissance de mouvements anti- porno, principalement sous la forme de forums online, fondés sur l’expérience et les témoignages d’internautes qui ont pu en mesurer les effets dévastateurs sur leur psychologie et leur sexualité.
Enfin, il est frappant de constater que la controverse sur le porno est déjà largement discutée et documentée outre-Atlantique, tandis qu’elle est quasiment absente du débat public français. Le but de cette note est de favoriser la discussion sur ce sujet.
David Reynié,
Scénariste et réalisateur à Los Angeles.
Introduction
Thomas Ohr, « Interview with Fabian Thylmann – the German entrepreneur who once built the biggest adult entertainment company in the world », eu-startups.com, 15 septembre 2016.
Voir Emmanuelle Andreani-Facchin, « Le business des camgirls au rayon X [sic] », fr, 20 août 2015.
« Pornography (2). Naked capitalism », economist.com, 26 septembre 2015.
Entrée « Pornographie », cnrtl.fr.
« Pornography (1). A user’s manual », economist.com, 26 septembre 2015.
Voir « Porn sites get more visitors each month than Netflix, Amazon and Twitter combined », com, 4 mai 2015. « Internet pornography by the numbers: a significant threat to society », webroot.com, s.d. ou Sebastian Anthony, « Just how big are porn sites? ».
Chiara Sabina, Janis Wolak et David Finkelhor, «The nature and dynamics of Internet pornography exposure for youth», CyberPsychology & Behavior, 11, n° 6, décembre 2008, p. 691-693.
Jane Randel, « Parenting in the digital age of pornography », huffingtonpost.com, 26 février 2016.
Université de Sidney, « Study exposes secret world of porn addiction », edu.au, 10 mai 2012.
L’étude a été réalisée les 23 et 24 novembre 2016 par l’institut OpinionWay auprès d’un échantillon de 2.107 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et Voir Nathalie Brunissen, « Streaming illégal : le loisir privilégié des enfants !», 7 février 2017.
« Children aged 4 to learn perils of internet », The Daily Telegraph, 1er mars 2017.
J’imagine sans peine les réactions confuses, intriguées ou embarrassées que peut provoquer le titre de cette note. La pornographie demeure un sujet tabou et il semblerait qu’une forme de bienséance mal placée l’ait exclue du débat public. Il s’agit pourtant d’un thème majeur, aux ramifications nombreuses et insoupçonnées. Je me propose dans cette note d’explorer sans complexe les tenants et aboutissants de ce phénomène de masse qui, dans la société de l’Internet, a pris une ampleur colossale.
En effet, il faut d’abord noter le caractère massif de la consommation de contenus porno via le Web. C’est au point que l’on admet que le Web ne serait pas ce qu’il est sans le porno. Ainsi, la marque sex.com a été déposée dès le début, en 1994, avant tous les cybermarchands et, bien sûr, avant les sites aujourd’hui les plus célèbres tels que Yahoo, Amazon, Google, Facebook, Twitter, YouTube, etc.
Avec le Web, le monde du porno a connu une rapide et profonde mutation. Internet a bouleversé le modèle traditionnel de l’économie du porno. Après l’époque des films X, qui supposait de se rendre au cinéma, puis la période des cassettes vidéo et des DVD, dans les années 1990, qui permettaient un usage dans le cadre privé de produits achetés ou loués en magasins, Internet a achevé la dématérialisation du cinéma porno et l’individualisation de la consommation.
Il en a aussi révolutionné l’économie. Dès le début de son existence, la moitié des requêtes sur les moteurs de recherche ont concerné la pornographie, donnant accès à des contenus payants. Le nombre de producteurs de cinéma porno s’est alors effondré, tandis que l’offre de contenus a explosé. Les revenus se partagent désormais entre chaînes numériques et annonceurs publicitaires. Les usages des technologie sont évolué et les entrepreneurs les plus innovants ont vite compris l’intérêt de mettre du contenu pornographique en accès libre afin de financer leur business par la publicité. Sont alors apparus les «tubes» (par analogie à YouTube), ces plateformes qui agrègent des contenus gratuits et génèrent un trafic important. En 2007, Manwin était la première plateforme de diffusion pornographique. L’ensemble de sessites attire plusieurs milliards de visites par mois1. En 2013, Manwin est devenue la multinationale MindGeek. Son chiffre d’affaires est aujourd’hui estimé à 400 millions de dollars.
À côté de ce groupe, un autre géant a vu le jour, LiveJasmin, société créée en 2002. Son modèle est celui du porno 2.0, appuyé sur les technologies de streaming vidéo. Les «acteurs» sont des amateurs, et non des professionnels, qui monnayent leur show à la minute. La plateforme assure la mise en relation avecles clients, paie les « acteurs ». La société perçoit un pourcentage sur les gains générés2. On passe ainsi du modèle sans âge de la prostitution à celui du peep show en ligne. Rien de complètement nouveau. La différence tient à la dématérialisation totale de la relation. Le système créant une addiction rapide, il entraîne une consommation souvent incontrôlée et rapporte de gigantesques revenus aux plateformes. Le chiffre d’affaires annuel de LiveJasmin atteint 350 millions d’euros, avec 32 millions de visiteurs uniques par mois. Le nombre de vues de vidéos pornographiques se compte en dizaines de milliards par an3. En 2014, les revenus du Web porno représentaient 5 milliards de dollars via les sites dédiés, pour 500millions de visiteurs, et 20 milliards via les réseaux sociaux, pour 2 milliards de visiteurs. Pour avoir un ordre d’idée, notons qu’aux États-Unis, les revenus du porno dépassent ceux de ABC, CBS et NBC réunis. Les chiffres concernent essentiellement les produits vidéo et Internet. Retenons ici qu’il est très difficile d’évaluer la consommation de porno online tant l’offre est abondante, accessible et diffuse. Une chose est sûre : la consommation de pornographie en ligne est en constante expansion. Le but de cette étude est de mettre en lumière le problème capital que pose la consommation de contenu pornographique haut débit et de proposer une solution afin d’en enrayer les effets négatifs sur la relation à soi et aux autres. Il convient tout d’abord de délimiter précisément ce que l’on entend par « pornographie ». En effet, il n’existe pas de définition consacrée et les acceptions sont très variables selon les sources. À titre d’exemple, le Larousse définit la pornographie comme « la présence de détails obscènes dans certaines œuvres littéraires ou artistiques ; publication, spectacle, photo, etc., obscènes », tandis que le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL) propose une approche radicalement différente en définissant la pornographie comme la « représentation (sous forme d’écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.), de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées4 ». C’est cette dernière définition, bien plus moderne et pertinente, que je retiendrai dans le cadre de cette étude. J’y ajouterai cependant une dimension supplémentaire : c’est surtout la pornographie online qui, de par son abondance, sa variété et sa facilité d’accès, a donné lieu au problème majeur qui touche aujourd’hui notre société. Quel est ce problème ?
Une documentation scientifique croissante établit, d’une part, l’amplification et la multiplication des problèmes rencontrés par les individus dans leur vie intime et, d’autre part, le lien entre ces problèmes et la consommation de contenu pornographique en ligne. Cette documentation est référencée systématiquement en soutien de mes propos, ainsi que dans les notes au cas où les lecteurs désireraient approfondir la question et multiplier les sources d’information. C’est sur la base de ces études qu’est dénoncé ici le « porno » en tant que responsable d’un conditionnement émotionnel et neurologique désastreux dont sont victimes les consommateurs, le plus souvent sans en être conscients.
Le porno est un produit de consommation de masse. Le mutisme embarrassé à l’égard de ce type de contenu n’est pas représentatif de l’ampleur du phénomène, même si les chiffres exacts font débat, d’une part, parce qu’ils sont calculés sur la base de références variables selon les études (nombre de téléchargements, nombre de visites, nombre de sites, etc.) et, d’autre part, parce qu’il est très difficile d’obtenir ce genre d’information de manière fiable5. La plupart des études estiment cependant que les sites pornographiques drainent aux alentours de 30% du trafic Internet6. Cette consommation massive ne concerne pas que les adultes. Aujourd’hui, une très large majorité des enfants et adolescents est exposée au porno avant l’âge de 18 ans : 93% pour les garçons et 62% pour les filles7. L’âge moyen de la première exposition au porno est aux alentours de 11 ans8. Ces données sont confirmées par de nombreuses études. On peut ainsi citer l’enquête conduite en mai 2012 par la Faculté des sciences de la santé et par le Département de psychiatrie de l’université de Sidney qui montre notamment que 43% des internautes ont commencé à visionner des contenus pornographiques sur le Web entre 11 et 13 ans9. Plus récemment, pour la France, dans une enquête réalisée en février 2017, l’association Ennocence a notamment confirmé l’âge moyen de 11 ans pour la première exposition à la pornographie sur le Web10.
On comprend pourquoi on assiste depuis quelques années à un accroissement de l’inquiétude quant aux effets de l’exposition régulière aux contenus pornographiques. Cette moyenne est destinée à baisser. Eneffet, dans la mesure où l’accès au web passe de plus en plus, et désormais principalement, par les mobiles, c’est l’âge moyen de possession du premier téléphone qui compte. Or, cet âge moyen est de plus en plus souvent inférieur à 11 ans. Ainsi, il est de 9 ans au Royaume Uni, et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement britannique vient de lancer un programme éducatif spécifique à l’intention des enfants, à partir de 4 ans, afin de les protéger contre l’exposition aux images pornographiques qui envahissent le Web11.
Ce qui était auparavant l’apanage des associations religieuses devient aujourd’hui une problématique citoyenne. En parallèle des études scientifiques qui se multiplient sur le sujet, on assiste également à la naissance de mouvements anti- porno, principalement sous la forme de forums online, fondés sur l’expérience et les témoignages d’internautes qui ont pu en mesurer les effets dévastateurs sur leur psychologie et leur sexualité. C’est le cas, par exemple, de sites Web américains commeyourbrainonporn.com ou yourbrainrebalanced.com.
En tant que Français vivant aux États-Unis dans le cadre de mes études de cinéma, j’ai eu l’occasion de mesurer la différence d’information sur le sujet entre les deux sociétés. Intéressé depuis plusieurs années par la problématique des effets de l’image sur la psychologie et le comportement des spectateurs, j’ai été frappé de constater que la controverse sur le porno était déjà largement discutée et documentée outre-Atlantique, tandis qu’elle est quasiment absente du débat public français. J’espère y introduire par le biais de cette étude une question qui mérite d’être abordée sans plus tarder : quels sont les effets réels de la consommation de porno online sur les individus ?
Dans un premier temps, j’étudierai ici les mécanismes physiologiques primitifs qui font du porno un produit addictif pour les internautes, puis je me pencherai ensuite sur les diverses conséquences de sa consommation, pour enfin explorer les réponses que l’on peut apporter à ce nouveau problème de société.
Physiologie animale : l’instant de reproduction
Le Coolidge effet
Voir Elisa Ventura-Aquino, Jorge Baños-Araujo, Alonso Fernández-Guasti et Raúl Paredes, « An unknown male increases sexual incentive motivation and partner preference: Further evidence for the Coolidge effect in female rats »,Physiology & Behavior, vol. 158, mai 2016, p. 54-59. À noter que le Coolidge effect est également observé chez les sujets femelles.
Lorsqu’on place dans une même cage un rat mâle et un rat femelle s’ensuit sans grande surprise une copulation frénétique. Les cobayes s’en donnent à cœur joie… pendant un certain temps. Hélas ! la lune de miel n’est qu’éphémère et le mâle finit inévitablement par se lasser de sa partenaire. Leur activité sexuelle décroît et la routine s’installe. Mais que se passe-t-il si l’on remplace alors la femelle par une autre ? Invariablement, le mâle retrouve toute son ardeur et la copulation reprend de plus belle. Le processus peut être répété jusqu’à ce que le mâle soit totalement épuisé. Aucun garde-fou ne semble avoir été prévu par son génome pour préserver sa santé et son bien-être. Son instinct inflexible le pousse à féconder autant de femelles que possible. La nature paraît donner priorité absolue à la reproduction, quel qu’en soit le coût. Ce phénomène, appelé Coolidge effect, illustre le mécanisme fondamental sur lequel reposent les comportements sexuels dans le règne animal : désir et nouveauté sont intimement liés12. Certes, il ne s’agit pas là d’une découverte renversante. Nous avons tous pu observer les manifestations de ce phénomène physiologique au sein des relations humaines et ses conséquences parfois regrettables. L’objet de cette note n’est pas de démontrer que les êtres humains sont soumis aux mêmes pulsions naturelles que nos amis à poils et à plumes. C’est un fait avéré. Ce qui nous intéresse ici est d’observer la déclinaison particulière (et relativement récente) de ce mécanisme primitif, non pas en réaction à des partenaires réels mais à des stimulations virtuelles. Je fais ici référence au porno.
Dans quelle mesure observe-t-on le Coolidge effect chez les consommateurs de contenu pornographique ? Tout comme nos amis rongeurs, les amateurs de plaisir online retrouvent une ardeur nouvelle lorsqu’ils découvrent une nouvelle pornstar. C’est le même mécanisme primitif qui pousse l’internaute à « fertiliser » ce nouveau partenaire sexuel. Et c’est cette nouveauté sexuelle qui fait de la pornographie online une source d’addiction, avec toutes les conséquences que nous observons de plus en plus nettement.
L’ingrédient clé : la dopamine
Bien que la dopamine soit parfois appelée « molécule du plaisir », cette hormone joue en réalité davantage sur le désir et l’anticipation. Elle donne ainsi au sujet la motivation de rechercher la récompense. Voir Kent C. Berridge, Terry E. Robinson etJ. Wayne Aldridge, « Dissecting components of reward: ‘liking’, ‘wanting’, and learning », Current Opinion in Pharmacology, vol.9, n° 1, février 2009, p. 65-73.
BBC News, « Romeo guinea pig causes baby boom », co.uk, 30 novembre 2000.
Pour mieux comprendre le phénomène, penchons-nous quelques instants sur les mécanismes physiologiques qui le sous-tendent. Le désir sexuel et la motivation pour en rechercher la concrétisation relèvent principalement d’un agent neurochimique appelé dopamine. Cette hormone a pour rôle d’activer dans le cerveau primitif une zone appelée «circuit de récompense» (reward circuitry), où sont ressentis plaisir et désir. C’est également la zone du cerveau où se développent les addictions. C’est ce circuit de récompense qui nous pousse à assurer notre autoconservation et à transmettre nos gènes, en réagissant à des stimuli liés à des activités jugées bénéfiques par notre génome. Parmi les « récompenses » qui y sont prédéfinies, on trouve la nourriture, le sexe, l’amour, le lien social, etc. Ainsi la dopamine a-t-elle pour rôle de nous motiver à faire ce qui sert le mieux nos gènes. Plus la décharge de dopamine estimportante, plus le désir est intense. En l’absence de dopamine, pas de désir, pas de motivation13. Et parmi ces différentes «récompenses», quelle est celle qui génère la réaction la plus forte ? Le sexe, bien évidemment ! Les stimuli sexuels sont les facteurs naturels déclenchant la plus importante décharge de dopamine. En effet, la priorité pour nos gènes est de persister dans le futur, bien après notre mort. Par conséquent, le cerveau primitif ne se soucie pas que nous ayons eu notre saoul de galipettes ; il exige un maximum de résultats génétiques. C’est ainsi qu’un cochon d’Inde, après s’être infiltré dans une cage abritant vingt-quatre femelles, a été récupéré deux jours plus tard au bord du décès par épuisement. Bien qu’ayant subi de lourds dommages, il a réalisé un exploit sur le plan génétique en s’assurant quarante-deux descendants ! « Romeo », comme l’a surnommé la BBC, a ainsi provoqué un véritable baby- boom à lui tout seul14 ! Mission accomplie pour Dame Nature.
Le facteur clé : la nouveauté
Brian Knutson et Jeffrey Cooper, « The lure of the unknown », Neuron, vol. 51, no 3, 3 août 2006, p. 280- 282.
Eric Koukounas et Ray Over, « Changes in the magnitude of the eyeblink startle response during habituation of sexualarousal », Behaviour Research and Therapy, 38, n° 6, juin 2000, p. 573-584.
Ingrid Meuwissen et Ray Over, « Habituation and dishabituation of female sexual arousal », Behaviour Research and Therapy, vol 28, n° 3, février 1990, p. 217-226.
Paul Joseph, Rakesh K. Sharma, Ashok Agarwal et Laura K. Sirot, « Men ejaculate larger volumes of semen, more motile sperm, and more quickly when exposed to images of novel women », Evolutionary Psychological Science, vol. 1, n° 4,décembre 2015, p. 195-200.
La dopamine réagit tout particulièrement à la nouveauté15. Nous connaissons tous cette décharge d’excitation à l’acquisition d’un nouveau téléphone, d’une nouvelle paire de chaussures, d’une nouvelle voiture, etc. Et, inévitablement, l’excitation diminue ensuite au fur et à mesure que la dopamine réagit de moins en moins à cet objet de moins en moins nouveau. On assiste là encore à une illustration du Coolidge effect. La nouveauté est synonyme d’excitation. On comprend dès lors que le porno online soit si addictif : l’accès immédiat à un contenu potentiellement infini rend ce produit singulièrement stimulant pour le circuit de récompense. Une nouvelle pornstar, une scène inhabituelle, un acte sexuel étrange… il est aujourd’hui possible d’expérimenter davantage de nouveauté sexuelle en dix minutes que nos ancêtres en une vie entière ! Le cerveau primitif n’étant pas capable de distinguer le vrai du faux face à une stimulation virtuelle, il perçoit chaque visite sur un site pornographique comme une véritable aubaine génétique et induit en conséquence une intense production de dopamine. Le consommateur se retrouve alors dans la même situation que Romeo le cochon d’Inde, soumis aux injonctions de sa physiologie. En effet, de nombreuses études indiquent que les rongeurs et les humains ne sont pas très différents en ce qui concerne la réponse aux stimuli sexuels. À titre d’exemple, une étude australienne a diffusé le même film érotique de manière répétée à un groupe de sujets masculins et il a été observé une baisse progressive de l’excitation sexuelle16. L’habitude mène à l’ennui, ce qui se traduit par une baisse progressive du niveau de dopamine produite en réponse à ce même stimulus. En revanche, lorsqu’un nouveau film a été introduit, la réponse sexuelle des sujets s’est brusquement amplifiée (là encore les mêmes mécanismes sont observés chez les sujets féminins17). Les scientifiques ont également découvert que la masturbation devant de nouvelles pornstars induisait une augmentation du volume et de la motilitéde l’éjaculat en comparaison avec la masturbation devant une actrice familière18. Le temps avant éjaculation décroît également de manière significative, tout comme il a été observé chez les rats. En bref, la nouveauté sexuelle se traduit non seulement par un désir bien plus important, mais également par une semence plus fertile et une éjaculation plus rapide.
Le phénomène n’a rien de problématique en soi et l’on perçoit très bien son utilité sur le plan génétique. Mais la donne change lorsque la nouveauté sexuelle devient accessible en permanence, et n’est donc paradoxalement plus si nouvelle que cela. La puissance sans égal de la réaction physiologique, auparavant justifiée (et limitée) par la rareté des rencontres, est aujourd’hui devenue contre-productive en ce qu’elle a tendance à emprisonner les utilisateurs dans une course à la jouissance sans fin face à une offre illimitée, et ce au détriment des autres dimensions de leur existence.
Un stimulus « supernormal »
Judith Schomaker et Martijn Meeter, « Short- and long-lasting consequences of novelty, deviance and surprise on brainand cognition », Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 55, août 2015, p. 268-279.
David Root, Alexander F. Hoffman, Cameron H. Good et al., « Norepinephrine activates dopamine D4 receptors in therat lateral habenula », The Journal of Neuroscience, vol. 35, n° 8, février 2015, p. 3460-3469.
Aline Wéry et Joel Billieux, «Online sexual activities: An exploratory study of problematic and non-problematic usage patterns in a sample of men», Computers in Human Behavior, 56, mars 2016, p. 257-266.
Le porno online est considéré par les scientifiques comme un stimulus supernormal. Cette notion, introduite par le prix Nobel Nikolaas Tinbergen, désigne un stimulus correspondant à une version exagérée d’un stimulus normal, perçu en conséquence par le cerveau comme extraordinairement précieux. Tinbergen avait par exemple réussi à duper des oiseaux et des papillons en les poussant à préférer des progénitures et des partenaires sexuels artificiels, simplement en les synthétisant plus gros, plus bruyants ou plus voyants que nature. Et ces expériences ont révélé que leurs instincts ne connaissent pas de limite : des stimuli démesurés au point d’être manifestement anormaux remportaient toujours la compétition. Plus les stimuli sont « super normaux », plus l’objet est perçu comme étant précieux. Le porno agit de manière comparable, en stimulant le consommateur de manière exagérée. Seins, lèvres et fesses siliconés, gros plans, orgies et scènes choc, tout est fait pour que l’internaute soit « super stimulé ». En effet, la nouveauté n’est pas le seul facteur influant sur la dopamine. Elle réagit également aux émotions fortes (et pas nécessairement positives), comme la culpabilité, le dégoût, l’embarras, l’anxiété, la peur, etc. De manière plus générale, tout ce qui perturbe nos attentes (choc, surprise…) accentue la décharge de dopamine19. Par ailleurs, ces différents états émotionnels boostent également d’autres neurotransmetteurs et hormones de stress (adrénaline, norépinéphrine, cortisol…) qui intensifient à leur tour l’excitation du sujet en amplifiant les effets de la dopamine20. Avec le temps, le cerveau d’un consommateur de porno peut ainsi progressivement confondre des sentiments d’anxiété, de malaise ou de peur avec une excitation sexuelle. Cela explique en partie pourquoi de nombreux utilisateurs glissent progressivement vers du contenu de plus en plus choquant et déviant, comme l’a confirmé une récente étude21.
Un stimulus unique : le prof n’est pas une addiction comme les autres
Gregory Tau et Bradley S. Peterson, « Normal development of brain circuits », Neuropsychopharmacology, vol. 35, n° 1,janvier 2010, p. 147-168.
En permettant aux consommateurs d’accéder à un contenu illimité, sans restriction, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, le porno tel qu’il est utilisé aujourd’hui permet aux utilisateurs de maintenir leur dopamine à des niveaux anormalement hauts, et ce sur des périodes anormalement longues. C’est ce qui rend ce produit si attractif, et potentiellement addictif. À titre d’exemple, de nombreux utilisateurs rapportent s’adonner à la pratique appelée edging, qui consiste à frôler l’orgasme de manière répétée mais sans l’atteindre. Cette pratique maintient des niveaux d’excitation et d’anticipation (et donc de dopamine) très élevés, sur des périodes qui peuvent durer des heures. Dans ces cas extrêmes, il ne s’agit plus de mimer l’acte sexuel ; les utilisateurs se comportent alors plutôt comme des junkies, multipliant les décharges de dopamine pour rester high plus longtemps. En effet, contrairement aux autres besoins naturels comme la nourriture ou le sommeil, il n’existe pas de plafond de satiété. Avant l’apparition du porno haut débit, c’était l’environnement qui se chargeait de limiter les excès. Le génome de nos ancêtres n’a pas jugé nécessaire de prévoir des garde-fous en ce sens étantdonné la rareté des rencontres et des nouvelles opportunités sexuelles. La récente accélération technologique a donné lieu à une véritable révolution sexuelle à laquelle notre neurophysiologie n’a pas eu le temps de s’adapter. C’est ainsi qu’on observe d’innombrables consommateurs sombrer dans des spirales addictives chronophages.
Le porno se distingue d’autres addictions comme la cigarette, les drogues ou les jeux vidéo en ce qu’il interfère avec un puissant circuit neurologique préexistant dans notre cerveau : celui lié au sexe et à la reproduction. C’est une différence fondamentale avec ces autres addictions qui, bien qu’ayant des effets potentiellement destructeurs sur le comportement et la structure du cerveau, n’entrent pas directement en relation avec nos fonctionnements primitifs. Le porno, en revanche, a pour effet d’altérer, de modeler lesstimuli auxquels répond notre sexualité, rendant ainsi notre réponse sexuelle de moins en moins sensible aux stimuli qu’on pourrait qualifier de « naturels ». Il est à noter que ces circuits neurologiques sont particulièrement vulnérables et sensibles au conditionnement lors de l’enfance et de l’adolescence22. L’accès libre au porno par les enfants étant un phénomène relativement récent, on manque encore de recul pour en mesurer l’impact sur leur vie sexuelle adulte, mais l’extrême malléabilité de leur cerveau laisse présager une amplification dramatique des effets déjà constatés sur les adultes.
Sexologie humaine : le porno et ses conséquences
Les effets neurologiques : une escalade vers l’extrême
Valerie Voon, Thomas Mole, Paula Banca et al., «Neural correlates of sexual cue reactivity in individuals with and without compulsive sexual behavior», PLoS One, 11 juillet 2014.
Simone Kühn et Jürgen Gallinat, « Brain structure and functional connectivity associated with pornographyconsumption: the brain on porn », JAMA Psychiatry, vol. 71, n° 7, juillet 2014, p. 827-834.
Aline Wéry et Joel Billieux, art. cit.
Grâce à la multiplication des études réalisées sur le sujet, il est désormais possible d’observer et de référencer les effets du porno sur le cerveau humain. Sur le plan neurologique, sa consommation induit unconditionnement de type chimique qui se décompose en deux processus concomitants :
- le phénomène dit de « sensibilisation » (au porno) : il désigne l’établissement de nouvelles connexions neuronales en faveur d’un certain comportement perçu comme gratifiant. Les différents circuits neuronaux activés lors de la stimulation deviennent de plus en plus interconnectés et réactifs les uns aux autres. Les connexions nerveuses ainsi remodelées rendent le sujet hypersensible aux divers stimuli qu’il peut associer au porno (allumage de l’ordinateur, pop-up explicite, solitude, ennui, etc.), déclenchant un désir sexuel automatique, indépendamment de tout contexte sexuel. En somme, unréflexe pavlovien23. Il lui devient alors très difficile de ne pas succomber au comportement addictif dès lors qu’il est soumis à ces stimuli indirects. Ce remodelage des connexions neuronales est un processus d’apprentissage appelé «neuroplasticité». Il a lieu en permanence au cours de notre vie et a pour but originel d’orienter l’individu vers les comportements perçus comme répondant à ses besoins Plus l’expérience est intense (niveau élevé de dopamine), plus les connexions nerveuses sont renforcées ;
- le phénomène dit de « désensibilisation » (à la dopamine) : fréquemment soumis à des niveaux élevés de dopamine, le sujet développe une tolérance qui se traduit par une baisse du nombre de récepteurs à la dopamine dans le cerveau. C’est une forme de « défense » neurologique face aux chocs hormonaux intenses et répétés. En conséquence, le sujet est de moins en moins sensible à l’excitation et a besoin de décharges de dopamine de plus en plus puissantes afin d’être sexuellement stimulé24. D’où les tendances à cliquer sur des vidéos de plus en plus déviantes ou choquantes et les expositions de plus en plus longues. La désensibilisation étant relative à la dopamine en général, et non pas spécifiquement au porno, ce sont toutes les activités génératrices de dopamine (et donc d’excitation) qui perdent progressivement leur attrait aux yeux du sujet. Tandis qu’il devient de plus en plus réactif aux stimuli liés au porno, il devient parallèlement de moins en moins sensible à toute autre forme de stimulation (activités sportives, sociales, artistiques, etc.), y compris l’excitation sexuelle procurée par un partenaire réel.Les grands consommateurs de porno éprouvent fréquemment une perte d’intérêt pour leurs goûts initiaux et explorent de nouveaux genres afin d’être suffisamment stimulés. Comme nous l’avons précédemment rapporté, nombre d’entre eux dévient progressivement vers le choquant, le tabou, voire l’effrayant ou le repoussant. Il est important de comprendre que lorsqu’un consommateur poussejusqu’à ces nouveaux genres, c’est généralement la désensibilisation qui en est la cause. Ses goûts fondamentaux n’ont pas réellement changé. En définitive, c’est un phénomène purement chimique. Une récente étude réalisée sur des sujets masculins a observé que la moitié d’entre eux avaient évolué vers ducontenu qu’ils trouvaient auparavant « inintéressant », voire « dégoûtant25 ». Chaque expérience grave ces nouvelles tendances dans le cerveau.Le développement de cette accoutumance à la dopamine peut également expliquer comment certains individus à la sexualité débridée et/ou obsessionnelle peuvent être considérés à tort comme ayant une libido insatiable. Dans de nombreux cas, il s’agit plutôt de la quête effrénée et désespérée d’une satisfaction qui s’enfuit, et qui ne laisse que des couleurs ternes à toutes les autres choses que la vie a à offrir. Plus les pratiques sont extrêmes, plus le seuil d’excitation sexuelle s’élève, et ainsi de suite…
Les effets psychologiques : dépression, anxiété, perte de libido …
De nombreuses études révèlent aujourd’hui le lien entre la consommation de porno et les problèmes rencontrés dans l’intimité : dysfonctionnements érectiles, frictions relationnelles, insatisfaction sexuelle, réponse réduite aux stimuli normaux… Les études sur la sexualité des jeunes hommes depuis 2010 rapportent des niveaux historiques de dysfonctionnements érectiles et de manque de libido chez les consommateurs de porno.
En 2016, plus d’un quart des consommateurs de porno recensés s’inquiétaient des répercussions négatives sur leur vie. Toujours dans la récente étude européenne déjà évoquée, près de 30% des participants considéraient leur propre usage comme problématique26. Par ailleurs, de plus en plus de consommateurs recherchent des traitements et des solutions afin de contrecarrer leur addiction27. Cependant, les symptômes étant extrêmement variés, ces personnes ne sont pas toujours certains que ces conséquences soient dues à la consommation intensive de porno.
Parmi ces symptômes, on trouve principalement :
- le manque de motivation et d’énergie (physique et intellectuelle) ;
- la masturbation fréquente et de faible satisfaction ;
- la perte de libido ;
- l’agitation constante et la difficulté à se concentrer ;
- la grande difficulté à être stimulé et/ou à obtenir une érection avec un partenaire réel;
- l’insécurité sociale, le manque de confiance et le repli sur soi ;
- l’inquiétude quant à l’évolution des goûts sexuels et aux tendances vers des genres de plus en plus extrêmes ou déviants ;
- des dysfonctionnements érectiles croissants, même en présence de contenu extrême ;
- la déprime, l’anxiété ;
- un sentiment de flottement, un manque d’implication émotionnelle et d’enthousiasme.
Ironiquement, l’une des raisons pour lesquelles il a parfois été délicat pour les scientifiques d’établir demanière univoque la relation entre ces symptômes et la consommation de porno est qu’il était très difficile de constituer un groupe témoin à comparer, c’est-à-dire d’obtenir un panel de jeunes non- consommateurs ! En effet, aujourd’hui, quasiment tous les jeunes consomment du porno. Par conséquent, ils ne sont généralement pas en mesure de prendre conscience des conséquences néfastes de cette consommation. Elles leur semblent correspondre à la normalité dans la mesure où ils n’ont rien connu d’autre et où ces conséquences sont observées chez tous leurs amis. Cependant, on observe désormais un phénomène très récent : de plus en plus de consommateurs, cherchant désespérément un remède aux dysfonctionnements sexuels croissants, cessent volontairement leur consommation. Il devient par conséquent possible de constituer des groupes témoins et d’effectuer des comparaisons de plus en plus pertinentes et univoques, qui confirment les suspicions. Un tel niveau de dysfonctionnements sexuels n’a jamais été observé chez les jeunes auparavant et les répercussions extrêmement positives des « sevrages » indiquent un lien univoque entre consommation de porno et problèmes sexuels, psychologiques et relationnels. Le recours systématique au Viagra, à l’alcool et aux antidépresseurs ne peut pas être la solution. Il existe bien un problème à la source, et c’est celui-là qu’il faut traiter.
Les effets relationnels : une détérioration des relations intimes
Dolf Zillmann et Jennings Bryant, « Pornography’s impact on sexual satisfaction », Journal of Applied Social Psychology, 18, n° 5, avril 1988, p. 438-453.
Voir Julie Albright, « Sex in America online: an exploration of sex, marital status, and sexual identity in Internet sexseeking and its impacts », The Journal of Sex Research, vol. 45, n° 2, avril-juin 2008, p. 175-186 (avec « Erratum », vol. 46, n° 4,juillet-août 2009, p. 381).
Voir Elena Martellozzo, Andy Monaghan, Joanna Adler et , “I wasn’t sure it was normal to watch it.” A quantitative and qualitative examination of the impact of online pornography on the values, attitudes, beliefs and behaviors of children and young people, rapport de la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (NSPCC), juin 2016.
Le porno donne accès à un contenu toujours nouveau, toujours plus stimulant. Par comparaison, les rapports sexuels avec un partenaire de vie peuvent devenir une aventure beaucoup moins palpitante. Nouveauté et variété ne sont forcément plus au rendez-vous. Ce sont d’autres formes de plaisir que peut procurer la sexualité réelle : sensualité, romantisme, relaxation, réconfort, voire spiritualité pour certains. C’est donc une activité donnant lieu à une sécrétion de dopamine moins forte, au profit d’autres hormones comme l’ocytocine (« hormone de l’amour »), bien plus bénéfique pour le corps et l’esprit ainsi que pour l’intensité du lien conjugal. Malheureusement, c’est la dopamine que notre cerveau primitif choisit pour déterminer malgré nous la valeur de l’activité considérée. En d’autres termes, le porno est susceptible de faire perdre tout intérêt pour le partenaire habituel. Une étude de 1988 ayant soumis les sujets à une consommation régulière de porno rapportait une baisse significative de satisfaction avec leurs conjointes, mais également une baisse de l’attachement sentimental, ainsi qu’une dévaluation de l’apparence et de la performance de leurs partenaires28. De nos jours, la masturbation online devient une activité physiologiquement plus valorisée que la sexualité naturelle et les dimensions sensuelles, relationnelles et romantiques des rapports de couple s’effacent inéluctablement, écrasées par le rouleau compresseur neurochimique qu’est le porno haut débit.
On ne peut s’empêcher de relever l’ironie amère de la situation : le mécanisme primitif élaboré en vue de favoriser la reproduction est précisément celui qui éloigne les utilisateurs de partenaires réels. Les études observent en effet une corrélation entre la consommation de porno et la baisse de satisfaction conjugale dans son ensemble, ainsi que des effets sensibles sur la viabilité des mariages sur le moyen et long terme. Les répercussions du porno sur la qualité des relations ne sont pas seulement d’ordre sexuel. Plus largement, la consommation de porno détériore l’implication sentimentale du consommateur, l’attachement affectif entre les partenaires et l’estime de soi du conjoint. Les consommateurs sont par exemple davantage critiques à l’égard du corps de leur partenaire, ont tendance à insister pour imiter les positions et pratiques découvertes au cours de leurs vagabondages pornographiques, et sont paradoxalement moins portés sur les relations sexuelles au sein du couple29.
Enfin, le porno induit un conditionnement sexuel qu’on pourrait presque qualifier de social, lié au fait que ce produit est, pour la plupart des enfants et adolescents, le principal moyen de s’éduquer sur la sexualité. Pour faire simple, les jeunes consommateurs se disent: « C’est comme ça que fonctionne la sexualité ; c’est donc comme ça que je dois faire30. » En l’absence d’une éducation sexuelle et émotionnelle assumée, que ce soit par l’école ou au sein des familles, où le mutisme crispé demeure la réponse la plus fréquente, les enfants et adolescents trouvent leurs modèles là où ils le peuvent. Et le «modèle sexuel» est particulièrement important chez les petits hommes dont l’identité masculine et la virilité sont quasi exclusivement déterminées par la sexualité dans ces premières phases de la vie adulte. Il est peut-être temps de se décomplexer, de briser les tabous et d’intégrer dans les cadres scolaire et familial un terrain de discussion, de communication et d’éducation qui fait cruellement défaut aux jeunes. À défaut de ce progrès, comment les préserver du doute, de la confusion et des comportements néfastes à une relation intime saine et équilibrée ? En l’absence de guide, ils n’auront d’autre choix que de mimer la seule référence qui leur est donnée : le porno.
Peut-on parle d’addiction ?
American Society of Addiction Medicine (Asam), «The definition of addiction», asam.org, 12 avril 2011.
Nombreux sont ceux qui considèrent encore aujourd’hui que seule l’absorption d’une substance chimique peut être à l’origine d’une addiction, et non un comportement comme la consommation de porno. Mais les neuroscientifiques spécialistes de l’addiction ont aujourd’hui une perception bien plus large du phénomène. Les nouveaux critères de définition de l’addiction exposés par l’American Society of Addiction Medicine (Asam) englobent désormais les addictions comportementales sexuelles31. Parmi les critères, on trouve :
- une compulsion à l’usage ;
- une persistance dans le comportement malgré les conséquences négatives ;
- une incapacité à contrôler l’usage.
Par ailleurs, on retrouve chez les consommateurs de porno des symptômes de manque similaires à ceux observés chez les individus dépendants à la cocaïne ou à l’alcool lorsqu’ils tentent de mettre fin à leur addiction : insomnie, difficulté à se concentrer, anxiété accrue, grande fatigue, agitation, irritabilité, déprime…
On peut d’ailleurs considérer que ces définitions concurrentes de l’addiction (l’une restrictive, l’autre extensive) ne sont pas réellement en contradiction. En effet, même lorsque l’addiction est provoquée et entretenue par un comportement, et non par l’absorption d’une substance, le processus demeure fondamentalement chimique : dans les deux cas, une perturbation des niveaux de dopamine entraîne des altérations cérébrales croissantes de nature à consolider le comportement addictif. Le débat n’a pas lieu d’être : l’addiction au porno existe bel et bien.
L’impasse d’une stratégie de la modération
Hyeon Min Ahn, Hwan Jun Chung et Sang Hee Kim, « Altered brain reactivity to game cues after gaming experience »,Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 18, n° 8, août 2015, p. 474-479.
Paul Johnson et Paul J. Kenny, « Dopamine D2 receptors in addiction-like reward dysfunction and compulsiveeating in obese rats », Nature Neuroscience, vol. 13, n° 5, mai 2010, p. 635-641.
Simone Kühn et Jürgen Gallinat, art. cit.
La question qui est souvent posée au vu des précédentes observations est la suivante : quel est alors le niveau de consommation raisonnable pour éviter les effets néfastes du porno ? Mais cette question est fallacieuse en ce qu’elle donne à ces effets un caractère binaire : si l’on reste raisonnable, on n’a aucun problème ; tandis que si l’on dépasse les limites, on devient un addict. Or il n’en est rien. Le degré d’altération neurologique liée au porno est davantage comparable à un variateur qu’à un interrupteur. Quel que soit le degré de consommation, le cerveau est constamment en train d’apprendre, de changer etde s’adapter à l’environnement. Les études révèlent qu’une faible quantité de stimulus super normal suffit à altérer rapidement le cerveau et à modifier le comportement. Par exemple, il suffit de quelques jours pour observer une sensibilisation notable aux jeux vidéo sur des jeunes adultes sains32. Le même type de réaction est observé pour la « junk food33 ». Quant au porno, une étude allemande réalisée sur des sujets masculins non dépendants au porno a observé l’accroissement rapide de modifications cérébrales de type addictif avec l’augmentation de la consommation de porno34. C’est la raison pour laquelle la question «quelle quantité de porno est acceptable ?» n’est pas pertinente. La consommation de porno, quelle que soit sa fréquence, induit immédiatement des altérations neurologiques, et celles-ci croissent avec le niveau de consommation.
Par ailleurs, il est souvent plus difficile de consommer un produit addictif avec modération que de s’en séparer complètement. On l’observe avec l’alcool ou la cigarette. Chaque exposition au contenu pornographique générant une réaction neurochimique gratifiante, la modération consiste dès lors à « se retenir d’en abuser », ce qui crée dans l’esprit du sujet une tentation et un conflit interne permanents. L’hypothèse la plus probable est alors celle d’un glissement progressif vers l’excès, au fil des petites excuses que les sujets ont tant de facilité à trouver (mauvaise journée, mauvaise humeur, fatigue, besoin de décompresser, etc.). Mieux vaut dès lors se débarrasser complètement du porno et déconnecter le sentiment de bien-être de sa consommation.
Les remèdes
La censure : ni efficace, ni souhaitable
C’est notamment ce que soutenait Jérémie Zimmermann, cofondateur de l’organisation de défense des droits et libertésdes citoyens sur Internet La Quadrature du Net, dans une interview accordée à Atlantico en Voir « Pourquoi la décisionde l’Islande d’interdire le porno est vaine », atlantico.fr, 28 février 2013.
Chaque année, l’Arjel publie un rapport d’activité que l’on peut consulter sur le site de l’institution.
The Guardian, « Parliamentary attempts to access online pornography revealed by FoI request », 3 septembre 2013.
Matthew Hussey, « Who are the biggest consumers of online porn? », thenextweb.com, 24 mars 2015.
Ibid.
Ewen Callaway, « Porn in the USA: conservatives are biggest consumers », go.com, 28 février 2009.
Matthew Hussey, art. cit.
Face au problème du porno, l’idée de la censure vient naturellement à l’esprit . Mais une telle réponse ne semble pas adaptée, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, comme technique d’empêchement, la censure n’a jamais réussi à montrer son efficacité. En 2013, l’Islande a tenté d’empêcher l’accès aux contenus porno sur l’ensemble du pays. Bien sûr, l’interdiction ou l’empêchement par un État s’oppose aux principes de la liberté en général, en particulier sur le Web où la culture libérale est plus vive. Les réactions à cette tentative ont été diverses. Certaines se sont montrées favorables, d’autres ont critiqué l’entreprise, soit au nom de la libertéet de la responsabilité dont chaque individu doit rester le dépositaire, soit au nom de l’impossibilité technique de censurer le porno online35. La tentative de censure islandaise est restée vaine, le porno online est demeuré accessible aux Islandais.
Peut-être serait-il utile de considérer ce qui a pu être engagé dans la lutte contre d’autres formes d’addictions liées ou favorisées par le Web et à partir d’une mobilisation de l’appareil administratif afin d’en mesurer l’efficacité et peut-être d’y trouver une source d’inspiration. Ainsi, on peut citer le cas de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Il s’agit d’une autorité administrative indépendante créée le 12 mai 2010 dans le cadre de la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne de 2010. L’Arjel est notamment chargée de lutter contre l’addiction aux jeux en ligne. L’une de ses missions prioritaires est de protéger les publics vulnérables définis comme les « joueurs excessifs et pathologiques » mais aussi les mineurs. À cette fin, des dispositions ont été prises. Ainsi les mineurs sont interdits de jeu. Des modérateurs de jeu doivent obligatoirement être proposés par les opérateurs de jeux en ligne. Les joueurs doivent en particulier autolimiter leurs mises et leurs dépôts en fonction de leurs moyens. Des procédures d’auto-exclusion et d’auto-interdiction d’un site de jeux ont été mises en place afin de protéger l’internaute contre le jeu excessif et le risque pathologique. Enfin, chaque site de jeu en ligne doit obligatoirement mentionner le numéro permettant d’appeler une plateforme d’aide, Joueur Écoute Info Service. Respectant l’anonymat de l’appelant, ce numéro est aisément accessible (8 heures à 2 heures, 7 jours sur 7). Il est même possible de se faire rappeler par un conseiller.
Si l’Arjel est une institution publique, elle agit cependant en relation avec des associations. Elle a ainsi établi un partenariat avec SOS Joueurs, une association à but non lucratif qui se mobilise sur la prévention et l’aide à apporter aux personnes dépendantes du jeu ainsi qu’à leur entourage et dont le registre d’action porte non seulement sur le plan psychologique et social, mais aussi sur le plan juridique36.
Enfin, signe des impasses de la censure, il faudrait d’abord commencer par censurer le censeur lui-même, c’est-à-dire le législateur. En effet, en 2012 les services informatiques du Parlement britannique ont enregistré plus de 300.000 connexions à des contenus pornographiques depuis les ordinateurs de la noble assemblée élue, soit une moyenne de 800 connexions par jour37. Pas plus que les sanctions légales, la réprobation morale ne semble capable de limiter le flux d’internautes vers les contenus pornographiques. En atteste la géographie de la consommation de porno dans le monde : dès lors qu’elles ont accès à Internet, les sociétés deviennent consommatrices, qu’elles soient permissives ou répressives38. Les données extraites des recherches sur Google font même ressortir une géographie de la consommation de porno online qui démontre l’inefficacité de la censure et de la répression morale en mettant en évidence une sorte de carte inversée : les États où les recherches de porno online sont les plus nombreuses appartiennent généralement aux cultures les plus répressives39. La mesure de la consommation de porno online fait apparaître que les pays culturellement et socialement les plus conservateurs sont aussi ceux où la consommation est la plus élevée. De la même façon, aux États-Unis, les États conservateurs sont ceux où la consommation est la plus forte40.
La censure par les dispositifs informatiques n’est pas opératoire en l’état actuel des technologies. Les outils disponibles, tels que filtres et systèmes d’authentification destinés à limiter l’accès au porno ont peu, voire pas d’efficacité, tant l’offre est abondante, facile d’accès et gratuite ! De plus, lorsque les internautes ont le sentiment qu’un obstacle se présente à eux, ils trouvent sur le même Web le moyen de le contourner aisément. Ainsi, si un moteur de recherche comme Google donne moins aisément accès au porno online, il se tourne vers un autre, par exemple Bing, pour y parvenir malgré tout41.
En second lieu, indépendamment de son efficacité, la censure est un procédé de régulation à la légitimité très contestable. Plutôt que d’empêcher les individus d’accéder à un type de contenu, n’est-il pas préférable de les informer sur ses effets néfastes et leur donner ainsi la liberté et la responsabilité de prendre en main leur existence ? Qu’est-ce que la souveraineté du citoyen sinon la liberté de choisir la manière dont il entend mener sa vie ? Mais un choix n’est vraiment libre que s’il est éclairé. Les effets dévastateurs du porno tiennent pour beaucoup au fait que les internautes ne sont tout simplement pas informés sur la question. C’est là que doit se jouer la transition salutaire. Non pas dans la restriction des libertés mais dans l’expansion de la conscience. Nous pouvons dès lors nous contraindre souverainement dans le but d’améliorer notre vie ou nous adonner aux activités néfastes et en assumer ensuite les conséquences.
Le « redémarrage »
La meilleure solution pour guérir les symptômes précédemment évoqués semble être le «redémarrage» (rebooting), qui consiste à se tenir à l’écart de toute forme de stimulation sexuelle artificielle jusqu’à ce que la réponse physique, chimique et émotionnelle revienne à un niveau normal. Une série de rapports cliniques récents a déjà confirmé l’efficacité de cette méthode42.
L’élimination du porno (y compris en tant que fantasme) conduit à un affaiblissement progressif descircuits neuronaux préalablement consolidés en faveur du comportement addictif, rendant le sujet graduellement moins sensible aux stimuli addictifs et plus sensible aux stimuli normaux. Cela se traduit par une nette amélioration psychologique et émotionnelle globale. Parmi les bénéfices le plus souvent rapportés, on trouve :
- une augmentation du niveau d’énergie et de motivation ;
- une augmentation de la libido ;
- une meilleure concentration ;
- la facilité croissante à être stimulé et/ou à obtenir une érection avec des partenaires réels ;
- une plus grande confiance en soi en situation sociale ;
- un enthousiasme et une sensibilité émotionnelle croissants, un sentiment d’être plus « vivant ».
En phase de « sevrage », il est extrêmement bénéfique pour le sujet de retrouver une sensibilité naturelle enpassant du temps avec des partenaires potentiels réels. Le contact physique affectueux est un puissant facteur de rééquilibrage, en plus d’avoir un impact très bénéfique sur l’équilibre hormonal (en agissant notamment sur l’ocytocine) et sur le bien-être global. Un certain nombre de consommateurs intensifs de porno rapportent n’être pas suffisamment excités par des partenaires réels pour avoir des relations sexuelles43. Ce n’est pas pour autant qu’ils doivent se priver de relations sensuelles, bien au contraire.Plus largement, toute forme de contact affectueux (y compris amical) aide grandement à un rétablissement du lien entre la réponse émotionnelle et physiologique du sujet et la réalité.
Précisons que le « redémarrage » n’a bien évidemment pas pour vocation de permettre un futur retour àune consommation contrôlée et équilibrée de contenu pornographique. Comme pour toute addiction, le cerveau demeure durablement vulnérable à la spirale addictive et les circuits cérébraux en question peuvent être aisément réactivés par un retour au comportement addictif. La masturbation en elle-même ne semble pas néfaste, mais elle peut rendre la phase de rééquilibrage beaucoup plus difficile. En effet, même sans stimulation virtuelle directe, les habitués du porno auront tendance à fantasmer sur le même type de contenu, ce qui, d’une part, rend la tentation extrême et les rechutes plus fréquentes, et, d’autre part, continue d’entretenir les connexions neurologiques entre le contenu pornographique extrême et le désir sexuel. La méthode drastique consistant à éviter également la masturbation (demanière temporaire) semble faciliter et accélérer sensiblement le processus de rééquilibrage.
Cette phase de « désintoxication » initiale est généralement très difficile. Comme pour toute addiction, les répercussions positives du rebooting ne se font généralement pas ressentir immédiatement. En effet, il est fréquent que le sujet se retrouve dans un premier temps dans une situation de manque, avec potentiellement tous les symptômes qui y sont généralement associés (pulsions addictives exacerbées, irritabilité, impatience, difficulté à se concentrer, repli sur soi, etc.). En fonction du degré d’addiction, on peut observer des symptômes de manque similaires au sevrage après addiction à l’alcool, au tabac, à la drogue, au jeu, etc. C’est une phase de transition nécessaire afin que le cerveau du sujet s’adapte à sa nouvelle situation. Pendant la période initiale, il est donc fortement recommandé d’éviter de se retrouver dans les situations favorables au comportement addictif (rester seul chez soi, surfer sur Internet sans but précis, cliquer sur tout type d’image sexuellement excitante) et de « combler l’espace » en recourant à des activités plus saines et ayant un impact positif sur le moral et l’équilibre hormonal : activités sportives intenses, relations sociales divertissantes, passions artistiques et créatives, stimulations sensorielles non sexuelles (yoga, méditation, stretching, massage, etc.)… Avec le temps (variable en fonction des cas), les symptômes inconfortables laissent progressivement place à tous les bénéfices associés au sevrage. La vie émotionnelle, psychologique et sentimentale du sujet s’en trouve souvent métamorphosée, comme le prouve le nombre croissant d’internautes fréquentant les nouveaux forums spécialisés sur la question.
Vers une prise de conscience collective
Florent Badou est l’auteur du livre Avant j’étais accro au La méthode pour arrêter la pornographie (Florent Badou éditeur,2015), préfacé par le Marc Auriacombe, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université de Bordeaux et à l’université de Pennsylvanie, Philadelphie (États-Unis). Disponible sur Amazon.
Présentation de l’association sur son site (ennocence.org/presentation).
revue-rsaa.com
« À l’heure actuelle, 95% de la consommation mondiale de porno passe par ce que l’on appelle “les tubes”, à savoir des sites de streaming en accès libre et gratuit construits sur le même modèle que Leurs chiffres de fréquentation sont ahurissants, nous en sommes à plus de 200 milliards de vidéos visionnées rien que pour l’année 2016. Ces sites sont accessibles à tous, peu importe l’âge, sans aucun contrôle. Le streaming offre une immédiateté que ne permettait pas le téléchargement et ne laisse aucune trace, du moins en apparence. Ce qui explique que n’importe qui peut avoir accès à ces vidéos, des voisins, des collègues, des enfants, à partir d’un simple smartphone. Dans les cours de récréation, les gamins peuvent faire circuler une vidéo en quelques clics et il est difficile de pouvoir tout contrôler. Et cela a également un impact sur nos vies en tant qu’anciennes professionnelles. Il y a quelques semaines, une ancienne actrice m’a contactée : elle avait repris ses études mais était à deux doigts de se faire renvoyer de son école parce que les étudiants s’amusaient à faire circuler ses scènes pendant les cours. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres » (« Pornocratie. Un docu “choc” réalisé par Ovidie. Interview », 13 janvier 2017.
Jerico Mandybur, « La petite ville australienne qui voulait devenir “porn free” », mashable.france24.com, 14 octobre 2016.
Ils sont aujourd’hui des milliers à partager leur histoire et à soutenir une nouvelle manière de vivre sa sexualité, au point d’incarner un véritable mouvement culturel. Cette tendance grandissante accompagne les récentes études scientifiques qui osent enfin se pencher sur la question et les innombrables témoignages d’individus dont la vie a été métamorphosée. C’est toute une communauté solidaire qui s’est formée sur Internet, notamment sur yourbrainonporn.com ou yourbrainrebalanced.com déjà cités plus haut (sites américains, malheureusement pour les non-anglophones), où l’on trouve non seulement des milliers de témoignages mais également une flopée d’articles explicatifs et une documentation scientifique exhaustive et constamment mise à jour. Si vous désirez approfondir vos connaissances sur le sujet, n’hésitez pas à y faire un tour. Les nouveaux venus sur ces forums sont encouragés à relever un petit défi : le 90 Day Challenge, qui consiste à rester scrupuleusement à l’écart de toute stimulation sexuelle virtuelle pendant trois mois. Si vous êtes vous-même un consommateur (ou une consommatrice) de porno, vous êtes probablement dépendant sans le savoir… Tentez l’expérience : relevez le challenge et observez les répercussions sur votre vie quotidienne, votre état émotionnel, votre niveau d’énergie et votre manière d’interagir avec vos semblables. Vous ferez certainement quelques découvertes éclairantes sur vous-même.
En France aussi, des blogs et des sites s’efforcent d’aider les personnes qui souhaitent se libérer de la dépendance au porno en ligne et proposent de les accompagner dans leur démarche, de les conseiller,etc. On peut citer pornodependance.com ou encore le blog de Florent Badou (stopporn.fr) qui offre denombreux conseils, par exemple l’utilisation de la fonction « contrôle parental » par un adulte souhaitant bloquer sa propre consommation de porno en ligne44. Dans ce cas, il est nécessaire de mettre en place un « tiers administrateur ». Pour l’utilisation de filtrage Web, le site stopporn.fr recommande le logiciel K9 Web Protection qui semble faire « consensus dans le milieu des accros-au-porno-qui-cherchent-à-s’en-sortir ». L’animateur du blog stopporn.fr propose des tutoriels en ce sens et conseille l’utilisation de TeamViewer ou Google Hangouts.
L’association Ennocence doit être particulièrement mentionnée dans le cadre de cette note. Créée en mars 2015 par Héléna Walther, présidée par Brigitte Lahaie, cette association a pour but de « protéger les enfants contre les risques d’exposition à la pornographie en ligne, principalement sur les sites de téléchargement et de streaming illégaux. À travers de nombreuses initiatives (formation, études scientifiques, livre blanc…), [l’association souhaite] sensibiliser la communauté éducative, les médias, les éditeurs de sites Internet et les autorités publiques en les mobilisant pour un Internet plus sûr45 ».
De même, signalons l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), une association à but non lucratif dont la vocation est d’accompagner et de responsabiliser les parents, les enseignants et les adultes en général dans la compréhension et l’usage des outils numériques46. L’Open bénéficie du partenariat de Google, du ministère des Familles de l’Enfance et des Droits des femmes, de La Voix de l’enfant47, qui fédère 80 associations dédiées à la protection de l’enfance dans le monde, et de la Revue de socio-anthropologie de l’adolescence48. Sur le site Open, on peut notamment lire un entretien avec Ovidie, la réalisatrice du documentaire Pornocratie, diffusé sur Canal+49, et dont elle explique la généalogie dans un entretien éclairant50. Ces communautés « pornfree » ne se constituent pas uniquement sur Internet. On citera à titre d’exemple la ville australienne de Toowoomba, dont 200 citoyens se sont rassemblés il y a quelques mois pour prêter serment de s’abstenir de consommer du porno au vu de ses nombreux effets néfastes. Une initiative dénuée de toute revendication religieuse, dont le maire était à l’origine, et qui n’avait pas pour but de donner lieu à une quelconque réglementation répressive mais uniquement de témoigner un engagement à préserver leurs enfants, leurs vies et leur futur51.
La grande majorité des internautes consomment du porno. Cessons les mensonges et l’hypocrisie ! C’est un phénomène de masse qui, s’il n’a rien de honteux n’en est pas moins problématique par les effets qu’il entraîne sur les individus concernés, leurs relations sociales, comme sur la société en général. Il est temps de briser les tabous, d’admettre sans complexe l’état des choses et de prendre conscience des effets réels d’une addiction dont le caractère massif tient aussi au fait qu’elle est banalisée et dont les effets sont grandement sous-estimés. Une désintoxication en profondeur est nécessaire, particulièrement au sein des jeunes générations, dans un but de développement personnel et d’assainissement des relations interindividuelles. Notre sexualité est un aspect fondamental de notre identité, qui se reflète sur l’ensemble de notre existence. Brisons nos addictions, retrouvons notre essence, redevenons nous-mêmes.
ANNEXE 1
Études établissant un lien entre la consommation de contenu pornographique et les dysfonctionnements érectiles, la chute de libido et les altérations neurologiques :
BRONNER (Gila) et BEN-ZION (Itzhak Z.), « Unusual masturbatory practice as an etiological factor in the diagnosis and treatment of sexual dysfunction in young men », The Journal of Sexual Medicine, vol. 11, n° 7, juillet 2014, p. 1798-1806.
CARVALHEIRA (Ana), TRÆEN (Bente) et ŠTULHOFER (Aleksandar), « Masturbation and pornography use among coupled heterosexual men with decreased sexual desire: How many roles of masturbation? », Journal of Sex & Marital Therapy, vol. 41, n° 6, juillet 2015, p. 626-635.
COTIGĂ (Alin C.) et DUMITRACHE (Sorina D.), « Men’s sexual life and repeated exposure to pornography: a new issue? », Journal of Experiential Psychotherapy, vol. 18, n° 4, décembre 2015, p. 40-45.
DANEBACK (Ktistian), TRÆEN (Bente) et MÅNSSON (Sven-Axel),
« Use of pornography in a random sample of Norwegian heterosexual couples »,
Archives of Sexual Behavior, vol. 38, n° 5, octobre 2009, p. 746-753.
JANSSEN (Erick) et BANCROFT (John), «The Dual-Control Model: the role of sexual inhibition & excitation in sexual arousal and behavior », in Erick Janssen (dir.),
The Psychology of Sex, Indiana University Press, 2007, p. 197-222.
KLEIN (Verena), JURIN (Tanja), BRIKEN (Peer) et ŠTULHOFER (Aleksandar),
« Erectile dysfunction, boredom, and hypersexuality among coupled men from two European countries », The Journal of Sexual Medicine, vol. 12, n° 11, novembre 2015, p. 2160-2167.
KLUCKEN (Tim), WEHRUM-OSINSKY (Sina), SCHWECKENDIEK (Jan), KRUSE
(Onno) et STARK (Rudolf), «Altered appetive conditioning and neural connectivity in subjects with compulsive sexual behavior », The Journal of Sexual Medicine, vol. 13, n° 4, avril 2016, p. 627-636.
KÜHN (Simone J.) et GALLINAT (Jürgen), « Brain structure and functional connectivity associated with pornography consumption: the brain on porn », JAMA Psychiatry,
vol. 71, n° 7, juillet 2014, p. 827-834.
PARK (Brian Y.), WILSON (Gary), BERGER (Jonathan), CHRISTMAN (Matthew), REINA (Bryn), BISHOP (Frank), KLAM (Warren P.) et DOAN (Andrew P.), « Is Internet pornography causing sexual dysfunctions? A review with clinical reports », Behavioral Sciences, vol. 6, n° 3, septembre 2016.
PIZZOL (Damiano), BERTOLDO (Alessandro) et FORESTA (Carlo), «Adolescents and Web porn: a new era of sexuality », International Journal of Adolescent Medicine and Health, vol. 28, n° 2, mai 2016, p. 169-173.
PORTO (Robert), « Habitudes masturbatoires et dysfonctions sexuelles masculines »,
Sexologies, vol. 25, n° 4, novembre 2016, p. 160-165.
PRAUSE (Nicole), STEELE (Vaughn R.), STALEY (Cameron), SABATINELLI (Dean)
et HAJCAK (Gref), « Modulation of late positive potentials by sexual images in problem users and controls inconsistent with “porn addiction”», Biological Psychology, vol. 109, juillet 2015.
STEELE (Vaughn R.), STALEY (Cameron), FONG (Timothy) et PRAUSE (Nicole),
« Sexual desire, not hypersexuality, is related to neurophysiological responses elicited by sexual images », Socioaffective Neuroscience & Psychology, vol. 3, n° 1, août 2013.
SUTTON (Katherine S.), STRATTON (Natalie), PYTYCK (Jennifer), KOLLA (Nathan J.) et CANTOR (James M.), « Patient characteristics by type of hypersexuality referral: a quantitative chart review of 115 consecutive male cases », Journal of Sex & Marital Therapy, vol. 41, n° 6, juillet 2015, p. 563-580.
VOON (Valerie), MOLE (Thomas B.), BANCA (Paula), PORTER (Laura), MORRIS (Laurel), MITCHELL (Simon), LAPA (Tatyana R.), KARR (Judy) HARRISON (Neil A.), POTENZA (Marc N.) et IRVINE (Michael), « Neural correlates of sexual cue reactivity in individuals with and without compulsive sexual behaviours », PLoS One, 11 juillet 2014.
WÉRY (Aline) et BILLIEUX (Joel), « Online sexual activities: An exploratory study of problematic and non-problematic usage patterns in a sample of men », Computers in Human Behavior, vol. 56, mars 2016, p. 257-266.
ANNEXE 2
Études établissant un lien entre la consommation de contenu pornographique et la détériorationdes relations de couple :
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