La politique européenne de développement : une réponse à la crise de la mondialisation ?
Introduction
La crise, révélateur d’une vision géographique obsolète
Tirer les conséquences du « rétrécissement de l’espace-temps »
Inverser La tendance à l’accentuation des écarts de développement économique et humain
Redéfinir la hiérarchisation implicite de l’espace
Dépasser le cloisonnement régional actuel
Une politique de partenariat structurel bénéfique à la place de l’Europe dans le monde
L’espace régional, objet et support de développement
Définir le concept de politique partenariale
Organiser le dialogue politique
La nécessité d’une nouvelle architecture de l’ide européenne
Clarifier les responsabilités au sein du système européen
Unifier l’architecture financière
Mettre l’ensemble des acteurs en réseau
Conclusion
Introduction
M. debrat, « pour une politique européenne de développement », paris, Fondation pour l’innovation poli- tique, document de travail, octobre 2006.
orientations de suivi du séminaire d’ermenonville sur l’architecture de l’aide, AFD, décembre 2008.
A titre de comparaison, ce montant s’élève respectivement à 53 et à 44 euros pour un américain et pour un Japonais.
Une précédente note publiée en 20061 analysait la place de l’Europe dans le monde et concluait à la nécessité de créer, par étapes, un véritable système européen de coopération. Près de trois ans plus tard, les nouveaux enjeux de l’aide au développement – tels que la place croissante occupée par les nouveaux acteurs de l’aide, notamment les pays émergents – et les récentes avancées de la coopération européenne sur la voie d’une plus grande efficacité de son action nous invitent à poursuivre cette réflexion. La présente étude propose un nouveau tour d’horizon des finalités et des particularités de la coopération européenne, faisant le point tant sur les progrès réalisés ces dernières années que sur les perspectives d’avenir, dans le contexte actuel de crise de la mondialisation.
À l’heure des crises internationales – alimentaire, énergétique, climatique et financière –, le monde en développement a plus que jamais besoin d’un partenariat solide avec l’Europe. Mais l’Europe – qui s’interroge aujourd’hui sur son devenir dans la mondialisation – a aussi plus que jamais besoin de partenaires qui se développent. C’est pour elle une condition d’adaptation aux défis contemporains. Il est donc aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour l’Europe de prendre la pleine mesure du « sens de l’urgence »2.
Le propre des périodes de crise est d’engendrer les réformes nécessaires à leur résolution. Celles-ci peuvent alors enclencher des cercles vertueux – d’ouverture – comme des cercles vicieux – de repli sur soi. La crise financière actuelle interpelle l’Europe sur sa relation au reste du monde, et en particulier à son espace régional le plus proche. Pour faire face aux crises auxquelles elle est actuellement confrontée, l’Europe devra faire – vis-à-vis de ses partenaires – le choix de l’ouverture, c’est-à-dire de l’investissement dans le Sud et dans l’Est.
Premier bailleur de par son effort financier, l’Union européenne – Commission et États membres confondus – fournit près de 60% de l’aide publique au développement (APD) mondiale, soit l’équivalent de 93 euros par citoyen européen en 20073. Toutefois, malgré son poids financier, la politique européenne de développement est confrontée à un défi stratégique majeur. En effet, pour peser dans les débats globaux, l’Europe doit aussi gérer au mieux ses intérêts régionaux. Car, en dépit de l’ampleur de l’aide européenne, les écarts de développement économique et humain qui persistent à l’intérieur des différents espaces proches de l’Union se révèlent insoutenables.
L’Europe se voit aujourd’hui dans la nécessité de répondre au défi de construire une capacité d’intervention politique et opérationnelle à la mesure de son ambition régionale et globale.
À cet égard, 2009 constitue une année charnière pour la politique européenne de développement : au lendemain de l’élection du nouveau Parlement européen, dans la perspective du renouvellement de la Commission et dans l’optique de la mise en œuvre du traité de Lisbonne, le moment est propice à une réflexion, afin de nourrir ce débat et de définir un mandat pour la Commission en matière de développement.
La crise, révélateur d’une vision géographique obsolète
Tirer les conséquences du « rétrécissement de l’espace-temps »
JM. severino, « aide européenne, carrefour des intérêts globaux », La Croix, 17 novembre 2008.
un domaine dans lequel la politique européenne se veut d’ailleurs voir p. Jacquet, J.-m. bellot et d. loyer, « le développement durable dans la politique de coopération européenne », Penser l’Europe, juillet 2008.
source : World energy council.
1) Les limites de notre modèle de développement
Le double mouvement de globalisation des échanges économiques et de réduction de l’espace-temps crée un espace ouvert dans lequel tout conflit d’intérêts affecte la communauté dans son ensemble. Dans ce contexte de montée des interdépendances et de « rétrécissement de l’espace », des phénomènes localisés engendrent rapidement des effets globaux. En particulier, l’immédiateté de la transmission des maux communs de l’humanité – pandémies, effets du réchauffement climatique, insécurité – appelle des réponses rapides et coordonnées. Car le défaut de régulation d’un continent peut brusquement se transformer en problème domestique pour ses voisins4.
Dans cet espace devenu restreint, nos propres modèles de développement sont en cause. Pour ne prendre que l’exemple climatique, les preuves du caractère non soutenable des trajectoires suivies par nos pays s’accumulent5. Les pays industrialisés, qui représentent 22% de la population mondiale, consomment 61% de l’énergie primaire totale6. En fait, le sous-développement met en cause notre propre modèle de développement.
Notre vision stratégique du monde est elle aussi en question. Le marché transatlantique, alpha et oméga de nos grandes entreprises, est-il vraiment l’avenir de l’Europe? Pourquoi consacrer des ressources financières toujours plus importantes à un marché qui ne représente qu’un sixième de l’humanité, alors même que les plus grands besoins en investissements et en équipements sont dans le Sud ?
L’unité de mesure régionale en terme de population est désormais de 500 millions d’individus. Selon cette échelle, à l’horizon d’une décennie, l’Europe ou les États-Unis compteront pour un, l’Inde pour deux, la Chine pour trois, et l’Afrique pour quatre.
On ne peut ainsi que constater que la géographie financière et la répartition des capitaux sont déconnectées de la carte de la population mondiale.
Enfin, à cette non-soutenabilité à l’échelle globale s’ajoute pour l’Europe un enjeu régional spécifique. Car elle est également interpellée par la gestion d’équilibres régionaux mis à mal par des asymétries qui, si elles continuent de s’aggraver, deviendront des sources de conflit.
2) Le retour de la « compétition territoriale »
De même que les États européens se sont « partagé », lors de la conférence de Berlin (1884-1885), leurs zones d’influence respectives, on assiste aujourd’hui à une compétition de fait entre les différentes puissances du monde globalisé. Faut-il rappeler que les récents événements qui ont marqué la région qui s’étend de la mer Noire au Caucase ont fourni une illustration du retour dans l’actualité du concept de « compétition territoriale » ? Mais ce sont surtout les actuelles luttes d’influence sur le continent africain qui en sont révélatrices.
Les bailleurs dits « émergents » (surtout la Chine, mais aussi l’Inde et le Brésil) y occupent depuis plusieurs années une place croissante. La Chine consacre à l’Afrique 10% de ses investissements directs étrangers et la moitié de son aide au développement. Les prêts colossaux qu’elle a accordés – par exemple à la République démocratique du Congo – ont récemment focalisé l’attention des médias. Elle est aujourd’hui en passe de devenir le premier bailleur sur le continent. À titre d’exemple, dans le seul domaine de l’énergie électrique, la Chine investit en Afrique 1,7 fois plus que les pays du G8.
Le poids croissant de ces nouveaux bailleurs constitue pour les pays en développement à la fois une chance et une source de défis. Il existe en effet un risque qu’ils cantonnent leur action à une forme de développement extraverti – l’Afrique étant alors considérée comme un espace à exploiter, sans que la préoccupation de son essor économique et social intervienne. Il existe ainsi des risques d’enfermement des pays pauvres dans des spécialisations sur les matières premières, qui peuvent conduire à des instabilités et à des conflits. En outre, il est préoccupant que ces nouveaux modèles de croissance fassent encore peu de cas des enjeux sociaux et environnementaux.
L’Europe a pratiqué ce type de développement extraverti pendant près d’un siècle, lorsqu’elle considérait encore l’Afrique comme un « étranger lointain ». Mais aujourd’hui, du fait de la triple combinaison raccourcissement des distances/proximité linguistique et culturelle/mobilité des populations, l’Afrique ne peut plus être considérée par l’Europe autrement que comme un espace proche partageant une solidarité d’intérêts. À l’inverse des pays émergents, l’Europe ne peut pas regarder l’Afrique avec distance.
La concurrence objective entre l’Europe et les puissances d’Asie a toutefois une vertu : elle obligera l’Europe à redéfinir et à affirmer sa propre vision de l’Afrique. Une vision négligée par une Europe accoutumée à une primauté de fait.
Plus spécifiquement, l’Europe doit réaffirmer sa volonté de réduire les asymétries qui la séparent de ses partenaires les plus proches.
Inverser La tendance à l’accentuation des écarts de développement économique et humain
A. Schockenhoff, « pour une politique régionale de l’UE autour de la mer noire », paris, Fondation pour l’innovation politique, document de travail, juillet 2007.
S. Maxwell, « mon plan d’action en six points pour réformer l’aide européenne », Europe’s World, automne 2008.
F. mer, « l’europe, pour quoi faire ? », 2050, n° 2, juillet 2006.
Le différentiel de développement économique entre l’Europe et la région méditerranéenne fournit l’exemple d’une asymétrie considérable entre deux régions très proches. La mer Méditerranée délimite le plus grand écart de niveaux de revenu au monde entre régions contiguës, deux fois supérieur à celui séparant les États-Unis et le Mexique. L’espace euro-méditerranéen se caractérise par un différentiel de 1 à 5 entre le PIB moyen par habitant des pays méditerranéens et celui des pays de l’Union européenne. En dépit d’importants progrès macroéconomiques accomplis dans les pays de cet espace, le processus de convergence vers l’UE ne semble donc pas engagé.
Car l’Europe investit – paradoxalement – trop peu au sud de la Méditerranée. Signe des défaillances de l’intégration régionale des systèmes productifs et des marchés financiers, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) de l’Europe en Méditerranée demeurent très faibles au regard du poids des IDE japonais en Asie ou des IDE américains en Amérique latine. La zone n’a représenté que 3,3% des échanges commerciaux totaux de l’Union européenne en 2006. L’espace économique euro-méditerranéen est donc encore relativement peu intégré sur le plan commercial. Ce manque d’intérêt de la part des acteurs économiques européens constitue une véritable énigme au regard de la proximité – historique et géographique – avec les pays concernés. Au lieu d’une convergence économique, attendue notamment depuis les accords de Barcelone, on observe au contraire une divergence croissante.
Par-delà la Méditerranée, il est un autre espace où cette dialectique de l’asymétrie et de la proximité se pose avec force : l’Afrique subsaharienne. Le sous-continent est aujourd’hui confronté à des défis majeurs, notamment démographiques. La région verra ainsi sa population doubler une nouvelle fois au cours des quarante prochaines années. Les transformations rapides et hétérogènes de l’espace économique africain généreront des pressions croissantes sur les ressources naturelles. Les flux de réfugiés fuyant les zones de tensions pourraient constituer un vecteur de contagion de l’instabilité politique à l’échelle régionale et, dans une moindre mesure, hors du continent africain. Ainsi, l’impact de la croissance démographique africaine constitue pour l’Europe une source potentielle de tensions. Il est donc urgent de déceler les modèles économiques et sociaux permettant de prévenir les chocs que ne manquera pas d’engendrer le fossé grandissant entre une Europe vieillissante et une Afrique jeune et par conséquent fragile.
Enfin, l’espace régional « euro-oriental » représente aussi un défi. Depuis les dernières vagues d’adhésion à l’UE, les enjeux auxquels sont confrontées les régions allant de l’Europe orientale et balkanique au Caucase concernent l’Union européenne plus directement qu’auparavant. Ainsi, la récente adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie crée une frontière extérieure commune avec les pays du pourtour de la mer Noire. C’est un véritable carrefour par lequel transitent les hommes, l’énergie, les produits commerciaux, mais aussi des stupéfiants et des armes7. Certaines de ces zones – foyers de conflits tels que l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie – posent à l’Europe des défis immenses en terme de sécurité. La région constitue un enjeu stratégique majeur en matière d’approvisionnement énergétique – comme en a témoigné le conflit gazier du début de l’année 2009. Il est donc dans l’intérêt de l’Europe de poser les bases d’une coopération régionale plus étroite avec ces pays, qui favori- serait la progression de leurs économies et assurerait la promotion des principes de démocratie et d’État de droit.
Ces constats mettent les questions de stabilité au cœur des préoccupations de développement8. L’accroissement des inégalités régionales constitue un facteur de risques grandissant : déstabilisation des États fragiles, multiplication des conflits liés aux ressources naturelles, migrations dans des conditions dramatiques. Il s’agit pour l’Europe de se poser la question de son propre avenir : à l’échelle de dix ans pourra-t-elle se permettre d’être intégrée à un espace régional affaibli par des États fragiles ? Les coûts de la construction d’un espace intégré avec de véritables États partenaires sont-ils réellement prohibitifs au regard des risques encourus ?
L’élaboration d’un espace de paix et de stabilité était la raison d’être première de la construction européenne. Soixante ans après, cette idée est plus actuelle que jamais en Europe même (Balkans) comme pour ses voisins proches. L’Europe a aujourd’hui vocation à être une machine économique à construire la paix hors de ses frontières.
Rappelons que dans le cadre du plan Marshall les États-Unis ont consenti, pour la reconstruction et la stabilité de l’Europe, des sommes représentant 2,5% de leur produit national brut par an. Une action décisive, puisque de 1947 à 1951 la puissance américaine a injecté l’équivalent de 4% à 5% du PNB européen dans les seize pays concernés par le plan.
La définition d’une politique visant à favoriser la paix et la stabilité9, si elle est bénéfique à l’Europe elle-même, est cependant d’une nature différente de celle qui a présidé à la construction de l’Union, dans la mesure où elle est par essence partenariale. L’Europe doit donc définir aujourd’hui une politique structurelle avec des non-membres, et la partager dans un espace élargi. Ce faisant, elle favorisera la rencontre de systèmes culturels très différents autour d’intérêts communs. Une politique économique extérieure qui est le fruit d’une volonté affichée d’organisation de l’espace peut répondre à une telle ambition. Comme dans l’Europe de l’après-guerre, l’approfondissement des solidarités concrètes permettrait de ne pas poser en préalable des débats par trop politiques. Appliquée à l’espace euro-africain, cette méthode conduit à ne pas s’attarder sur le débat qui porte sur les formes d’organisation politique et sociale – et moins encore sur les valeurs religieuses qui les sous-tendent –, car elle privilégie les négociations concrètes permettant la mise en place de politiques structurelles communes.
De fait, l’accroissement des interdépendances mondiales confère aujourd’hui une double finalité à l’aide européenne au développement : de préoccupation morale vis-à-vis de nos partenaires, elle devient également nécessité géopolitique et économique pour nous-mêmes. Il s’agit de répondre globalement à une somme d’intérêts mutuels bien compris. L’importance de la notion d’espace régional se voit donc aujourd’hui réaffirmée. Mais, surtout, la détermination de l’échelle géographique pertinente constitue un préalable pour penser le développement.
Redéfinir la hiérarchisation implicite de l’espace
Depuis l’origine de l’UE, l’Europe a développé une vision continentale et concentrique, établissant une distinction progressive entre le centre (l’Union elle-même) et la périphérie plus ou moins lointaine. Cette hiérarchisation a historiquement prévalu d’abord au sein de l’Union, où l’appui aux nouveaux membres a varié en fonction de la date d’adhésion (les derniers arrivants ayant reçu un appui moins conséquent que les précédents).
Vis-à-vis de l’extérieur, cette hiérarchisation a été nommée explicitement : pays en préadhésion (Turquie), candidats dits « potentiels » (les États des Balkans), pays dits « du voisinage » (pourtour méditerranéen), accords d’« association » plus ou moins avancés, etc. Une variété de concepts qui engendre des incohérences dans les instruments de partenariat utilisés. De plus, cette vision ne manque pas d’entraîner des incompréhensions et suscite de vifs débats quant à la définition même de la notion de proximité géographique et culturelle. Cette catégorisation – qui fournit donc une image un peu mesquine de la politique étrangère européenne – est nourrie par l’idée implicite de la centralité et de la prééminence de l’Europe. D’autant qu’il en est tiré une conséquence financière majeure : les quantités d’aides sont fonction du degré de « proximité » avec le partenaire défini par l’Europe. Pour ne prendre que l’exemple des prêts octroyés par la Banque européenne d’investissement (BEI) en 2008, on constate que la seule Turquie, pays en préadhésion, a reçu 2,7 milliards d’euros. Un chiffre à comparer aux 1,3 milliard d’euros octroyés au total à huit pays du pourtour méditerranéen via la facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP, bras financier de la BEI pour la Méditerranée), au nom de la politique dite « de voisinage », ou bien encore aux 764 millions d’euros accordés à l’ensemble des pays du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP).
Cette vision, au lieu de les combler, crée donc des écarts considérables. L’Europe fait dépendre son appui financier du passage d’une « catégorie » à l’autre, alors même que le soutien financier est de nature à renforcer les convergences nécessaires au franchissement d’étapes institutionnelles. Tout cela est contraire à l’esprit même d’une coopération régionale.
L’Europe devrait donc s’attacher à lutter contre ces lignes de discontinuité, et pour cela commencer par effacer des barrières verbales inutiles. On pourrait ainsi envisager de supprimer ces différents « paliers » pour privilégier un continuum d’intervention avec des outils identiques, mais selon des degrés variables.
La logique de la politique régionale ne doit pas être uniquement fondée sur la perspective d’une adhésion à l’Union. Le regard de l’Europe doit porter sur le système de relations régionales qu’elle souhaite développer plutôt que sur la simple analyse de sa construction interne.
L’analyse géopolitique de la place de l’Europe dans le monde a donc des implications directes pour l’Europe elle-même, dans la mesure où elle influe sur la définition de sa relation au monde, et donc sur ses priorités politiques et budgétaires. Mais cette analyse spatiale engendre également des conséquences concrètes sur le dispositif de l’action de développement de l’Union.
Dépasser le cloisonnement régional actuel
Penser le développement en termes territoriaux induit une organisation spécifique. Cela s’est traduit très concrètement dans la construction d’une « aide européenne » dont les cadres politiques se sont historique- ment constitués autour de différents cercles régionaux de partenariat.
- L’espace euro-africain s’est vu défini, depuis la première convention de Lomé, en 1975, à l’intérieur du périmètre dit « des pays ACP ». Ces pays – pour la majeure partie africains –, avec lesquels l’Europe entretient des relations commerciales privilégiées, ont reçu une large part de l’aide européenne. À travers la stratégie de l’Union européenne pour l’Afrique agréée en décembre 2005, consolidée par le partenariat renforcé UE-Afrique en décembre 2007, l’Europe s’efforce depuis quelques années de développer une vision euro-africaine cohérente et concrète. Toutefois, des écueils subsistent du fait de la difficulté à définir de véritables ensembles régionaux en Afrique subsaharienne (tels que pourtant prévus dans la négociation des Accords de partenariat économique – APE).
- Un véritable espace euro-méditerranéen est actuellement en cours de définition. Si le processus de Barcelone a constitué le premier dialogue structuré entre les deux régions, il n’a toutefois pas permis de déboucher sur une vision d’avenir commune et c’est aujourd’hui tout le pari de l’Union pour la Méditerranée, créée en juillet 2008, que de donner plus de souffle politique à ce partenariat et d’aboutir à une convergence, en élaborant les synergies autour de projets d’intérêt commun pour les deux régions.
- Un espace euro-oriental se dessine progressivement, du fait notamment de l’arrivée de nouveaux États membres largement tournés vers l’Est : jusqu’au Caucase – voire au-delà. De nombreux pays de cette zone manifestent leur intérêt pour une coopération régionale renforcée et durable avec l’Union européenne, dans le but de relever avec elle des défis transfrontaliers. Une véritable politique régionale de l’UE dans ces zones compléterait efficacement le partenariat stratégique entre l’Union et la Russie.
L’engagement financier de l’Union – plus grand bailleur dans ces trois régions – s’insère donc dans des cadres politiques précis. Toutefois, il est aujourd’hui nécessaire de s’interroger sur la pertinence de ce cloisonne- ment par zones géographiques. L’Europe ne devrait-elle pas déterminer une logique unique de politique économique extérieure ? Un tel schéma global de partenariat pourrait être adapté dans son financement et dans son fonctionnement à chaque région et à chaque pays concerné. Il offrirait l’avantage de favoriser une cohérence globale du système.
Si la structuration de l’espace à l’échelle régionale a été présente dès l’origine dans la détermination des cadres de la politique européenne de coopération, elle est aujourd’hui plus que jamais au centre du débat : elle implique de dépasser les différents cloisonnements et de définir une vision d’ensemble de la relation de l’Europe à son espace régional ainsi qu’au reste du monde.
Une politique de partenariat structurel bénéfique à la place de l’Europe dans le monde
L’espace régional, objet et support de développement
J-M. Debrat, « pour une politique européenne de développement », op. cit.
1) De l’importance de l’aménagement de l’espace
L’analyse des dérégulations mondiales offre une lecture non territorialisée des problèmes de développement et de leurs conséquences. Si elle se révèle aujourd’hui incontournable, elle ne doit pas pour autant occulter l’impact de l’organisation des territoires sur le développement.
Nous vivons en effet dans un espace profondément marqué par son organisation. Le développement est fortement corrélé à la construction des territoires et des sociétés. Les concepts de clusters, d’agglomérations ou de bassins d’emploi permettent, par exemple, de favoriser l’organisation efficace de l’espace à l’intérieur de vastes ensembles géographiques. Ces espaces permettent l’accumulation territoriale de capital, de populations ou de savoir-faire. Inversement, le développement économique produit un impact sur l’organisation de l’espace. À cet égard, la Chine fournit l’exemple d’un pays dans lequel le développement économique est allé de pair avec un véritable réaménagement du territoire vers la côte. Dans une moindre mesure, il en va de même de l’espace méditerranéen. En outre, l’aménagement de l’espace est un objet fondamental de développement10. L’aide au développement de l’Europe n’a-t-elle pas une forte visée d’aménagement des territoires ? En équipant des ensembles territoriaux d’infrastructures cohérentes et articulées (réseaux de transport et d’électricité, aménagements portuaires, voirie, télécommunications), l’APD peut réduire les inégalités spatiales et économiques tout en favorisant le développement des marchés, et donc la croissance régionale. De même que le Japon a joué un rôle décisif dans la croissance asiatique via le financement tant public que privé de l’équipement des pays d’Asie du Sud-Est, l’Europe se doit de jouer un rôle moteur dans la construction d’infrastructures dans son propre espace régional élargi.
La construction européenne elle-même constitue un exemple parlant de la constitution progressive d’un espace régional qui fut appelé à tirer sa croissance interne. Aujourd’hui, l’Europe n’a pas plus intérêt à laisser ses partenaires du Sud et de l’Est en situation de sous-développement qu’elle n’avait intérêt, hier, à laisser ses régions les plus faibles en situation de retard économique. Sa politique publique de développement doit ainsi être pensée dans le but de créer un espace régional soutenable, un marché élargi favorisant la croissance de l’ensemble de ses acteurs sur le long terme.
Deux questions se posent aujourd’hui avec une acuité particulière dans le contexte des crises alimentaire et énergétique : l’aménagement des terres agricoles africaines – à la condition qu’il soit respectueux de l’environnement et des priorités des populations locales – ne constitue-t-il pas l’une des réponses à la crise alimentaire d’abord régionale mais aussi globale? L’exploitation du potentiel hydroélectrique ou solaire africain ne peut-il contribuer à résoudre la dépendance énergétique internationale ? L’Afrique dispose dans ces secteurs d’un immense potentiel, exploité à moins de 10%. Sa mise en valeur peut être encouragée et accompagnée par les politiques publiques européennes, au bénéfice de tous.
2) Un outil de relance et donc de sortie de crise
Alors que nos pays sont actuellement à la recherche du meilleur plan de relance face à la crise économique, ciblant principalement l’investissement, leur intérêt ne devrait-il pas se tourner vers un espace plus large que le territoire national ou même européen ? Investir dans le Sud aiderait en effet la croissance d’un ensemble régional élargi – composé aussi bien de l’Europe que de ses partenaires du Sud et de l’Est. Car, pour trouver un moteur de sortie de crise, l’Europe devra chercher des relais de croissance à l’extérieur. Il lui faudra donc raisonner en termes d’intégration d’un vaste espace régional via l’industrie et les infrastructures. Ce moteur de croissance permettra dans le même temps de pallier le déficit d’équipement et de formation dans des pays qui ont des difficultés à émerger. Alors que l’Europe et l’Afrique connaissent des situations diamétralement opposées en termes d’emploi et de démographie, une relance par des projets d’investissements dans le Sud permettrait d’établir à large échelle des équilibres considérables. Cela suppose d’encourager de nouveaux modes de financement du développement : à savoir le soutien au secteur privé des pays en développement et la mise en place d’un maillage cohérent de leur territoire par des infrastructures de qualité.
La finalité d’une telle politique serait triple : renforcer la compétitivité de l’ensemble – et notamment de l’Europe –, réduire les dangereuses inégalités régionales, et enfin créer des marchés élargis. Car c’est en commençant par agir sur le développement économique de ses partenaires que l’Europe créera avec eux de véritables espaces d’affaires ou d’investissements. L’objectif de convergence – favorisé par la définition conjointe des politiques économiques – favoriserait en effet l’intégration d’un marché élargi au-delà des frontières juridiques de l’Union. L’analyse simultanée de l’espace élargi dans lequel elle s’insère et des intérêts qui lui sont propres appelle donc l’Europe à définir une politique structurelle de développement.
Définir le concept de politique partenariale
compte rendu de l’atelier « ape pour le développement », organisé par l’agence française de développe- ment (aFd), 24 octobre 2008.
La nature même de la politique européenne doit donc être clarifiée, ce qui la rendra d’ailleurs plus visible. L’Europe doit aujourd’hui offrir un dialogue donnant tout son sens à la notion de partenariat, qui, contrairement à la politique – pourtant généreuse – dite « de voisinage », implique dès l’amont une approche commune et égalitaire. Chaque acteur de l’aide européenne, du fait de ses avantages comparatifs spécifiques, apportera une pierre indispensable à l’édifice. Or, le concept de partenariat – qui consiste à ne pas imposer à l’autre ses objectifs mais à demeurer exigeant quant aux méthodes – suppose que soient dissipés certains malentendus entre l’Europe et ses partenaires.
La négociation sur les APE doit à cet égard être considérée comme un contre-exemple. La dimension commerciale des accords a trop longtemps occulté la volonté – exprimée par les partenaires – de les voir accompagnés d’un volet développement de qualité. Faute d’une réelle intégration des volets commerce et développement, cette négociation n’a abouti qu’à un seul accord régional et à des accords intérimaires avec les pays les plus touchés par la fin des préférences. Pourtant, il est possible et souhaitable d’aborder la question des APE comme une opportunité pour les régions ACP, par la mise en place des programmes d’accompagnement crédibles en renforcement des capacités, dans le but d’aboutir à des accords définitifs et complets. Pour ce faire, l’enjeu, aujourd’hui, est de restaurer la relation UE-ACP, qui a été mise à mal dans le cadre de ces négociations11. L’Europe doit passer d’une « politique » régionale, qu’elle définit puis qu’elle propose à ses partenaires, à une véritable « coopération» régionale définie conjointement. Si cette philosophie avait prévalu pour les APE, ces derniers seraient sans doute plus avancés aujourd’hui. C’est pourquoi la nouvelle politique européenne de développement – loin de constituer une politique « étrangère » – doit être pleinement intégrée comme l’une des politiques de l’Europe, car elle a un impact direct sur l’Union elle-même. Elle doit être pensée comme une politique structurelle de partenariat.
Pour ce faire, l’Union devra faire montre d’un double souci de mise en cohérence.
– Cohérence interne des politiques européennes tout d’abord. Il est en effet indispensable que la politique européenne de coopération soit déterminée dans un souci de cohérence avec les autres politiques structurelles de l’Union. Il s’agit de faire converger l’ensemble des politiques européennes avec les objectifs de développement de ses partenaires. Le Conseil européen de mai 2005 a ainsi affirmé que la cohérence des politiques européennes – dans des domaines aussi divers que le commerce, l’environnement ou encore l’agriculture – devait être « mise au service du développement ». Toutefois, les cas de non-cohérence persistent entre la politique de développement et les autres politiques européennes. Cela s’explique par une contradiction – ou du moins une déconnexion – entre les intérêts qui les sous-tendent.
– Cohérence des liens logiques qui permettent la construction de l’espace interne européen, d’une part, et la relation avec le reste du monde, d’autre part. Historiquement, l’Europe s’est attachée à favoriser avant toute chose la cohérence de son espace intérieur – à l’échelle de six, quinze ou vingt-sept pays : ce souci de cohésion interne, qui a conduit à des élargissements successifs dans l’espace géographique européen, se révélait producteur de dissymétries vis-à-vis de l’extérieur. Car la création d’une homogénéité et d’une égalité de droits à l’intérieur de l’Union européenne était en elle-même créatrice « d’effets de frontière » avec le reste du monde.
Un tel schéma – qui a orienté la construction européenne pendant un demi-siècle – ne peut subsister dans la mondialisation. Le moment est venu d’inverser cette logique, avec pour objectif de « lisser » ces effets de frontière. La nouvelle méthode consisterait à penser dès leur conception la cohérence des politiques internes de l’Europe vis-à-vis de l’extérieur. L’objectif étant de pouvoir gérer de manière efficace les disparités considérables qui sévissent à l’intérieur d’un même espace régional. L’Europe et ses partenaires ont intérêt à intégrer ces solidarités de fait dès la définition de leurs stratégies économiques. À la logique qui consistait à créer une cohérence interne avant même de penser la gestion des frontières doit succéder un raisonnement intégrant pleinement la relation de l’Europe au monde. Ce nouveau concept de politique européenne engendre des conséquences très concrètes. Cela signifie que l’Europe doit prendre en compte les intérêts de ses partenaires extérieurs dans la détermination du volume de ses financements, de ses droits, de ses objectifs et de ses normes internes. Plus spécifiquement, ce changement de paradigme appelle un certain nombre d’évolutions dans les politiques actuelles.
- Les outils de la politique de compétitivité de l’Europe, dite « stratégie de Lisbonne », devraient ainsi être appliqués par-delà les frontières de l’Union. Or, celle-ci a fait l’impasse sur un certain nombre de défis majeurs, tels que la prise en compte du vieillissement de l’Europe ou l’impact sur les pays en développement, en particulier en termes de migrations.
- Ainsi, la politique européenne de l’emploi, de la formation et de l’innovation ne peut être déconnectée de l’analyse des enjeux globaux que sont la maîtrise des coûts, la compétitivité de la main-d’œuvre et le contrôle des mouvements migratoires. La nouvelle donne de la compétitivité mondiale oblige ainsi l’Europe à redéfinir les notions de bassins de compétences et d’emploi dans un sens élargi. Ce serait une illusion de penser que le plein-emploi pourrait être atteint par la seule économie de la connaissance. Une politique d’emploi efficace dépendra aussi de la nouvelle relation de l’Europe au monde.
- De même, les États du Sud seraient affectés par l’absence d’organisation des marchés de l’emploi en Europe, qui conduirait à des migrations anarchiques tant des élites que des populations vulnérables.
- De même, la politique de cohésion, qui vise à réduire les écarts entre régions européennes, devrait intégrer davantage des perspectives transfrontalières.
- La politique agricole commune (PAC) doit également être pensée comme une politique de gestion des échanges et des équilibres entre les différentes agricultures mondiales. Une réflexion qui se doit d’aborder l’impact de la politique agricole européenne sur les économies agricoles de nos partenaires, particulièrement dans le contexte de la crise alimentaire actuelle. Cette politique, qui depuis l’origine a été pensée avant tout comme une politique de gestion de la transition agricole et rurale européenne, doit aujourd’hui se fonder sur un équilibre des échanges agricoles mondiaux et sur la mise en relation des espaces ruraux. Pour ce faire, c’est simultanément au nord et au sud que l’Europe devra s’atteler à faire évoluer l’aménagement rural, les modes d’exploitation et l’organisation des marchés. Cela évitera ainsi de retomber dans un concept rigide de « souveraineté alimentaire ».
Organiser le dialogue politique
On l’a vu, le système européen de coopération s’inscrit dans des zones géographiques imbriquées. Au sein de ces différents espaces, son action associe une grande variété d’acteurs, de toute taille et de tout type. États, unions régionales, entreprises : tous entretiennent avec l’Europe des relations spécifiques. Dans un souci d’efficacité de son action de développement, l’Europe devra définir avec chacun de ces interlocuteurs le cadre d’une relation harmonieuse : la philosophie partenariale doit s’appliquer à toutes les échelles.
À l’échelle de la relation entre l’Union européenne et l’Union africaine (UA) : les deux ensembles entretiennent un dialogue soutenu sur les problématiques de développement. Un partenariat UE-Afrique pour les infrastructures a par exemple été lancé en 2007. Mais la faible institutionnalisation de la structure de l’Union africaine cantonne, à ce stade, ces discussions à un niveau politique encore très général. Ce dialogue institutionnel indispensable doit être approfondi, mais il doit aussi être suivi de la mise en œuvre opérationnelle des programmes.
Ne faudrait-il pas, dans le cadre du dialogue UE-UA, prolonger les discussions à un niveau plus opérationnel, celui des bailleurs? L’Afrique compte de nombreux et importants financeurs du développement tels que la Banque africaine de développement (BAD), la Development Bank of Southern Africa (DBSA) ou la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Les liens entre les banques de développement africaines et celles de l’Union européenne doivent être resserrés, il faut que leur dialogue soit organisé.
De nombreuses formes de groupement entre opérateurs sont envisageables. On pourrait ainsi rassembler au sein d’une même structure ou groupe de réflexion des institutions financières, privées et publiques, sorte de « consortium de banques » au niveau euro-africain.
À l’échelle de la relation entre l’Union européenne et les unions régionales africaines : il existe en Afrique une multiplicité d’unions régionales, de tailles et de degrés d’intégration opérationnelle très différents. Il est indispensable pour l’Union européenne d’approfondir ce dialogue de région à région. Or, il doit viser à être le plus inclusif possible. Par exemple, il ne fait nul doute que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) constitue un ensemble plus représentatif d’une zone géographique composée à la fois de pays anglophones et francophones que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cependant, les organisations régionales ayant aujourd’hui le degré d’intégration le plus avancé – et donc la capacité opérationnelle la plus grande – sont précisément celles (UEMOA notamment) qui reposent sur une histoire (héritée de la zone franc) et sur une solidarité linguistique de fait. Et les APE ont démontré le risque qu’il y avait à mener une négociation avec des organisations trop peu représentatives de la réalité politique du continent africain. Si le niveau régional constitue indubitablement l’échelon pertinent pour penser la politique économique, celui-ci reste donc à définir et à conforter par les États africains pour permettre un dialogue efficace avec l’UE.
À l’échelle de la relation entre l’Union européenne et les États bénéficiaires : l’indispensable amélioration de l’efficacité de cette aide passera par une coordination accrue des actions de la Commission européenne et des États membres. Ainsi, c’est bien sous l’angle de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide (entérinée le 2 mars 2005) et du Code de conduite sur la complémentarité et la division européenne du travail dans la politique de développement (2007) que l’Europe doit redéfinir ses pratiques sur le terrain. Le contexte politique des réformes institutionnelles et des discussions sur l’efficacité de l’aide, nourri par les initiatives du commissaire européen chargé du Développement et de l’Aide humanitaire Louis Michel, depuis 2005, crée une dynamique propice à des initiatives dans cette direction. Pour mettre en œuvre efficacement ces réformes, les bailleurs devront éviter certains écueils et concentrer leurs efforts dans quatre directions conjointes :
- favoriser une coordination effective, dans chaque pays partenaire, entre bailleurs européens ;
- concilier la nécessité de cohérence avec la pluralité d’offres (dans les types d’intervention et les modes opératoires) proposées par les différents États européens. L’Europe ne peut ni ne doit se présenter à ses partenaires comme un seul bloc. Une offre européenne globale irait à l’encontre de la capacité de dialogue – et de choix – des partenaires;
- se concerter en amont avec l’ensemble des autres acteurs concernés, en particulier les multilatéraux (Banque mondiale) ;
- articuler la programmation commune de l’aide avec les outils de programmation (notamment budgétaires) du partenaire.
À l’échelle de la relation entre l’Union européenne et les acteurs non étatiques (collectivités territoriales, entreprises privées, etc.): tout à la fois facteurs et opérateurs du développement, les acteurs non étatiques doivent devenir une priorité dans les stratégies des bailleurs. Or, le soutien qui leur est accordé demeure marginal dans les pratiques de nombre d’acteurs européens de l’aide au développement. Ce chantier, qui doit être davantage engagé au niveau de la Commission, ne l’est véritablement qu’au niveau des banques de développement. Pourtant, le renforcement du secteur privé constitue la finalité de la facilité d’investissement de l’accord de Cotonou, gérée par la BEI, et est au cœur du mécanisme de cofinancement European Financing Partners (EFP).
L’Europe dispose donc d’une multiplicité de partenaires avec qui approfondir son dialogue. Mais, pour aller dans ce sens, l’Europe ne fera pas l’économie d’une réforme de sa propre organisation.
La nécessité d’une nouvelle architecture de l’ide européenne
Clarifier les responsabilités au sein du système européen
S. Grimm, « reforms in the eu’s aid architecture and management : the commission is no longer the key problem. let’s turn to the system », bonn, discussion paper, deutsches institut für entwicklungspolitik, novembre 2008.
Id, ibid.
S. Maxwell et J.-m. debrat, « the recession’s storm holds a silver lining for development cooperation », Europe’s World, février 2009.
La politique européenne d’aide au développement est une compétence partagée entre les États membres et la Commission européenne. On voit donc coexister plusieurs politiques bilatérales et une politique communautaire comprenant elle-même une multiplicité d’acteurs distincts 12. Si l’expression d’architecture de l’aide laisse entendre qu’il existerait un plan tracé et un « ingénieur en chef » du système13, la réalité est quelque peu différente.
La Commission européenne est un acteur complexe de l’aide au développement. Encouragée à simplifier ses procédures dans le but d’améliorer l’efficacité de son action, la Commission a entamé en 2000 un vaste processus de déconcentration vers ses délégations, partant du principe que « tout ce qui pouvait être décidé et géré sur le terrain ne devait pas l’être à Bruxelles » – sorte d’application sectorielle du principe de subsidiarité. De même, la Commission a récemment opéré une concentration drastique de ses instruments budgétaires, et le Fonds européen de développement (FED) a été doté de procédures simplifiées. La Commission s’est donc engagée depuis quelques années dans un processus de réduction de la complexité de ses instruments et de ses procédures. Mais le traitement de l’aide aux PED par la Commission reste marqué par une séparation géographique, qui se traduit par une séparation institutionnelle. Alors que l’ensemble des relations avec les pays dits «ACP» sont gérées par la direction générale Développement (DG DEV), les relations avec le reste des pays en développement sont gérées au sein de la DG Relations extérieures (DG RELEX). Le commissaire au Développement se voit donc privé de moyens d’action dans les pays du pourtour méditerranéen, d’Asie ou d’Amérique latine. Ainsi, alors même que la DG DEV est chargée des politiques horizontales, son Alliance mondiale contre le changement climatique n’intègre pas les pays émergents – sans compter que la DG Commerce est chargée de dossiers à la lisière des questions de développement, en particulier la négociation APE. En outre, la programmation de l’aide est aujourd’hui séparée de la mise en œuvre concrète de cette politique, assurée par l’opérateur EuropeAid – rattaché à un seul commissaire, mais agissant pour deux : il est en effet placé sous l’autorité du commissaire chargé des Relations extérieures, alors qu’une bonne part de ses activités (le FED et les politiques horizontales) est déterminée par le commissaire chargé du Développement et par la DG DEV.
Le fonctionnement actuel de la Commission crée donc des circuits multiples, dans lesquels les directions chargées de la définition des politiques ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qui sont chargées de les appliquer. Le « cycle du projet » est géré à ses différentes étapes par des entités différentes14. Un système qui peut se révéler efficace à la condition que la relation entre les deux parties repose sur un dialogue permanent et sur des synergies à tous les échelons.
Ce qui est appliqué à Bruxelles prévaut également au sein de chacun des États membres : la relation entre la définition des politiques, la programmation et la mise en œuvre concrète des projets et des programmes aboutit en effet à une géographie administrative très différente selon les pays. Toutes les combinaisons de relations possibles existent entre les entités administratives chargées de ces différentes étapes dans les différents États membres.
L’Europe doit aujourd’hui s’atteler à un vaste chantier de réforme administrative. Ne pourrait-on envisager une « chaîne de commandement » unique au sein de la Commission15 ? Et ne faudrait-il pas favoriser un minimum de parallélisme institutionnel entre États membres, dans le but de faire dialoguer entre eux les échelons équivalents (financeurs avec financeurs, programmeurs avec programmeurs et opérateurs avec opérateurs) ?
Unifier l’architecture financière
EDFI : european development Finance réseau européen des banques de développement dédiées au financement du secteur privé.
H. Euillery, « pour la fin du saupoudrage dans la coopération européenne au développement. vers une divi- sion du travail entre états membres », paris, cepremap-aFd, mars 2008.
Voir Allemand, c. Brandi et m. Wohlgemuth, « Faire l’union à 27 : tenter de nouvelles méthodes ? », paris, Fondation pour l’innovation politique, document de travail, septembre 2007.
Réseau associant les institutions financières de développement européennes, gestionnaires d’aides publiques ou spécialisées dans le financement du secteur privé.
1) Le principe d’universalisation des outils
Quelle que soit la zone géographique concernée, les mêmes outils financiers concourent au développement. En ce sens, il paraît possible de définir une unique panoplie d’outils : différentes formes de don (pro- jets, programmes, aide budgétaire globale [ABG], études, assistance technique…), prêts plus ou moins bonifiés et prises de participation. De même, le principe qui consiste à « mixer les prêts et les dons » doit être retenu au bénéfice de tous les acteurs de l’aide européenne et de toutes les zones géographiques. Ainsi, le Fonds fiduciaire UE-Afrique pour les infrastructures ou la facilité d’investissement pour le voisinage (FIV) sont de remarquables instruments mis récemment en place par la Commission dans le but d’affecter les subventions à des projets économiquement viables et de produire un effet de levier qui seul permet d’atteindre les volumes de financement nécessaires au développement des infrastructures et du secteur privé. Enfin, la généralisation des techniques de cofinancement, avec la possibilité de délégations de gestion dans le but de limiter les coûts de transaction, donne un maximum de souplesse pour la combinaison optimale des différents instruments de financement.
2) La nécessaire simplification de l’architecture budgétaire
L’option, choisie en 2005, d’un budget communautaire minimal ne permet pas le développement optimal des politiques structurelles territoriales telles que la politique de cohésion, la politique de voisinage ou la politique de coopération… La crise actuelle a remis à l’honneur la nécessité d’effectuer des investissements publics structurants : une partie doit être consacrée à l’action extérieure, dans l’intérêt même de l’Europe, de ses entreprises et de sa compétitivité. Dans ces circonstances, une simplification de l’architecture budgétaire s’impose.
À ce jour, une partie des ressources budgétaires des différents États membres est utilisée dans le cadre des budgets nationaux, soit directement, soit via des agences. Une autre partie alimente le FED, régi par une réglementation financière unique. Si son utilisation donne lieu à une concertation avec les États ACP partenaires, elle n’est cependant pas soumise au contrôle du Parlement européen. Une troisième partie des ressources est versée par les États membres au budget de l’Union pour être utilisée soit via l’opérateur EuropeAid, soit via la BEI, soit via des institutions multilatérales – au premier rang desquelles la Banque mondiale. Un tel cloisonnement fait-il encore sens ? N’est-il pas temps de mettre fin aux distorsions qui existent entre les institutions européennes dans l’offre de financement faite à leurs partenaires ? N’est-il pas temps de placer l’ensemble des dépenses budgétaires communautaires sous l’œil du Parlement européen, tout en préservant les bienfaits des mécanismes de Cotonou, qui réunissent les soixante-dix-neuf États du groupe ACP et les vingt-sept États de l’Union européenne ? En effet, une telle unicité permettrait de penser globalement le budget extérieur de l’Union. Ainsi, la multiplication des cofinancements, notamment via des fonds spécialisés à vocation simple (et visible), permet de structurer une offre de financement européenne consolidée. Une réorganisation transparente des circuits budgétaires et le mixage des prêts et des dons permettent de mettre en valeur le don – acte politique – tout en créant une émulation des institutions financières, fondée sur leurs expertises opérationnelles respectives. Enfin, le financement des politiques structurelles internes et externes posera de nouveau la question de la taille du budget européen pour la période 2014-2020. Elle se pose en réalité dès aujourd’hui : la taille du budget européen n’hypothèque-t-elle pas toute politique économique de réponse à la crise au niveau de l’Union ?
Mettre l’ensemble des acteurs en réseau
1) Panorama de la diversité des acteurs européens du développement
Départements ministériels (comme le Department for International Development [DFID] britannique ou le Ministerie van Buitenlandse Zaken [MINBUZA] néerlandais), agences publiques des États membres sur subvention (Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo [AECID]), établissements publics bancaires (tels que la KfW Bankengruppe ou l’AFD), établissements privés bancaires (regroupés dans un réseau des EDFI 16), agence publique communautaire agissant sur don (EuropeAid), banques publiques plurinationales (BEI, Banque européenne pour la reconstruction et le développement [BERD], Banque centrale européenne [BCE]), etc. Tous ces organismes sont de taille et de tradition historique et géographique différentes ; tous ont des modes d’intervention et des priorités sectorielles qui leur sont propres. Si certains financent directement les maîtrises d’ouvrage locales (BEI, KfW ou AFD), d’autres pratiquent la mise en œuvre directe (Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit [GTZ] allemande, pour partie EuropeAid), et d’autres encore pratiquent largement la délégation (DFID).
2) Avantages et inconvénients de cette diversité
Elle a l’insigne avantage de constituer une offre de services techniques et financiers diversifiée au bénéfice et au choix des partenaires. Elle a cependant le non moins insigne inconvénient de générer des coûts de transaction considérables pour les partenaires locaux et d’entraver la coordination entre acteurs de l’aide17. La conciliation de cet avantage et de cet inconvénient pourra résider non pas dans une harmonisation de type monopolistique, mais au contraire dans une division du travail souple, sur la base des avantages comparatifs et des spécialisations des différentes institutions concernées. Depuis quelques années, la Commission a pris plusieurs initiatives heureuses en ce sens. De là est né le mouvement qui a abouti à la division européenne du travail. Le Code de conduite sur la complémentarité et la division du travail dans la politique de développement constitue ainsi une étape importante sur la voie d’une plus grande efficacité de l’aide aux partenaires de l’Europe. Il reste aujourd’hui à en généraliser la mise en œuvre et à obtenir une mise en cohérence des programmations. Il s’agit aussi de conceptualiser des politiques d’intégration de degrés variables, en interne comme en externe, sans doute inspirées de la théorie des clubs18.
3) Les principes du travail en commun
À partir des intenses discussions à vocation réformatrice qui ont eu lieu ces dernières années au sein des différents réseaux d’acteurs (EDFI, Interact19, Réseau des praticiens pour une coopération européenne au développement) et à la Commission se dégagent un certain nombre de principes de travail en commun :
- le premier concerne la primauté du financement des maîtres d’ouvrage locaux, quelle que soit leur forme juridique (entreprises, banques, collectivités locales, ONG, établissements publics, États, etc.), ainsi que la mise aux standards internationaux de leurs procédures ;
- le deuxième a trait à la reconnaissance mutuelle et à la mise en équivalence du plus grand nombre possible d’acteurs, sur la base de principes clairs – à savoir la transparence, la non-discrimination et l’égalité de traitement;
- le troisième concerne la réciprocité des engagements des différents acteurs ;
- le quatrième consiste en un principe d’égale visibilité des efforts budgétaires de l’ensemble des cofinanceurs d’un projet ;
- enfin, le dernier principe a trait à la pratique consistant à désigner des « chefs de file » (lead financier) bénéficiant de délégations de gestion dans le but de diminuer les coûts de transaction, d’une part, et d’offrir des interlocuteurs uniques aux partenaires, d’autre part.
4) Appuyer et mettre en œuvre les principaux chantiers en cours
L’Europe dispose ainsi aujourd’hui d’une véritable panoplie de concepts et d’instruments qui vont dans le sens d’une offre européenne complète de financements, d’une meilleure harmonisation et d’une plus grande visibilité, sans pour autant tomber dans le piège du gigantisme ou du monopole d’une grande agence. Le défi consiste donc aujourd’hui à poursuivre la définition de ces innovations, mais surtout à les mettre en œuvre, de manière opérationnelle et concertée. L’Europe doit aujourd’hui dépasser le stade des déclarations de principes. Cette mise en œuvre concrète constitue la réponse technique à la nécessité politique qui consiste à clarifier le sens des relations de l’Europe avec l’ensemble des pays qui sont appelés à partager avec elle un destin.
Conclusion
F. Mer, « l’Europe, pour quoi faire ? », op. cit. ; a. palacio, « l’immigration et la compétitivité », Lettre de la Fondation pour l’innovation politique n° 19, février 2006.
La paix et la stabilité économique – fondements politiques majeurs de l’Europe des années 1950 – demeurent la principale raison d’être de l’Union européenne aujourd’hui20. Toutefois, ce fondement s’applique non plus à l’intégration européenne stricto sensu, mais pour l’essentiel à la question des relations de l’Europe avec son environnement géographique. À cet égard, les différentes politiques d’élargissement, d’association, de coopération ou de voisinage représentent des politiques de solidarité au sens le plus concret du terme, ancrées dans les territoires, les villes et les campagnes, les entreprises… Elles requièrent donc une vision élargie des questions de circulation des hommes, de formation et de migration, d’énergie et d’infrastructure, d’urbanisation, d’aménagement rural… à une échelle plus large que celle des seuls États membres de l’Union.
Les défis actuels viennent conforter la nécessité d’une politique européenne de développement fondée sur un dialogue équilibré, qui cherche à réduire les disparités qui caractérisent l’espace entre l’Atlantique et le Caucase et qui englobe l’Europe, le monde méditerranéen et l’Afrique. Les crises actuelles révèlent que la conséquence la plus dramatique et la plus dangereuse des disparités financières et matérielles concerne les profonds déséquilibres territoriaux de notre monde.
C’est donc par le biais territorial que des solutions efficaces pourront leur être apportées. Il est aujourd’hui dans l’intérêt des Européens que des États qui ne sont pas membres de l’UE – mais avec lesquels elle a depuis longtemps de solides relations culturelles et économiques – définissent conjointement avec elle un véritable partenariat régional qui viendrait contribuer à l’élaboration des politiques européennes elles-mêmes.
En proposant un tel processus, l’Europe enverrait un signal politique fort et visible à l’attention de ses partenaires, démontrant, par son implication, sa volonté d’établir des synergies régionales solides dans la durée. Elle apporterait aussi une contribution essentielle pour sortir du désordre actuel d’une économie financière dématérialisée, qui a perdu le sens de sa relation aux territoires et à leurs populations.
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